Un regard à faire tourner la mayonnaise

Chapitre 1 : Othon

818 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 21/07/2020 22:08

Les petites plaisanteries qui suivent imaginent le point de vue de quelques personnages secondaires, lors de la fête d'anniversaire de Bilbon Bessac.

Vous savez, la fameuse fête où il disparut en laissant un certain anneau à son neveu...

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La pendule égrenait les secondes.

Lobelia égrenait ses deniers.

La vénérable horloge se dressait comme la statue du Roi, face à la cheminée, emplissant tout le salon de son rythme séculaire. Les minutes elles-mêmes paraissaient plus riches, décomptées par ce pendule au laiton redoré à neuf.

Lobelia, courbée au-dessus de son guéridon lustré à la cire d’abeille, poursuivait sans fin l’empilement méticuleux de son pécule, sur le napperon de Tante Lalésine.

La petite servante avait fini de débarrasser le repas et s’était réfugiée dans la cuisine, fuyant l’aigre humeur d’avarice et la moue éternellement soupçonneuse de ses maîtres.

Le plastron avantageux, le menton volontaire, Othon arpentait la pièce, comme un capitaine, la veille d’une bataille. A chaque aller-retour, le quinquagénaire un peu courtaud faisait claquer sa badine sur le poil dru de ses mollets dodus, et virevolter les pans de sa redingote, jadis à sa taille. La pingrerie du hobbit un peu rassis, n’avait pas empêché l’embonpoint de le gagner, mais après toutes ces années, le cousin de Bilbon était toujours aussi combatif, et rêvait de lui souffler Cul-de-Sac. De temps à autres, ses yeux avides s’arrêtaient sur la carte de la Comté trônant au-dessus de la cheminée, et sa main épaisse et conquérante enfonçait une épingle de plus sur quelque propriété convoitée. Le maître de maison raisonnait, le timbre acerbe et le verbe énergique :

Avec les débouchés que je viens de trouver pour la fromagerie de Descarcelle, nous allons bientôt pouvoir nous agrandir ! J’ai déjà pu racheter les laiteries de Longoulet sous le nom de Descarts, ce vieil idiot de Bilbon n’y a vu que du feu ! ricana Othon avec un sourire cupide, qui accentuait jusqu’aux ridules de ses tempes grisonnantes.

Sans lâcher son boulier et ses écus, Lobelia renchérit :

Grâce aux terrains que Tante Parcimonia m’a laissés, nous sommes en bonne posture pour dicter nos prix aux Touque !

Sans compter que la demande dans le Sud ne cesse d’augmenter ! Dès la saison prochaine, il faudrait racheter les arpents du Vieux Clos à ce vieil ahuri de poète ! gloussa son époux, en tirant sur ses bretelles d’un air d’envie gourmande. Il n’en connait pas la valeur ! Et dire que c’est mon père qui avait cédé ces vignes à oncle Bungo ! Quelle pitié !

J’ai entendu dire qu’il prépare une réception grandiose ! Voilà encore qu’il jette notre argent à tous les vents !

Pouah ! éructa Othon, ses favoris épais frémissant d’indignation. Une kermesse pour les troupeaux indigents de Hobbitebourg ! Heureusement que nous ne sommes pas invités !

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Dans la cuisine, la jeune servante terminait sa propre collation – fond de soupe aux choux et restes des cartoufles au lard de ses maîtres. À la va-vite – car la vaisselle attendait ! – elle déglutissait péniblement ses poires blettes sur un coin de table, lorsqu’un commis frappa au carreau de l’office, pour lui remettre un pli.

La jeune servante essuya ses mains dans son tablier, reçu la missive avec précaution et gratta timidement à la porte du salon.

Elle fut reçue comme elle s’y attendait – Lobelia détestait être interrompue dans ses décomptes :

Qu’est-ce que c’est ? glapit-elle avec aigreur. Tu n’as donc point de vaisselle à laver ou de chaussette à repriser ? Te paye-t-on des fortunes à niaiser ?

Pardon, Maîtresse ! Mais le commis des postes a apporté cette lettre pour vous.

Un peu tremblante, la petite s’avançait, tenant des deux mains, comme un riche présent, une grande enveloppe de papier au grain délicat, qui embaumait la violette.

Othon, d’un geste qui se voulait auguste mais trahissait son irritation, se saisit de la lettre. La jeune servante se pencha discrètement par-dessus l’épaule de son maître, mais sa lecture était un peu hésitante.

La gracieuse assurance des pleins et des déliés, calligraphiés à l’encre d’or, laissait augurer tant de magnificence, qu’il semblait impensable de repousser pareille invitation :

 

De la part de Bilbon Bessac,

A l’intention de ses très chers et très estimés Bessac-Descarcelle.

Fête des un-décante et un ans,

Réception privée au pavillon des Vénérables Invités Privilégiés

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