Parmi mon peuple

Chapitre 1 : Il y a soixante ans

1647 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 10/11/2016 06:21

   Amerys trottinait sur le chemin boueux, les sabots de sa jument claquant dans les flaques d’eau trouble. Cela faisait déjà plusieurs jours qu’elle avait tourné le dos à son village, non sans regrets, mais cela avait été nécessaire car la vie là-bas serait devenue trop douloureuse. La solitude se serait installée et la mélancolie l’aurait abattue.

 

    Son cher père avait rendu son dernier souffle il y avait de cela treize semaines déjà. Ce fut un déchirement pour la jeune femme. Son père, son adorable protecteur avait succombé à une attaque foudroyante alors qu’il travaillait ardemment comme chaque jour dans sa somptueuse forge. Il était jeune, trop jeune pour mourir. Il n’avait que cent cinquante ans, ce qui était expressément jeune pour un nain. En effet le peuple des montagnes vivait en moyenne deux cent cinquante ans, bien plus que les hommes, mais néanmoins bien moins que les elfes… Sa mère était également décédée quelques années plus tôt à l’âge de soixante-douze ans. Et oui, Amerys était le fruit d’une union entre un nain et une humaine, ce qui était chose rare en Terre du Milieu. Les unions entre races étaient mal perçues, beaucoup se cachaient pour vivre leur amour, notamment entre les nains et les hommes. 

 

    Daraïn Forgefer était un nain fort et courageux, forgeron dans la montagne solitaire baptisée Erebor, il vivait en paix auprès de son peuple dans cette magnificence qu’était la cité naine. Il aimait son roi et ami, Thror et montrait une affection très présente pour son fils Thraïn et son petit-fils Thorïn. Issu d’une longue lignée, Daraïn avait hérité du savoir-faire de sa famille et avait acquis sa place de forgeron d’Erebor avec fierté et honneur. C’était un métier de nain, un art de vivre et jamais il ne se serait imaginé faire autre chose que travailler de ses mains. Un jour, alors qu’il déambulait dans les allées de Dale - la ville humaine juchée sur la colline face à la montagne - admirant alors les beaux étalages du marché, si vivants et si colorés, il percuta nonchalamment une humaine aux yeux d’émeraudes. Après des excuses poliment adressées à la jeune et belle femme il ne put s’empêcher d’engager la conversation avec elle, ayant presque peur de la voir s’éloigner et ne jamais la revoir. Il aurait eu ce qu’on appelle un coup de foudre, si un tant soit peu on croyait à ces choses-là.     A son plus grand plaisir, cette humaine nommée Aenor fut réceptive à son charme de nain et depuis cette rencontre fortuite et hasardeuse, ils ne se quittèrent plus. La relation fut construite de fil en aiguille sans trop jamais l’exposer au grand jour. Par peur des préjugés et des propos haineux des hommes et des nains. Malgré un grand commerce entre les deux cités, le métissage était encore tabou.   

 

    Cependant, peu de temps après vint le jour funeste, gravé à jamais dans les mémoires de ceux qui s’en souviennent. Terreur en ce jour si beau. Ombre dans le ciel. Flammes dansantes et dévorant la chair et la pierre. Smaug le dragon, attiré par l’or d’Erebor, vint en quête du butin de la montagne. Après avoir savoureusement détruit la ville de Dale et tué bon nombre d’habitants, il posa son regard de serpent sur la cité naine, vomissant son feu à n’en plus finir dans des vrombissements incessants, jusqu’à ce qu’il finisse enfin par atteindre son but et s’infiltrer dans la montagne. Les nains furent chassés de leur demeure, fuyant le maudit lézard géant ailé, devenu alors propriétaire de cette belle cité de caractère, fief d’honneur des nains.

 

    Daraïn Forgefer eu bien de la chance en ce jour si terrible, ayant échappé à la mort il s’était enfui avec la poignée de ses congénères encore en vie. Mais une seule pensée le taraudait : Aenor. Il devait la retrouver, il devait s’assurer qu’elle allait bien. Il courut en peu de temps la distance entre Erebor et Dale. Il la chercha partout et longtemps, aussi épuisé qu’il était sans jamais s’arrêter. Que fut son soulagement lorsqu’il la vit, entière et vivante. Dans sa bonté et sa générosité elle essayait de sauver des vies et de guérir toutes les blessures possibles. Etant guérisseuse et apothicaire ce fut pour elle naturel de réagir de cette manière, en gardant un calme olympien face à cette catastrophe sans précédent.    Leurs retrouvailles se firent en larmes, chacun heureux de voir l’un et l’autre vivant. Daraïn essaya de convaincre Aenor de rejoindre son peuple mais celle-ci s’y refusa, elle ne pouvait laisser les gens de Dale sans soigneur et pensa qu’elle n’aurait pas été intégrée parmi son peuple, trop fier et bien trop têtu pour accepter une union entre un nain et une humaine. Le forgeron dut faire son choix, c’était Aenor ou son peuple. C’est à ce moment-là qu’il choisit de rester auprès de la femme qu’il aimait. Ensemble ils s’installèrent dans un village loin de ces terres avec d’autres expatriés de Dale et y construisirent une vie ensemble.    Il monta sa forge et fut reconnu comme étant un nain d’exception dans son art, faisant alors des merveilles à travers toute la Terre du Milieu. Plusieurs années après ils eurent leur premier enfant, un garçon, qui mourut quelques mois plus tard. Le chagrin de cette perte passée ils enfantèrent une fille cette fois, qui survit. Ils l’appelèrent Amerys.    Cette petite fille, mi-femme mi-naine fut leur plus beau bonheur. Elle avait hérité des yeux noisette de son père et des beaux cheveux ondulés châtains de sa mère. En grandissant elle acquit une taille entre-deux d’environ un mètre cinquante. Elle avait des formes généreuses et rondes, surtout au niveau des hanches et de la poitrine, de belles formes de naine, avait pensé son père avec fierté. Son visage était harmonieux et elle avait eu la chance de ne pas hériter de la pilosité des femmes de son peuple. Mais vivre dans un village humain n’était pas toujours aisé pour la jeune femme qui n’évoluait pas de la même manière que ses congénères humaines. A cinquante-six ans elle ressemblait à une femme de vingt-quatre ans au plus et ses amies avait depuis longtemps fait leur vie d’épouse.    Un jour, elle confia à son père qu’elle ne se sentait pas à sa place parmi les hommes et demanda plusieurs fois à aller vivre chez le peuple de son géniteur dans les Monts de Fer ou les Montagnes Bleues, se sentant plus attirée par cette vie que son père lui contait tant. Il s’y refusa et lui refusa d’y aller également seule, voulant garder sa précieuse et unique fille auprès de lui. C’est ainsi qu’ils continuèrent leur vie comme cela jusqu’au jour où son père mourut brutalement. Après un chagrin intense et un déboussolement temporaire, elle prit la décision la plus importante qu’elle n’avait jamais eue à prendre jusqu’à ce jour. 

 

    Plus rien ne la retenait dans ce village, elle mit en vente la maison et la forge et récolta ainsi assez d’argent pour vivre longtemps. Montée sur sa chère jument Plumerette elle galopa en direction des Montagnes Bleues où elle trouverait le peuple auquel elle appartenait, même si le chemin serait long et difficile et peut-être même dangereux. 

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