Le destin des Ackerman - Tome 2

Chapitre 3 : Averse d'acier

5626 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 04/07/2021 15:30

Tout est calme cette nuit mais ce silence pesant qui recouvre la ville de Zelevsk est bien plus inquiétant et stressant pour les âmes retranchées derrière les remparts de la cité. L'attente de l'inéluctable plonge les soldats mahr dans une angoisse contre laquelle il est difficile de lutter. Oui, ils sont tous dans l'expectative d'un premier bombardement des forces armées de la coalition et, puisqu'il peut survenir d'une minute à l'autre, les esprits plongent peu à peu dans la paranoïa au moindre craquement de la charpente, au moindre claquement de contrevents mal fermés, au moindre sifflement du vent qui s'infiltre entre les tuiles, au moindre cri d'un homme soûl dans la rue...

C'est dans un bâtiment du centre-ville que l'escouade des aspirants guerriers passe la nuit. La majorité sont couchés, emmitouflés dans leur sac de couchage — rembourré de fourrure pour résister au froid pénétrant de cette région inhospitalière pour des étrangers, hormis Annie qui est assise sur le rebord de la fenêtre, balayant cette grande pièce du regard. Si tous ses compagnons ont l'air d'être endormis, elle se doute que la plupart n'ont pas réussi à trouver assez de sérénité pour dormir.

A sa gauche, près de la porte, est assis le capitaine Augstein qui est occupé à écrire une lettre, seulement éclairé par une bougie à la flamme vacillante. A un petit mètre de lui se trouve Laura Eibl, une peste qui est l'une des prétendante au titan féminin. Aidée par la bougie, Annie peut voir que la jeune fille dort à en croire sa respiration lente et régulière, devinée au mouvement du sac de couchage. Un peu plus loin sur la droite Karl est allongé sur son flanc droit à regarder pensivement une petite photographie qu'il doit garder constamment dans la poche de sa chemise d'uniforme.

Le lieutenant Leonhart tourne la tête lorsque des messes basses se font entendre sur sa droite. Alexander Cranz, aspirant du bestial, discute à voix basse avec Oskar Roer : ces deux là sont toujours ensemble.

Pendant cette observation silencieuse de ses camarades et leurs occupations nocturnes, pouvant être associées à leur façon de faire face à la peur, le son de la pluie commence à se faire entendre. Rapidement, c'est un véritable déluge qui s'abat sur la ville d'apparence endormie. Après deux bonnes minutes, la jeune femme ne peut plus rien entendre d'autre que le ruissellement de l'eau dans les gouttières et la violence avec laquelle la pluie s'abat sur la toiture du bâtiment.

Des pas se font ensuite entendre derrière elle. Annie tourne la tête et remarque d'abord que la bougie a été éteinte puis que le capitaine s'approche d'elle. Il la rejoint sur le rebord de la fenêtre et pousse sur les volet jusqu'à ce que le loquet le bloque afin de créer du jour et ainsi observer ce qu'il se passe quelques mètres plus bas. L'officier remarque rapidement que les caniveaux se transforment en ruisseaux. En quelques minutes à peine une brume se lève et, à l'horizon, un flash lumineux éclaire timidement la noirceur inquiétante de cette nuit stressante, entraperçu par Annie pour qui une attaque fait peu de doutes à présent.


— Capitaine... commence le lieutenant pour prévenir son supérieur mais ce dernier la coupe instantanément.

— Oui, il y a de très grandes chances qu'ils profitent de la météo pour s'approcher de la ville ou nous bombarder.


Le grondement du tonnerre lointain se fait entendre et c'est à ce moment précis que Samuel Berner se réveille en sursaut. Le capitaine et son lieutenant se tournent vers lui et remarquent qu'il sue à grosses gouttes. Assit dans sa couche, la tête basse et les mains tournées paumes vers lui, le jeune homme à la respiration confuse semble choqué, sans doute encore perdu dans cette mince frontière entre le rêve et le réel lorsque l'on cauchemarde.


Annie s'approche de lui et pose de façon hasardeuse sa main sur l'épaule du soldat.

