Soleil de Minuit [Livaï x OC]

Chapitre 14 : Les affaires sont les affaires

4487 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 19/07/2023 18:16

Vêtu d’un élégant costume trois-pièces, le manteau négligemment drapé sur son bras, Levi arpentait d’un pas rapide un couloir sombre qui le menait vers la sortie de la forteresse. Les lueurs vacillantes des torches, qui semblaient le suivre à chaque enjambée, donnaient au crépuscule automnal un aspect sinistre faisant résolument écho à son humeur maussade. Car cela ne faisait aucun doute, cette nuit s’annonçait aussi interminable qu’ennuyeuse. Et alors que les membres de son escouade savouraient une soirée de liberté à la caserne, leur capitaine était, quant à lui, contraint de s'acquitter d’insipides obligations dont il se serait volontiers passé. Mais les ordres étaient les ordres, et depuis qu’il avait été promu chef d’escouade, il n’avait guère d’autre choix que de se conformer à ce type de corvées.


Il se dirigeait vers le lieu de rendez-vous imposé par son supérieur, quand il aperçut justement celui-ci conversant avec une femme dont la présence se distinguait avec grâce dans la pénombre. Malgré le froid qui s’immisçait dans l’entrebâillement de la porte et rosissait leurs joues, Erwin et le docteur Zweig affichaient tous deux des mines réjouies et de chaleureux sourires.

Bien évidemment, cette vision contraria aussitôt Levi qui ralentit instinctivement sa marche, enserrant fermement son manteau contre lui. Et même si ce n’était pas la première fois qu’il les surprenait ainsi, discuter insouciamment au détour d’une coursive, il se trouvait toujours aussi ennuyé et frustré de ne pas parvenir à cerner la nature exacte de leur relation. Il allait sans dire qu’après plusieurs semaines de discrètes investigations, son enquête à leur sujet n'avait pas avancé d'un iota.

Naturellement, Erwin ne tarda pas à remarquer la présence de Levi qui avançait pourtant vers eux à pas de loup. D’un geste de la main, il l’invita à les rejoindre. Levi s’approcha, prudemment, prenant grand soin de dissimuler ses émotions derrière un visage imperturbable.

— Quelle élégance, capitaine ! s’exclama le médecin avec son habituelle spontanéité, en tournant son beau visage vers lui. D'où vient ce joli costume ?

— De la maison Purwin, répondit-il très laconiquement.

— Eh bien, je constate que l’on sait tailler de très beaux costumes dans cette belle ville de Trost, observa-t-elle avec cette condescendance qu’elle adoptait parfois sans s’en rendre compte.

Ce commentaire, d’une condescendance assez manifeste, ne fit qu’accroître la contrariété de Levi.

— Il semblerait que la capitale ne détienne pas le monopole de la confection de costumes de qualité, ironisa-t-il d’un air mauvais.

— Je n’ai jamais prétendu le contraire, se défendit-elle aussitôt.

Spectateur involontaire de cet échange calamiteux, Erwin ne put s’empêcher de laisser s’échapper un petit rire amusé.

— Je dois admettre n’avoir jamais vu Levi négliger sa tenue, déclara-t-il avec adresse, comme pour ménager les nerfs de son subordonné.

— J’aimerais dire la même chose à ton sujet, lui rétorqua Levi d’un ton feint d’insolence.

Sa cinglante réplique fit instantanément rire la doctoresse, sans pour autant froisser son supérieur. Levi le connaissait trop bien pour savoir qu’il en fallait bien plus pour contrarier le commandant Erwin Smith. En définitive, cette escarmouche amicale contribua à apaiser les esprits et ils purent, un bref instant, échanger paisiblement sur le déroulement de leurs soirées respectives. Après quelques minutes passées en leur compagnie, la ravissante dame les salua gentiment et prit rapidement congé d’eux.

Levi la suivit machinalement du regard et la vit s’engouffrer dans la cage d’escalier qui menait à l’étage des officiers, où elle avait ses quartiers. Ses yeux ne parvenaient pas à se détacher d'elle, de sa longue silhouette drapée de feutre noir qui semblait se fondre dans l'obscurité profonde. C'était une impression étrange et quelque peu sinistre : comme si le néant l'engloutissait tout entière, effaçant irrémédiablement sa présence de ce monde et de son existence. Et tandis que cette terrible sensation de dépossession s'insinuait en lui, tel un poison insidieux, il fut soudain pris d'un désir impérieux de la poursuivre dans l’escalier ; il se vit la saisir par le bras pour l'arrêter dans sa course et l’implorer, comme un fou, de rester ici, prés de lui, pour qu’elle ne se dérobât pas par l’action d’une magie mystérieuse échappant à leur entendement.

