Le destin des Ackerman - Tome 2

Chapitre 6 : Esprits torturés

5405 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 06/09/2021 06:00

Anna, fébrile, pose sa main sur l'encadrement de la porte, s'apprêtant à jeter un coup d'œil dans le couloir d'où provient le coup de feu, terrifiée à l'idée que le jeune homme qui l'a prise sous son aile ne soit blessé sinon pire au point de vouloir s'assurer qu'il est sain et sauf. Pourtant, avant qu'elle ne puisse nourrir sa curiosité guidée par la peur, une main se pose sur son épaule puis la tire doucement en arrière : Annie - un pistolet en main - fait passer la petite Ackerman derrière elle.

— Reste dans la pièce Anna, ordonne-t-elle sans douceur en pointant du doigt le bureau.

A peine le lieutenant prononce ces mots qu'un échange de tirs résonne dans tout l'étage, provenant de la cage d'escaliers. Elle passe alors la tête hors de la pièce et jette un coup d'œil dans le couloir. Elle aperçoit ses deux collègues qui sont aux prises avec les soldats nordiens survivants de l'explosion de la grenade. Annie vérifie que Anna s'est bien réfugiée derrière le bureau avant de sortir et, lorsqu'elle voit que la petite fille aux traits asiatiques lui a obéit, s'empresse de rejoindre ses compagnons.

Au moment où le lieutenant Leonhart s'engage dans le couloir, lorsqu'elle lève les yeux vers ses deux camarades, une balle touche Karl qui s'effondre dans un cri de douleur. Dans le même temps, Samuel tire la toute dernière balle de son chargeur et, n'ayant pas compté ses tirs, deux clics sonores et métalliques se font entendre, ce qui le rend confus et désemparé pendant un instant. Très rapidement rappelé à l'ordre par les tirs ennemis qui reprennent de plus belle, il jette son arme et se précipite vers Karl. Il se positionne dans son dos et l'attrape par les épaules pour le tirer de toutes ses forces dans le couloir vers la pièce où trône le poste télégraphe.

Après quelques pas, le soldat Berner s'effondre à son tour mais de fatigue, esquivant miraculeusement une balle qui rase le sommet de son crâne pendant sa chute. Quand Annie arrive à leur hauteur, elle voit devant elle cette traînée de sang laissée par la blessure de Karl et, au bout du couloir, les trois soldats de la coalition encore en vie qui déboulent. L'un d'eux recharge sa carabine, le deuxième prononce nombre de jurons parce que son arme s'est enraillée et le dernier tire son couteau de combat de son fourreau.

— Samuel, emmène-le dans la pièce ! s'écrie-t-elle.

Le pauvre soldat Berner, le souffle court, acquiesce en essayant de se relever.

Le lieutenant Leonhart pointe ensuite son arme en direction du premier soldat et lui tire une balle entre les deux yeux, aspergeant les murs environnants et ses deux compagnons de sang et de morceaux de cervelle. Le troisième soldat se rue alors sur la jeune femme pour la planter avec son couteau et Annie accepte volontiers le combat au corps à corps.

Elle laisse tomber son arme et se positionne en garde, le pied droit sur la pointe, prête à mettre son assaillant hors d'état de nuire d'un seul coup précis et dévastateur.

Lorsqu'il arrive à sa hauteur, il assène un premier coup circulaire qu'elle esquive de peu et, quand il tente une deuxième fois de la trancher horizontalement, la guerrière bloque son coup à l'aide de son coude puis l'agrippe par le col avant de le faire basculer sur sa jambe qu'elle met en opposition. Son adversaire au tapis, elle attend qu'il se redresse pour lui donner un coup en plein visage afin de le mettre K.O mais elle entend derrière elle le dernier nordien qui accourt pour aider son camarade.

