Le commencement

Chapitre 12 : La zone noir

12880 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 28/06/2020 16:06

Chapitre 12 : La zone noir.


Depuis ma nuit au Gnouf, une semaine s'est écoulée. Une semaine où je deviens officiellement coureur, où mes jambes apprennent à obéir à un rythme qui n’appartient qu’au Labyrinthe. Tous les jours, je parcours les couloirs avec Minho, son ombre fluide ouvrant la voie, sa respiration régulière me servant de repère. Je n’ai plus peur, ou du moins la peur ne m’arrache plus la gorge comme avant. J’avance, je tiens, je m’accroche. Je suis encore loin de son niveau, mais j’arrive enfin à suivre son tempo sans m’effondrer.

Et chaque jour, je prends des notes. Je découvre la complexité de ce qu’il faisait seul depuis des années. Courir, mémoriser, analyser, cartographier… tout en restant vivant. Minho est un génie, oui, mais surtout un roc. Une volonté brute qui refuse de s’effriter. Le voir à l’œuvre me donne envie de me dépasser, de devenir quelqu’un capable d’être à ses côtés sans le ralentir.

Entre nous, quelque chose s’adoucit. Il me parle plus, je lui réponds sans crainte de dire une bêtise, et je sens qu’il me fait confiance. Une vraie confiance, celle qui naît dans la sueur, la poussière, et les kilomètres partagés. Minho, Newt, Chuck… trois points d’ancrage dans ce monde qui tangue. Trois personnes qui comptent, qui me gardent debout.

Aujourd’hui, on a exploré la zone neuf. Rien de spécial, juste les pierres habituelles, les couloirs qui respirent, les murs qui bougent comme s’ils avaient leur propre pulse. Mais demain… Demain, Minho veut m’emmener en zone dix. La plus éloignée. La plus hostile. Sept heures de course. Sept heures où le moindre faux pas transforme un coureur en souvenir.

Je dois dormir ce soir, vraiment dormir, si je veux tenir. Et je veux tenir. Parce que je refuse d’être une déception. Parce que je veux prouver à Minho, à moi-même, que j’en suis capable. J’ai cette boule dans le ventre, mélange d’adrénaline, de trac et d’excitation. Un truc qui me répète que tout peut changer demain. 


Le soir, quand on revient au Bloc, on dépose nos notes dans la salle des cartes. L’endroit est silencieux, tendu, comme si les murs eux-mêmes retenaient leur souffle. Depuis quelques jours, l’atmosphère se charge d’électricité noire. Alby nomme des Matons partout, remplaçant petit à petit ceux qui n’entrent plus dans son contrôle parfait. Fry, Winston, Zart… tous reclassés, relégués, comme si leur loyauté n’avait plus de valeur. Seul Minho reste intouchable, pour l’instant. Aucun Blocard n’a assez de courage, ou assez d’inconscience, pour prétendre prendre sa place. Peut-être qu’Alby le sait, et que ça lui reste coincé dans la gorge.

Quant à moi… il me surveille. Je sens ses yeux sur moi à chaque fois que je traverse la Place. Il me tient responsable de tout ce qui change, comme si j’avais entraîné un vent mauvais en arrivant. Il me cherche des noises, m’enfonce des pics dans le dos dès qu’il le peut. Résultat : on me regarde avec méfiance, on chuchote dès que je passe. Ma réputation est en miettes, sauf auprès de ceux qui comptent réellement.

Mais au fond… qu’est-ce que ça change ? Je n’ai aucune intention de pourrir ici. Je veux sortir. Je veux briser ce cercle de pierre. Je l’ai promis à Newt, et rien n’a plus de poids pour moi que cette promesse-là. Et plus les jours passent, plus je sens l’urgence brûler dans ma poitrine : sortir d’ici, et ne jamais laisser Newt, Minho, Chuck, mes amis, affronter ce monde sans moi.

Seulement voilà… un événement inattendu me fauche en plein élan, comme un coup de poing dans le ventre. Noa, le cartographe, entre dans la salle des cartes le visage crispé.

  • Alby… Alby a envoyé Chuck au Gnouf.

Je reste figé. Une seconde. Deux… Puis mon cœur s’écrase dans ma poitrine. Chuck…? Le gamin le plus doux du Bloc, celui qui sourit même quand le ciel lui tombe dessus, celui qui tente toujours de m’aider, même quand il tremble. Chuck, quatorze ans, sensible, fragile, mais courageux à sa manière… Non. Ça n’a aucun sens. Il ne mérite pas ça. Pas lui. Pas l’enfant que tout le monde devrait protéger. Et soudain, tout s’éclaire… horriblement. Bien sûr. Alby s’en prend à Chuck… pour m’atteindre. Pour me faire mal là où ça compte. Pour me rappeler que c’est lui qui contrôle tout.

Une colère brûlante me dévore instantanément. Mes oreilles bourdonnent. Je sens mes mains se fermer, mes muscles se tendre comme si quelque chose en moi était en train de se déchirer. Je ne réfléchis même plus. Je sors de la salle des cartes à grandes enjambées, la rage martelant mes tempes. Minho me suit de près, sa voix tendue dans mon dos :

  • Thomas, fais pas le con. Calme-toi.

Mais je ne peux plus. Je suis en flammes. Quand je vois Alby sur la Place, debout comme un roi sur un trône pourri, quelque chose explose en moi.

  • POURQUOI T’AS FOUTU CHUCK AU GNOUF ?! hurle-je, la voix déchirée, incontrôlable.

Il se retourne lentement, ce masque supérieur vissé sur son visage, ce demi-sourire qui me donne envie de le frapper.

  • En quoi ça te regarde…?

Je bouillonne. La vision se brouille.

  • Vraiment t’es qu’un sale fumier…! grogne-je avant de me précipiter sur lui.

Mais Minho me chope violemment par le bras, me cloue sur place.

  • Thomas, arrête !

Alby, lui, savoure chaque seconde.

  • Sache que Chuck ne fait pas son travail. Ce n’est pas un plaisir pour moi d’enfermer des Blocards au Gnouf, dit-il avec un sourire narquois qui respire le mensonge.
  • Tss… pauvre menteur…! Rien ne te fait plus plaisir que ça ! Et viens pas me dire que Chuck fait mal son travail ! Tu fais ça juste pour me faire chier !

La colère gronde dans ma gorge, prête à éclater de nouveau. Alby hausse les épaules, faussement innocent.

  • Ce n’est pas moi qui le dit, mais son Maton est venu se plaindre.
  • Quoi ?! je souffle, sidéré.
  • Sérieux… Léon ? marmonne Minho, aussi choqué que moi.

Léon… On pensait qu’il était des nôtres. Que, malgré tout, on pouvait compter sur lui. Mais non. Bien sûr que non… Il s'est rangé du côté d’Alby…! Ce dernier reprend, satisfait, presque joyeux :

  • Oui. Il en a marre que Chuck bavarde toute la journée. Une petite nuit au Gnouf, ça va lui remettre les idées en place. 

Je ne trouve plus mes mots. Mon corps tremble. Littéralement. Je n’ai jamais ressenti ça : une colère si vive qu’elle me brûle de l’intérieur, qu’elle me fait mal. Comment peut-il faire ça à Chuck ? Comment peut-on frapper un enfant juste pour régler ses comptes ? Chuck n’a rien demandé… il essaie juste d’être gentil… et c’est précisément ça qu’Alby veut briser. Et je le sais. Il ne punit pas Chuck. Il me punit, moi. Par procuration. Minho se rapproche, sa main ferme sur mon épaule.

  • Viens, Thomas. Ça ne sert à rien de parler avec ce type.

Je reste quelques secondes de plus, à fixer Alby comme si je pouvais le réduire en cendres par la force de ma haine. Puis je lâche, un dernier souffle brûlant

  • Tss… vraiment, Alby… tu finiras par le regretter…!

Minho m’entraîne, et je le laisse faire, mais la colère, elle, reste collée à ma peau comme du venin. Et alors que je m’éloigne, la mâchoire serrée, j’entends derrière moi Alby ricaner avec ses larbins, un son froid et détestable qui me donne encore plus envie de faire demi-tour et de lui exploser la tête.

On s’éloigne du centre du Bloc d’un pas rapide, presque violent, la colère encore brûlante dans ma poitrine. Minho marche à mes côtés, mais même lui n’ose plus dire un mot. L’air autour de nous semble saturé, comme si le Bloc entier retenait son souffle. En chemin, on croise Newt et Winston. Newt a le visage fermé, les yeux sombres, presque brillants, un mélange de peine et de fatigue. Winston, habituellement jovial dans son coin, garde les épaules voûtées et la bouche pincée.

  • Tu as appris la nouvelle, Tommy…? me demande Newt d’une petite voix, si faible que j’ai du mal à croire que ça sort de lui.

Je hoche la tête, la mâchoire serrée à m’en faire mal.

  • Ouais… grogne-je. Mes poings tremblent encore.

Minho souffle, tendu comme un arc :

  • Visiblement, on ne peut pas faire confiance à Léon.
  • Non… Il nous a trahis, ajoute Winston d’une voix grave, inhabituellement dure.

Je sens un grondement monter dans ma gorge.

  • Il va regretter ce choix… dis-je, les mots plus brûlants que je ne le voudrais.