— Samuel..? Ça va..? demande-t-elle.

Il ne répond pas et sa question meurt dans un silence qui s'installe pendant un long instant avant que mademoiselle Leonhart ne le secoue légèrement.

— Où suis-je..? souffle-t-il avant de lever lentement la tête vers elle pour croiser son regard inquiet puis ne regarde droit devant lui, où sont les barreaux..?

— Les barreaux ? s'étonne le lieutenant.


Samuel acquiesce mais, au moment où il ouvre la bouche pour en dire plus, un grondement assourdissant fend les cieux, faisant violemment trembler l'air et produisant une lumière vive qui illumine la pièce. Tous les jeunes gens se réveillent et sursautent, surpris par le bruit qui laisse penser que la foudre s'est abattue sur leurs têtes.

Une poignée de secondes plus tard un son caractéristique perce leurs tympans, un sifflement, un bruit strident qui s'intensifie. Pour les vétérans qui ont déjà entendu ce genre de son, ça ne fait pas de doute et leur crainte se vérifie après une fraction de seconde.

La terre tremble, les murs du bâtiment mis en branle font tomber poussière et saletés, le fracas du métal sur la pierre et l'éboulis provoqué force tout le monde à se jeter à terre puis, après un instant de stupeur où chacun n'ose plus bouger ni respirer ni même relever la tête, des cris d'horreur parviennent jusqu'au petit groupe : un obus vient de semer mort et destruction.

Le capitaine est le premier à se relever et il s'emploie tout de suite à attraper ses hommes par un bras pour les encourager à se relever le plus rapidement possible.


— Vite on se casse ! hurle-t-il alors que Annie et Alexander sont les suivants à aider leurs camarades encore sous le choc de l'impact.


Heureusement tous s'étaient préparés à devoir partir au plus vite. Déjà habillés, leur arme nettoyée et vérifiée posée à leurs côtés, casque déjà sur la tête, tous se saisissent de leur paquetage et de leur fusil.


— Écartez-vous des fenêtres ! s'écrie le capitaine qui ouvre la porte de leur dortoir de fortune et fait signe à ses soldats de sortir au plus vite, allez, allez, allez !


Une fois qu'ils sont tous sortis, les membres de l'escouade des aspirants guerriers se confondent dans la foule qui descend les escaliers en vitesse dans un calme et une discipline relative qui pourrait rompre à tout moment.

Là, dehors, les sifflements lourds se multiplient, son morbide qui annonce l'horreur à venir l'instant suivant. Les impacts secouent le bâtiment tout entier et provoque la confusion dans le mouvement de foule. Certains s'arrêtent pour se tenir au mur ou à la rambarde métallique — qui sépare le grand escalier de pierre en deux sur toute sa longueur — et d'autres perdent brièvement leur équilibre mais parviennent à rester debout.

Quand un obus heurte sans prévenir la façade ouest de la bâtisse, parce que le son de son arrivée est masqué par l'abattement de ses semblables sur le quartier et par le ciel qui se déchire sous cette pluie torrentielle, personne ne comprend ce qu'il se passe. L'instant suivant ils sont tous projetés à terre, dégringolant sur les marches et leurs camarades.

Lorsque les premiers survivants reprennent conscience et ouvrent les yeux, leur vision floue ne peut rien distinguer sinon les gigantesques masses informes de débris. Ils ont le réflexe de protéger leur voies respiratoires dans leur coude face à toute cette poussière qui a été soulevée jusqu'à en faire tousser certains. Leur ouïe, elle, est défaillante et parasitée par ce son strident qui ne permet pas de percevoir quoi que ce soit d'autre.

Annie se redresse, fait quelques pas en chancelant et se dirige vers Samuel qui est étendu là, inconscient mais ne semblant pas être blessé.


— Lieut... Samuel ! Samuel ! hurle-t-elle en le secouant.


Lorsqu'il reprend conscience en toussant à cause de la poussière, elle n'attend pas plus d'une seconde pour le tirer par le bras afin de le mettre autour de son cou pour l'aider à se relever. En ouvrant enfin les yeux, le jeune homme découvre avec horreur le spectacle ahurissant qu'il lui est donné de voir : sous les décombres qui recouvrent maintenant une bonne partie des escaliers en marbre, de nombreux corps inanimés et déformés par l'effondrement gisent là, couverts de sang mélangé à de la poussière, le regard vide fixant le néant.