Mais Levi n'était pas fou. Aussi, il resta parfaitement immobile au milieu du hall, se défendant de faire le moindre geste. Il se contenta de tendre l'oreille pour écouter le claquement régulier des talons sur les dalles de pierre brute. L'étrange illusion se dissipa peu à peu, laissant sa raison reprendre pleinement le contrôle de son esprit. Par moments, Levi la trouvait si belle, si radieuse, au milieu de ce décor lugubre d’une tristesse épouvantable, qu'il se demandait si elle appartenait bien à ce monde... et s'il ne la verrait pas un jour, dans le reflet d’une fenêtre ou au détour d'un couloir, disparaître aussi mystérieusement qu'elle lui était apparue.


Dès l’instant où il ne perçut plus aucun bruit, il enfila son manteau et suivit Erwin dans la cour brumeuse où l’on attelait une imposante voiture réservée habituellement aux déplacements officiels du commandant. Ce soir-là, ledit véhicule devait les transporter vers un lieu inconnu, situé hors des limites de la cité ; il s'agissait probablement d'une résidence secondaire, dissimulée quelque part au cœur de la forêt, à l’abri des regards indiscrets du petit peuple de Trost.


Car en dehors de l’organisation et de la planification des sorties hors de l’enceinte du mur Rose, Erwin avait aussi la tâche cruciale de collecter des fonds pour financer les futures missions du Bataillon. Et lorsqu’il s’agissait de démarcher un riche marchand épris de récits d’aventures, la présence d’une personnalité telle que Levi était souvent un atout inestimable… au grand désespoir de celui-ci qui se méfiait des mondanités et préférait de loin la compagnie de ses camarades dans le confort austère de leur quartier général.


Le crépuscule cédait progressivement sa place à la nuit, déposant sur toute la cité un voile d’obscurité laiteuse. Sur le parvis de la forteresse, un silence pesant s’était installé entre les deux hommes tandis qu’ils observaient les soldats s’affairer autour du véhicule.

Levi était toujours ébranlé par ce sentiment de culpabilité et de confusion qui l’envahissait chaque fois qu’il se retrouvait en présence d’Erwin et de cette femme. Toute cette histoire prenait une tournure si grotesque qu’elle commençait franchement à lui courir sur les nefs.

Bien que le froid devenait plus mordant et l'atmosphère de plus en plus oppressante, il brûlait d’envie de briser le silence. Qu’importait les conséquences, il était désormais résolu à percer ce maudit mystère. Il fixa un point dans l’horizon et, s’armant de courage, il demanda sans ménagement :

— Il y a quelque chose entre elle et toi ?

Sa question, posée de la plus abrupte manière, fit monter un sourcil interrogateur sur le visage d'Erwin. Levi comprit alors qu'il devait préciser son propos :

— Il y a quelque chose entre Mary et toi ?

Le visage d’Erwin marqua encore la surprise.

— Comment es-tu au courant de… murmura-t-il, d’un air sombre et soupçonneux.

— C'est assez évident quand on vous voit ensemble, répliqua sans détour Levi, ne lui laissant aucune échappatoire.

L'expression du visage d'Erwin changea de nouveau. Levi le fixa du coin de l’œil et attendit sa réponse avec un violent battement de cœur.

— Mais de qui parles-tu, au juste ? finit par lui demander Erwin, le sourcil froncé par la confusion.

— Comment ça ? lâcha virulemment Levi, qui commençait à perdre patience. Je te parle de Mary, la femme avec qui tu discutais à l’instant. De qui veux-tu que je parle ?

— Tu veux dire le docteur Zweig ?

Réalisant soudain la tournure absurde de leur conversation, Levi s’accorda une courte pause pour se masser le front. Il se demandait si le froid ne commençait pas à sérieusement affecter les capacités cognitives de son supérieur.

— Oui, je parle bien du docteur Zweig, précisa-t-il du mieux qu’il pût. De Mary Magdalene Zweig, avec qui nous venons juste de parler dans le hall.

C’est alors qu’un sourire énigmatique étira les lèvres d’Erwin, plongeant Levi dans une grande perplexité.