Je ne leur laisse même pas le temps de répondre. Je presse le pas, presque en courant vers le Gnouf. Chaque seconde passée loin de Chuck m’est insupportable. Quand j’arrive enfin devant la fosse, mon cœur s’arrête. Là, au fond, recroquevillé, les épaules secouées… Chuck… Il pleure. Il sanglote comme un enfant qu’il est encore, malgré les airs qu’il prend parfois. Son visage est trempé, ses yeux rouges, ses mains tremblantes agrippées à ses genoux. Un coup brutal dans ma poitrine… Je me jette contre la barrière.

  • Chucky !! Je suis là ! dis-je en glissant ma main à travers la grille.

Aussitôt, il relève la tête et se précipite vers moi, comme s’il venait de voir la lumière après des heures d’angoisse. Ses doigts agrippent les miens avec une force désespérée.

  • Thomas…! souffle-t-il, la voix brisée.

Je sens son tremblement à travers la grille.

  • Ça va…? Ils t’ont pas fait de mal ? demandai-je, inquiet, cherchant son regard dans la semi-obscurité.

Il secoue la tête, mais ses larmes redoublent.

  • Non, mais… j’veux pas rester là Thomas…! sanglote-t-il. J’ai peur du noir… je veux pas être tout seul…

Mon cœur se serre tellement fort que j’ai l’impression qu’il va éclater. Je serre sa main à m’en blanchir les jointures.

  • T’inquiète Chucky… je reste avec toi cette nuit. Je ne bouge pas. Je suis là.

Un souffle agacé derrière moi.

  • Désolé mec mais hors de question que tu restes là, dit Minho d’une voix ferme.

Je me retourne brusquement.

  • Je ne vais certainement pas laisser Chuck seul ici ! Il panique déjà !

Minho me fixe droit dans les yeux. Son regard n’a rien de dur, il est inquiet.

  • Thomas, se penche-t-il, posant une main sur mon épaule, demain, on va jusqu’à la zone dix. C’est sept heures de course. Si tu ne dors pas correctement, je t’y emmène pas. Je refuse.
  • Minho, t'es sérieux ?! Tu veux quoi que je l’abandonne ? Hausse-je le ton.
  • Non mais tu te rends pas compte, c'est dangereux la zone dix ! se justifie le coureur. Bien que je vois dans ses yeux que ça lui coûte aussi de laisser Chuck ici. 

Mais je ne peux m'y résoudre, et je détourne la tête vers Chuck, décidé… Je veux rester avec lui, je veux le protéger, je veux être celui qui l’empêche de sombrer. Je veux… mais je n’ai pas le temps de protester davantage que  Newt intervient. Doucement. Comme une couverture qu’on poserait sur des braises. Il arrive, les bras chargés d’une couverture épaisse, d’une gourde, et d’une vieille lampe. Ses gestes sont lents, précis, presque tendres.

  • T’inquiète Tommy… Moi je reste avec lui, dit-il.

Je le regarde, surpris, la colère encore vibrante dans ma poitrine.

  • Newt… mais t’es sûr ? Tu risques d’attraper froid… m’inquiète-je désormais pour lui. 

Il m’adresse un petit sourire, fragile mais sincère.

  • J’ai apporté ce qu’il faut, saisit-il une couverture. 
  • Je veux pas t’obliger… dis-je en m’approchant de lui, incapable d’empêcher mon inquiétude de déborder.
  • Moi non plus… ajoute Chuck en reniflant, un peu honteux.

Newt secoue la tête, sa voix douce mais déterminée.

  • Personne ne m’oblige. C’est ce que font les amis. Ils se soutiennent quand tout va mal. Puis il pose sa main sur mon bras, légère mais brûlante : Maintenant… va te reposer, Tommy. T’en as besoin. Et demain, tu devras être au top. 

Je baisse les yeux vers sa main. Je la frôle du bout des doigts, incapable de masquer ce que je ressens : inquiétude, gratitude, affection, douleur…

  • Tu es sûr, Newt…? murmure-je en le fixant comme on fixe une étoile dans la nuit.  Il hoche la tête.
  • Oui. Et ne t’inquiète pas… Ce n'est pas la première nuit que je passe dehors.

Je souffle longuement. Je n’aime pas ça. Pas du tout. Tout en moi hurle de rester ici, de me coller à la grille, de veiller Chuck jusqu’au matin, de surveiller Newt au moindre frisson… Je suis incapable de les laisser dans un endroit pareil sans avoir l’impression de les abandonner. Newt n’a rien à faire là, dehors, assis sur des pierres froides alors que sa jambe le lance encore parfois. Chuck n’a rien à faire dans un trou noir, terrifié, les doigts crispés contre une grille. C’est à moi d’être là. À MOI. 

Mais… Je sens le regard de Minho dans mon dos. Un regard lourd, pas autoritaire, juste inquiet. Responsable. Et je sais qu’il a raison. Je déteste ça, mais il a raison. Demain, c’est la zone dix. La zone la plus lointaine. La plus dure. La plus dangereuse. Celle qu’il m’a préparé à découvrir depuis une semaine entière. Celle qui pourrait, peut-être, nous donner un nouvel indice, un nouvel espoir… une issue. Et si je suis crevé, si je perds le rythme, si je ne suis pas à 100 %… je ne serai qu’un poids. Je décevrai Minho… Je gâcherai la journée… Peut-être même… je ferai rater une chance d’avancer. Je dois lui faire confiance. Je dois accepter ma situation… même si tout mon corps proteste, même si mon cœur se serre au point de me faire mal

  • Bon… ok…

Je me tourne vers Chuck. Son petit visage froissé me donne presque envie de rester, de tout envoyer valser. Je lui prends la main, fort, comme si je pouvais lui transmettre un peu de mon courage à travers ma paume.

  • Sois fort. On se voit demain, dis-je en essayant d’être rassurant.

Chuck renifle, essaie de s’essuyer le nez d’un revers de manche maladroit qui me serre encore plus la poitrine.

  • Merci Thomas… repose-toi et surtout bon courage pour demain… 

Je hoche la tête, un sourire un peu tendre, un peu triste.

  • T’en fais pas pour moi, essaye de dormir un peu. Newt est avec toi. 
  • Hum… Hoche-t-il la tête les yeux larmoyant. 

Puis je lève les yeux vers Newt. Il me sourit. Un petit sourire doux, presque timide, qui me frappe au milieu de la poitrine. Je ne réfléchis même pas : je m’approche, je tends la main et je la pose doucement contre sa joue. Sa peau est tiède, fine, et sous mes doigts je sens une tension que lui-même tente d’ignorer.

  • Tu es un ange… murmure-je sans aucune retenue. Merci.. 

Je le caresse du bout du pouce. Je le dévore des yeux, incapable de masquer ce que je ressens. C’est tellement dur de le laisser là. Newt est devenu si précieux à mes yeux. Peut-être même… presque plus que Chuck ? Non. Pas plus. Mais… différemment. D’une manière qui me trouble, qui me réchauffe et me fait peur en même temps. Newt rougit, baisse légèrement les yeux avant de les relever vers moi.

  • Repose-toi. Demain, on compte sur vous, dit-il, puis il lance un regard à Minho, un petit signe de confiance, d’espoir… ou peut-être d’inquiétude.

Je sens mes doigts glisser lentement de sa joue, comme à regret. Alors je me lève. Mes muscles se tendent, protestent, comme si mon corps refusait de s’éloigner d’eux. Mais je n’ai pas le choix. Je me force à reculer, à respirer, à accepter. Je laisse mes amis ici, dans ce froid, dans cette obscurité qui semble avaler leurs silhouettes. Et chaque pas que je fais me donne l’impression de m’arracher quelque chose…

Je m’éloigne à contrecœur de mes amis, suivant Minho jusqu’au dortoir. Chaque pas me paraît lourd, comme si je traînais une pierre invisible derrière moi. La colère me ronge de l’intérieur. Savoir qu’à cause de moi Newt et Chuck vont passer la nuit dehors, dans le froid, ça me fout littéralement en rogne.

  • Laisser Newt et Chuck là-bas… ça me rend dingue, souffle-je à mon ami, les poings serrés à m’en faire mal.

Minho hoche la tête, les traits tirés, son regard sombre fixé droit devant lui.

  • Moi pareil… Mais j’ai besoin que tu sois en forme pour demain, Thomas, ajoute-t-il en se plantant devant moi, ses épaules larges occupant tout l’espace. Je hoche la tête.
  • Je sais…

Il me tapote l’épaule, ferme et rassurant, un geste simple mais qui me transmet malgré tout un peu de force.

  • Je compte vraiment sur toi, moi aussi.

Je lui rends son geste d’un tapotement, en lui adressant un petit sourire qui cache à peine ma frustration.

  • T’inquiète, Minho, je vais gérer demain.

Il souffle un long air et se détend légèrement.

  • Bon… allons dormir.
  • Ouais, bonne nuit, Minho, dis-je en me dirigeant vers mon lit.
  • Thomas, prends la chambre de Newt, tu seras mieux, m’indique Minho. 

Je me fige, mal à l’aise, le cœur battant plus vite.

  • Quoi ? Je… je ne vais quand même pas prendre sa chambre…

Minho lève les yeux au ciel, un petit sourire exaspéré aux lèvres :

  • Mais si, abruti… Profite de pouvoir dormir dans un lit confortable. Il va passer la nuit dehors, j’té signale.

Je regarde la chambre vide, le lit encore chaud de Newt… mon corps se raidit, hésitant.

