Le commencement
Chapitre 1 : Un début pluvieux
Tout a commencé pour moi un jour pluvieux… Et, même si des années semblent s’être écoulées, je me souviens encore de tout comme si j’étais arrivé hier… Lors de ce jour funeste, quand j’ai repris mes esprits, j’ai immédiatement senti le froid mordant me saisir, glisser sous ma peau, m’immobilisant sur place. Plongé dans une obscurité totale, épaisse comme une tombe. Et apeuré... Perdu… Je n'avais aucun souvenir… rien, pas même une étincelle à laquelle me raccrocher. Mon cœur tambourinait dans ma poitrine comme un animal paniqué, un cheval sauvage pris au piège. La seule chose que je parvenais à faire, c’est me recroqueviller sur moi-même, tremblant, espérant… priant de toutes mes forces que quelque chose me sorte de cet enfer.
…
Jour 1
Un vacarme assourdissant me tire brutalement de ma torpeur. Le sol sous moi se met à vibrer, puis à trembler de plus en plus fort. Pris de panique, je m’agrippe au sol métallique, mes doigts crispés contre la tôle froide. J’écrase mes paupières, attendant, presque acceptant, que la mort me tombe dessus… Puis, tout s’arrête. Un silence étrange s’installe. La plate-forme, elle, cesse de bouger. Un grincement résonne au-dessus de ma tête et le plafond s’ouvre brusquement, laissant jaillir une lumière grisâtre, crue, presque douloureuse. Je suis obligé de plisser les yeux, aveuglé… Quand ma vue finit par s’habituer, je découvre enfin le lieu dans lequel je me trouve. Une cage. Une simple cage métallique, glaciale, où s’entassent plusieurs caisses massives frappées des lettres « WCKD ». À l’intérieur : des vêtements, de la nourriture, des objets que je ne reconnais pas… Tout semble étrangement neuf, froid, impersonnel. Comme moi…
Je tente de me relever, mais mes jambes tremblent. Je prends appui sur les caisses, puis sur la paroi de l’ascenseur. Le métal me brûle presque les doigts tant il est froid. Je n’arrive pas à comprendre ce que je fais ici. Ni pourquoi. Je ne me souviens de rien… rien du tout… Pas même mon nom. Qui suis-je ? Où suis-je ? Et qu’est-ce que ces lettres veulent dire… ?
Il me faut de longues minutes, peut-être dix, peut-être vingt, pour trouver le courage de sortir de cette boîte… Mais je suis loin d’être au bout de mes surprises. Quand je franchis enfin l’ouverture de l’ascenseur, je découvre ce qui va devenir… ma prison. Devant moi se dressent des murs gigantesques, d’un métal froid, presque vivant, d’où s’échappent des trainées de lierre. Une muraille, haute et impénétrable, ponctuée d’une unique ouverture béante. À mes pieds, un vaste carré d’herbe humide et battu par la bruine s’étend. Le vent transporte une odeur de terre mouillée et de végétation pourrie. Je suis tellement soufflée par le spectacle que je manque d’air. Mes jambes cèdent, et je tombe lourdement sur les fesses… Je reste un moment là, groggy, les mains plaquées sur mon visage. Le contact de mes paumes froides, mêlé aux gouttes de pluie qui commencent à ruisseler le long de mes joues, me fait frissonner. La pluie s’intensifie, glacée, collante, et me force à bouger. Mon instinct de survie, encore vacillant, me pousse à me relever et à chercher un abri. J’observe les lieux, scrutant le moindre mouvement…
Au fond du Bloc, une petite forêt bordée par un étang attire mon regard. Et, juste à côté, une fumée s’élève faiblement d’un campement rudimentaire. Je ne suis peut-être pas seul… Une chaleur ténue naît dans ma poitrine. Un espoir fragile… Grelottant, les bras serrés contre moi, j’avance péniblement vers ce campement. Mais quand je m’en approche, la déception me coupe presque le souffle… Il est vide.
Le feu est presque éteint, seules quelques braises rougeoyantes résistent encore à la pluie. Je n’ai aucune idée de comment rallumer un feu… mais je suis déterminé à ne pas mourir gelé dès le premier jour. Je fouille la petite cabane, y trouve du bois tant bien que mal, et le dépose maladroitement sur les braises. La flamme reprend faiblement, hésitante. Je m’assois sur un vieux matelas détrempé, posé près du feu, et je tends mes mains vers la chaleur vacillante. Je respire doucement, essayant de calmer cette peur sourde qui ne cesse de me mordre la poitrine… En observant les alentours, je remarque deux gamelles en inox, un reste de nourriture détrempée, quelques vêtements, et un sac à dos abandonné. Je m’empare du sac et le fouille. À l’intérieur : un petit carnet et un crayon à papier, rien d’autre. Ça semble dérisoire… mais quand j’ouvre le carnet, des mots apparaissent. Des notes. Des pensées. Comme les pages d’un journal… Peut-être qu’à l’intérieur se trouve un indice. Une explication. Peut-être même… une façon de sortir. Je me penche en avant, le cœur battant, et je commence à lire.
Je tourne lentement les pages, le papier humide crissant sous mes doigts. Chaque ligne semble trembler, comme si l’écriture elle-même avait froid. Plus je lis, plus une angoisse sourde s’insinue dans mon ventre, comme si toutes ces phrases étaient des avertissements laissés par quelqu’un au bord de la folie. La première entrée me frappe.
"Jour 7 :
Je me souviens enfin de qui je suis, je m'appelle Alby. Cela fait, je crois, sept jours que je suis seul dans cette … Prison ? Enfer... ? Je ne sais pas vraiment comment décrire cet endroit... À part mon nom, je ne me souviens de rien d'autre. Je n'ai pas beaucoup de nourriture et j'ai très froid... La nuit, j'entends des choses horribles... Je dors très peu... Aujourd'hui, je vais essayer de construire une cabane pour me protéger de la pluie, et aussi je vais tenter de faire un feu... Le noir me fait terriblement peur, il amplifie énormément mon anxiété. Je dois réagir…"
Je lève les yeux du carnet. Mon souffle se bloque dans ma gorge. Sept jours seulement… et il sombre déjà dans la peur, la solitude, la faim. Je avale difficilement ma salive et continue.