Alors que Samuel reprend peu à peu possession de ses moyens et de ses sens, Annie croit entendre des coups de feu dehors. Elle regarde par dessus son épaule et remarque que beaucoup d'autres soldats de Mahr sont en train de se relever ou s'extirper des morceaux du bâtiment qui sont tombés sur eux. Des pleurs, des cris d'horreur et de douleur, des supplications... Tous ces sons se confondent lorsqu'elle se concentre sur ce qu'il se passe dehors et plus son ouïe s'affine, moins il y a de doutes.

Les forces de la coalition seraient déjà arrivées en ville ? Comment est-ce possible ?

Son premier réflexe est d'attraper de sa main libre le pistolet qui pend à sa hanche droite, prête à se défendre. Le plus simple serait bien sûr d'utiliser la lame dissimulée dans sa bague pour se transformer en titan mais ses supérieurs lui ont expressément demandé de dévoiler le plus tard possible qu'un titan est présent, surtout que le Féminin a officiellement été perdu à Paradis.

Annie et Samuel continuent de descendre et arrivent dans le hall principal où ils voient leurs compatriotes organiser une résistance. Certains amènent et renversent des bureaux, tables et autres éléments du mobilier, d'autres s'empressent d'entasser des sacs de sable, un petit groupe installe même une mitrailleuse. Sur leur gauche, au niveau de la grande double porte, plusieurs soldats tirent sur des ennemis dans la rue que les deux membres de l'escouade d'aspirants guerriers ne peuvent pas voir. C'est à ce moment là que le capitaine Augstein arrive à son tour avec le reste de l'escouade qui semble, au premier coup d'œil, miraculeusement complète et sans qu'aucun de leurs compagnons ne présente de grave blessure.

Un nouveau son aiguë caractéristique se fait entendre.


— A COUVERT ! hurle un officier qui se jette au sol.


A peine toutes les âmes présentes ont le temps de réagir que le bâtiment est de nouveau secoué par l'explosion d'un obus. Quelques instants après, une dizaine de soldats qui n'arborent pas les couleurs de Mahr entrent soudainement dans le bâtiment et tirent sur tous les soldats qu'ils peuvent discerner dans le nuage de poussière.

Le premier réflexe des mahr qui étaient en retrait et ont échappé à l'effondrement dû au bombardement se dirigent vers la porte arrière du bâtiment mais ils se font cueillir par un autre groupe de soldats ennemis. Pris en tenaille et ayant du mal à se retrouver dans ce chaos de pierre, de poussière, d'acier et de feu, les soldats de l'Empire se font submerger de toutes parts et sont sur le point de se faire massacrer.

Heinrich Ederbach, le mitrailleur de l'escouade, se jette en direction de la mitrailleuse à l'aide d'une roulade. Il profite du camouflage partiel que lui offre la poussière encore en suspens dans l'air et de son recul par rapport au combat pour attraper la première bande de munitions qu'il insère dans la culasse avant de tirer sur le levier d'armement. L'instant suivant le canon crache des balles à une vitesse impressionnante et fauche en un clin d'œil tous les soldats ennemis qui continuaient d'affluer dans le hall.

Pris à dépourvu et maintenant incapables d'entrer avec autant de fougue sans devoir faire face à une mitrailleuse, plusieurs d'entre eux se contentent de tirer depuis la porte.

Pendant ce temps, profitant du temps donné par son mitrailleur, le capitaine Augstein arrache une grenade à la ceinture d'un soldat gisant au sol, le torse troué à deux endroits par des balles, la dégoupille et la jette en direction de l'entrée arrière du bâtiment.


— A couvert !

— Sortez !

— Merde, merde, merde !

S'écrient les assaillants avant que la grenade n'explose et n'en réduise plusieurs en charpie. Quand la poussière retombe, un fuyard reçoit une balle en pleine tête et s'effondre en pleine course.