La jeune femme fait volte-face et a tout juste le temps de pivoter pour éviter la fente, couteau en avant. Elle se repositionne alors, d'une vitesse impressionnante, pour balancer son poids sur sa jambe gauche et assène un puissant coup de pied en plein sur le genou droit de son adversaire maintenant de dos. Un craquement sinistre se fait entendre puis un hurlement de douleur et l'homme tombe de côté, parvient toutefois à se rattraper sur le mur, lui permettant de rester plus ou moins debout.

— Salope de mahr ! s'écrie-t-il.

Un sourire carnassier fleurit sur les lèvres du titan féminin. Annie fait un pas en arrière et observe un instant ses deux ennemis puis remarque du coin de l'œil que Samuel et Karl arrivent au bureau du fond.

Sans plus attendre, le lieutenant donne un nouveau coup de pied en plein visage du soldat qui commençait à se relever, l'envoyant définitivement au tapis. Le second en profite pour réessayer de la poignarder. Une première esquive, puis une deuxième. La jeune femme remarque que son vis à vis est désespéré et exténué en plus de la douleur à sa jambe qui l'empêche de se mouvoir facilement. Elle reconnaît sa hargne à continuer de se battre malgré sa blessure et mesure à ce moment comme ces gens haïssent les mahr et veulent reprendre la souveraineté de leur pays - depuis trop longtemps divisé par les manigances et jeux d'alliance de l'Empire.

Lorsqu'il tente une troisième fois de l'atteindre, l'homme voit son coup être bloqué. La guerrière lui tord ensuite le bras en appuyant du pouce sous le poignet, forçant le soldat nordien à tomber à genoux devant elle. Une fois à sa merci elle lui donne deux coups rapides et précis en plein dans le nez : le dernier ennemi s'écroule, le visage ruisselant de sang.

L'hôte du titan féminin accourt vers la pièce qu'elle a quitté quelques instants plus tôt et découvre Samuel qui appuie sur l'épaule trouée de Karl, qui serre les dents pour essayer de rester digne mais ses gémissements parviennent à sortir de sa bouche malgré tous les efforts qu'il met à ne pas montrer qu'il souffre.

— Bordel de... Lieutenant, je crois qu'il serait temps de se transformer pour nous sortir de ce trou à rats, suggère avec plus qu'insistance le soldat Wanberg.

L'explosion causée par la grenade et les tirs ont forcément attiré l'attention si loin de l'épicentre des combats, des soldats et policiers sont certainement déjà sur le point de faire irruption dans le bâtiment pour les cueillir. Il est vrai qu'ici ils sont dans une très mauvaise posture : à un étage bien trop élevé pour essayer de s'échapper par une fenêtre, position impossible à défendre, trop peu nombreux et sans munitions pour résister à plus d'une dizaine d'hommes, un blessé sur les bras...

Malgré l'urgence plus qu'évidente pour le titan féminin de se montrer, son détenteur ne peut se résoudre à considérer cette possibilité. Certes, elle n'est pas la personne la plus compatissante, aimante ni sociable qui soit mais à la simple idée de se transformer ici elle ne peut qu'imaginer le nombre de dégâts collatéraux qu'elle produira, le nombre de personnes innocentes encore une fois prises entre deux feux dans une guerre qu'elles n'ont ni demandée ni provoquée.

Elle qui n'avait pourtant jamais reculé devant la tâche lorsqu'il fallait tuer pour remplir sa mission, elle qui avait toujours placé en priorité sa propre survie en dépit de tout le reste pour respecter la promesse faite à son père, elle qui aurait été capable de massacrer des centaines d'eldiens quitte à perdre son humanité, doute maintenant. Pourtant, même après avoir constaté tout le mal qu'elle avait causé à tous ces pauvres gens - sans passé et vivant dans le mensonge - persécutés depuis plus d'une centaine d'années, son indifférence ne s'en retrouva pas moins vivace... Jusqu'à ce qu'un ami inattendu lui fasse peu à peu changer de camp jusqu'à lui donner envie de se battre pour protéger les intérêts d'une cause à laquelle elle fut disposée à prêter allégeance.