  • Mais… t’es sûr que ça ne va pas le gêner ?

Minho me lance un regard chargé de confiance et d’autorité tranquille :

  • T’es son pote, alors t’inquiète.

Je soupire, les épaules tombant sous le poids de la fatigue et de la tension. Mon corps tremble encore un peu de colère et d’inquiétude, et je sens la froideur du sol du dortoir sous mes pieds nus. Les draps de Newt semblent m’appeler, promesse d’un sommeil que je n’arriverai probablement pas à trouver facilement. 

Du coup… je m’introduis dans la chambre de Newt avec un mélange de gêne et d’excitation. Je retire mes vêtements, ne laissant que mon boxer, et je m’installe dans son lit. Je me couvre à peine du drap et pose ma tête sur son oreiller, fermant les yeux.

Mais… L’odeur de Newt flotte dans les draps… chaude, familière, enivrante. Je tourne la tête, enfouissant mon visage dans l’oreiller, respirant profondément. Je me sens vite très… troublé. Chaque souffle me fait imaginer ses bras autour de moi, son corps mince collé au mien... Mon cœur s’emballe et mon corps refuse de rester calme. Je le sens se tendre. Et je me laisse glisser dans ce rêve interdit. Mes mains tremblent légèrement. Je les sens chercher une chaleur… imaginaire, mais pourtant si réelle dans mon esprit. Je me laisse aller, caressant doucement mon corps, imaginant ses lèvres sur ma peau, la douceur de sa taille fine contre moi, la chaleur qui me consume. Je serre le drap contre moi, comme pour garder cette vision encore un instant, encore plus proche…

Un frisson me parcourt quand je me laisse emporter. La chaleur monte dans mon corps, mes muscles se tendent, mon souffle devient irrégulier. Je m’autorise ce moment secret, cette proximité que je ne peux toucher qu’avec mon imagination. Mes mains, glissent dans le creux de mon corps, trouvant mon sexe tendu, pulsant de désir. Cette chaleur que je n’ai pas réellement, mais qui me fait perdre pied…  J’halète silencieusement, caressant mon sexe en rythme. Comme s'il glissait dans une intimité plus chaude. Je me laisse tomber dans cette rêverie, tout entier pris par le désir de lui, par le souvenir de sa peau, par la chaleur de son odeur qui m’enivre… Et ça, jusqu'à atteindre la délivrance ultime. Bienfaitrice… 

  • Putain… souffle-je, la main sur mon front, le cœur encore battant, les joues brûlantes.

Je ne peux plus nier ce que je ressens. Newt est partout dans mes pensées. Sa douceur, sa fragilité, son rire… et cette chaleur que je fait remonter en moi, juste pour imaginer ce que ce serait d’être avec lui… Je brûle de le toucher, de le sentir, de franchir la distance qui nous sépare… Mais pour l’instant, il ne me reste que ce rêve, cette odeur sur mes draps, et le frisson secret que je m’accorde… haletant, vivant, et brûlant pour lui… 



Le lendemain.


Après une nuit passée dans un vrai lit confortable, je me lève en pleine forme, et… étrangement, beaucoup plus léger. Mon petit plaisir secret d’hier soir a laissé derrière lui un mélange de satisfaction et de culpabilité qui me fait sourire malgré moi. En rejoignant Minho, déjà prêt à partir pour le labyrinthe, je tombe nez à nez avec Newt, qui, comme toujours, est venue nous saluer. Et là… je rougis instantanément, comme un gamin pris sur le fait. Mon cœur s’emballe, mes mains deviennent légèrement moites. La simple idée qu’il ignore tout ce que j’ai imaginé la nuit dernière me soulage et me fait rire nerveusement. Je me sens à la fois coupable et irrésistiblement attiré. J’ai… joui en pensant à lui. Dans son lit, sous ses draps. Et pourtant, il est là, si calme, si innocent, si… lui. Je détourne un peu le regard, essayant de retrouver contenance, mais mon esprit refuse de lâcher l’image de la nuit passée, de la chaleur que j’ai sentie et de la proximité dont j’ai rêvée. Heureusement pour moi, Newt ignore tout. Et ce secret… ce petit feu que je garde pour moi, brûle doucement dans ma poitrine, prêt à m’ensorceler encore et encore.

Debout face à moi sur le bord du chemin, son mignon petit sourire accroché aux lèvres comme une promesse silencieuse. Sa chevelure blond clair, légèrement décoiffée par la nuit, tombe en mèches légères sur son front, et ses yeux, d’un marron tendre, brillent d’une chaleur douce. Je sens immédiatement mon ventre se nouer, une sensation à la fois familière et douloureuse. Mais, rapidement, j’oublie ma gêne et je m’approche de lui d’un pas hésitant, prêt à le submerger de questions… Après tout, à cause de moi, il a passé la nuit dehors…

  • Ça va ? La nuit n’était pas trop longue ? Tu n’as pas eu froid ? demande-je en posant mes mains sur ses bras fins et tièdes.

Il esquisse un petit sourire, tire sur ma joue avec cette habitude qui me fait fondre, et dit : 

  • Non, ça va. Arrête de t’en faire pour moi, Tommy ! 

Mon cœur se serre un peu. Et je plonge mon regard dans le sien, lui souriant tendrement en retour. Puis je m’inquiète à nouveau : 

  • Et Chuck ?! Je prends sa main dans la mienne, la chaleur de sa peau me brûlant légèrement, et le tire doucement vers moi.  
  • Il va bien aussi. Ne t’en fais pas, me rassure-t-il aussitôt. 
  • Ouf… Je suis rassuré. Merci d’avoir prit soin de lui… Et désolé de t’avoir fait dormir dehors…  souffle-je en grimaçant, les joues rouges. 
  • T’excuse pas, ce n’est pas ta faute. Sa voix, douce et rassurante, me fait vibrer de l’intérieur. 
  • Bon, t’es prêt, Thomas ? intervient Minho, rompant notre petit cocon.
  • Heu, oui oui, je suis prêt, répondis-je, la voix légèrement rauque.
  • Faites attention à vous, les gars. Nous dit le blondinet d’une voix inquiète. Ses lèvres légèrement pincées. 
  • T’inquiète, on sera vite de retour. Le rassure Minho.

Et puis, ce moment qui me serre le cœur : Newt s’approche de l’asiatique et passe ses bras autour de sa nuque pour le câliner. Les bras musclés de Minho s’enroulent autour de la fine taille de Newt, et je vois leurs corps se coller l’un à l’autre… La jalousie me ronge, me brûle de l’intérieur, un mélange amer de désir et de frustration. Je me rappelle la nuit dernière, mes fantasmes interdits, et une chaleur intense me monte à la poitrine, au ventre, tout mon corps s’électrise. Et quand je le vois dans les bras de Minho, je me dis que tout ce que j’ai pu imaginer, n’est clairement pas accessible… 

Newt chuchote quelque chose à Minho, un murmure doux, presque intime, avant de se détacher de lui. Et mon cœur rate un battement lorsqu’il se tourne vers moi, ses bras m’accueillant dans une étreinte. Je sens son souffle chaud contre ma peau, la douceur de ses cheveux effleurant mon visage, et mon cœur bat en rythme avec le sien. Cette fois, je n’hésite pas : je passe mes bras autour de son corps frêle, le serrant fort contre moi, comme si je pouvais retenir ce moment pour toujours.

  • T’as intérêt à revenir… souffle-t-il à voix basse, et la chaleur dans ma poitrine devient presque insoutenable.
  • T’en fais pas… Je t’ai fait une promesse, et rien que pour ça, je reviendrai…  murmure-je, ma tête enfouie contre son cou, respirant son parfum subtil et réconfortant, un mélange de bois et de douceur.

Je le garde encore une seconde, chaque fibre de mon corps vibrante de désir et de protection, puis je me détache à contre-cœur et me retourne vers Minho, prêt à le suivre jusqu’à la zone dix. Mais au fond de moi, je sens encore la chaleur de Newt contre moi, comme une étincelle qui refuse de s’éteindre.


On part donc en courant sans perdre une seconde après ces aurevoirs. Minho impose un rythme effréné dès le départ, chaque foulée résonnant dans les couloirs étroits et froids du Labyrinthe. Mes poumons brûlent rapidement, mon cœur s’emballe, mais je refuse de lâcher prise. Je mords sur ma langue, serre les dents, et je pousse mes jambes à leur limite pour ne pas perdre une fraction de seconde sur le coureur expérimenté. L’air est humide, chargé d’une odeur de pierre et de poussière. Le sol irrégulier me fait glisser par moments, mais je me redresse aussitôt, sentant l’adrénaline irriguer chaque muscle. Mes mains et mes bras bougent instinctivement pour maintenir mon équilibre, tandis que mes pensées sont concentrées uniquement sur Minho, sur ce rythme infernal, et sur notre objectif.

Il doit être pas loin de midi quand nous arrivons enfin dans la zone dix. La chaleur de ma respiration se mélange à l’odeur de sueur, et mes jambes commencent à protester, mais je ne ralentis pas. Ensemble, nous commençons notre repérage méthodique : chaque couloir, chaque recoin, chaque détail est noté dans ma tête, imprimé par mes yeux et mes doigts effleurant les murs froids.

Mais soudain, un bruit strident résonne dans le couloir. Mon corps se fige, les poils de mes bras se dressent. Je me tourne vers Minho, intrigué et inquiet :

  • C’était quoi ?!