"Jour 12 :
Je m'étais dit que je devais écrire tous les jours pour ne surtout pas oublier, ni le nombre de jours qui passent, ni perdre la raison... Alors voilà, j'écris. Aujourd'hui, j'ai enfin réussi à faire un feu, j'avoue que cela me redonne un peu le moral... L'ouverture des portes a lieu chaque matin à six heures d'après ma montre... Je suis rapidement allé voir dans ce que j'appelle le "Labyrinthe"... Mais en fait, je crois que les couloirs sont interminables... J'ai peur d'y aller... J'entends des bruits bizarres, je vois des choses… Pourquoi suis-je ici ? Je ne comprends pas… Je ne me souviens toujours de rien... J'aimerais avoir quelqu'un avec moi, n'importe qui… Je tente tant bien que mal de survivre dans cet enfer..."
Je sens mes mains devenir moites. L’idée que quelqu’un ait réellement parcouru ces couloirs titanesques, seul, au milieu de… de quoi, au juste ? Je frissonne… La pluie continue de tomber sur la toile de la cabane, son martèlement devient presque oppressant. Je tourne encore la page.
"Jour 13 :
La nuit dernière je n'ai absolument pas dormi, j'ai encore entendu des bruits provenant du Labyrinthe... Je tremblais de tous mes membres… Impossible de me calmer. Dans la journée, j'ai fouillé un peu les bois, pour trouver un truc pour me défendre en cas de problème, mais je n'ai rien trouvé… Je vais probablement tailler un bâton."
Sa peur transpire entre les lignes. Je me surprends à serrer le carnet un peu trop fort, comme si je pouvais sentir la panique d’Alby à travers le papier…
"Jour 14 :
J'ai un nouvel ami aujourd'hui, un corbeau, aussi noir que la nuit et aussi bruyant que ses satané portes quand elles s'ouvrent sur le Labyrinthe... Il reste des heures à m'observer travailler sur ma cabane. J'essaie de faire du mieux que je peux pour la rendre imperméable, mais elle prend toujours la flotte…"
Un drôle de pincement traverse ma poitrine. L’idée de voir un simple oiseau comme un ami en dit long sur sa solitude… Et, quelque part, sur ce qui m’attend si je reste seul moi aussi.
"Jour 15 :
J'ai tellement faim de viande que j'ai décidé de construire un piège pour mon ami l'oiseau... Désolé, mais je dois me nourrir et un peu de viande ne me ferait pas de mal, surtout celle d'un oiseau aussi gras que toi. Après avoir posé mon piège j'ai passé ma journée à dormir, j'en pouvais plus, la nuit je ne dors pas tellement l'angoisse est forte... J'appréhende déjà la nuit prochaine."
Sa faim, sa fatigue, l’épuisement qui s’infiltre dans chaque phrase… J’ai l’impression de le sentir aussi, de le vivre.
"Jour 16 :
J'ai mangé mon ami... Je me sens coupable, un peu, de lui avoir ôté la vie… Mais je ne regrette pas… J'avais très faim et ça m'a redonné des forces... Mais la solitude commence à devenir pesante… Je me sens tellement seul, j'en peux plus... La pire des choses ici, c'est sans aucun doute ça, la solitude... Par pitié, faite que cela se termine bientôt... Je deviens complètement parano, j'ai l'impression de voir des choses dans le noir, mais ce n'est probablement que mon imagination…"
Je détourne les yeux un instant. La solitude… Je n’ai vécu ici qu’une heure, peut-être moins, et déjà elle me ronge. Alors seize jours… Je reviens au carnet.
"Jour 25 :
Je sais que je n'ai pas écrit depuis un moment, mais j'avais plein de choses de prévues. Je suis retourné dans le labyrinthe, je dois sortir de là... J'ai commencé à tracer un plan pour me retrouver. Il est hors de question que je reste pourrir ici…"
Ainsi, il s’y est aventuré seul. Je sens un frisson glacé remonter le long de mon dos. Quel genre de courage, ou de désespoir, faut-il pour faire ça… sans personne ?
"Jour 31 :
Je pars. C'est décidé. Je n'ai vraiment pas envie de pourrir ici toute ma vie... Je ne supporte plus d'être seul... Tous les soirs j'ai peur... Tous les soir je me demande pourquoi je suis ici ? Pourquoi … ? Qu'est-ce que j'ai bien pu faire pour mériter un sort pareil... ? Mais une chose est sûre, je ne veux pas mourir ici…! Je dois m'enfuir ! Alors aujourd'hui, je pars pour trouver une sortie ! C'est sûrement la dernière fois que j'écris dans ce carnet, alors, si un jour quelqu'un lit cela, voici les derniers mots d'un homme sans identité, courage à vous.
Alby."
Je reste un long moment immobile, le carnet ouvert entre mes mains. Le feu crépite faiblement à côté de moi, projetant des ombres vacillantes sur les pages détrempées. Je sens ma gorge se nouer d’une manière étrange. Cet homme… Alby… Il a vécu ici. Il a souffert ici. Il a disparu ici. Je referme doucement le carnet, mes doigts tremblent... Après cette dernière page… plus rien.
Le carnet s’arrête là, comme si Alby s’était évaporé au milieu des lignes. Je reste un moment immobile, les doigts crispés sur la couverture détrempée. Je n’arrive pas à détacher mes yeux de la page blanche qui suit, comme si j’attendais qu’un mot, un signe, apparaisse soudain pour me guider. Je souffle lentement… La réalité tombe sur moi comme une chape de plomb : la personne qui a écrit ça a dû partir récemment dans ce qu’il appelle le « labyrinthe ». Et ce qui me frappe le plus dans son récit… c’est qu’il avait tout oublié lui aussi. Tout, jusqu’à son propre nom. Il lui a fallu sept jours pour se souvenir juste d’un prénom. Sept jours d’angoisse, de froid, de solitude absolue. Je ne sais pas si je dois voir ça comme un signe d’espoir… ou comme une condamnation. Pourquoi sommes-nous enfermés dans cet endroit…? Qu’est-ce que c’est ? Une expérience…? Une punition…? Ou pire. Un doute me traverse, glacé, terrifiant : Est-ce que je suis mort…? Est-ce que tout ça n’est qu’un purgatoire, une sorte de no man’s land où l’on se vide de soi-même jusqu’à disparaître…? Je serre les dents… Je ne comprends rien. Et je me sens tellement seul que c’en est douloureux, presque physique. Je referme le carnet d’un geste tremblant. Je ne peux pas rester là… pas comme ce fameux Alby. Il est resté trente-et-un jours dans cette prison, seul, à lutter contre la folie. Rien qu’imaginer durer aussi longtemps ici me donne la nausée… Alors, même si tout mon corps est raide, gelé et traversé de spasmes nerveux, je me lève. Mes jambes flanchent sous moi, mais je m’accroche à un tronc pour ne pas retomber. La pluie me martèle le visage, froide comme du verre brisé. Lentement, péniblement, je retourne jusqu’à la boîte. Je fouille les caisses en claquant des dents, et mes mains engourdies s’accrochent à des vêtements secs. J’enlève mes affaires trempées qui collent à ma peau comme une seconde couche glacée, et j’enfile un pull rêche, une veste grossière, un pantalon trop large… Peu importe. Tant que ça me garde en vie.