Annie n'a cure de ces anonymes, innocents ou non, qui pourraient perdre la vie sur son chemin mais... Pas cet ami, pas ce jeune homme qui ne voyait pas seulement le monstre en elle. Il en est de même pour Armin. Ce blondinet n'a jamais cessé de croire en la paix, la rédemption et autres choses qui montrent à quel point il peut être rêveur et naïf sur la condition humaine... Mais elle admire ces gens qui continuent de croire en la bonté, elle respecte ces personnes qui même face aux pires horreurs garde espoir en l'humanité.

Alors ce n'est pas par peur que son âme se retrouve dans un purgatoire ou autre enfer mythologique, parce qu'elle aura été un monstre pendant sa courte vie, qu'elle hésite et a peur des pertes humaines que sa transformation pourrait causer, non. Elle a peur de décevoir ces deux hommes en semant derrière elle de nombreux cadavres de personnes innocentes, encore une fois.

Sa réflexion est interrompue par le son de pas qui résonnent sur les escaliers en pierre polie, à l'autre bout du couloir.

En proie à la panique, Karl lève la tête vers Annie et ne peut que constater son manque d'action et de réaction.

— Annie ! Ils...

Karl Wanberg n'a pas le temps de terminer sa phrase, le bruit d'un tir venant de leur dos résonne, précédant un sifflement soudain et éphémère qui perce les tympans des deux autres soldats mahr avant qu'ils ne soient aspergés d'un liquide épais. L'aspirant au titan mâchoire convulse brièvement et ses deux compagnons se retrouvent aspergés d'un liquide épais. Sonnés, ils ne réalisent pas tout de suite que leur camarade vient de livrer son dernier soubresaut de vie. Choqués par la vision de leur camarade défiguré par cette balle qui s'est logée dans son globe oculaire droit, ils restent figés.

Pris au dépourvu, Annie et Samuel ont besoin d'un seconde qui semble une heure pour comprendre que Karl vient d'être tué sous leurs yeux par un tireur embusqué. Le lieutenant comprend qu'ils n'auront même pas de répit avant de se battre avec les renforts et que le tireur est certainement positionné sur le toit du bâtiment de l'autre côté de la rue.

La jeune femme n'a pas le choix ni même le temps de réfléchir : ils sont faits comme des rats et le seul moyen qu'ils ont de s'en sortir est qu'elle se transforme.

De son côté, Samuel se redresse et se précipite vers Anna dont les yeux noirs sont rivés sur le soldat Wanberg dont le visage méconnaissable dégouline de sang frais. Monsieur Berner attrape la petite et se plaque contre la portion de mur entre deux grandes fenêtres pour se mettre à couvert.

— Ne bouge pas Anna, reste bien collée à moi, dit-il avec son souffle court causé part l'adrénaline.

Annie se lève lentement et se tourne à peine vers ses compagnons.

— Je vais faire diversion, profitez-en pour fuir et rejoindre les autres, lance-t-elle avant de passer la porte puis de disparaître après l'avoir claquée derrière elle.

Samuel n'a pas le temps de jeter un regard confus à sa supérieure ni d'essayer de la retenir parce que, une fraction de seconde plus tard, une puissante douleur se réveille dans son crâne. La sensation que ses tempes sont comprimées dans un étau suffit à lui arracher un gémissement de douleur et à tomber à genoux en se tenant la tête entre ses mains.

A son esprit s'impose une image, le souvenir d'être accoudé à la rambarde d'un balcon qui surplombe une ville entourée de murailles aux dimensions aussi gigantesques qu'impressionnantes. Une main se pose sur son épaule droite et il tourne machinalement la tête avec un petit sourire forcé.

— Bonjour, lance-t-il.

— Bonjour, tu n'as pas fermé l'œil de la nuit ? demande une voix féminine à la sonorité douce et agréable.

Il soupire.

— Non... Nous sommes encore une fois sur le point de vivre une guerre civile.

La femme dans son dos s'emploie à le caresser avec beaucoup de tendresse puis prend un ton réconfortant.

