Les Chroniques de Livaï

Chapitre 2 : BIENVENUE AU PARADIS (juillet 816) Kuchel Ackerman

1026 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 17/09/2017 16:29

BIENVENUE AU PARADIS

(juillet 816)

Kuchel Ackerman


Les temps sont durs, je dois bien le reconnaître. C'est étrange mais dans mes souvenirs d'enfant, les bas-fonds ne semblent pas si sinistres... Peut-être que l'enfance a tendance à tout repeindre de jolies couleurs...


Ken est venu il y a une semaine. Je pensais avoir bien brouillé les pistes, mais il a toujours su me retrouver. Toujours. Comme cette fois où je m'étais cachée dans une ruelle sombre pour le faire tourner en bourrique ! Heureusement qu'il m'a retrouvée, sinon j'aurais passé un mauvais quart d'heure aux mains de ces malfrats... Je me souviens qu'il les a laissés en sang sur le sol. Nous n'étions que des adolescents mais il pouvait déjà mettre à terre qui il voulait. Il m'a sermonnée un peu, puis il m'a prise dans ses bras et m'a ramenée à la maison.


Nous vivions discrètement à l'époque, mais quelqu'un a dû nous dénoncer. Nous avons alors quitté notre maison pour nous enfoncer davantage dans les bas-fonds, là où même les brigades ne se rendent plus. Je n'ai jamais su pourquoi on nous en voulait autant... Qu'avions-nous fait pour mériter ça ? Etait-ce lié aux activités de Ken ?


Je sais bien quel "métier" il fait. Il m'a souvent proposé de m'y associer. Mais je ne peux pas faire ça. Je sais que ce monde est cruel et violent, mais je ne suis pas comme mon frère. Je ne peux pas tuer un être humain sans sourciller, comme lui. Il m'a affirmé que je le pouvais, que j'en avais la force, mais cela m'est égal. Je préfère encore donner du plaisir aux hommes, même s'il trouve ça malsain. Personnellement, je trouve mon métier plus sain que le sien... Mais je ne peux le juger. Quand nous avons grandi, nos chemins se sont séparés. Nos points de vue aussi. Il m'a quand même conseillé de garder une arme à portée de main ; mais je n'ai pas attendu son conseil pour le faire... Quand je dois m'en servir, je le fais.


Il prétend que je me salis en me donnant comme ça, mais qui peut prétendre rester propre ici ? Sûrement pas lui. On a tous une souillure sur le corps ou la conscience, sous terre. Si mon corps est sale, j'ai ma conscience pour moi. Je sais que ça le peine. Je lui ai répondu que je n'en avais aucun plaisir, qu'il me suffisait de quitter mon corps suffisamment longtemps pour ne rien sentir. Je ne fais ça que pour l'argent. Comme tant d'autres ici.


On s'épaule entre prostituées. Finalement, elles sont devenues ma nouvelle famille. Le maquereau qui garde la maison nous prélève un peu de notre salaire, mais après tout, tout le monde doit vivre. Ken trouve ça révoltant. Ah ah.


Je suppose que je dois bien avoir une certaine force en moi pour ne pas avoir décidé d'en finir. Je ne sais pas vraiment ce qui me fait tenir... Ce ne sont pas les étreintes brutales de mes clients en tout cas. Quand il m'arrive de m'endormir, je fais souvent un rêve merveilleux. Je vois un bel ange lumineux voler vers moi et m'emporter dans ses bras, à la surface, au-delà même des murs... Je ne sais pas comment c'est, à la surface, et encore moins au-delà des murs, mais je me l'imagine comme les images de mes livres d'enfant ; avec de grands arbres - je n'ai jamais très bien réussi à me représenter un vrai arbre, dans mon rêve ils sont comme sur les images -, des fleurs multicolores à perte de vue, et un vent doux, chargé de senteurs... Que peut bien sentir un air pur ?

Je me suis mise à espérer. Quelqu'un viendra peut-être me sauver de cet enfer et m'emmènera vivre dans un monde bien meilleur... Un petit peu de ce paradis se développe sans doute déjà en moi...


Je sais que c'est un garçon. Enfin, l'une des filles, Adelaid, la plus âgée, me l'a dit. Elle a déjà dû avorter de plusieurs bébés, et en a aidé d'autres à le faire. Elle m'a assuré que c'était un garçon, et je la crois. Elle m'a dit aussi qu'elle était prête à m'aider, mais qu'il ne fallait pas attendre trop longtemps... Plus on attend, plus on risque la mort...


Je l'ai remerciée, mais je me passerai de ses services. Je veux ce bébé. Plus que tout. Je ne laisserai personne faire du mal à mon petit ange. Je vais le mettre au monde, et faire en sorte qu'il ait une meilleure vie que la mienne. Je ne sais pas encore comment, mais quand il sera là, tout sera possible.


Ken n'est pas d'accord, évidemment. Il m'a presque crié dessus. Je lui ai demandé de baisser d'un ton car Livaï était peut-être en train de dormir... Livaï... Je ne sais plus exactement comment m'est venu ce nom... J'ai sûrement dû le lire quelque part. Il est très beau, je trouve. Il sonne comme le son de la cloche du beffroi du Mur Sina, que j'entends résonner sous terre de temps en temps. Même ainsi, il me parvient pur et clair, comme si je vivais à l'air libre... C'est sans doute un signe...


Ce nom sera le sien - il ne saura même pas qu'il est un Ackerman, cela n'en vaut pas la peine - et il n'en aura jamais d'autre. Contrairement à moi. Je vais tenter de partir d'ici, me trouver une autre piaule et changer de nom. Je vais avoir du mal à me trouver un souteneur dans mon état, il faudra sans doute que je me mette à mon compte... Pardonne-moi, Ken, je sais que tu vas m'en vouloir et me prendre encore pour une gamine irresponsable, mais ne cherche pas à comprendre. J'ai besoin d'être seule. Non... je ne suis plus seule, mon petit ange vient avec moi.


Pas vrai, Livaï ? Dis, tu restes avec maman, hein ?

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