Il scrute les murs comme s’ils allaient lui répondre :

  • Aucune idée…

Avant que je puisse réagir, le couloir derrière nous se referme avec fracas, comme une mâchoire de pierre. Le souffle de l’air qui se comprime me frappe le visage. Si on reste, on va se faire écraser !

  • Cours !! hurle Minho, déjà en sprint.

Je n’hésite pas, je lui emboîte le pas, mes muscles sont tendus comme des cordes, mes doigts effleurant le mur pour garder l’équilibre. Chaque battement de mon cœur martèle mes tempes, chaque respiration saccadée me brûle les poumons, mais je continue, porté par l’instinct et la peur dans les yeux de Minho.

Nous passons de justesse, haletants, mais nous nous retrouvons coincés au milieu de la zone dix. L’inquiétude de Minho éclate soudain :

  • Putain ! Ce n’est pas normal ça !

Je pose une main sur son épaule pour tenter de l’ancrer :

  • Calme-toi, Minho… ce n’est peut-être pas si grave.

Il me regarde, les yeux flamboyants de panique :

  • Me calmer ?! On est bloqués, crétin !

Je serre la mâchoire et lui attrape le bras pour le lancer dans un autre couloir :

  • Panique pas. On va trouver un autre passage ! Dépêchons-nous !

Il souffle, contrarié, mais il me suit. Nous repartons à courir dans les couloirs de la zone dix, nos jambes et nos poumons brûlant, chaque virage semblant plus long que le précédent. Deux heures passent dans cette course haletante, nous avons réussi à sortir de la zone dix et nous fonçons vers la sortie. Chaque seconde renforçant l’urgence et l’angoisse. Les murs sombres semblent se refermer sur nous, le silence pesant entre nos respirations rapides et nos pas qui claquent sur la pierre. Enfin, après un effort qui semble infini, nous atteignons la zone trois. Mais il ne nous reste que peu de temps pour rentrer au Bloc. Je pousse mon corps à bout, mes jambes sont lourdes, mes muscles tétanisent, mes poumons hurlent à chaque inspiration. Mon cœur bat si fort que j’ai l’impression qu’il va éclater dans ma poitrine, mais je continue, parce que Minho compte sur moi et je refuse de flancher… Je sens cette force nouvelle qui monte en moi. La peur est là, mais mon courage la surpasse. Je ne lâcherai rien…! 

Seulement, à mi-chemin de la zone trois, alors qu’on sprinte encore, les poumons en feu, Minho s’effondre d’un coup, comme si toutes ses forces venaient de se décrocher de lui. Je pile net, le cœur bondissant dans ma poitrine.

  • Minho !? Minho ! Hé !

Je me jette à genoux contre lui. Son souffle est haché, irrégulier, presque absent. Son regard… vide, noirci par la panique. On dirait qu’il ne voit plus le couloir, ni moi. Juste… la fin.

  • Minho, réponds-moi… qu’est-ce que t’as ?

Je pose ma main sur son épaule, le secoue légèrement. Sa peau est brûlante. Ses doigts tremblent.

  • C’est trop tard… souffle-t-il, comme une sentence déjà écrite.
  • Mais non, bouge-toi !

D’un geste brusque, il bondit. Sa main s’agrippe à ma chemise, me plaque violemment contre le mur. Mon dos cogne la pierre, mais ce n’est rien comparé à l’expression sur son visage : un mélange brutal de terreur, de rage et de désespoir pur.

  • Il est dix-neuf heures ! hurle-t-il, les yeux écarquillés. Les portes sont fermées ! Putain !! On va crever ici !!!

Le son résonne dans le couloir comme un coup de tonnerre. Je sens son souffle trembler contre ma gorge.

Je sens surtout sa peur. Une vraie. Celle qui t’écrase le cœur et t’étrangle…

  • Non… non, écoute-moi…
  • SI, PUTAIN ! s’emporte-t-il en me secouant de rage. TU PIGES PAS ! PERSONNE N’A SURVÉCU UNE NUIT DANS LE LABYRINTHE !!!

Sa voix se brise dans un éclat de panique pure. Puis la force quitte soudain ses bras. Il lâche ma chemise. Ses doigts glissent. Et il s’effondre de nouveau, à genoux, la tête basse comme si le labyrinthe venait de lui arracher tout espoir.

  • On est foutu… murmure-t-il, à peine audible.

Je m’accroupis immédiatement et je l’attrape par le bras, refusant qu’il s’abandonne.

  • Hé ! Regarde-moi. Mes doigts serrent sa manche, presque trop fort. On va s’en sortir, ok ? On est deux, bordel ! Et toi, tu connais ce foutu labyrinthe comme ta poche. Alors non, on abandonne pas. Pas maintenant. Pas comme ça.

Il relève à peine les yeux. Ils brillent, vides, battus.

  • Thomas… souffle-t-il, la voix tremblante, minuscule.
  • Pense à Newt. À Chuck. À tous ceux qui comptent sur nous. Ils nous attendent. Ils croient en nous, Minho.

Je cale mes mains sur ses épaules, fermes, pour qu’il sente que je suis là. Que je tiendrai s’il ne peut pas. Il ferme les yeux un instant, un souffle long, douloureux, puis rouvre les paupières.

  • T’as raison… murmure-t-il, la main venant agripper mon bras comme une bouée à laquelle il s’accroche pour ne pas sombrer.
  • Alors viens. Je l’aide à se relever. Suis-moi. On continue. Ensemble.

On avance en silence, pas après pas, comme deux ombres qui tentent de se fondre dans la nuit. L’air devient lourd, presque visqueux, et chaque respiration semble trop bruyante, trop vivante. La nuit tombe sur le labyrinthe comme un couvercle, étouffant tout. Je sens mon cœur cogner contre ma cage thoracique à un rythme affolé. Je n’ai jamais vu de Griffeur…  Et rien que d’imaginer ce qui se cache là-dedans… dans ces couloirs qui sentent la pierre froide et le métal humide… Mes mains deviennent moites, mes doigts tremblent, mon ventre se noue jusqu’à me couper la respiration.

  • Restons dans la zone deux, murmure Minho, la voix rauque.
  • Pourquoi ?
  • Si on doit fuir, commence-t-il, son regard rivé sur l’obscurité mouvante, et qu’on est dans la zone un, les murs pourraient se refermer sur nous. On serait morts avant même de courir.
  • Ok… d’accord…

Je le regarde. Minho… le Coureur le plus rapide, le plus confiant du Bloc… transpire à grosses gouttes. Sa respiration n’a plus rien de discret. On dirait qu’il suffoque sous la peur. Et ça… ça me glace. Parce que si lui a peur… alors moi… je suis foutu.

On continue malgré tout. Chaque pas résonne dans mon crâne comme un tambour trop fort. Et dans tout ce noir, je pense à eux… À Chuck qui doit fixer la porte fermée en se rongeant les ongles. À Newt… Peut-être qu’il ne dort pas, qu’il marche en rond, qu’il s’agite en imaginant Minho et moi perdus dans ces couloirs qui changent, qui avalent les vivants. Je serre les dents. Je dois rentrer. Je dois les revoir.

Puis soudain :


GRRRRRR—KHHH—CCCCCHHHHH—


Un mur s’ouvre dans notre dos. Un grincement atroce, métallique, qui déchire le silence comme un cri… On bondit par réflexe, se plaquant derrière un renfoncement du mur. Minho me tire par le bras. Je sens qu’il tremble. Et moi, je n’arrive même plus à avaler ma salive… Puis… le bruit arrive. Un cliquetis. Quelque chose qui frotte, qui traîne, qui racle le sol. Et surtout… cette odeur. Un mélange d’acide, de charogne et de métal brûlé… Elle s’infiltre dans mes narines, me donne envie de vomir. Je me risque à passer légèrement la tête au bord du mur, le souffle bloqué… Et là… Je le vois. Un Griffeur.

Mon cœur s’arrête… Littéralement. Une seconde de silence absolu dans ma poitrine. C’est… Un cauchemar vivant. Une masse monstrueuse, un mélange de chair gonflée et de métal froid. Un ver gigantesque, soutenu par des pattes mécaniques qui claquent comme des couteaux sur la pierre. Sa peau dégouline d’une bave sombre, épaisse. Chaque mouvement produit un cliquetis sinistre, presque chirurgical. Et ce cri… Ce hurlement distordu, inhumain, qui fait vibrer mes os. Je ne respire plus. Je ne pense plus. Je ne suis plus qu’un bloc de terreur pure.

Le monde se resserre autour de moi. Les murs semblent bouger, la lumière disparaît, et tout ce que je vois, tout ce que j’entends, tout ce que je sens… c’est lui… Et je comprends. Je comprends pourquoi personne ne revient. Je comprends que cette créature n’a rien d’humain, rien de naturel, rien de logique. Qu’elle est faite pour tuer. Pour traquer…! Mes jambes tremblent tellement fort que j’ai peur qu’elles me lâchent sur place.

  • Thomas… souffle Minho à peine audible derrière moi, une panique sèche dans la voix.

Je n’arrive pas à répondre. Je suis tétanisé. Apeuré jusqu’à l’os. Comme si j’étais déjà pris dans son piège… Comme si le jour ne se lèverait plus jamais.

Heureusement, Minho me sort de ma transe en refermant brusquement sa main sur mon bras. Son regard accroche le mien : on doit courir. Maintenant.

