La maraude du Vieux Touque

Chapitre 53 : Duel au sommet - Préparatifs

2056 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 26/03/2020 00:56

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Thráin observa le vieillard s’éloigner sur le pont. Lorsque le magicien eut disparu, il se tourna vers Nár :

- Je crois n’avoir jamais vu Gandalf aussi inquiet ! Il doit craindre une invasion imminente… Nous devrions fortifier le portail contre les gobelins !

- Je crains plus une attaque souterraine, répondit le vieux nain. Nous n’avons pas encore cartographié les passages des niveaux inférieurs qui mènent au nord. Nous ne pourrions pas défendre tous les passages. Mais nous devrions dégager l’avenue principale pour y canaliser nos ennemis, et les cribler de traits !

- Nár, je te charge de préparer les défenses intérieures. Les arbalètes et les traits de fer que nous avons découverts y feront merveille ! Et Màr fortifiera l’entrée !

Les jours qui suivirent filèrent alors que les dúnedain s’absorbaient dans des taches vivrières, s’efforçant de parer les nains pour un long siège. Sans doute étaient-ils heureux de la perspective de retourner prochainement auprès des leurs. Pourtant une part d’eux-mêmes éprouvait une certaine réticence à abandonner un combat qui n’avait pas véritablement commencé. Arathorn harangua les siens pour leur rappeler que de leur rapidité dépendait le ravitaillement et la survie du nouveau royaume nain pendant l’hiver.

Màr, le vieux compagnon de Thráin, sentant qu’une grande bataille s’annonçait, alla chercher son œuf. Il eut du mal à l’amener devant le portail, tellement l’objet semblait avoir pris du poids. De magnifiques outils assortis, astucieusement emboîtés, lui échurent – massette, burin, truelle et ciseau furent immédiatement consacrés et mis à l’épreuve.

Les travaux, rondement menés par une escouade de nains survoltés, progressaient presque à vue d’œil. Un mur épais de moellons, assemblés avec l‘art de Dúrin, barrait à présent le porche. Le parapet de douze pieds de hauteur était surplombé d’une échauguette. L’accès à la muraille ne pouvait se faire que par le biais d’un étroit passage au sommet d’une échelle de pierres saillant du mur. Des créneaux bâtis de chaque côté du chemin de garde parachevaient la construction défensive, dont on redescendait par un escalier vers l’avenue.

Avant qu’Arathorn ait put formuler une objection, les bêtes de somme s’étaient donc trouvées enfermées dans la mine dès la matinée du lendemain. Les dúnedain ne pourraient quitter la forteresse avec la quantité de richesses qu’ils escomptaient. Le sourire satisfait de Thráin laissa supposer au rôdeur que le nain avait combiné ce malentendu. Le dúnadan, s’estimant l’otage plus que l’hôte du Roi sous la montagne, entra dans une rage sourde. Il était pourtant résolu de partir à l’échéance convenue, d’autant qu’il avait enfin découvert un col qui permettrait peut-être de prendre une route vers l’ouest.

Pour plus de sûreté, Gerry obtint officieusement la promesse qu’un nain les mènerait aux sorties ouest de la montagne, au-delà des crêtes que les rôdeurs avaient explorées, pour peu qu’on puisse les trouver…. La tension fut palpable ce soir-là. La confiance entre les alliés s’était effritée au rythme des maladresses répétées, des calculs et des mesquineries des deux capitaines. Le lendemain s’étira en une attente interminable pour les dúnedain, qui achevèrent de constituer des réserves dignes d’une forteresse assiégée. Les nains trompèrent leur nervosité en peaufinant les défenses. L’esplanade devant le porche et l’avenue principale étaient maintenant balayés par les angles de tirs de dizaines d’arbalètes, aux carreaux métalliques rigoureusement rangés.