Je récupère aussi la nourriture, la charge dans mes bras, puis je ramène tout jusqu’au campement de fortune. Rien que ce simple trajet me laisse épuisé, essoufflé comme si j’avais couru des kilomètres. La fatigue me brûle les muscles et ma respiration tremble. Avant de prétendre explorer le labyrinthe, il faut que je me repose. Sinon… je ne tiendrai pas. Je me laisse donc tomber sur le vieux matelas, recroquevillé, face au feu qui lutte encore sous la pluie fine. Je m’entoure des bras, essayant de calmer les secousses qui agitent mon corps, mais rien ne s’apaise. Mon esprit tourne en boucle. Impossible de le faire taire. J’ai envie de pleurer… De hurler jusqu’à m’arracher la voix… De demander de l’aide… mais il n’y a personne. Comment pourrais-je me calmer alors que je ne me souviens même pas de mon propre nom…? Qu’est-ce qu’on m’a fait…? Ou plutôt… qu’est-ce que j’ai fait, pour mériter un sort pareil…? Je me sens mal…. Vraiment mal… Mon cœur cogne trop vite, mon souffle se coupe par moments, et mes pensées se remplissent d’obscurité, une boue noire qui me tire vers le fond. Je tremble sans relâche, et mon corps s’épuise à lutter contre lui-même… Je ne sais pas combien de temps je reste comme ça, immobile, plié sur moi-même, secoué comme un animal blessé abandonné sous la pluie… Mais une chose est sûre : Si je reste ainsi, je vais me briser.
Seulement soudain, un bruit métallique atroce déchire le silence du bloc. Un fracas long, grinçant, qui me vrille les oreilles et me fait bondir sur mes pieds. Je sors aussitôt de la cabane, le cœur battant à m’en couper le souffle. Devant moi, les immenses murs glissent, s’imbriquent, se rapprochent comme des géants de pierres vivants. Ils bouchent lentement l’accès à la seule sortie… Je reste figé, hypnotisé, alors qu’un frisson glacé parcourt ma colonne. Je me souviens : Alby avait parlé de portes qui s’ouvrent au lever du jour… alors forcément, elles doivent se refermer à la tombée de la nuit. Et en effet, à mesure que les parois avancent, une silhouette sombre apparaît au pied des portes. Un homme. Un vrai.
Mon souffle se coupe. J’hésite une seconde puis je me mets en marche vers lui, malgré mes jambes tremblantes. Je suis persuadé que c’est lui. Alby. Mon cœur oscille entre une peur enfantine, je ne sais pas qui il est ni comment il va réagir, et une joie démesurée : je ne suis plus seul. L’homme à la peau brune finit par se retourner. Nos regards se croisent. Il reste bouche bée, les yeux écarquillés, comme s’il venait de voir un fantôme. Je m’approche encore, la voix chevrotante, incapable de calmer mes tremblements.
- Tu dois être… Alby, je présume ? Il souffle, incrédule :
- Je rêve…
Sa main se plaque devant sa bouche. La surprise, l’émotion… tout se lit dans son visage creusé par la fatigue. Ses vêtements sont sales, râpés, plein de poussière sèche. Ses yeux sont cernés, son corps amaigri, et pourtant, il reste imposant : plus grand que moi, plus large, presque protecteur malgré son état.
- Désolé de ne pas me présenter… repris-je, gêné. Je… je ne me souviens pas de grand-chose.
Son silence m’étouffe un instant. Puis lentement, un sourire éclate sur son visage, un vrai sourire, vibrant, vivant, et il pousse un rire presque hystérique, un rire de pur soulagement.
- Enfin ! Enfin !!! Hahaha ! ENFIN !!!
Il court vers moi, me prend dans ses bras, et me soulève du sol comme si je ne pesais rien.
- Oh la…! Pose-moi, s’il te plaît ! balbutié-je, moitié étouffé contre son épaule.
- J’y crois pas… Tu es réel… réel ! Tu n’imagines pas ! Je suis tellement content !!
Il me repose au sol, haletant, rayonnant presque malgré la crasse et l’épuisement.
- Oui, je vois ça… murmuré-je avec un faible sourire.
- Je suis resté seul un mois… Un mois dans cet enfer…!
- Je sais… Enfin… désolé, j’ai lu ton journal. Je pensais pas que tu reviendrais.
- Je pensais pas vraiment revenir, tu sais…? Je déglutis de peur…
- Tu n’as pas trouvé de sortie, je présume…? Il secoue la tête.
- Non. Rien. C’est un vrai labyrinthe… Et c’est tellement angoissant que je n’ose pas trop m’aventurer dedans. Tu perds vite le nord… Et l’air, là-dedans… il est étouffant.
Je frissonne, regardant les portes qui viennent de claquer dans un grondement sourd.
- Je comprends… Ça ne m’inspire pas trop non plus… Alby me sourit doucement, presque rassurant.
- Quand est-ce que tu es arrivé ?
- Je… je crois ce matin. Dans la cabine de métal, avec tout plein de caisses. Je ne me souviens de rien d’autre… Il hausse les sourcils.
- C’est bizarre… C’est comme pour moi.
- Ah…? Mais toi, au moins, tu te souviens de ton nom. Moi… c’est le néant total, soufflé-je en resserrant mes bras autour de moi, honteux, mal à l’aise.
- Au début, je ne me souvenais de rien non plus. Comme toi. Ça va revenir. Tu verras.
- Peut-être… Alors, ça te dérange pas que je squatte ta cabane…? demandé-je timidement. Il éclate d’un sourire sincère.