— J'ai confiance en...

— Monsieur Ackerman ! s'écrie une voix depuis la pièce derrière le couple, coupant la jeune femme.

Samuel se retourne et voit un homme haletant, les mains sur les genoux.

— Monsieur..! Oh, Vôtre grâce... salue-t-il en direction de la jeune femme aux cheveux blonds comme les blés et aux yeux d'un bleu qui n'a rien à envier à un ciel d'été lorsqu'il la reconnaît.

— Voyons mon cher Léon, je vous ai déjà dit de m'appeler Olivia. Ce n'est pas parce que je suis la fille du Roi que vous ne pouvez pas être familier avec moi dans l'intimité.

Le fameux Léon bégaye quelque peu, comme si cette simple phrase d'une sympathie infinie avait semé le trouble dans son esprit déjà agité.

— Je, euh... Ma dame Olivia Fritz, je...

— Dis-moi donc pourquoi tu as couru jusqu'ici au point d'être sur les rotules, avant que tu ne déglutisses tellement tu es rouge, plaisante la personne à la place de qui Samuel se trouve.

— Oh, euh... Oui, monsieur Oswald... Je suis vraiment désolé mais... Votre père vient de partir pour le palais royal.

Un silence pesant s'installe sur ce balcon où la tension monte de plusieurs crans en un instant.

— Olivia... Prend notre fils, profitez-en pour fuir et rejoindre les autres.

La vision se brouille et Samuel revient à la réalité. Il se rend compte qu'il est à quatre pattes et qu'une petite main est agrippée à lui. Il lève la tête vers la bouille à l'expression apeurée de la fillette, impuissante face à ce qu'il vient de se passer sous ses yeux.

L'instant suivant, un bruit strident résonne en même temps qu'une lumière jaune irradie soudainement les environs, le bâtiment tout entier tremble au point que le sol n'est plus stable, Anna tombe sur Samuel qui la rattrape.

Un rugissement surnaturel et puissant est ensuite poussée avant que des cris de terreur ne s'élèvent dans les airs.


***


Julia est assise par-terre, adossée à un mur froid de sa cellule. Ses bras entourent ses jambes repliées contre elle, la tête enfouie entre ses genoux.

Elle se demande comment Théo Magath peut en savoir autant sur ce qui se tramait depuis deux ans à Paradis. Comment sait-il pour cette arme qu'ils ont trouvée ?

Elle soupire.

Elle soupire parce que, avec le peu d'éléments qu'elle a en sa possession, une seule personne semble toute désignée comme coupable : Annie Leonhart.

Julia pensait pourtant s'être endurcie après toutes ces années. Après toutes les épreuves traversées, sous la tutelle d'Erwin puis de Hanji et en faisant face aux horreurs de la guerre, elle croyait être assez forte et expérimentée pour ne plus se laisser berner par une gueule d'ange et de jolis mots ou par de belles promesses...

La jeune femme ne peut que regretter ce bon vieux temps où tout était simple dans un monde au sein duquel il n'y avait que le peuple des murs et des titans en-dehors, dans un univers où la survie ne tenait qu'à la lutte contre un prédateur implacable, dans une époque où tous les humains semblaient unis et regardaient dans la même direction, dans une vie où le plus difficile était d'avoir autant de visages familiers au soir qu'au matin après une expédition extra-muros.

Or, depuis deux ans, ce monde lui semble chaque jour plus fou, plus difficile à comprendre, plus fou, plus vicieux, plus horrible, plus invraisemblable. Alliances, trahisons, complots, guerres intestines, luttes pour le pouvoir, recherche du profit...

Elle soupire une nouvelle fois.

Le plus frustrant et déprimant c'est que tout cela a toujours été, même dans leur petit monde enfermé dans trois enceintes qui se voulaient inviolables.