Il me fait signe, un geste rapide, tendu, et détale aussitôt. Mon corps agit avant ma tête. Je me jette à sa suite, l’adrénaline brûlant mes veines comme du feu liquide. Mon cœur bat si vite que j’en ai mal. La panique me laboure la poitrine, mais je refuse de perdre Minho de vue, c’est la seule ancre, la seule chose qui me maintient vivant dans ce cauchemar.

Il va vite, même épuisé. Ses pas sont légers, précis, instinctifs. Moi… j’ai l’impression de m’effondrer à chaque foulée, mais je fonce. Je fonce comme si l’enfer était lancé à ma poursuite, parce que c’est exactement ce qui se passe…! Un hurlement métallique déchire l’air. Et soudain : BOUM. Le Griffeur s’écrase entre Minho et moi, projetant des éclats de pierre dans tous les sens. J’étouffe un cri. Minho échappe de justesse au dard qui manque de lui transpercer la gorge, et en un éclair, il est déjà reparti. Il bondit, roule au sol, et file droit devant lui sans se retourner. Je me retrouve seul. Face à ça…!

La créature me fixe, ses pattes métalliques se dépliant avec un claquement glaçant. Elle hurle, un son guttural, déformé, qui me lacère les tympans. Et elle fonce…!

Je n’attends pas, mon corps se jette en avant. Je cours. Je cours comme jamais. J’ai l’impression que mes poumons vont éclater, que mes jambes vont se briser, mais je continue. Des éclats de pierre volent près de mes oreilles à chaque fois que son dard frappe le sol derrière moi. Je vais mourir… L’idée me traverse de part en part. Mais une autre pensée surgit, plus forte, plus féroce : Non…! Pas maintenant…! Pas comme ça…!

Je m’élance dans un couloir sans réfléchir… et je m’arrête net. Un ravin béant s’ouvre devant moi. Pas de pont. Pas de passerelle. Juste… le vide…!

  • Putain… !

Je n’ai pas le temps d’hésiter : je saute. Mes doigts hurlent de douleur quand j’agrippe une touffe de lierre sur le mur en face. Mes pieds cherchent un appui, n’en trouvent aucun. Je grimpe, tirant à la force de mes bras, mes muscles brûlent comme si on les déchirait. Le Griffeur jaillit au-dessus du vide. Il atterrit au-dessus de moi, sur le mur, projetant des morceaux de pierre sur mon visage. Son dard s’abat, je me plaque contre la paroi juste à temps. Le dard frappe la roche, si près que je sens l’air se couper à côté de mon oreille…!

Il tente de descendre, mais les lianes bloquent partiellement ses pattes métalliques. Ça me donne un maigre avantage…! Je grimpe. Un centimètre. Puis un autre…! Mon souffle se déchire, ma vision tremble, mais je grimpe. Je me promets que je sortirai vivant de ce putain de labyrinthe…! 

Je bascule enfin au-dessus du rebord, m’effondre dans la poussière, mais je n’ai pas le temps de respirer : j’entends déjà les pattes du monstre qui raclent la paroi…! Alors je cours…! Je saute de plateforme en plateforme, mes pieds glissant presque sur la pierre humide. Le monde défile dans un flou de gris et de noir. Le monstrueux cliquetis du Griffeur se rapproche derrière moi, encore et encore, implacable. J’atteins la dernière plateforme , et le chemin s’arrête.

  • Non… non non non !!

Il n’y a plus rien. Juste… encore le vide. Je n’ai pas le choix et je saute. Mes doigts attrapent un autre mur, des lierres qui s’arrachent presque sous mon poids. Je me cogne la poitrine si fort que j’en perds le souffle, mais je tiens…! Le Griffeur bondit lui aussi. Il plante sa patte dans la paroi juste à côté de ma tête, la pierre explosant contre mon visage…! Mais un instant, la créature immonde se retrouve bloquée, la patte trop enfoncé dans la paroi. Un instant de plus que j’utilise comme si ma vie en dépendait, parce que c’est le cas. Je lâche donc prise et je me laisse tomber volontairement, glissant sous lui comme un caillou sous un rocher, les mains griffant la paroi pour contrôler ma chute…!

Je roule au sol dans un choc brutal qui me coupe la respiration, et je reste une seconde immobile, le cœur explosant dans ma poitrine. Je n’ose même pas regarder derrière moi…!

Grâce à l’adrénaline, je fais totalement abstraction de la douleur. Mon corps n’est plus qu’un élan brut, un réflexe animal. Je bondis du sol, le souffle arraché, et je recommence à courir… courir comme si la mort elle‑même me respirait dans la nuque. Je n’ai aucune idée d’où je vais. Tout est noir, étouffant, déformé par la panique. Les couloirs se ressemblent, se tordent, se referment comme s’ils voulaient m’avaler vivant. Je suis perdu. Terriblement, affreusement perdu… Mes pas résonnent entre les murs, trop forts, trop bruyants, et derrière moi j’entends le cliquetis métallique du Griffeur qui se rapproche, rapide, affamé. Une odeur de rouille et de sang flotte encore dans l’air. Je ne peux pas continuer comme ça toute la nuit… Je vais m’effondrer, je vais faire une erreur… Il me faut une solution. Réfléchis, Thomas… Réfléchis…!!

Je tourne dans un couloir, mes jambes prêtes à céder, et… BAM…! Je percute quelqu’un de plein fouet. Je manque de tomber à la renverse, mais deux mains m’agrippent, fermes, urgentes.

  • Le Griffeur n’est pas loin !?! demande Minho, la panique éclatant dans sa voix.
  • Oui, derrière moi ! Dis-je le souffle urgent. Il pâlit, se ressaisit aussitôt.
  • Suis-moi ! On va le semer !

Je n’ai pas le temps de discuter. Je me colle à lui et je cours. Minho connaît le Labyrinthe par cœur, même dans cette obscurité suffocante. Il zigzague, change de direction, frôle les murs comme un fantôme. Mais la créature finit par nous retrouver. Son hurlement déchire l’air derrière nous, un cri si horrible qu’il me glace la colonne vertébrale. Le sol vibre sous ses pattes. Le métal frotte contre la pierre, frappant, tranchant. On traverse un long couloir, nos pas résonnant comme des coups de feu. Je sens la présence du monstre… proche… terriblement proche… Arrivés à une intersection, Minho hésite une fraction de seconde, une fraction de trop, avant de pointer du doigt la droite :

  • Par là !!! hurle-t‑il avant de repartir.

Je le suis du mieux que je peux. Et c’est là que je vois le mur… Il commence lentement à glisser, à se refermer dans un grondement lourd. Une barrière. Une chance. Une minuscule fenêtre de survie…!

Mais… une idée frappe mon esprit. Une idée totalement folle…! Mais si je ne fais rien… on va mourir. Tous les deux… Je ralentis. Je me retourne. Le Griffeur hurle en surgissant dans le couloir.

  • THOMAS !! BOUGE ! me crie Minho de l’autre côté.

Mais c’est trop tard pour reculer. Je reste planté là, au bout du couloir, à attendre la créature. Mes mains tremblent, mes jambes n’ont plus de force, mais je tiens. J’attends…! Encore un peu…! Encore… un peu…! Le monstre n’est plus qu’à quelques mètres. Je sens son souffle chaud et infect me caresser la nuque.

Deux mètres… Un mètre et demi… Maintenant…!

Je me remets à courir, tout ce qu’il me reste, tout ce qu’il me reste de vie. Mes poumons brûlent, mes muscles hurlent, le mur avance, trop vite, beaucoup trop vite… Les battements de mon cœur font trembler ma vision. Le Griffeur touche presque mes talons. Le mur n’a plus qu’un mince passage. Je pousse un cri d’effort, ou de peur, je ne sais plus. Je saute, je me jette en avant.. et je passe…! Je roule au sol, le souffle arraché, incapable de croire… que je suis vivant…

La créature reste coincée entre les deux murs qui se referment sur elle avec un bruit assourdissant. Son hurlement métallique s’étouffe peu à peu, écrasé par la pression des parois, jusqu’à disparaître complètement. Minho et moi restons un instant immobiles, le souffle court, les jambes tremblantes, tétanisés par ce spectacle hallucinant. La sueur colle nos vêtements à notre peau, nos cœurs battent à tout rompre. J’ai l’impression que mes oreilles vont exploser sous l’intensité du silence qui succède au fracas. Puis, doucement, Minho pose sa main sur mon épaule. Sa voix est basse, presque incrédule :

  • T’es un grand malade, toi…
  • Désolé… murmure-je, encore tremblant, la gorge nouée.

Il me regarde, les yeux écarquillés.

  • Tu l’as tuée…
  • Ouais… souffle-je, incapable de décrocher mon regard des débris écrasés.
  • Truc de dingue…

Un frisson me parcourt le dos, mais c’est loin d’être fini. Soudain, un grondement énorme fait vibrer le sol sous nos pieds. La terre semble se plier, se tordre, et je me retrouve projeté au sol avec Minho. Un tremblement secoue tout mon corps. Puis une alarme stridente déchire le silence. Elle résonne à travers le Labyrinthe, aiguë, assourdissante, implacable. Mon crâne vibre sous cette vibration métallique, mes oreilles bourdonnent, mon cœur s’emballe. Je lève les yeux. Les murs de la zone trois s’enfoncent dans le sol, glissant comme des volets géants, laissant derrière eux un immense carré de béton et de métal. La zone, telle que nous la connaissons, n’existe plus.