- Oh que non ! Au contraire ! Tu n’imagines pas ! Ça veut dire que je ne suis plus seul ici. Et crois-moi… la solitude, c’est le pire. Je hoche la tête.
- Je veux bien te croire… Je suis… vraiment rassuré que tu acceptes de m’aider, murmuré-je avec un petit sourire.
- C’est normal. Tu es sûrement la meilleure chose qui me soit arrivée depuis que je suis ici, dit-il en posant sa main sur mon bras. Allez, viens. On va manger un truc. D’ailleurs… comment tu veux que je t’appelle ? Je rougis un peu, pris de court.
- Oh… heu… Je ne sais pas…
C’est tellement frustrant. Ne pas se souvenir de son propre nom. Pourtant… j’ai cette sensation étrange qu’il flotte quelque part, juste au bord de ma mémoire, comme un mot qu’on pourrait toucher du doigt si seulement on tendait un peu plus la main.
- Je peux t’appeler le blond ? propose Alby avec un sourire qui illumine son visage fatigué.
- Le blond… ? répété-je, surpris.
Il doit parler de mes cheveux… Ma couleur, donc, serait blonde. Mais cette simple idée en entraîne une autre, bien plus troublante : je ne me souviens même pas de ce à quoi je ressemble. Pas un seul détail. Pas la forme de mon visage. Pas la couleur de mes yeux. Rien. Juste un vide. Un gouffre…
- Et oui, hé hé ! Tu es un petit blond ! Tout le contraire de moi ! me taquine-t-il en tapotant mon épaule de sa grande main chaude.
Je baisse les yeux, un nœud serré dans la poitrine.
- C’est vraiment un sentiment étrange… de ne même pas se souvenir de son visage… Étrange et… angoissant, soufflé-je en penchant la tête.
- Je sais. J’y suis passé aussi. Mais t’inquiète, ça va aller, me rassure-t-il avec un sourire d’une douceur inattendue.
Ce sourire me réchauffe presque autant que le feu. Il a vraiment le cœur sur la main, ce garçon. Et ça ne fait que se confirmer une fois qu’on rejoint sa petite cabane aux planches bancales : il m’installe un lit le plus confortable, un vieux matelas à ressorts mais qui semble être un vrai trésor ici, il me donne une couverture, et en plus… il me prépare un repas chaud. Je ne sais même pas comment lui exprimer ma gratitude. Juste imaginer qu’il aurait pu disparaître dans le labyrinthe, comme il l’avait écrit dans son journal… Si j’avais dû arriver ici seul… Je n’aurais jamais tenu une journée…
Pendant qu’il s’affaire, il m’explique tout ce qu’il sait : l’ouverture des portes au lever du jour, leur fermeture avec la nuit, les bruits étranges du labyrinthe, ces cris inhumains qui lui glaçaient le sang… Et puis il me raconte comment c’était, d’être seul ici. Une longue tirade de détresse qu’il tente de cacher, mais ses yeux parlent pour lui. Un mois de solitude. Un mois à survivre. Un mois à lutter contre la peur. Ça me serre le cœur. Alors doucement, je pose ma main sur son genou.
- Ça va aller maintenant. Je suis là avec toi. On va se serrer les coudes, murmuré-je avec un sourire timide.
Il baisse les yeux vers ma main, puis me sourit, les yeux brillants.
- Merci… Ta présence est plus réchauffante qu’un rayon de soleil. Je sens mes joues chauffer.
- Et la tienne est rassurante pour moi… C’est tellement angoissant que… avoué-je, encore tremblant de fatigue, de stress, de peur.
- Pensons à autre chose, dit-il soudain en me tendant un bol fumant. Tiens, mange un peu. Tu as mauvaise mine.
- Merci…
J’attrape le bol. L’odeur est presque appétissante, mais mon estomac est noué au point de brûler. Je suis tendu comme une corde prête à casser. Je n’ai pas mangé de la journée, mais… rien ne passe. Malgré tout, je me force : dans un endroit pareil, gâcher de la nourriture serait impensable. Alors je mange. Lentement. Mécaniquement. Alby m’observe, puis soudain, un sourire malicieux étire ses lèvres.
- Je serais curieux de savoir ton âge. Je relève la tête.
- Ah ? Pourquoi ?
- Bah… tu parais super jeune avec tes traits de fillette, ha ha ! Je manque de m’étouffer avec ma bouchée.
- À ce point-là ? souris-je, moitié vexé, moitié amusé.
- Attends ! J’ai un truc pour toi.
Il se lève, fouille dans un sac posé dans un coin, et en ressort un petit objet métallique. Un miroir de poche. Il revient s’asseoir en face de moi, les yeux pétillants.
- Voilà. Regarde-toi ! Tu vas voir !
Je sens mon cœur accélérer. Peut-être… peut-être que ça va me rappeler quelque chose ? Un flash ? Un souvenir ? N’importe quoi ? Je saisis le miroir avec une excitation fébrile. Mes doigts tremblent. Je l’approche de mon visage. Et, pour la première fois depuis mon arrivée… je vois mon reflet.
Une fois en main, je positionne le miroir face à moi… et je reste figé. Le reflet qui me renvoie la lumière vacillante du feu ressemble à un gamin sorti d’un cauchemar. Je ne peux pas contredire Alby : mes traits sont terriblement juvéniles, presque fragiles. Ma peau est pâle comme si on m’avait privé de soleil depuis des mois, mes yeux marron foncé paraissent immenses dans leur écrin de fatigue, et mes cheveux… oui, d’un blond presque doré, retombent en mèches humides sur mon front. Mon visage est délicat, rond, trop doux pour ce monde lugubre : un petit nez en trompette, une bouche finement dessinée… Mais toute cette douceur est gâchée par les cernes violacées, par ma maigreur, par l’angoisse que je lis clairement dans ma propre expression. On dirait… un zombie affamé, un enfant perdu et brisé. Et quand je baisse un peu le miroir, je vois mon corps : mince, presque frêle, osseux par endroits. Rien à voir avec Alby. Lui, même épuisé, même cerné, reste massif. Plus grand, plus large, une carrure de déménageur. Ses traits sont anguleux, sa mâchoire prononcée, sa bouche épaisse… et sa tête rasée laisse deviner une repousse sombre. Même sans souvenir, je devine qu’il devait être brun. Nous n’avons absolument rien en commun.