Tous ces livres qu'elle a lu en faisaient parfois mention mais elle avait l'impression de lire les descriptions d'un monde auquel elle n'appartenait pas, comme si l'homme pouvait soudainement perdre ses plus noires aspirations à l'instant même où il se retrouvait parqué comme du bétail promis à l'abattoir.

Elle est tirée de ses pensées lorsque la porte du couloir s'ouvre, signe que quelqu'un approche. Julia se crispe tout de suite, serrant ses poings. L'heure est déjà venue de se rendre dans cette salle qu'elle a en horreur.

Lorsqu'elle lève la tête, son regard est attirée par une ombre qui la surplombe. La jeune femme lève la tête : un homme se dresse devant sa cellule. La carrure n'est pas la même que celle de la personne qui vient habituellement la chercher. Est-ce un nouveau jeu du commandant ?

Sauf que ses yeux commencent rapidement à détailler le visage qui lui fait face et il ne lui faut qu'une fraction de seconde pour retenir son souffle, sous le choc. Quand elle reconnaît la personne qui se tient là, plus rien ne fait sens.

— Bonjour Julia.

Cette voix, ce timbre, ce ton...

Elle n'en revient pas et son esprit s'embrouille tant elle ne s'explique pas ce que ce jeune homme fait là, devant elle. Ses cheveux ont poussé et son visage semble plus creusé que dans ses souvenirs mais ses traits et la couleur de ses yeux... Elle ne pourra jamais les oublier et saurait sans nulle doute reconnaître entre mille cette fureur latente qui sommeille dans la lueur de ce regard perçant et intimidant.

— Eren... prononce-t-elle dans un souffle.

Le titan assaillant se dresse devant elle avec cette prestance et ce charisme qui caractérisent ce jeune homme. Physiquement il n'impose pas grand-chose mais son regard et son aura font peser autour de lui une atmosphère particulière.

— Je suis vraiment désolé que tu sois ici à subir ces choses...

Julia fronce en fixant le jeune homme droit dans les yeux.

— Tu mens... répond-elle avec sa voix éraillée au point qu'elle doute que ses mots aient atteint les oreilles de son interlocuteur.

L'expression de l'hôte des titans assaillant et originel se mue en un air triste et abattu avant qu'il ne soupire longuement.

— Alors c'était toi la taupe, depuis le début ? C'est toi qui les a menés à ce sous-sol et leur a donné l'idée de m'emmener ici pour me faire vivre un calvaire ?

— Ne dis pas de bêtises, je n'ai pas mis les pieds à Paradis depuis plusieurs mois.

Julia serre les dents, il marque un point mais elle reste méfiante.

— Qu'est-ce que tu fais là, avec eux, si ce n'est leur murmurer à l'oreille comment nous détruire ? demande la jeune femme dont le regard transmet toute sa rancœur.

Eren s'accroupit devant les barreaux et se met à parler plus doucement.

— Je n'ai pas beaucoup de temps, je suis ici pour obtenir des informations précieuses, je ne suis pas ton ennemi. De ce que j'ai compris ils ont réussi à mettre la main sur cette arme que Hanji et toi prépariez depuis plus d'un an... Quelle était la nature de cette arme ?

La jeune femme hésite. Ces jours de torture, ces interrogatoires sans fin... Toutes ces choses commencent à sérieusement jouer sur sa paranoïa au point qu'elle se demande si l'homme qui lui fait face est bien Eren ou si, par n'importe quel stratagème voire maléfice, les mahrs n'auraient pas trouvé un moyen de faire apparaître ce jeune homme qui porte les espoirs de son peuple sur ses épaules.

Mais à son esprit las de cette solitude et des jeux de ses geôliers qui commencent à lui faire perdre la tête, voir un visage familier - même s'il s'agit de l'un des hommes qu'elle hait le plus au monde et dont les agissements passés ont mit en doute, à ses yeux, sa loyauté - lui redonne un peu d'espoir et la conviction qu'elle n'a pas été oubliée et qu'elle sera bientôt secourue... Eren serait ici pour ça ? Cette simple conclusion fait disparaître toute once de méfiance et de colère, elle baisse sa garde.

