Un regard à faire tourner la mayonnaise

Chapitre 3 : Les anciens

610 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 28/09/2019 09:09

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Lorsque les Bessac-Descarcelle pénétrèrent sous le pavillon des « Vieux Idiots Pompeux » – comme l’avait renommé l’irrévérencieuse jeunesse hobbite, privée des agapes raffinées qui s’y dérouleraient – le vieux Rory Brandebouc se pencha vers le presque aussi vieux Ferumbras Touque :

Voici venir l’ambition au bras de la cupidité !

Le Touque, derrière ses épaisses besicles, jaugeait les situations de famille avec beaucoup d’imagination. Il gloussa, faisant tressauter ses joviales bajoues :

Bilbon aurait dû épouser Lobelia ! Il n’aurait certes pu s’adonner à ses aventures absurdes, et ses richesses acquises de façon douteuse l’eussent été par l’honorable voie du mariage ! Quant à elle, son instinct de dragonne gardienne du trésor, eût profité de l’affable gentillesse du bonhomme !

Mais du haut de son âge vénérable, Rory posait sur ses pairs un regard lucide et sans complaisance. Il claqua la langue de contentement en savourant la suave liqueur, posa un instant son verre et s’exclama :

Bessac le Fou et Lobelia la Despote, tous deux muselés par l’anneau du mariage ! Qui peut croire à cette fable ? J'ai le sentiment qu'aucun anneau ne pourra jamais avoir raison du dérangement de ces deux-là ! [1]

Comme si Lobelia, de l’autre bout de la table, se fût doutée que les deux compères parlaient de sa mésalliance, elle les toisa d’un regard à faire tourner la mayonnaise. Les mégères patentées, avec leurs oreilles proéminentes et poilues, semblaient prédisposées à ce genre de prouesses !

Pour se donner une contenance, Rory se resservit du Vieux Clos, leva courtoisement son verre en direction de Lobelia qui le lorgnait toujours, le sourcil accusateur, et enchaina, nettement plus bas :

Je me demande d’où Othon tire tout cet argent et ces idées ! Jusqu’ici il n’avait rien réalisé de bien remarquable… Le notaire Fouille le jeune ne veut rien me dire officiellement, mais je sais qu’Othon achète à tour de bras les propriétés de Bilbon – une offre anonyme a été enregistrée sur les vignes de son père Bungo et même sur les plants de « Nectar Doré » de son grand-père Mungo ! Et tout cela, sans que ce toqué de Bilbon semble s’en inquiéter !

Oh, il n’y a pas que cela ! ajouta Ferumbras, en tétant amoureusement sur sa pipe. Je sais que Lobelia a acheté et fait agrandir la fromagerie qui appartenait à la maman de Bilbon, ma tante Belladone ! Ils fabriquent maintenant des meules de longue garde, beaucoup plus volumineuses. De grandes roues dorées, qu’il faut saler et affiner bien plus longtemps ! C’est aussi pour cela qu’Othon a acheté les anciennes carrières du Gué de Sarn, pour les y entreposer. Et puis hop, Passez Muscade ! – les fromages sont expédiés le Roi sait où, et on n’en voit plus que quelques meules sur les marchés du Quartier Sud ! [2]

Les deux vieillards trinquèrent encore, dans un silence étrangement solennel. La lueur rebelle de l’un croisa le regard acéré de l’autre : ils allaient surveiller les manœuvres de ce parvenu d’Othon…

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NOTES

[1] Le lecteur notera l'extraordinaire lucidité du chef Touque !

[2] Comme le lecteur le note ici, l’offensive financière, menée par Saroumane pour s’approprier les ressources de la Comté, avait commencé très tôt, par l’entremise de hobbits de paille complaisants…

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