- Hé hé, on dirait que tu apprécies ce que tu vois ! commente Alby, amusé de me voir me scruter aussi longtemps.
- Pas tellement non… je fais peur à voir… soufflé-je en lui rendant le miroir.
Revoir mon visage ne réveille aucun souvenir. Aucun. C’est comme observer un étranger à travers une vitre. Et cette absence me déchire un peu plus…
- Mais non ! Tu rigoles ? Moi je fais peur à voir ! Hé hé ! rigole Alby, cherchant visiblement à alléger l’atmosphère.
- Mais non… t’es plutôt beau gosse toi, je dirais, le complimente-je avec un léger sourire.
- Hahah ! Je sais, merci ! Mais je te retourne le compliment blondinet ! répond-il en tapotant mon épaule.
Je rougis légèrement, surpris que ses mots me réchauffent autant, et je prends une inspiration avant de lui demander :
- Hum… Dis-moi Alby, comment t’es-tu souvenu de ton nom ?
- Bah… c’est revenu comme ça… d’un seul coup… explique-t-il en posant une main sur son menton, l’air de réfléchir.
- Je vois… J’aimerais vraiment me souvenir… mais je n’y arrive pas… C’est frustrant et déstabilisant de ne pas savoir son propre nom… marmonné-je, le ventre noué.
- T’inquiète… tu t’en souviendras sûrement dans un ou deux jours. Sinon, au pire, je pourrais te donner un nom ?
- Un nom ? Et… genre quoi ? demandé-je en le fixant, un peu sceptique.
- Genre… Mickey ou Clovis ?
- Hihi, merci pour les noms de chiens, souris-je, mais je risque de pas te répondre si tu m’appelles comme ça. Appelle-moi “le blond” pour le moment.
- Ou sinon “princesse” ? se moque-t-il gentiment.
- Pourquoi princesse ? demandé-je, intrigué.
- Parce que je t’ai fait à manger et installé ton lit ! Haha ! Mais t’en fais pas, je te taquine ! sourit Alby.
- Merci à ce propos… dis-je pour lui exprimer ma gratitude.
- Mais de rien. Et tu sais… je suis vraiment content de ne plus être seul. Je me sens beaucoup moins angoissé avec toi, ajoute-t-il avec une douceur surprenante.
- Et moi, grâce à toi, je ne le suis pas autant que tout à l’heure… soufflé-je en le fixant.
- Je vais te soutenir autant que je peux… assure-t-il en venant saisir ma main pour la serrer dans la sienne.
- Merci… dis-je en serrant sa main à mon tour.
Sa chaleur me surprend. Il la garde une seconde de plus qu’il ne faudrait, comme s’il refusait de me lâcher. Puis il finit par relâcher doucement, un peu à contre-cœur. Nous terminons notre repas dans un calme presque apaisant. J’essaie de parler, mais mon esprit est un désert : aucun souvenir, aucun passé. Alors je me contente d’écouter Alby. Sa voix profonde et rassurante m’enveloppe, étouffe un peu mes angoisses. Je pourrais l’écouter pendant des heures… Mais la fatigue finit par nous écraser… Une fois la cabane plongée dans l’obscurité, je m’installe en boule sur mon matelas. Mon corps tremble malgré la chaleur du feu mourant. Les bruits du labyrinthe me vrillent les nerfs : ces chocs métalliques monstrueux… ces hurlements… ce souffle mécanique qui traverse les pierres… Rien de ce que j’entends n’appartient au monde normal. La panique remonte encore, encore, jusqu’à m’en donner la nausée. Je sens mes yeux me brûler, j’ai envie de pleurer, de hurler, de m’accrocher à quelqu’un. À lui… Je veux réveiller Alby. Me blottir contre lui. Me rassurer. Mais… on se connaît à peine, et je ne veux pas paraître pathétique… Seulement, à ma grande surprise, avant même que je trouve le courage d’ouvrir la bouche, j’entends des pas légers. Le matelas d’Alby grince. Et sa silhouette approche dans l’obscurité… Il soulève un coin de ma couverture, sans un mot, et se glisse contre moi. Ses bras puissants entourent ma taille, m’attirent doucement contre son torse chaud. Une chaleur humaine... Une présence… Un ancrage pour moi. Je reste figé, sidéré, le cœur affolé… mais rassuré… Vraiment rassuré. Alby murmure alors presque dans mon oreille :
- Je t’ai entendu trembler… Tu n’as pas à avoir peur. Je suis là.
Sa voix est grave, protectrice… mais quelque chose dans son ton, très léger, me donne l’impression qu’il a attendu ce moment. Qu’il en avait besoin autant que moi. Je souffle un petit :
- Merci…
Et je laisse enfin mon corps se détendre contre le sien. Je colle mon corps tremblant contre lui et, malgré la chaleur rassurante de ses bras autour de moi, mes yeux restent grands ouverts, guettant le moindre bruit dans l’obscurité. Chaque craquement, chaque souffle du vent à travers le labyrinthe me fait sursauter. Ce n’est que lorsque les premiers rayons du jour effleurent le sol, et que je sens qu’Alby dort enfin paisiblement, que les bruits cessent et que mes paupières se ferment, apaisées par les battements réguliers de son cœur contre ma joue.
…
Quand je rouvre les yeux, un ciel bleu éclatant illumine l’herbe humide du Bloc. L’air frais est doux, presque réconfortant, et le parfum d’un petit déjeuner chaud me chatouille les narines. Je me redresse, les muscles encore engourdis, et découvre Alby déjà levé, assis sur une petite pierre près du feu, affairé à préparer le repas. La lumière joue sur ses traits fatigués mais bien vivants, et pour un instant je l’envie de pouvoir bouger si facilement après une nuit dans ce monde cruel.
- Tu te réveilles, princesse ? lance-t-il en me souriant avec malice.
Le mot me fait frissonner, mais une évidence surgit dans mon esprit :
- Newt… soufflé-je, la voix basse, presque incrédule.
- Newt ? répète-t-il, surpris, me fixant avec curiosité.
- Je… je m’appelle Newt… marmonne-je, posant une main tremblante sur mes lèvres.
Oui… je m’appelle Newt… Comment ai-je pu oublier ça… ? Maintenant, c’est comme si je l’avais toujours su. Une évidence soudaine qui me traverse tout entier. Alby éclate d’un rire franc, presque soulagé :
- Oh bah tu vois ! Tu te souviens !