— Un titan... Cette arme est un titan primordial dont personne ne soupçonnait l'existence depuis plus de cent ans... lâche-t-elle, étonnement soulagée de divulguer cette information plus que confidentielle.

Le jeune Jaëger relève la tête vers elle, étonné par ce qu'elle vient de lui dire à en croire son expression. Il acquiesce finalement.

— Écoute... Tu sais beaucoup trop de choses et tu es trop précieuse pour qu'on te laisse moisir ici. Je fais mon possible pour que la cavalerie vienne te chercher. Essaye de tenir quelques jours de plus.

Julia ouvre de grands yeux en direction d'Eren, aussi surprise que soulagée par ce qu'elle vient d'entendre, puis se met soudainement à pleurer à chaudes larmes. La promesse d'un sauvetage lui fait un bien inespéré et tout ce temps à essayer de contenir ses émotions et sa faiblesse est la cause de cette effusion de larmes face à un Eren qui la dévisage sans ajouter le moindre mot mais arborant une expression que la jeune femme interprète comme compatissante.

— Tiens, voilà de quoi tenir, c'est pour le moral.

Il lui tend une pâtisserie, un petit pain feuilleté percé en deux endroits où deux coulures de chocolat solidifié mettent en appétit les papilles de Julia qui n'a pas eu le droit à autre chose que des soupes insipides ou morceaux de pain un peu trop durs et rassis à son goût.

— Merci... échappe-t-elle dans un souffle en essuyant ses larmes.

Sur ce, Eren se redresse et adresse un petit sourire amical à la blonde avant de tourner les talons.

Julia prend quelques instants pour se ressaisir puis va cacher cette petite gâterie sous son oreiller afin de la garder pour plus tard. Même si elle n'a pas la moindre idée de l'heure qu'il est, des gardes peuvent venir la chercher pour un nouvel interrogatoire à tout moment. En revenant d'une nouvelle séance de torture, ce sera le meilleur moment pour déguster cette pâtisserie et se réfugier dans le plaisir d'ingurgiter du sucre.

Elle reste ensuite assise sur le bord de son lit, pensive, pour laisser aller son esprit dans une réflexion sur la présence de son discret sauveur. Sa disparition avait fait grand bruit lors de l'expédition du bataillon d'exploration sur le continent pour se rendre à un sommet diplomatique. Qu'a-t-il fait pendant tout ce temps ?

Julia imagine qu'il en a profité pour rassembler des informations et identifier les points faibles de l'empire Mahr ou bien parcourir le monde pour rallier des opposants à cette puissance dominante...

Après tout, Eren a été la première lueur d'espoir depuis plus d'une centaine d'année puis une force sur laquelle ils ont pu se reposer avant de devenir une sorte de guide, lorsqu'il a pu apprivoiser son pouvoir et apprendre la vérité sur son père.

Peut-être deviendra-t-il le héros et le sauveur qu'ils ont toujours espéré, peut-être confirmera-t-il tous les espoirs placés en lui depuis des années...

La porte s'ouvre de nouveau et cela tire la jeune femme des divagations de son esprit fertile. A en juger par les bruits de pas, elle conclut que plusieurs personnes vont bientôt se présenter devant sa cellule : deux hommes en armes dont le visage - certes fermé et hostile - devient peu à peu familier même s'ils annoncent un autre mauvais moment à passer qu'elle redoute plus que tout.

Elle pensait qu'au fil du temps ces supplices élaborés n'auraient plus d'effet sur elle, que la douleur deviendrait si quotidienne et insoutenable qu'elle ne la sentirait plus. Dans des moments de bravoure lorsqu'elle est seule dans sa cellule à observer le plafond obscur de sa cellule, l'eldienne imagine que le moment viendra où elle rira au nez de son bourreau parce qu'il aura usé tous ses jouets sans n'avoir rien pu obtenir de concret d'elle.