— Qu’est-ce qui te fait sourire ? grommela-t-il, alors que sa patience finissait de s’éroder.

— Absolument rien, rétorqua Erwin, en détournant son regard pour le porter au loin.

Tandis que Levi le regardait toujours sévèrement, il ajouta avec calme et assurance :

— Il n’y a absolument rien entre cette femme et moi, je peux te l’assurer.


Les derniers préparatifs furent menés à terme sans tarder. Et après avoir dispensé instructions et consignes aux soldats chargés de l’attelage, Erwin et Levi s’installèrent à l'intérieur du véhicule.

Les premiers instants s'étirèrent en une éternité pour Levi, captif du nouveau silence qui s’était installé entre lui et son supérieur. Chacun de leur côté, ils observaient les rues inanimées plongées dans les ténèbres défiler derrière les vitres du coche. Et alors qu’ils approchaient des portes de la ville, Levi crut soudain percevoir l’amorce d’un rire contenu au milieu du vacarme des roulis de la voiture qui cahotait sur la chaussée.

— Qu’est-ce qui te fait rire, encore ? s’enquit-il avec agacement.

— Toi et le docteur, dit paisiblement Erwin. Pourquoi cela me surprend-il sans véritablement me surprendre ?

— Passons à autre chose si tu veux bien, suggéra Levi qui n’était nullement disposé à poursuivre cette discussion.

Il se mura dans le silence, le visage tourné vers la fenêtre pour ne pas croiser le regard de son supérieur.

— Le docteur Zweig n’est pas n’importe qui, ajouta Erwin, d’un air plus sombre. Sa famille fait partie de la haute société de Mitras.

— Je sais, acquiesça humblement Levi.

— Son père est un proche de Daris Zackley, poursuivit Erwin avec davantage de gravité. Si tu venais à te rapprocher de sa fille, cela te vaudrait peut-être quelques distinctions et…

— Je n’ai aucune prétention à tout ça, interrompit-il avec brusquerie.

— Tu n’es certes aucunement intéressé par les grades ou les honneurs, mais qui sait quels avantages nous pourrions tirer de ton union avec une telle femme ?

Levi médita un instant sur ces paroles. Il savait qu’Erwin était un homme visionnaire, capable de voir au-delà des apparences et de saisir des opportunités inconcevables pour le commun des mortels. Cependant, il existait des limites à tout. Et la perspective de se servir d’une femme pour se rapprocher de personnalités influentes ne lui disait trop rien. À vrai dire, il trouvait même cette idée franchement répugnante. Par ailleurs – et ce n’était pas un menu détail –, sa relation avec ladite femme était encore au point mort. Aussi, il considérait d’autant plus saugrenu de se projeter dans de pareilles abstractions.

— Tu vas un peu vite en besogne, Erwin... finit-il par grommeler, le regard toujours rivé sur la fenêtre de la voiture. Au reste, je te poserais pas ce genre de question si cette femme et moi étions déjà engagés dans une quelconque relation.

— Je m’efforce de toujours conserver un coup d’avance, reconnut Erwin, en le toisant de ses grands yeux clairs. Tu es d’ailleurs très bien placé pour le savoir. Ceci étant dit, pardonne-moi si mes remarques te mettent mal à l’aise.

— Elles me mettent pas mal à l’aise, répliqua Levi, en croisant crânement ses bras sur sa poitrine.

Quels que soient les défis qui se dressaient devant eux, Erwin et Levi étaient prêts à les affronter ensemble, animés d'une détermination inébranlable à protéger l'humanité des titans et à percer les mystères qui les entouraient. Et Levi ne doutait pas un instant que Mary Magdalene partageait cette même volonté, puisqu’elle avait fait le choix de rejoindre le bataillon sous l'influence d’Erwin. Dans cette quête commune, ils étaient liés par un même idéal et une même cause.

Cependant, l'idée d’utiliser cette femme comme un simple pion dans un jeu politique n'était pas une option envisageable pour Levi. Même s'il était conscient de sa valeur et de sa capacité à contribuer de manière significative à leurs desseins communs, il s’y refusait catégoriquement.

Son regard se déporta vers l'homme assis en face de lui, et une nouvelle question s'imposa à son esprit : jusqu’où Erwin était-il prêt à aller pour atteindre ses objectifs ? Levi savait peut-être mieux que quiconque que sa détermination et sa fermeté inébranlable étaient ce qui leur permettrait de surmonter tous les obstacles. Et c’était aussi pourquoi il était disposé à le suivre jusqu’au bout, même si ses motivations les plus profondes lui échappaient toujours. Mais parfois, cet homme lui inspirait une crainte si profonde qu’il n’osait la sonder.