- Oui… Je ne sais pas comment… Mais au réveil, c’était clair. explique-je, m’asseyant à ses côtés.
- Superbe ! En tout cas, joli nom. Ça te va bien. Je lui rends un sourire timide :
- Merci.
- Tu te souviens d’autre chose ? demande-t-il, le regard attentif et bienveillant.
- Oui… mon âge, approuvé-je en le regardant droit dans les yeux.
- Ah oui ? Et quel âge as-tu ?
- Quinze ans.
- Seulement ? Ça ne m’étonne pas vraiment vu ta tête de bébé ! hé hé ! me taquine-t-il.
- Et toi, tu te souviens de ton âge ? lui demandé-je à mon tour.
- Oui ! Vingt ans ! hé hé ! Je suis l’aîné, donc c’est moi qui dirige ! s’amuse-t-il, levant sa cuillère comme une épée. Je souris, amusé malgré moi :
- De toute façon, ça serait toi de toute manière. Tu sembles bien plus doué pour la survie que moi.
- Hé hé ! Pas faux… mais t’inquiète pas, Newt, moi aussi j’étais complètement perdu au départ.
- Ah… ?
- Oui, je suis resté sept jours quasiment couché sous cet arbre là-bas, m’indique-t-il en pointant un gros chêne. Tu vas mettre quelques jours à te ressaisir, me prévient-il ensuite en posant doucement sa main sur mon épaule.
- Merci, Alby… et… merci pour hier soir… souffle-je, rouge de gêne. Dormir collé dans les bras d’un inconnu… c’est étrange, mais terriblement rassurant.
- De rien. Je sais ce que tu as ressenti, et je ne pouvais pas te laisser souffrir comme ça, me sourit-il tendrement.
- Alby… soufflé-je, émue. Je n’ose même pas imaginer ce que tu as vécu, seul ici les premières nuits. Plongé dans le noir complet… je crois que j’aurais sombré.
- Ne dis pas ça… Tiens ! reprend-il en me tendant une gamelle remplie. Régale-toi, tu as besoin de force !
- Merci beaucoup… dis-je avant de me jeter sur l’assiette.
Après ce petit-déjeuner, Alby me fait visiter notre prison. Le terrain est vaste : une forêt compacte, une large prairie humide et un étang d’eau douce qui nous permet de nous approvisionner et de garder une hygiène minimale. L’air est encore chargé de l’odeur de la pluie de la veille et de la terre mouillée. Ensuite, nous sortons le contenu des caisses pour inventorier les vivres. Riz, conserves, quelques sacs secs… Il faut être prudent. On ne sait pas combien de temps on va rester, ni si la cabine reviendra un jour.
- C’est quand même étrange qu’on nous laisse enfermé ici avec des vivres… souffle-je en observant les paquets.
- Ça, c’est sûr… approuve Alby.
- Tu sais… je ne peux pas m’empêcher de penser que je n’étais peut-être pas le dernier… Peut-être que tous les mois, la boîte remonte avec un autre gars… ?
- Tu penses… ? s’étonne-t-il.
- Je n’ai pas l’impression que les enfoirés qui nous ont enfermé ici veulent nous laisser mourir de faim… Quand on voit tout ça…
- Peut-être… on verra bien dans un mois alors… me répond Alby, préférant ne pas trop réfléchir.
Un silence s’installe, rempli du bruissement de l’herbe et des oiseaux timides. Je comprends qu’après un mois, il a dû se poser mille questions… exactement comme moi en ce moment. Mais même si mon hypothèse semble logique, il faut rester vigilant.
…
Le soir venu, après avoir dîné, la pluie battante s’abat sur le bloc et martèle le toit de la cabane. Chacun se couche dans son lit, bien protégé par les planches et les couvertures, mais au bout de moins de dix minutes, je sens mon matelas se gorger d’eau. Alby m’invite alors à le rejoindre dans le sien. La cabane est si petite qu’il est impossible de décaler mon lit pour éviter la fuite. Je rougis un peu, gêné, mais n’ayant pas le choix, je me glisse à ses côtés et m’allonge près de lui.
- Dans les jours à venir, il faudra qu’on consolide notre cabane, dit-il en me laissant de la place.
- Hum, en effet… Sinon je serais obligé de dormir avec toi à chaque fois qu’il pleut… souffle-je en enroulant la couverture autour de moi.
- Honnêtement, ça ne me dérange pas de t’avoir près de moi la nuit, sourit-il en se tournant sur le côté et en soutenant sa tête d’une main pour me regarder avec tendresse. C’est même plutôt rassurant…
- Oui, je suis d’accord, approuve-je en lui rendant son sourire. Mais on est quand même un peu à l’étroit.
- C’est vrai, fit-il en s’allongeant sur le dos. Mais t’en fais pas, on va réparer la fuite demain matin.
- Oui… en espérant qu’il ne pleuve plus…
- Et toi, comment tu te sens ce soir ? me demande-t-il ensuite, ses yeux bruns posés sur moi avec attention.
- Bah… pas très bien… je grimace en détournant le regard. Je n’arrête pas de me demander ce que j’ai fait de mal pour atterrir ici… Et… j’aimerais me souvenir… Peut-être que… quelqu’un m’attend… Comme ma famille, tu vois… marmonné-je, la voix tremblante.
C’est vrai… peut-être que ma famille me cherche… Mais moi, je ne me souviens même pas d’eux. Rien, hormis mon nom et mon âge… Un vide qui me serre le cœur. Même avec Alby à mes côtés, vivre ici reste un poids terrible… tout est angoissant, froid et dur à supporter.
- Hum… Newt… Je sais ce que tu ressens… murmure Alby en caressant délicatement ma joue. Mais ça va aller, je suis là… Je vais te soutenir, me rassure-t-il doucement.
- Pardon d’être si mal… souffle-je, les mains sur mon visage, les épaules secouées par un sanglot.
- T’inquiète pas pour moi, tu es arrivée hier, c’est normal que tu déprimes… Laisse-moi prendre soin de toi et gérer la situation, d’accord ?
- Oh… Alby… marmonné-je avant de me blottir contre lui, sanglotant doucement… Merci…
- De rien, Newt… dit-il en me serrant contre lui à son tour, ses bras autour de moi comme un abri solide.