Mais cet espoir n'est qu'un mauvais tour joué par son esprit qui tente désespérément de trouver du réconfort, poussé à positiver après la visite salvatrice de son ancien camarade, elle le sait.

Pourtant, au moment où la porte de sa cellule s'ouvre, une boule douloureuse se forme dans son ventre. Tout son corps se crispe et elle ferme les yeux, sentant une sueur froide couler le long de ses vertèbres tremblantes.

Non, cette fois elle va résister, cette fois elle va montrer son courage et sa ténacité, cette fois...

La jeune femme sent qu'on la secoue, lui faisant péniblement ouvrir les yeux. Sa vision floue distingue une silhouette d'une carrure imposante assise sur un tabouret, à moitié cachée derrière le contre-jour causé par le projecteur braqué sur elle. Julia soupire longuement et fronce fortement à cause de la puissante migraine qui l'accueille au réveil. Sa tête semble si lourde, son corps si peu réceptif aux ordres qu'elle aimerait lui donner...

— Je crois que l'on ne pourra plus faire grand-chose d'elle bientôt, mon commandant.

Les mots qu'elle vient de percevoir semblent lointains, comme si elle avait la tête sous l'eau.

— Elle vient de parler d'un titan primordial, nous avançons, répond Théo Magath.

Julia ne comprend rien, elle essaye de distinguer plus précisément ce qui l'entoure, de voir l'interlocuteur de Magath, mais c'est extrêmement difficile. Ses sens ont du mal à s'ordonner et reprendre leur place, laissant le champ libre à une confusion qui devient rapidement mentale aussi.

C'est cette impression étrange qui prend possession de son esprit, ce sentiment déstabilisant qu'il y a un grand trou noir dans sa mémoire, comme si elle avait dormi trop longtemps et qu'elle avait manqué plein de choses. Plus rien n'a de sens, aucun souvenir ne permet de se placer dans l'espace et le temps. Elle se souvient avoir été dans sa cellule quelques instants auparavant, elle se souvient de Eren qui vient lui rendre visite, elle se souvient de cet espoir...

Là, elle est sur cette chaise, attachée.

Qu'est-ce qu'elle fait ici ? Depuis quand est-elle dans cette salle ? Pendant combien de temps a-t-elle été soumise à cet interrogatoire dont elle ne se souvient pas le début ?

Elle vient de perdre connaissance ?

Que s'est-il passé ?

Vient-elle de rêver ?

Eren et sa promesse de sauvetage n'était donc qu'un songe se voulant agréable et porteur d'espoir ?

Son mal de crâne ne lui permet pas de réfléchir correctement ni de mettre de l'ordre dans toute cette pagaille qui règne dans sa tête. Comme si deux réalités venaient de s'entrechoquer... Ou plutôt que les images produites par son cerveau lorsqu'elle perd connaissance se confondent avec la réalité... Elle n'en sait rien...

— E...ren... prononce-t-elle difficilement en ayant des clignements de plus en plus longs, signe qu'elle va une nouvelle fois tomber d'épuisement.

Julia ouvre une nouvelle fois les yeux et remarque rapidement qu'elle est toujours assise sur cette foutue chaise, les poignets et chevilles attachés par des sangles en cuir fermement serrées. Lorsqu'elle lève la tête, ce n'est pas une lumière aveuglante ni une silhouette un peu trop familière à son goût qu'elle trouve...

Sa cellule. Elle est dans sa cellule.

— Bordel... jure-t-elle sur un ton plaintif, en proie à une confusion encore plus profonde.

Son mal de crâne n'est plus là et, en baissant une nouvelle fois les yeux, comprend avec étonnement que les sangles sont assez lâches pour glisser ses membres hors de leur emprise. Un grincement métallique agresse ensuite son ouïe et, en levant la tête, remarque que la porte de cette petite pièce dont elle est la malheureuse résidente est ouverte.

La jeune femme pousse de toutes ses forces pour se lever et se dresser sur ses jambes mais cela s'avère être un exercice bien plus difficile qu'elle ne l'aurait imaginé. Elle fait un premier pas, puis un deuxième...