— Hans nous couvre, on sort, allez, allez, allez ! ordonne le capitaine qui passe devant, fusil en main.


Les membres de l'escouade d'aspirants sortent, l'un après l'autre et quand Annie passe près du cadavre d'un ennemi elle remarque quelque chose qui lui glace le sang.

— Capitaine ! appelle-t-elle, ce ne sont pas des soldats de la coalition.

George Augstein s'approche dudit cadavre et reconnaît lui aussi l'uniforme de ceux qui devaient être leurs alliés. Est-ce une milice indépendante ou Zelevsk a bel et bien trahi ?



*



Julia ouvre les yeux et sent de nombreux muscles lui faire mal. Sa cellule plongée dans une obscurité quasiment complète, elle ne distingue que cette minuscule ouverture dans la porte de cette petite pièce, traversée par deux petits barreaux.

La jeune femme essaye de se convaincre que c'est un cauchemar duquel elle ne parvient pas à s'échapper, que tout cela ne peut pas être possible mais tout porte à croire que c'est bien réel. Devant cet état de fait, mademoiselle Weiss se met à pleurer, impuissante et fataliste, par besoin d'extérioriser un peu. Elle sait très bien que son calvaire est loin d'être terminé et c'est pour cela qu'elle comprend qu'il sera impossible de ne pas craquer et tout déballer à Magath.

Bien sûr qu'elle aimerait résister quitte à donner sa vie à cet interrogatoire qui s'est vite transformé en torture mais son traitement aura très vite raison d'elle. Les nerfs à vif, la perte de la notion du temps, l'absence de repères, la froideur de son bourreau, la douleur des électrocutions, ces silhouettes qui observent son interrogatoire comme si elle était une bête de foire...

Personne ne pourrait se préparer à ça. Julia pensait que tout ce temps passé dans le bataillon d'exploration à combattre les titans, à voire ses amis se faire dévorer jusqu'à n'être que des amas de chair méconnaissables et sanguinolents, à passer des journées entières à broyer du noir quand il faut porter le deuil de semaines de travail réduites à néant au premier imprévu en sortie extra-muros ou encore cette odeur nauséabonde de mort sur les champs de bataille...

Non, même dans une vie d'horreur il est impossible de se préparer à une torture si minutieuse ayant pour objectif de la briser toute entière, aussi bien physiquement que psychologiquement.

Elle a beau avoir encore une once de fierté et un semblant de capacité à résister, sa langue se déliera bientôt et ce secret si bien caché sur lequel pourrait se reposer le salut de la Nouvelle Eldia sera bientôt connu de l'état-major de l'Empire Mahr.

Son esprit dévie soudainement et elle repense à sa vie avant tout cela. Lorsqu'elle était la fille d'un riche aristocrate de la capitale et passait ses journées à lire, s'instruire et déguster des mets fins servis sous cloche, assistée par de nombreux serviteurs qui veillaient à son bien-être.

Tout cela est loin, très loin.

Alors, pour la première fois depuis plusieurs jours — du moins c'est le laps de temps qu'elle croit s'être écoulé — Julia se demande si ce serait si grave de donner au Commandant Magath ce qu'il veut. Après tout, sûrement que l'attaque éclair de Mahr sur Paradis a poussé le bataillon d'exploration à mettre les bouchées double pour mettre à bien leur plan et leur arme a été dissimulée derrière de meilleures défenses. Le temps entre ses confessions, l'élaboration d'un plan, la mobilisation de troupes nécessaires et le passage à l'action, sans doute que la Nouvelle Eldia pourrait être prête.


— Oui, autant tout leur dire, ça ne changera rien... murmure la blonde, pour elle-même.


Un instant après avoir laissé échapper timidement ces quelques mots de sa bouche aux lèvres gercées, la jeune femme se rend compte de son raisonnement, de ce à quoi elle pense.

Aurait-elle déjà capitulé ?

Impossible.

Les larmes montent de nouveau, des larmes de honte. Elle se maudit, s'insulte et une pulsion l'envahit soudainement. Julia quitte sa couchette pour se retrouver à quatre pattes sur le sol, cherchant à tâtons le moindre objet qui pourrait l'aider à mettre fin à ses jours, même si pour cela elle devrait se mutiler pendant des heures.