— Pourquoi ne t'es-tu jamais marié ? demanda Levi sur un coup de tête, sans véritablement mesurer la nature indiscrète de sa question.

Erwin commença par esquisser un léger sourire.

— Si j'avais reçu une pièce d'or chaque fois que cette question m’avait été posée, dit-il d’un ton de douce ironie, nous pourrions aujourd’hui nous abstenir de nous plier à toutes ces vaines mondanités.

Cependant, Erwin ne pouvait faire abstraction du regard oblique que lui lançait Levi à cet instant. Aussi, il comprit qu’il lui serait impossible d’éluder sa question avec ce bon mot.

— Si je l’avais souhaité, poursuivit-il avec plus de sérieux, j’aurais pu me marier. Mais j’ai simplement choisi de ne pas le faire. Certaines personnes ne peuvent se diviser entre plusieurs fronts, et d'autres en sont capables. Il existe des cœurs tels que le tien qui peuvent connaître l'amour tout en se dévouant entièrement à une noble cause.

Embarrassé par sa remarque, Levi détourna involontairement son regard. Mais son cœur répondait à chacun de ses mots, prenant pleinement conscience de l'ampleur des sacrifices auxquels son commandant avait consenti jusqu’à ce jour.

— Il n’y a point de honte à avoir, Levi, observa Erwin, en le regardant affectueusement. C’est précisément ce que j'admire le plus chez toi, chez Hansi ou chez Mike : cette formidable humanité qui accompagne chacun de vos actes et chacune de vos décisions.

Une douleur sourde étreignit le cœur de Levi. À travers cette simple déclaration, il prit de nouveau conscience de l'ampleur des renoncements consentis par Erwin envers sa propre existence. Dans ces paroles résonnait l'écho d'une détermination farouche, d'un dévouement sans compromis envers une cause plus grande qu’eux. Dès lors, toutes ses petites contrariétés lui parurent absolument dérisoires.


***



Après une heure de route, l’attelage les déposa aux abords d’une majestueuse demeure dont les lumières chatoyantes illuminaient les fenêtres, créant un contraste saisissant avec l'obscurité environnante.

Erwin et Levi descendirent de la voiture et furent aussitôt accueillis par un majordome qui les conduisit à travers un hall spacieux et décoré avec goût. Les échos de la musique douce et les murmures des invités créaient une atmosphère feutrée et conviviale qui incitait à la détente. Et même si Levi ne se sentait pas très à l’aise dans cet environnement, il se laissa rapidement gagner par l'atmosphère chaleureuse qui imprégnait les lieux.

Les domestiques se hâtèrent de leur retirer leurs manteaux et leur hôte – un homme aux allures de notable de province – vint les accueillir avec une déférence toute particulière, manifestant ainsi son respect à leur égard. L’homme les guida ensuite vers un confortable divan et en prenant place sur celui-ci, Levi balaya la pièce du regard. : une vingtaine de convives se tenaient là, échangeant des conversations animées dans une joyeuse effervescence.

Très vite, il remarqua la présence d'une très jeune fille, aux cheveux roux et au visage parsemé de tache de rousseur, installée à une table de jeu. Absorbée dans sa partie de rami, elle était cernée par deux sinistres individus affublés de l’uniforme des Brigades Spéciales qui détonnaient quelque peu au milieu de tous ces bourgeois à la mise impeccable. L'un d'eux, un gaillard aussi costaud que Mike, arborait un strabisme divergent qui lui conférait un air d’idiot du village. Quant à son acolyte, ses yeux enfoncés dans leurs orbites lui donnaient une allure cadavérique.

Levi sentit un frisson lui parcourir l'échine à la vue de ces deux énergumènes et il se demanda ce qu'ils faisaient ici, en ce lieu où ils semblaient si peu à leur place.

Le commandant et le capitaine furent bientôt entourés d’une dizaine de personnes captivées par le récit de leurs aventures. Le scénario semblait se répéter inlassablement : Levi se trouvait face à une ribambelle d'enfants émerveillés par sa présence, tandis qu'Erwin s'attelait à persuader les adultes des bénéfices qu'ils pourraient tirer de la prochaine expédition hors des murs. C’était une danse bien rodée, où Levi incarnait la figure du héros, suscitant admiration et fascination chez les plus jeunes, tandis qu’Erwin jouait le rôle de l'homme persuasif, s’adressant avec habileté aux adultes pour les rallier à leur cause.