Une sensation étrange et désagréable l'habite : ses pieds sont si lourds, ses jambes engourdies... Et le sol semble être fait de sables mouvants ou de boue tant il est laborieux de se déplacer.

Elle parvient pourtant à sortir la tête de sa cellule. Un coup d'œil à gauche, un coup d'œil à droite...

Ce couloir a toujours été aussi long ?

Des pleurs se font entendre dans la cellule juste à côté de la sienne, à droite.

Avec un peu plus d'aisance elle se déplace de deux mètres et jette un coup d'œil : Une jeune femme est allongée et prostrée au sol.

Julia s'agrippe aux barreaux et regarde plus attentivement : l'inconnue porte un uniforme du bataillon d'exploration, sa masse de cheveux blonds s'étale en pagaille sur le sol pavé et dans ses mains elle serre de toutes ses maigres forces un ruban rouge étrangement familier.

— Tu es là depuis longtemps..? demande Julia avec beaucoup d'appréhension.

L'autre détenue renifle bruyamment puis essuie ses larmes avant de se redresser. Elle lève ensuite les yeux vers son interlocutrice.

Choc.

C'est elle. Julia se voit elle-même.

Elle chancelle en reculant de façon hasardeuse mais se rattrape contre le mur du couloir qui fait face aux cellules.

— Amélia... Nous n'en pouvons plus... S'il te plaît... Met fin à ce supplice... Tu... Tu dois tout leur dire, prononce cette copie d'elle-même.

Julia s'apprête à se répondre lorsqu'elle entend la porte du couloir s'ouvrir. Un effroi sans nom s'empare de son cœur et serre ses entrailles parce qu'elle est en dehors de sa cellule et sera certainement durement châtiée pour s'être adjugé le droit de sortir. Elle n'ose pas regarder vers cette porte ni même bouger, comme si ses geôliers avaient une vision basée sur le mouvement et que cela pouvait retarder l'inévitable.

Elle fixe ses pieds pendant que son reflet continue les complaintes qui ne sont rapidement plus qu'un bruit blanc diffus et lointain. Son ouïe se concentre sur l'autre bout de la pièce, sur d'éventuels bruits de pas ou un éclat de voix.

Rien.

Mais sa vision périphérique s'affole lorsque quelque chose de coloré s'approche d'elle : un liquide rouge écarlate qui se fraye un chemin entre les pavés en suivant le tracé des joints entre ceux-ci. Elle remonte la coulure de sang jusqu'à son origine et remarque une personne qui tient à peine debout, appuyée à l'encadrement de la porte. La quantité de sang ne laisse aucun doute sur la gravité de la blessure.

— Amélia... appelle l'intrus blessé à la voix masculine.

Pétrifiée, impuissante et incapable de décider quoi faire ou quoi dire, la jeune femme fixe cette personne dont elle n'identifie pas un seul détail sinon sa chevelure brune, son uniforme du bataillon d'exploration et tout ce sang qui s'écoule de son abdomen.

— Amélia... appelle-t-il encore.

Cette voix lui dit quelque chose... Cette voix est familière et sort d'outre-tombe.

Deux yeux bleus se lèvent vers elle.

— Aide-moi...

Puis il s'effondre au sol, un sol qui n'est plus recouvert de pavés mais jonché de fleurs écrasées et arrachées, d'éclaboussures et coulures de sang, de pièces de métal en pagaille, de corps démembrés et méconnaissables. Le jeune homme qui l'appelait est là, au milieu de ces vestiges d'une bataille horrible, son sang souillant l'herbe fraîche et jadis luxuriante.

Elle n'a pas le temps de faire quoi que ce soit, Julia sent qu'on la secoue encore.

Une nouvelle fois ses yeux s'ouvrent avec une extrême difficulté, un éveil accompagné de nombreux maux dispersés un peu partout dans son corps affaibli.

— Désolée... murmure-t-elle.






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