C'est là qu'elle entend des pas lourds approcher.

En voulant se redresser rapidement pour retourner dans son lit de fortune, elle se cogne le sommet du crâne sur le rebord métallique de sa couchette. Elle se frotte vigoureusement l'endroit où s'est cognée puis s'assied sur ce fin matelas dur comme la pierre, attendant patiemment qu'on ne vienne la chercher pour une nouvelle séance d'interrogatoire.

Les pas s'arrêtent devant sa porte et la faible lueur de lumière artificielle qui lui parvient depuis la petite ouverture dans la porte se retrouve obstruée par ce qui s'apparente à un visage qui la fixe dans l'obscurité. La porte s'ouvre ensuite et deux hommes en arme entrent pour se saisir de la jeune femme.

Julia n'a pas la force de se débattre ni même de se plaindre, elle n'en a plus la force. Elle se laisse emmener et commence à très bien connaître ce couloir puis le virage à gauche menant à cette salle où de nombreux jouets spécialement conçus pour le supplice l'attendent. Sans ménagement elle est traînée le long de ce corridor beaucoup plus éclairé que sa minuscule chambrée au confort douteux, au point qu'elle ne peut pas lever les yeux ni même pleinement les ouvrir, comme sous un radieux soleil d'été en plein après-midi.

Installée sur cette chaise où elle sent encore plus captive que dans sa cellule et retrouvant une vision plus ou moins nette, elle reconnaît le commandant Magath qui s'avance avec cet exemplaire du livre « La princesse et l'esclave » en main.


— Bonjour Amélia, commence le mahr.


Julia est irritée par l'emploi de ce prénom qui représente à ses yeux une vie antérieure qui appartient à un passé enfoui, si enfoui qu'à ses yeux des siècles se sont écoulés depuis ses journées ennuyantes enfermée dans ce manoir. Identité d'abord délaissée pour éviter que les autorités ne la retrouvent pendant ce sinistre épisode du complot contre le bataillon d'exploration, elle a ensuite appris à oublier ce prénom puis à aimer sa nouvelle identité qui faisait aussi office de nouveau départ, un renouveau, une renaissance.


— Reprenons, veux-tu ?

Elle n'acquiesce pas ni ne prononce le moindre mot mais cette question n'attend pas de réponse.

— Bien. Laisse-moi retrouver la bonne page... Ah, voilà.


Le commandant s'éclaircit la voix, éloigne quelque peu la page de sa vue vieillissante puis s'installe un peu plus confortablement sur son tabouret en acier.


— « En ces jours heureux où elle était libre d'aller et venir sans pourtant quitter l'enceinte, la princesse arpentait le château en quête de quelques aventures qui, comme dans ces ouvrages lus la veille, pourraient mettre ses sens en éveil. Guidée par ce refus de se plonger dans l'oisiveté lors d'une si belle journée, la princesse trouva au détour d'une arrière cour un homme qui prenait soin de son épée. Intriguée en reconnaissant son uniforme, elle s'adjugea le droit d'épier l'un de ces guerriers dont le destin était lié à celui de son souverain. », lit distinctement et sans se précipiter l'officier.

Julia l'écoute attentivement même si elle saurait sans nul doute réciter de mémoire ce que contient ce livre.

— « Aux yeux inexpérimentés et naïfs de la jeune femme, le garde avait l'allure de l'un de ses héros dont toute princesse rêve pour que, comme dans un conte, sa propre histoire se ferme : le regard vif, charmant, beau et bien bâti. Or, à mesure qu'elle l'observait, le tableau s'assombrissait. Tremblant et au teint livide, la jeune femme n'eut à se mettre sous la dent qu'une beauté insipide. Une servante vint mander le frêle soldat et avec cette dernière en direction des souterrains il s'éclipsa. »

Julia serre les dents à mesure que le récit se dévoile à la curiosité de son bourreau.