Tout a changé. Tout est inconnu… L’air est chargé de poussière et de tension, et je sens le souffle court de Minho à côté de moi. Je ne sais pas si c’est la peur, l’adrénaline, ou l’émerveillement… mais je comprends que rien dans ce Labyrinthe ne sera jamais sûr. Je serre les poings. Je sens mes muscles se tendre, prêt à courir, à réagir, à survivre. Parce que s’il y a une chose que j’ai apprise ce soir, c’est que dans ce monde… le courage et la rapidité sont la seule chose qui te sépare de la mort.

On se redresse, estomaqués par ce spectacle, mais ce n’est pas tout… Une porte s’ouvre dans le sol, révélant des escaliers qui plongent dans les ténèbres. Je fronce les sourcils. Une sortie, peut-être ? On s’approche à pas rapides, le cœur battant, et je jette un coup d’œil vers le bas. L’obscurité y est presque palpable. On ne distingue rien. Rien. Juste un vide noir qui semble nous aspirer. Et cette odeur… elle me fait froncer le nez, âcre et nauséabonde, comme si quelque chose de mort et de pourri stagnait ici depuis des siècles.

  • Une sortie ? murmure Minho, la voix tremblante malgré lui.
  • Peut-être… faut voir, je réponds, ma gorge sèche.

Je prends les devants et descends les escaliers. Chaque marche résonne comme un coup de marteau dans ma poitrine. La pénombre m’enveloppe totalement. Je tends une main vers le mur pour ne pas me perdre, pour garder un semblant de repère. À mi-chemin, je frissonne. Un froid glacial me traverse, mord ma peau nue, me coupe presque le souffle. L’odeur devient pire, presque insoutenable, un mélange de renfermé, de moisissure et de quelque chose de plus… sinistre. C’est comme descendre dans une morgue oubliée, un tombeau que le Labyrinthe aurait avalé.

  • Attends… souffle soudain Minho, sa main ferme sur mon épaule. Je me fige.
  • Quoi ? demande-je, crispé.

Il sort quelque chose de sa poche et le brandit : une lampe torche.

  • Ça va aider…

Il l’allume. La lumière est faible, tremblante, mais elle perce à peine l’obscurité. Le faisceau danse sur les murs, révélant par intermittence des marches humides et des reliefs inquiétants.

  • C’est déjà mieux que rien… murmure-je, un peu rassuré malgré la peur qui me serre encore la poitrine.

Le silence est lourd. Chaque pas résonne, chaque souffle semble amplifier l’angoisse. Et je sens que cette zone noire n’est pas seulement sombre. Elle semble vivante, hostile, et prête à nous engloutir si on faiblit…

On poursuit notre descente, les marches grinçant sous nos semelles, et on débouche finalement dans un long couloir étroit, semblable à ceux du Labyrinthe, oui, mais en mille fois pire. Ici, tout paraît plus oppressant : l’air est plus lourd, saturé d’humidité au point de coller à la peau. L’odeur est plus forte, presque suffocante ; et surtout, l’obscurité est totale, vivante, presque agressive, comme si elle cherchait à nous avaler. La lampe de Minho tremblant faiblement, et au bout du couloir, on tombe sur une intersection : gauche ou droite. Mais ce n’est pas ça qui nous arrête. C’est cette chose… Accrochée au mur, une petite tablette portable, écran éclairé d’un carré noir… avec un point jaune et un point rouge qui y flottent, immobiles.

  • Qu’est‑ce que c’est que ce truc…? souffle-je, intrigué malgré ma peur.
  • Aucune idée… répond Minho, méfiant.

Je m’approche, le souffle court.

  • On dirait un écran d’ordinateur…
  • Attends… touche pas, c’est peut-être dangereux, me met-il en garde.
  • On va le savoir tout de suite…

Je pose mon doigt sur le point jaune. Rien… Je tente le rouge. Puis un peu partout. Aucun réaction… Alors, sans réfléchir, je la décroche du mur.

  • Oh ! Doucement Thomas, repose ça…!
  • C’est bizarre… À quoi ça peut servir ? Si c’est là, c’est que ça a une utilité… souffle-je, obsédé par cet objet sorti de nulle part.
  • Ouais mais c’est peut-être dangereux de la toucher… grogne Minho, qui ne me quitte pas des yeux.

Je observe la tablette avec attention… quand soudain, le point rouge bouge. Je sursaute… Pour en être sûr, je pose mon doigt dessus. Et le point se déplace sous mon doigt.

  • Ça bouge…! dis-je en la montrant à Minho, le cœur qui s’emballe.
  • C’est quoi ce truc…? souffle-t-il, inquiet.

Une possibilité me traverse l’esprit.

  • Et si… c’était une carte ?
  • Une carte ?
  • Oui. Quelque chose pour indiquer où se trouve la sortie.
  • Alors le point jaune c’est la sortie ?
  • Peut-être…
  • Et nous, on est le rouge ?

Je secoue la tête, l’estomac noué.

  • Non. On bouge pas… Le point rouge, c’est sûrement un griffeur.
  • Tu penses…?!
  • Rouge, c’est menaçant comme couleur… et ça bouge seul.

Minho avale difficilement sa salive. Transpirant à grosse gouttes. 

  • Mais comment savoir où on est, nous ? La carte est entièrement noire…
  • Attends. Tiens.

Je lui tends la tablette et recule dans le couloir. Il panique…

  • Qu’est‑ce que tu fous ?!
  • Observe la tablette et dis-moi ce que tu vois !

Je m’éloigne un peu plus de lui, laissant un bon mètre entre nous. 

  • Le point jaune s’est scindé en deux ! s’exclame Minho.

Je reviens vers lui en courant, fuyant l’obscurité oppressant. 

  • Voilà ! En fait, le point jaune c’est nous ! Cette tablette nous aide à éviter le griffeur ! C’est une sorte de carte de position !
  • Ouais mais… on sait pas où il est vu que tout est noir… Souligne Minho. 
  • Ouais mais ça permet de savoir si on se rapproche du griffeur. C’est mieux que rien.

Un silence lourd, étouffant. Le couloir semble respirer autour de nous…

  • Qu’est‑ce qu’on fait ? On explore ? demande Minho.

Je secoue la tête, glacé jusqu’aux os.

  • Pas ce soir. On reviendra. 

Je remets la tablette à sa place, mes doigts tremblants malgré moi.

  • T’as raison… souffle Minho. J’ai plus assez de force, et puis il nous faut des lampes torches dignes de ce nom.
  • Exactement.

On remonte, vite, presque en courant, pour fuir cet endroit qui sent la mort. Quand on retrouve enfin la zone trois, même son silence nous paraît rassurant. Maintenant… il ne nous reste qu’à attendre l’ouverture des portes, demain matin. Et prier pour qu’aucun autre griffeur ne s’invite dans la nuit…




Pov Newt 


Juste avant la fermeture des portes


Dix-huit heures cinquante… Toujours aucun signe de Minho et Thomas. Je reste planté devant les portes du Labyrinthe, le dos raide, les mains crispées contre mes jambes. Autour de moi, les autres Blocards, nos amis seulement, murmurent, s’inquiètent, se déplacent nerveusement. L’air est lourd, chargé d’odeurs de poussière et de fer, et je sens mon estomac se tordre, serré dans un nœud de peur. Chaque seconde qui passe semble durer une éternité. 

  • Quel chemin avaient-ils pris ? Demande Winston.
  • La zone dix… répond Ben, la voix basse, presque étranglée.
  • Aller Thomas… Magnez-vous ! souffle Chuck, les dents serrées, la peur tordant ses petits doigts. 

Je regarde le long couloir qui s’étire devant nous, vide et silencieux, comme un gouffre. Impossible d’entendre leurs pas, impossible de deviner leur position. Mon cœur bat si fort que j’ai l’impression qu’il va exploser dans ma poitrine.

  • Impossible qu’ils arrivent avant la fermeture des portes… dit Fry d’une voix qu’il essaie de garder ferme, mais je sens le tremblement sous ses mots.

…Et il a raison. La réalité me frappe comme un coup de poing : en si peu de temps, ils n’auront jamais le temps de regagner le bloc… Et pourtant, jusqu’au dernier instant, je m’accroche à cette mince lueur d’espoir, incapable de l’abandonner. Mais… Dix-neuf heures sonne. Le métal des portes grince et commence à se refermer. Mon cœur se serre violemment. Une chaleur brûlante monte à mes yeux et des larmes me piquent la peau. Impossible de pleurer vraiment, je suis figé, paralysé par le choc, par cette horreur qui devient réalité sous mes yeux. Thomas et Minho… bloqués dehors. Peut-être condamnés…

Je sens la main de Fry se poser doucement sur mon épaule en un geste de soutien. Puis il s’éloigne, suivant les autres Blocards qui se dissipent peu à peu, dépit et désespoir gravés sur leurs visages. Je reste seul avec Chuck, qui serre sa petite poitrine, les yeux humides, fixant la porte.

  • Thomas… souffle-t-il, la voix tremblante. Il pose sa main sur la porte et se tourne vers moi. Peut-être qu’ils seront là demain…?

Je secoue la tête, incapable de répondre autrement. Une larme glisse sur ma joue, brûlante et chaude.