…
Après cette rude soirée, petit à petit, j'arrive à me reprendre en main, soutenu par mon camarade. La vie ici reste difficile, mais j'ai envie de croire qu'on peut s'en sortir… Les journées s'écoulent, et avec Alby, nous passons la majorité de notre temps à améliorer la cabane ainsi que notre campement, qui commence enfin à ressembler à quelque chose de convenable. Mais même si nous sommes mieux installés qu'au départ, cela ne nous empêche pas de vouloir sortir de cette foutue prison. Alors, un jour, nous décidons de partir tous les deux explorer ce qu'on appelle : le Labyrinthe. À peine avons-nous traversé le premier couloir que je me sens déjà oppressé, pris de panique… Mon cœur tambourine dans ma poitrine, je sue à grosses gouttes, et mes jambes se raidirent comme si elles refusaient d’avancer davantage dans cet enfer… Contrairement à moi, Alby semble beaucoup plus à l’aise. Il marche devant moi avec une assurance calme, ne laissant paraître aucune panique. Et c’est en entendant ma respiration saccadée qu’Alby se retourne, saisit ma main avec douceur et me dit d’une voix rassurante :
- Ne t'en fais pas, Newt, je suis avec toi.
- C’est… oppressant ici… marmonné-je en m’agrippant à sa main.
- Oui, approuve-t-il d’une voix grave avant de repartir, me tirant avec lui. Moi aussi, je me sentais mal la première fois. Il ne faut pas rester immobile, marchons plus vite.
- Hum… acquiescé-je, serrant sa main sans trop parler.
Nous continuons ainsi, déambulant dans ces longs couloirs tout aussi sinistres les uns que les autres… Jusqu’à tomber sur un mur presque entièrement recouvert de lierre. Alby décide de grimper pour voir ce qu’il y a au-dessus. Je le regarde avec inquiétude, le cœur serré, car plusieurs fois il manque de tomber. Heureusement, il est un grimpeur expérimenté et atteint le sommet. Mais une fois là-haut, son visage se fige, crispé par la peur… et quand il revient il reste un court instant silencieux encore le souffle coupé…
- Qu’as-tu vu là-haut… ? demande-je, inquiet.
- Bah… je crois que ce Labyrinthe à plusieurs niveaux…
- Plusieurs niveaux… ? C’est-à-dire… ? souffle-je, surpris.
- Là, on est comme si on était au premier niveau, et après, il y en a d’autres avec des murs encore plus hauts, m’explique-t-il en grimaçant.
- Sérieusement… ?
- Ouais… Ce n’est pas en grimpant ici qu’on trouvera une sortie, en tout cas…
- Super… On est vraiment comme des satanées souris prises au piège… marmonné-je, énervé.
- P’tain, c’est clair… jure Alby, frustré.
Mais soudain, un énorme claquement résonne dans le couloir à droite. Nous sursautons, paralysés par la peur. Nos yeux se tournent instinctivement vers le long passage sinistre du Labyrinthe… Au loin, un mur entier glisse, ouvrant une nouvelle voie. Mais avant même que je puisse respirer, des bruits métalliques retentissent, me figeant un peu plus. Et c’est là… que je vois, pour la première fois, le monstre qui rôde dans le Labyrinthe… Mon sang se glace. Cette créature immonde a un corps de larve gigantesque, avec des bras métalliques implantés en elle, qui lui servent à se déplacer. Jamais de ma vie, du moins de ce dont je me souviens, je n’ai ressenti une peur aussi intense. Je me sens tétanisé, paralysé par l’horreur… C’est seulement quand Alby me saisit le bras et hurle de courir que je retrouve mes esprits !
Sans perdre une seconde, nous nous élançons à travers les couloirs, la créature nous poursuivant dans un vacarme infernal de hurlements et de métal. L’adrénaline me propulse en avant, mes jambes brûlent mais nous finissons par atteindre le dernier couloir menant au Bloc. Je cours à en perdre haleine, le cœur battant, terrifié par la présence derrière nous… Alors que nous approchons de la sortie, les portes commencent à se refermer. Alby et moi pressons le pas, nos derniers efforts nous permettant de passer de justesse, nous écrasant sur l’herbe du Bloc. Les portes se ferment derrière nous dans un fracas métallique, et de l’autre côté, la créature pousse un hurlement effroyable, incapable de franchir la barrière. Nous restons allongés quelques minutes sur le sol, les yeux rivés sur la porte, tremblant encore de peur. Quand aucun bruit ne vient plus de l’autre côté, Alby se redresse lentement et me tend sa main pour m’aider à me lever.
- Qu… Qu’est‑ce que c’était que ça…? soufflé‑je, la voix brisée par la peur, incapable de bouger.
Je reste allongé au sol, les muscles tétanisés, le cœur battant si fort que j’ai l’impression qu’il cogne contre la terre.
- J’en sais rien… Je l’avais jamais vu avant… dit Alby en s’agenouillant juste en face de moi.
Dans la pénombre du Bloc, sa silhouette tremble légèrement, même s’il essaie de faire semblant d’être solide.
- Mais Alby… marmonné‑je, incapable de contrôler les tremblements qui me secouent, comment… comment va‑t‑on faire s’il y a de tels monstres dans le labyrinthe pour sortir…?
- Je sais pas… souffle le brun en posant sa main sur la mienne. Sa paume est chaude, ancrée dans la mienne qui, elle, est glacée.
- Putain… pleuré‑je en cachant mon visage entre mes doigts, avant de m’effondrer littéralement dans ses bras. Il me prend contre lui, me serre doucement, comme s’il avait peur que je me brise encore plus.
- Newt… murmure‑t‑il en caressant mes cheveux, gestes lents, presque hésitants.
Je ferme les yeux. Tout tourne dans ma tête. Quelle solution avons‑nous…? Que peut‑on faire face à une telle créature…? Rien. Rien du tout. Nous sommes condamnés à pourrir ici, ou à crever dans ce foutu labyrinthe, dévorés par un monstre métallique… C’est un cauchemar. Un vrai cauchemar…
Quand on rentre dans notre cabane, aucun de nous ne parle. Nos pas sont lourds, nos silhouettes tremblent encore. Je me sens épuisé, vidé, comme si la peur m’avait aspiré la moindre énergie. Je me laisse tomber sur mon lit et me recroqueville en boule, les genoux contre la poitrine, les bras autour de ma tête. Les larmes coulent sans fin, silencieuses, brûlantes. Je ne sais même plus où est Alby. Je suis trop perdu dans mon propre désespoir. Trop fatigué pour réfléchir… trop brisé pour espérer. La seule idée qui traverse mon esprit, c’est que j’aimerais juste… que ça s’arrête.