— « Dans ces corridors obscurs parcourus d'un courant d'air glacial, la princesse découvrit avec effarement une salle absolument spéciale. Sur une table tâchée de sang séché dilué dans un liquide à la couleur qui n'inspirait guère sa confiance, la jeune homme tremblant était allongé. Là elle reconnu, tout autour de lui vêtis de longues capes blanches tout aussi sales, des seigneurs présents à la cour de son père, menant quelques expériences sur ce pauvre hère à l'aide de seringues dont l'aiguille semblait assez grande pour transpercer un rat d'un flanc à l'autre. », termine Magath qui referme le livre en gardant la page avec son index avant de lever les yeux vers sa captive.


Le commandant attend quelques secondes afin de vérifier si la jeune femme désire parler afin d'éviter quelques désagréments comme une petite électrocution afin de lui en rappeler la douleur. Devant le manque criant de coopération, il attrape ce petit boîtier que Julia a appris à craindre, très rapidement, sachant ce qu'il annonce.

Pendant ces quelques secondes de flottement, en regardant l'homme d'âge mûr se munir de son instrument de torture, Julia repense à son moment de faiblesse avant qu'on ne vienne la chercher. Dans la panique, l'éventualité de tout lui révéler pour éviter une énième électrocution, poussée par la peur et l'instinct de survie, balaye son sens du devoir.


— La princesse est une Fritz... lâche-t-elle en baissant les yeux à cause du dégoût qu'elle éprouve pour sa faiblesse.

— Mais encore ?

— Le guerrier est un Ackerman et ces hommes en blanc sont mes ancêtres, les Weiss.

Le commandant se masse le menton en fixant la jeune femme, pensif.

— Est-ce que tu viens de l'inventer ou... Ce n'est qu'une théorie fumante sortie de ton esprit prêt à imaginer n'importe quoi ?

Julia secoue faiblement la tête en signe de négation.

Magath baisse de nouveaux les yeux sur cette page qu'il vient de lire pour de nouveau en parcourir le contenu, en diagonale, à la recherche d'un détail qui lui aurai échappé.

— Moi aussi à ce stade de la lecture je... Je n'avais fait aucun rapprochement...

L'officier mahr fait passer quelques pages en appuyant sur la tranche du livre avec son pouce droit.

— Cette scène montre l'une des expériences menées sur les Ackerman...


Le commandant fixe Julia de son regard froid et perçant pendant un instant en entendant ces mots. Il se tourne ensuite d'un quart sur son tabouret et jette un coup d'œil en direction de cette baie vitrée qui surplombe la salle où il se trouve puis revient à l'eldienne.


— Quel est le rapport avec cette arme et son bénéficiaire ?

Julia soupire et elle n'a pas besoin de jeter un coup d'œil à l'homme qui l'interroge pour savoir qu'il a son pouce sur le bouton pour lancer une décharge.

— La famille Ackerman est l'une des familles les plus anciennes dans la cour des rois eldiens mais... Si ils ont toujours été parmi les plus fidèles à la dynastie Fritz, ils n'ont pas toujours eu cette force et cette agilité surprenante pour ne pas dire surhumaine...

— Développe, je t'en prie, demande l'officier qui essaye de saisir le lien entre le bouquin et l'histoire de leur monde.

— Les grandes familles qui se passaient leurs titans de générations en générations se sont toujours querellées mais plus le temps passait plus elles avaient soif de pouvoir et se sentaient capables de renverser les Fritz pour monter sur le trône...


Jusqu'ici, Theo Magath n'a pas du tout l'air convaincu et s'il est vrai qu'il est possible d'extrapoler comme sa jeune captive le fait sans — pour le moment — trouver de faille à son interprétation, il n'apprend rien de nouveau sur ce qu'il sait déjà de l'histoire du monde et de cette dynastie qui l'a dominé pendant des siècles.

Toutefois, même s'il reste sur sa faim, il se lève après avoir déposé le conte sur l'une des tables métalliques où certains instruments de torture impressionnants attendent patiemment leur heure. Julia serre les dents, ouvre plus grand les yeux et, au lieu de suivre du regard l'homme qui la torture depuis des jours pour savoir ce qu'il va encore lui faire, elle baisse les yeux et attend que la sentence tombe.