  • Non, Chucky… murmure-je, la voix étranglée. Personne ne revient. Pas même eux…

Le souffle, les pleurs, du garçonnet me fait mal au cœur. Je ferme les yeux un instant, imaginant leurs visages, les sourires, les rires, leurs corps en train de courir… Ils sont perdus désormais… 

Un sanglot étouffé me prend. Je pose ma main sur ma bouche pour ne pas éclater en pleurs. Je tourne le dos à Chuck, mon corps lourd, mes épaules voûtées, et je rejoins le dortoir. Chaque pas résonne dans ma tête comme un glas. Mon esprit est embrumé, mon cœur en miettes. Je suis complètement abattu, vidé… Je me glisse dans mon lit et je m’effondre aussitôt, la respiration coupée, le souffle haché par les sanglots. Le matelas me semble froid, immense, étranger… J’ai perdu Minho… Minho, l’homme que j’aime. Pas juste un coureur… Pas juste mon ami. Minho était… tout. La seule lumière qui tenait encore sous mon sternum, la seule chaleur qui réussissait à fissurer la glace de mes nuits. Je l’aimais d’un amour si vaste que parfois j’en avais peur. Un amour qui ne disait pas son nom, qui se cachait dans nos respirations partagées au retour du Labyrinthe, dans nos épaules qui se frôlaient trop longtemps, dans sa main qui s’attardait toujours un peu trop sur mon bras quand il me disait ça va aller… Minho était la seule personne qui voyait à travers moi, vraiment à travers, et qui ne reculait jamais. Il savait quand ma jambe me faisait souffrir avant même que je serre les dents. Il sentait quand je tremblais, quand je doutais, quand la nuit devenait trop longue pour moi. Avec lui… je ne me sentais plus cassé. Avec lui, je respirais autrement… Plus profondément. Comme si mon corps reconnaissait enfin un endroit où il pouvait s’abandonner sans honte. Et maintenant… il n’est plus là… Cette pensée me traverse, me déchire, me lacère comme une lame chaude. Je n’arrive même pas à la comprendre. Je n’arrive pas à l’accepter. Comment continuer dans un monde où tout ce qui me faisait tenir vient de disparaître ? Comment tenir debout sans ses rires, sans sa voix, sans sa présence solide à mes côtés ? Minho n’était pas seulement l’homme que j’aimais. Il était… la preuve que j’étais encore vivant… Le perdre, c’est perdre tout ce que j’avais encore de beau, de vrai, de doux. C’est comme si quelqu’un avait arraché le cœur de ma poitrine et laissé un vide noir, froid, immense. Un vide où j’entends encore son prénom résonner, et où il ne répondra plus jamais.

Et Thomas… Thomas avec ses yeux brûlants, encore un peu naïf, encore un peu pur… Thomas qui m’apportait de l’air, de l’espoir, sans même s’en rendre compte. Mon nouveau soutien. Mon désir secret… C’est impensable. Impensable qu’ils ne reviendront plus. Impensable qu’on referme les portes sur eux comme sur un tombeau. Je m’étouffe en y repensant. Je ne pourrai jamais m’en remettre. Jamais…

  • Newt… ?

Sa voix traverse la pièce comme un fil tendu qui menace de céder. Je relève la tête, les yeux flous, le cœur ravagé.

  • Alby…?

Il se tient dans l’embrasure de la porte, mi-ombre, mi-lueur. Je lis quelque chose dans son regard… quelque chose qui me serre le ventre, mais pas de la bonne façon.

  • Pardon de te déranger maintenant… Mais je voulais juste te dire que je suis désolé…

Je ricane, un son brisé, un souffle de colère noyé sous les larmes.

  • Tss… Ça t’arrange bien…!
  • Ne dis pas ça… murmure-t-il en entrant dans ma chambre.
  • Laisse-moi… dis-je d’une voix rouillée, en me tournant, en enfouissant mon visage dans l’oreiller. Je veux disparaître. M’éteindre…
  • Newt…

Le matelas s’affaisse derrière moi. Je sens son poids, sa chaleur étouffante. Une main se pose sur ma taille. Je me fige… Puis son visage glisse dans mes cheveux, lentement, trop lentement, comme s’il respirait ma tristesse… Sa bouche se pose dans mon cou, un long baiser humide, déplacé. Je me crispe de dégoût. Mon cœur, déjà brisé, se contracte encore, comme si quelqu’un écrasait un reste de verre pilé sous sa botte.

  • Je suis là pour toi maintenant…

Ces mots… Ils cognent dans ma tête comme un verdict… Comme s’il profitait de mon effondrement pour me reprendre. Comme si j’étais un objet qu’on récupère quand les autres disparaissent. Sa main glisse sur ma hanche, remonte un peu. Une caresse lente, possessive, presque sale… Je retiens un haut-le-cœur. J’ai envie de hurler. Mais plus rien ne sort… Il colle son torse contre mon dos, un instant suffocant, puis finalement se relève. Son absence de réaction à ma rigidité me donne envie de vomir.

  • Repose-toi. Si tu as besoin, je suis là.

Il quitte enfin ma chambre. Je reste immobile, tremblant, le regard perdu dans la pénombre. Peut-être qu’il voulait juste me consoler… Mais chaque geste, chaque mot sonnait comme une menace, comme une main qui se referme sur ma gorge. Et maintenant… maintenant que j’ai perdu Minho… Maintenant que Thomas a disparu avec lui… Maintenant que je suis seul dans ce Bloc où Alby croit encore avoir un droit sur moi… Il n’y a plus rien. Plus de demain. Plus d’avenir. Plus de lumière. Je préfère encore mourir que de continuer ici…

Je n’arrive pas à dormir. Je n’arrive même plus à respirer normalement. Je reste allongé, les mains agrippant mes draps comme si je pouvais retenir quelque chose… quelqu’un… mais rien ne reste. Je pleure jusqu’à ne plus avoir de larmes. Et quand mes pleurs s’épuisent, je tremble. Mon corps entier se met à secouer comme une branche trop fine sous la tempête. Je suis cassé… Détruit…Vidée de tout ce qui me tenait encore debout.

Minho… Minho que j’aime comme on aime une seconde chance dans un monde qui n’en offre jamais. Thomas… Thomas qui venait juste d’entrer dans ma vie et qui pourtant avait déjà laissé une trace brûlante dans ma poitrine… Je les ai perdus. Les deux. Dans la même nuit… Et je ne sais pas comment vivre avec ça.

Je me recroqueville, les yeux brûlants, le souffle court.

Je me dis que je vais mourir comme ça, doucement, à l’intérieur. Puis soudain… 

Un grondement secoue tout le Bloc. Un tremblement tellement violent que je sursaute, le cœur explosant dans ma cage thoracique. Des cris, des pas précipités, des rideaux qui claquent. Je me redresse d’un coup. Dehors, un vacarme monstrueux remplit la nuit. Au loin, les murs bougent… Se déplacent…! Grondent comme des bêtes de métal. Tous les Blocards sortent, hagards, les yeux rouges de sommeil et de peur. Je marche parmi eux, le souffle suspendu.

  • Qu’est-ce qu’ils foutent putain…? grommelle Gally, mais sa voix n’a pas sa force habituelle. 

Elle tremble un peu. Moi aussi, je tremble. Mais pas de peur. De… D’espoir… Un mince fil. Une fissure. Une possibilité infime que tout n’est pas perdu… Je déteste cet espoir… Il fait mal… Il me donne envie de croire alors que je sais… je sais que personne ne revient après une nuit dehors. La nuit s’étire, interminable. Personne ne reparle des murs… Le silence s’installe comme une chape de plomb. Je reste près du feu avec Frypan, Winston, Ben, et quelques autres. Personne ne prononce un mot. C’est une attente morne, étouffante. Une torture…

Le groupe d’Alby finit par retourner se coucher quand le calme revient. Moi, je ne peux pas… Je ne peux pas fermer les yeux. Chuck non plus… Le gamin s’assoit seul devant l’immense porte de métal, le dos voûté, les mains serrées sur ses genoux. Il ne bouge plus. Il guette. Comme si la nuit allait lui rendre ce qu’elle lui a pris…

Quand l’aube finit par poindre, une lumière pâle et froide glisse sur le Bloc. Je me sens creux, vidé. Mais l’espoir, cette saloperie, me tire malgré moi vers Chuck. Je m’assois à côté de lui. Je fixe les portes. Je n’y crois pas… Mais je regarde quand même. Parce que je suis incapable de faire autrement. Chuck murmure encore et encore :

  • Thomas… Thomas…

Le mot me transperce. Lui aussi, il allait vraiment me manquer… Lui aussi avait pris plus de place dans ma vie en un jour que d’autres en des années. C’est tellement injuste que ça me brûle la gorge. L’heure d’ouverture approche. Le mécanisme géant gémit et les portes commencent à se séparer dans un grincement lugubre. Le vide derrière nous frappe comme un coup de poing. Personne… Personne ne revient. Je souffle, brisé :

  • Je te l’avais dit… Personne ne revient…

Chuck baisse la tête, et quelque chose en moi se déchire encore. Je me tourne pour partir. Je n’ai plus la force… Je veux juste disparaître dans un coin et me laisser tomber… Mais soudain : 

  • YOUHOU !!!

La voix de Chuck explose dans l’air… Je me fige.

  • OUAIS ! JE LE SAVAIS !!! 

