Un regard à faire tourner la mayonnaise

Chapitre 2 : Le meunier

509 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 28/09/2019 09:04

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Rouquin le meunier, engoncé dans une livrée trop petite pour lui, invectivait les badauds qui gênaient le passage de sa carriole. Forçant sa voix grêle, le cocher improvisé houspillait son bœuf, l’excitant à forcer cette piétaille encombrant le chemin des trous-du-talus.

Othon, assis sur la banquette fraichement tendue de velours cramoisi, prenait des poses ennuyées, dans son impeccable redingote grise aux boutons dorés. À ses côtés, cachant son maquillage outrancier derrière un éventail dernier cri, son épouse rayonnait de taffetas irisés et de soies rutilantes. Mais c’est la coiffe de la mégère qui retenait toutes les attentions : on eût dit la réplique chevelue, de ces montagnes solitaires dressées au bout du monde connu, et dont Bilbon avait ranimé les légendes.

Une foule se pressait devant le grand portail tout récemment ouvert en bas du champ de la fête. Les hobbits ébahis s’écartèrent devant la charrette, pompeusement chamarrée de fanfreluches. Quelques quolibets fusèrent, mais Rouquin les ignora de toute la hauteur de sa nouvelle position.

Lobelia, se rengorgeant, ordonna au laquais d’« actionner le marchepied ». Le-dit laquais – le fils du meunier, apprêté tout comme son père – disposa un coussin sur une caisse de carottes, et le digne couple put descendre de son « carrosse » pour faire son entrée à Cul-de-Sac.

Rouquin père et fils voulaient s’esquiver sitôt rempli leur nouvel office, en quête d’un broc de bière. Mais meunier et laquais durent s’aligner au pied de la cariole pour faire honneur à leurs maîtres, suant à grosses gouttes dans la prétentieuse panoplie, gage de leur nouvelle servitude.

La rumeur avait couru que le meunier avait vendu son moulin, et encaissé content un paiement comptant. Jusqu’ici l’on avait ignoré qui était le repreneur putatif. À présent, aucun doute n’était plus permis. Mais pour le moment, cette nouvelle était laissée de côté – avec les délectables spéculations qui allaient fleurir dans les auberges de la Comté – tant faisaient sensation les pathétiques tentatives des Bessac-Descarcelle, de se « donner des airs ».

L’exécrable couple s’avança sous le portail, raide comme un rhumatisme, elle agitant son éventail et lui faisant mousser son jabot de dentelles, entre les Rouquin qui roulaient des yeux navrés. Faisant cesser la ridicule pantomime de ses laquais saluant d’un air gauche, Othon se garda bien de retirer son haut-de-forme pour saluer, mais Bilbon, comme à son habitude, se montra charmant et d’une exquise politesse en les accueillant, même si Lobelia goûta peu son compliment à sa « majestueuse meringue ».

Le seigneur de Cul-de-Sac, toutefois, ne résista pas au plaisir d’une facétie, et invita dans la foulée, avec la même politesse, le cocher et le valet, à se joindre à la réception, dans les pas même de leurs nouveaux maîtres !

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