Quelques instants plus tard une goutte d'eau tombe sur sa cuisse. Étonnée, elle lève les yeux et voit le commandant qui tient une louche, tendue vers elle et l'approchant de ses lèvres.

La jeune femme se surprend à se sentir infiniment reconnaissante envers cet homme qui lui apporte une louche d'eau fraîche qui sera sûrement la chose la plus délicieuse qu'il lui ait été donné de goûter ces derniers jours. Sa gorge sèche, ses lèvres gercées, la soif et ce sentiment d'accomplissement étrangement procuré par ce qui ressemble à une récompense la pousse à entrouvrir la bouche sans poser de question ni hésiter un seul instant en se demandant si c'est bien de l'eau.

Elle soupire lorsqu'elle a tout bu, se concentrant sur la sensation de la dernière gorgée qui dévale son œsophage avec cette délicieuse sensation de fraîcheur.

Après quelques secondes de silence, comme un interlude de paix accordé par son bourreau, Julia se décide à donner une information supplémentaire.


— Ce n'est pas une légende... Les Ackerman ont bien subi des expériences...

Elle prend encore un long instant, le temps que sa respiration se calme, avant de poursuivre.

— Le roi sentait l'ambition grandissante des familles illustres alors il a demandé à l'une d'elles de faire de ses plus fidèles sujets des soldats que tout le monde craindrait. Alors ma famille, les Weiss, ont fait des Ackerman ce qu'ils sont aujourd'hui.



*



Le soleil se lève et balaie de sa chaleur réconfortante les plaines verdoyantes et aujourd'hui de tout titan de l'île de Paradis. Ici, loin des échos de ces guerres menées sur le continent, les humains pansent tout de même leurs blessures.

Armin est là, debout devant cette grande fenêtre du bâtiment administratif dans lequel il se trouve, observant les rayons du soleil conquérir peu à peu cette partie du monde. La lumière vient rapidement percer la grande porte du district puis submerge bientôt les sommets de ce gigantesque rempart qui fait face à une menace aujourd'hui disparue.

Il se retourne et fixe pendant un instant la surface de son grand bureau sur lequel des documents en pagaille et autres dossiers éventrés l'ont forcé à faire une nouvelle nuit blanche. Mais aujourd'hui, au lieu de se permettre une petite sieste d'une heure ou deux avant de retourner à cette masse colossale de travail, il décide d'attraper sa longue veste d'uniforme et sort de son bureau, direction l'infirmerie.

Dans la grande cour qu'il doit longer pour passer d'un bâtiment à un autre, il regarde cette trentaine de nouvelles recrues qui s'entraînent à démonter, nettoyer et remonter leur fusil sous l'œil attentif et inquisiteur d'un visage ô combien familier. Il est amusant pour Armin de voir Sasha aussi sérieuse dans ce travail qui lui a été donné. Conny n'est pas loin mais celui-ci reste fidèle à lui-même. Il préfère assister sa sœur de cœur en tyrannisant les bleus qui font des erreurs et le jeune titan remarque à quel point Sasha se retient de rire lorsqu'elle le voit faire.

Quand il arrive au bâtiment dans lequel se trouve l'infirmerie, après avoir gravit les marches en bois contre la façade qui mènent au premier étage, il reconnaît une autre personne. Pensive en regardant l'horizon, ses mains faisant lentement tourner autour de son annulaire droit une bague en argent. Armin s'approche et s'arrête à deux pas d'elle avant de dévisager rapidement cette masse brune de cheveux lisses et soyeux, le profil de son visage fin et impassible, son regard noir porté sur l'astre solaire et cette cicatrice sous son œil droit.


— Salut Mikasa.


La jeune femme se tourne vers son ami d'enfance, dernier vestige de cette famille qu'elle s'était juré de protéger, puis esquisse un sourire de façade pour le saluer en retour.

Armin soupire, il y a bien des mois qu'il a baissé les bras pour redonner à son ami le sourire. Il profite néanmoins de ce moment silencieux et la rejoint dans sa contemplation mais son regard est vite attiré par un groupe d'ouvriers qui dégagent débris et gravats de l'un des nombreux bâtiments partiellement détruits.