 Je me retourne. Et je les vois… Je les vois… Deux silhouettes. Tremblantes. Épuisées.En vie…! Minho…! Thomas…! Mon cœur loupe un battement. Puis un autre…! Je crois que je deviens fou. Que j’hallucine. Mais non…! Ils franchissent les portes. Vraiment… Vivants…!

Sans réfléchir, mes jambes se mettent à courir. Je fonce vers eux, vers mes amis, vers la vie qui revient d’un coup si brutal que j’en ai le souffle coupé. Ils sont vivants. Ils sont vraiment vivants…! Et tout en moi hurle, implose, se brise et se reconstruit en même temps. Je cours vers eux comme si je courais vers l’air.

Vers mon cœur. Vers ce que j’avais perdu et que je n’osais plus espérer retrouver…!



Pov Thomas. 



Le soleil pointe enfin le bout de son nez après cette longue nuit d’angoisse dans le Labyrinthe. Mes jambes brûlent, mes poumons hurlent, mais rien de tout ça n’a d’importance maintenant. Tout ce qui compte, c’est la sortie. Minho et moi on se précipite vers la zone un, le cœur battant à tout rompre. Chaque pas me rapproche de la fin de cette épreuve, de l’air du Bloc, de nos amis… de Newt. Au bout du dernier couloir, je le vois.

Chuck, fidèle, petit, la joue rouge, les yeux grands ouverts d’espoir et de soulagement. Il nous attend, figé, mais dès qu’il nous aperçoit, tout son corps explose de joie.

  • YOUHOU !!! Ouais !!! Ouais !!!! Je le savais !!! 

Je souris, haletant, le souffle court, et je me précipite.

Chuck me saute presque dessus. Ses bras me serrent si fort que j’en sens ses petites mains s’enfoncer dans mes épaules.

  • Thomas !!! hurle-t-il, sa voix chevrotante de bonheur.
  • On est de retour… souffle-je en ébouriffant ses cheveux, un rire étranglé me montant à la gorge.

Puis, j’aperçois Newt… Il court vers nous, affolé, heureux.. . Mon cœur se serre et se noue. Mais… il ne vient pas vers moi en premier. Non… Il fonce droit dans les bras de Minho. Mon souffle se bloque un instant, une pointe de jalousie me traverse, égoïste, stupide, mais elle se dissipe aussitôt. Parce que je vois la force de leur étreinte. La façon dont Newt serre Minho comme s’il ne voulait jamais le lâcher. La tendresse, la peur, le soulagement… Je comprends que ce n’est pas contre moi… Je me sens bête, mais le bonheur me submerge. Ils sont là. Tous les deux. Vivants. Réels. Et moi aussi.

Les autres Blocards arrivent derrière nous, ébahis, incapables de comprendre l’ampleur de notre survie, mais je n’ai d’yeux que pour eux, et pour le Bloc. Pour l’air frais qui pénètre enfin mes poumons, pour la lumière qui brûle mes yeux fatigués. Newt finit par se détacher de Minho. Mon cœur bondit, une chaleur douce monte dans ma poitrine. Il s’avance vers moi, le visage essoufflé, les joues rosies par la course et la peur… Et puis il m’enlace. Tout. Tout mon corps se détend enfin. Son parfum familier me submerge. Son souffle contre ma nuque, ses bras serrés autour de moi… C’est l’apothéose. Tout le poids de la nuit, toutes les terreurs, toute la douleur et la peur disparaissent en un instant. Je ferme les yeux et je respire, profondément, lentement, savourant chaque seconde. Je suis vivant. Nous sommes vivants. Et Newt est là. Enfin… Et pour un moment suspendu hors du temps, rien d’autre n’existe que lui et moi…

  • Tommy… souffle-t-il à mon oreille, s’agrippant fermement à mon cou.
  • Pardon de t’avoir fait flipper… Je… je suis tellement heureux de vous revoir…

Je frissonne sous sa chaleur et son étreinte.

  • Moi aussi… je suis heureux de te retrouver… dis-je en posant ma tête contre son cou, sentant son souffle contre ma peau.

Un claquement de voix me fait relever les yeux.

  • Comment avez-vous fait ?! s’exclame Frypan, haletant encore de notre course.

Newt me lâche doucement et recule d’un pas pour observer toute la scène. Son regard est vif, inquiet, mais soulagé. Autour de nous, tous les Blocards se sont regroupés, muets, les yeux écarquillés. Même Alby et Gally sont là, immobiles, visiblement choqués de nous revoir vivants.

  • Que s’est-il passé ? demande Newt, la voix tremblante mais claire. 

Minho prend une profonde inspiration.

  • Hier, on s’est retrouvés bloqués dans la zone dix… et il nous a fallu un temps fou pour trouver une sortie. On n’a pas réussi à revenir avant la fermeture des portes.

Chuck avance d’un pas, les yeux écarquillés.

  • Mais… Comment avez- vous survécu ? Je pensais que personne ne revenait… 

Je jette un coup d’œil à Minho, reconnaissant.

  • Grâce à Minho… il connaît le Labyrinthe comme sa poche, souffle-je. Sans lui, on n’aurait jamais tenu.

Tout le monde regarde un instant Minho en silence. Admiratif. Le Maton en impose… Mais le petit Chuck fronce les sourcils, inquiet.

  • Et les griffeurs ? Y en avait ?
  • Oui… on en a croisé un, réponds-je.

Minho hoche la tête, sérieux.

  • On l’a vu… et Thomas l’a tué.

Un silence lourd retombe sur le Bloc. Tous les regards se tournent vers moi, écarquillés, figés. Même Newt… Newt qui me fixe comme s’il me découvrait pour la première fois. Je ravale ma salive, puis j’ajoute pour briser cette immobilité glaciale :

  • Ce n’est pas tout… On a peut-être trouvé une sortie.

Un souffle traverse la foule comme une vibration.

  • Une sortie ?! s’exclament les Blocards d’une seule voix.

Newt avance d’un pas, les yeux brillants, encore humides de la nuit qu’il a sûrement passée à s’inquiéter pour nous.

  • Vraiment ?! murmure-t-il, comme s’il n’osait pas y croire.
  • Ouais, vraiment, confirme Minho.

Alby plisse les yeux, les bras croisés, le visage fermé.

  • Où ? demande-t-il sèchement.

Je reprends, cherchant mes mots, encore imprégné de l’odeur du sang du Griffeur et de la poussière de la zone trois.

  • En tuant le Griffeur… ça a déclenché un truc. Toute la zone trois a disparu d’un coup. Tous les murs sont descendus dans le sol… et une trappe s’est ouverte. Minho et moi, on est allés voir.
  • Alors c'était ça le bruit assourdissant qu'on a entendu cette nuit, souligne Newt. 
  • Oui, c’est une nouvelle zone… complètement plongée dans le noir. Mais je suis sûr que la sortie est là.
  • Ah ouais ? Comment tu peux en être sûr ?! crache Gally, agressif comme toujours.
  • Ce n'est pas là pour rien ! Mais on retournera là-bas demain pour vérifier ! dis-je, levant le poing avec une conviction qui me surprend moi-même.
  • Ouais t’as raison Thomas ! Approuve Frypan avec une force dans sa voix. 
  • Vive Thomas !! Vive Minho ! Vous êtes trop fort !  hurle Chuck en sautillant, les bras levés.
  • Ils sont trop forts ! S'exclament plusieurs blocards. 
  • Une sortie enfin !

Et d’un coup, c’est l’explosion. Tous parlent en même temps. Certains nous félicitent, d’autres posent mille questions. Certains tremblent déjà à l’idée d’y retourner. Mais… j’existe soudain. On m’écoute. On me regarde. On me croit…  Et ça, ça met Alby hors de lui.

  • Ça suffit !!! rugit-il.

Le silence tombe instantanément. Il se tourne vers moi, son regard noir planté dans le mien.

  • Merci de ne pas nous faire de fausse joie tant que tu n’es pas sûr de toi, Thomas.

Je serre les dents. Newt baisse légèrement les yeux, mal à l’aise. Minho me tape l’épaule, comme pour me dire de laisser couler.

  • Maintenant, tout le monde retourne au travail ! ordonne Alby avant de s’éloigner, furieux.

Les Blocards s’éparpillent, mais leurs murmures persistent. Minho et moi sommes au centre de toutes les conversations. Ça me donne presque le vertige. Je regarde Newt. Il respire un peu plus vite. On dirait qu’il a envie de nous prendre dans ses bras encore une fois… mais qu’il se retient. Quand le Bloc retrouve enfin sa routine, il s’avance vers nous. Il prend nos mains dans les siennes, et mon cœur rate un battement.

  • Venez… venez vous reposer, dit-il d’une voix douce, fatiguée.

Minho et moi le suivons sans broncher. Newt nous conduit jusqu’au dortoir, et avec une gentillesse qui me fend le cœur, il me propose d’aller dormir dans sa chambre.

  • Prends mon lit, Tommy. Tu… tu dois être à bout de force. 

Je veux protester, mais rien ne sort. Je suis épuisé. Vidé… Et touché qu’il pense à moi en premier. Je pénètre dans sa petite chambre encore imprégnée de son parfum. Tandis que lui accompagne Minho jusqu'à sa chambre. Je m’allonge sur le lit de Newt, et avant même que ma tête touche entièrement l’oreiller, je sombre. Je m'endors… Pour la première fois depuis, je me sens un peu apaisée… et… je suis bien vivant… 





À suivre.


Prochain Chapitre : Un sauvetage périlleux. 

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