Mais au bout d'un certain temps à jouer cette comédie, une sensation d'inconfort poussait généralement Levi à s'éclipser en quelque lieu isolé. Cette fois-ci, il résolut de se glisser discrètement entre deux portes-fenêtres pour gagner le grand balcon qui offrait une vue imprenable sur le parc environnant. Et tandis qu'il savourait le calme et la fraîcheur de la nuit, une silhouette se matérialisa dans la pénombre : c'était la jeune fille rousse, celle qui jouait aux cartes avec les deux soldats, qui se trouvait dissimulée dans l'obscurité, un verre de cognac à la main.

— Le héros est déjà fatigué ? lança-t-elle avec une étonnante familiarité. Je pensais les soldats du Bataillon d'Exploration plus endurants.

Ne souhaitant pas s’apitoyer sur son sort auprès d’elle, Levi préféra botter en touche :

— Ta partie de cartes n’a pas été fructueuse ?

— Peut-être ai-je veillé à ce qu'elle ne le soit pas, répondit-elle avec malice.

— Tu craignais que les deux affreux qui te servaient de partenaires de jeu ne supportent pas la défaite ?

— Possible.

Dans la pénombre subtilement altérée par la lueur d’une lune presque pleine, Levi la considéra un instant. Sa silhouette se perdait dans sa robe de soie verte, accentuée de touches de dentelle et de tulle noir légèrement élimés. Elle faisait peine à voir, avec sa toilette du soir qui était bien trop ample pour sa frêle physionomie et qu’on avait certainement dû lui prêter pour l'occasion.

— D’où viens-tu ? finit-il par lui demander. De Mitras ?

— D’une certaine façon, lui répondit énigmatiquement la fille.

— De la cité souterraine ?

Il eut un court silence durant lequel ils se fixèrent l’un l’autre, comme pour s’assurer mutuellement qu’ils pouvaient se faire confiance.

— Alors c’est vrai ce qu’on raconte à ton propos ? lâcha-t-elle, les yeux brillants de curiosité et d’excitation. Tu viens vraiment des souterrains de Mitras ?

Levi garda le silence, bien qu’il avait l’intime certitude que cette fille venait tout comme lui des bas fonds de la capitale. Il le devinait à la pâleur de sa peau et à la maigreur de son jeune corps caractéristique des jeunes gens des souterrains. C’était assurément l’une de ces prostituées que l’on croisait parfois dans les soirées mondaines, payées par on ne sait qui pour divertir les soldats.

— Qu'est-ce que tu fais ici ? lui demanda-t-il, intrigué de la trouver dans un lieu si éloigné de celui où elle devait normalement exercer.

— Comme toi, je suis là pour divertir ces braves gens, répondit-elle avec une ironie railleuse.

— Tu m’en diras tant…

Un petit rire s'échappa de la bouche de la jeune fille.

— Tu n’as pas envie de monter à l’étage avec moi ? suggéra-t-elle avec un formidable aplomb.

— Non, merci, rétorqua sèchement Levi. Pas intéressé.

— Je vois que j’ai affaire à un homme de principe.

— Ouais, c’est ça.

— Et ton supérieur ? s’enquit-elle, en jetant un coup d'œil rapide à travers l'un des carreaux de la fenêtre. C'est un bel homme, ça ne me dérangerait pas de m'occuper de lui.

— Je ne pense pas qu'il sera intéressé par l'invitation, répondit-il très honnêtement.

— Quel dommage, pour une fois que je tombe sur des soldats pas trop laids. Il est marié, c'est ça ?

Levi lui répondit par la négative, d'un hochement de tête.

— Vous pratiquez un genre d’ascétisme dans votre bataillon ? dit-elle d’un air moqueur.

— Pas vraiment, objecta Levi. C’est juste que c’est pas le genre d’homme à apprécier ce type de divertissement.

— Et toi, laisse-moi deviner… fit-elle en approchant son minuscule visage du sien. Tu dois être du genre à verser dans la monogamie, c’est ça ?

— On dira ça comme ça.

— Dans ce cas, je n’insisterai pas davantage, conclut-elle avant d’avaler une gorgée de son cognac.