— Je... Je vais voir comment va le Major.

Elle acquiesce simplement.


Le blondinet pousse la porte puis s'enfonce dans un long couloir et arrive enfin à l'une des grandes salles où de nombreux lits se font face. Il jette un rapide coup d'œil à tous les malheureux qui sont là, certains ont perdu un membre, d'autres un œil, il voit même un homme dont le visage est partiellement brûlé au troisième degré et dont l'oreille a partiellement fondu au point qu'il ne reste qu'un petit renflement de cartilage et le trou de son tympan.

Encore une porte et il entre dans une pièce où il n'y a qu'un seul lit. Le major Hanji Zoe est étendu là, de nombreux bandages couvrant son corps meurtris et un plâtre immobilisant son bras droit. Le Caporal Livaï est là, venant sûrement d'arriver lui aussi, tourné vers le nouvel arrivant.


— Tiens, voilà le major par intérim, lance Hanji avec un petit sourire.

— Bonjour, répond Armin.

Livaï, appuyé contre le mur les bras croisés, se contente de faire un signe de tête.

— Alors, tu as les chiffres..? demande le Major dont les cheveux châtains détachés sont étalés sur l'oreiller.

— Certains bâtiments doivent encore être déblayés mais on s'approche des deux-cents morts, sept-cents blessés et une vingtaine de disparus. Niveau matériel nous comptons un pâté de maisons complètement détruit, trois autres touchés sans parler du bâtiment administratif en ruines et du souterrain partiellement bouché.

Hanji prend un air bien plus sérieux voire sombre et ses yeux se lèvent vers le plafond.

— Et... Je suppose qu'ils ne sont pas partis les mains vides...

— On n'a pas encore accès au souterrain, il reste quelques galeries à dégager mais j'imagine oui. Ils ont Julia et le titan, annonce Armin avant de baisser les yeux.

— Nous avons commencé à rattraper notre retard mais nous avons encore de grosses lacunes, ajoute le caporal.

— Oui... Cette course à l'armement nous a aveuglés... On ne peut que constater que le nerf de la guerre c'est l'information et la communication. Nos ennemis ont des bateaux à moteur, des dirigeables et des radio quand nous, nous envoyons encore des messagers à cheval...


Si Hanji semble garder son calme d'apparence, ses deux compagnons la connaissent assez bien pour voir poindre la colère dans son regard. Nul doute qu'elle réfléchit déjà à une restructuration logistique et des lignes de communication à soumettre à l'Etat-Major quand elle se sera remise de ses blessures.


— Comment ils ont su... soupire Armin.

— Nous n'étions que quelques-uns à savoir et aucun garde du souterrain n'était présent quand le sacrifice a eu lieu, ils nous ont frappé le lendemain... Est-ce qu'ils auraient vraiment pu mobiliser leurs forces et traverser la mer aussi vite et surtout, comment ont-ils eu cette information aussi vite ? questionne Livaï.

— Aucune idée, lâche Hanji, mais ce qui m'intéresse aujourd'hui c'est ce que nous allons entreprendre suite à cette déconvenue. Eren est toujours introuvable, Julia a été enlevée et le dixième titan nous a été volé... Toutes ces années de travail pour rien...

— Allons quat'yeux, toi qui a un optimisme légendaire, c'est pas le moment de flancher, lance Livaï.

— J'ai le droit de flancher, d'accord ?! Je suis blessée et je ne peux pas sortir de ce putain de lit avant au moins une semaine et je sais pas si tu te rends bien compte à quel point je me fais chier dans cette piaule ! s'énerve le major.

Lorsque le caporal s'apprête à lui répondre elle se met à rire nerveusement. Les deux hommes dans la salle se lancent un regard amusé.

— Armin, je compte sur toi pour nous trouver un moyen d'être averti en cas d'attaque et d'entreprendre la construction d'abris souterrains.

— A vos ordres !

Armin tourne les talons après avoir frappé sa poitrine de son poing puis sort de la pièce.




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