Plus tard, alors que je suis encore couché de la même manière, vidé de larmes, Alby réapparaît. Sa voix tranche avec la noirceur qui m’enveloppe.
- Voilà, je me suis lavé. Ça fait du bien, mais je caille maintenant ! Et je suis super fatigué après toutes ces émotions.
Je ne réponds pas. Je n’en ai pas la force. Je ne comprends même pas comment il peut être d’aussi bonne humeur après ce qu’on vient de voir. Comment peut‑il ne pas être écrasé par l’horreur…? Comment peut‑il encore tenir droit, respirer normalement… vivre ? Pourquoi nous…? Pourquoi moi…?
- Newt… souffle Alby en s’approchant de mon matelas. Je sens son poids faire légèrement vibrer les planches. Sa main se pose sur mon épaule, chaude, ferme. Ça va aller… Il faut pas que tu déprimes comme ça…
- Ah ouais…? Et pourquoi j’pourrais pas…?! répliqué‑je en me redressant brusquement, les yeux brouillés par les larmes. T’as vu cette chose…?! On ne sortira jamais… On… on est condamnés à pourrir ici ou à crever là‑bas, bouffés par ce monstre…! sangloté‑je en enfouissant mon visage dans mes mains.
- Newt, arrête de dire ça. T’en sais rien…
- Laisse‑moi…! craqué‑je en essayant de le repousser. Mes gestes sont faibles, désordonnés.
- Arrête, calme‑toi…
- NON !! Laisse‑moi Alby…! Dégage !
- Newt, ça suffit…!
Il me plaque contre le lit, ses mains se refermant sur mes épaules. Il me maintient facilement, sa force me surprend toujours. Moi, je tremble, désarmé, comme un enfant face à quelque chose de trop lourd pour lui. Je le regarde, les yeux noyés de larmes, complètement désespéré. Ma voix se brise :
- Je veux pas mourir Alby…
- Rah… Newt…
Sa voix baisse d’un ton, devient douce, presque tendre. Il me tire contre lui et m’enlace, me berçant légèrement. Mes doigts s’accrochent à son t-shirt comme si j’allais tomber dans un gouffre si je le lâchais. Puis il se recule, juste assez pour prendre ma main dans la sienne.
- Écoute-moi bien, Newt. Je te promets que toi et moi, on va s’en sortir…! Je te promets que je prendrai soin de toi et que jamais je te laisserai tomber, c’est clair…?
- Alby… Ne promets pas des choses que t’es pas sûr de réussir à faire… murmuré‑je en détournant le regard, honteux d’espérer encore.
- Tu me connais pas encore assez, Newt, mais sache un truc : j’abandonne jamais, dit‑il avec cette détermination dure dans les yeux. Il pose sa main sur ma joue et me force à le regarder. Je sais que là, tu vois tout en noir… Moi aussi j’ai eu peur. Moi aussi j’ai déjà eu envie d’en finir. Plusieurs fois… Mais toi, t’es pas seul. Je suis là. Alors pleure si t’as besoin, crie si ça t’aide, frappe-moi même si tu veux te défouler… Mais s’il te plaît… Il serre ma main. Promets-moi de ne pas abandonner. Parce qu’on sortira d’ici…!
Je suis touché. Vraiment touché. Ses mots trouvent une minuscule fissure dans mon cœur saturé de noirceur.
- Alby… soufflé‑je, ému, en posant ma main sur la sienne.
- Ne baisse pas les bras, d’accord…?
- Je… je vais essayer… promis‑je en me jetant dans ses bras, m’accrochant à son cou comme à une bouée.
Il me serre fort contre lui, et l’espace d’un instant, j’arrive à respirer.
- Newt… reprend-il doucement en se reculant un peu. Il tend son petit doigt vers moi. Ami pour la vie…?
Sa voix tremble un peu. Presque imperceptiblement.
- Oui, pour la vie… murmuré‑je en glissant mon petit doigt contre le sien.
Notre pacte se scelle dans un silence lourd, mais moins étouffant qu’avant. Même si l’espoir reste faible… il existe encore. Grâce à lui…
…
Après ce très difficile épisode, on décide de ne pas retourner dans le labyrinthe et d’attendre le nouveau mois pour voir si un autre gars amnésique vient nous rejoindre… En attendant, on se contente de vivre simplement dans le Bloc, améliorant encore notre confort autant qu’on le peut et apprenant à se connaître davantage, même si, après avoir vu la mort de près, Alby et moi sommes déjà extrêmement proches. Puis, quand les quatre semaines touchent à leur fin, la veille, on se couche en se posant des questions sur le potentiel nouvel arrivant :
- Et si on ne s’entendait pas avec lui ? souffle Alby, pensif.
- Il n’y a pas de raison… Le pauvre sera comme nous au début. Perdu et chamboulé…
- Ouais, mais il pourrait ne pas suivre nos idées… s’inquiète Alby, qui se redresse dans son lit pour me regarder. Newt, on devrait se promettre de toujours se soutenir et de jamais se mentir, d’accord ?
- Oui, tu as raison, souris-je en me redressant un peu aussi pour le regarder.
- On a commencé ensemble, alors on terminera ensemble, ajoute-t-il en me tendant sa main.
- Oui, approuve-je en glissant la mienne dans la sienne.
Sur ces belles paroles, on se recouche en se tenant toujours la main, échangeant un sourire complice. Un instant, je laisse mon esprit vagabonder sur notre lien fragile mais précieux. Puis je lâche délicatement sa main et murmure :
- Bonne nuit, Alby.
- Bonne nuit… Newt…
…
Le lendemain matin, le même son strident retentit dans le Bloc, signalant l’arrivée de la boîte métallique. Comme prévu, elle remonte avec des vivres… et un petit nouveau. Nos regards se croisent, conscients que désormais, il va falloir apprendre à vivre à trois. Une nouvelle dynamique commence, pleine de promesses… mais aussi de défis.
…
A suivre !
Bonjour,
Fanfiction en cours de réécriture.
La suite est encore la, mais sous l'ancienne version. Merci de votre compréhension.
Bye !