Elle fixait toujours l'intérieur du grand salon où les convives étaient plongés dans leurs conversations animées. Un mélange de nervosité et de détermination transparaissait dans sa voix lorsqu'elle voulut savoir dans quelle ville ils étaient postés.

— À Trost, lui rétorqua naturellement Levi. Pourquoi tu veux savoir ça ?

— De Trost, je peux rejoindre Mitras en prenant le ferry, n’est-ce pas ?

— Oui.

Ses grands yeux verts demeuraient fixés sur les deux soldats des Brigades Spéciales, désormais affalés sur un divan. Et Levi ne tarda pas à comprendre pourquoi cette jeune fille se montrait si indiscrète avec lui.

— Est-ce que je pourrais vous accompagner pendant votre voyage de retour ? finit-elle par lui demander, sans détourner son regard des deux hommes.

— C’est les deux affreux qui t’inquiètent ?

— Oui, un peu.

— C’est vrai que ces deux porcs ont des tronches franchement répugnantes, fit très justement remarquer Levi.

— À vrai dire, je ne les sens pas du tout, avoua-t-elle d’une voix contrite.

— C’est pas dans nos habitudes de rentrer au bercail avec des filles. Mais je vais en toucher un mot à mon supérieur. Il ne devrait pas s’y opposer.

— Merci, murmura la jeune fille dans un souffle de soulagement, avant de reprendre une nouvelle gorgée de son breuvage.


***


Levi et Erwin escortèrent finalement la jeune fille jusqu’à Trost. Et même si elle ne disposait d’aucun laissez-passer officiel, ils n’eurent aucun mal à l’introduire dans la cité. Ils prirent grand soin de la déposer devant l'entrée d'une modeste auberge située à proximité du canal et elle exprima sa gratitude envers eux, ne manquant pas de remercier également les deux soldats qui avaient assuré le transport.

Comme Levi l’avait remarquablement prédit, la soirée s’était révélée aussi interminable qu’ennuyeuse. Néanmoins, il avait tous deux rempli leur part du marché. Leur hôte s'était engagé à contribuer au financement de leur prochaine mission en fournissant une aide substantielle pour les rations alimentaires. L’affaire était à présent conclue et il était maintenant grand temps de regagner la forteresse qui se dressait sur les hauteurs de la cité endormie.



À suivre…



Note : Pardonnez-moi pour cette attente interminable. J’espère que vous avez pris plaisir à lire ce nouveau chapitre. La suite devrait arriver très vite.


Dans cette partie, mon inspiration s'est principalement appuyée sur les éléments narratifs présents dans les light novels, notamment dans les Smart Pass. Dans ces nouvelles, nous apprenons qu'Erwin avait pour habitude de solliciter des contributions financières auprès de riches marchands ou de capitaines d’industrie, notamment dans le domaine minier, afin de financer les missions d'exploration et le matériel de recherche. Cette idée n'est pas du tout de mon invention, mais plutôt une reprise d'un concept qu’Isayama n'a pas beaucoup développé dans le manga, mais qui a été davantage exploré dans les différentes light novels.


En raison de la réduction drastique des dotations du bataillon par le pouvoir en place, Erwin avait ainsi développé de nombreuses stratégies pour récupérer des fonds de manière astucieuse. En effet, les soldats du Bataillon d'Exploration vivent dans un relatif dénuement, avec des rations journalières de nourriture limitées, un confort spartiate dans les casernes, et des médicaments rares et rationnés au maximum. Cette situation de privation n'est pas uniquement réservée aux soldats, mais touche également l'ensemble de la population. Cependant, le Bataillon d'Exploration est particulièrement ciblé par ces restrictions en raison des enjeux qui lui sont propres. Erwin comptait donc fréquemment sur la popularité de Levi pour promouvoir l'action de leur armée auprès de donateurs fortunés.


Par contraste, les Brigades Spéciales jouissent de bien plus de privilèges, ce qui accentue les différences de traitement entre les différentes factions, comme cela est décrit dans plusieurs nouvelles, mais aussi dans le manga. Tous ces détails ajoutent une dimension supplémentaire de complexité aux enjeux et aux interactions entre les personnages dans ce chapitre, il me semblait important de vous expliquer tout cela.


• Sinon n'hésitez pas à poster un petit commentaire si vous avez apprécié votre lecture, ça aide au référencement et ça donne du courage pour la suite (* ̄3 ̄)╭

Laisser un commentaire ?