Il faudrait aux gobelins un bélier de très grande taille pour ouvrir un passage à travers l’épaisseur de moellons, mais aucun équipage ne pourrait résister au tir croisé des nains. Nὸrin apporta une contribution hautement appréciée : une marmite de poix, collante et inflammable, fut apprêtée. La garde fut établie au sommet du mur, anxieuse et attentive.

Le crépuscule du troisième jour jeta ses lueurs lilas sur le sommet de la montagne. Gandalf n’était pas revenu. Durant toute la nuit, l’air se réchauffa dans les mines. Les pentes inférieures du volcan, humides de glaces fondues, luisaient par intermittence sous la lune mince qui volait de nuage en nuage. L’on ne percevait plus aucun battement. La montagne retenait son souffle.

Une heure avant l’aube, Arathorn descendit du mur de garde et s’aventura au-delà de la vallée. Sa petite grive le fêta comme un jeune chien dans l’expectative d’une promenade matinale, frottant affectueusement son bec sur les sangles de cuir de son carquois. Envoyant devant lui l’animal par les cieux, le rôdeur explora un large périmètre à l’heure où la pénombre gagne le fond des fossés. Soudain une aube rouge révéla le volcan. Son cône immaculé jaillit comme un feu d’alarme dans la nuit. Puis la lumière directe envahit les coteaux de bruyère et perça sous les frondaisons d’épineux. Mais les couleurs radieuses de Barum-Nahal refusaient obstinément d’éclore. Le ramage matutinal balbutiait, s’étranglant avant d’exploser. Le rôdeur, inspirant à plein poumon, ressentit cette réticence de la nature – les fleurs refusaient de s’ouvrir, la faune diurne persistait à se terrer. Une journée de l’épée se levait.

Arathorn regagna le mur de garde et grimpa à l’échelle de pierre. Les dúnedain qui l’attendaient, armés de pied en cap, lui emboîtèrent le pas. Les nains contemplèrent son visage crispé par la détermination, et craignant un coup d’éclat, le suivirent jusque dans la salle d’apparat. Thráin avait fait allumer celles des lampes de Gandalf qui étaient accessibles. Arathorn se présenta devant Thráin et demanda que soient respectés les engagements pris à Fondcombe, puis confirmés il y a quelques jours.

- Nous avons tenu notre promesse et sommes demeurés auprès de vous jusqu’au jour dit pour préparer un siège. Mais comme je l’avais prédit, nous avons trop tardé à mander du secours en apportant la preuve de notre succès. L’attaque de nos ennemis est imminente. Je le sens dans mon cœur.

Le grand nain, coiffé d’un diadème d’or et juché sur le trône de pierre sous la voûte majestueuse, leva sa figure empourprée vers le plaignant :

- Vos vains reproches sont deux fois mal venus ! Car vous n’entendez rien à la défense d’une forteresse et ignorez la puissance du Roi sous la montagne, porteur désormais des deux trésors de sa lignée. 1

Après toutes ces années d’errance et d’humiliation, Thráin tenait enfin sa revanche, seul roi nain détenteur d’un anneau de pouvoir, il portait le Naugwar Mithmirion et régnait en Roi sous la montagne originelle de son peuple ! Sûr de son bon droit, de sa force et de son destin, il fustigea son interlocuteur du haut de son trône :

- Enfin vous attendez l’heure de notre besoin pour quémander l’autorisation de prendre la fuite !

- Je refuse un combat sans espoir et sans lendemain, parce que le général aveugle campe sur des positions intenables. Je vais chercher des renforts, que vous le vouliez ou non, pour remporter cette guerre. Si vous m’aviez écouté, trois douzaines de mes parents et amis seraient à présent à quelques heures de marche, au lieu de quoi il nous faut maintenant les guider à nous dans l’urgence, au travers de cols mal connus. Vous recherchez une victoire tellement inaccessible que vous y succomberez !

- Ma maison et mon blason ont besoin de cette victoire et l’obtiendront car il ne peut en être autrement sous le dôme de Barum-Nahal ! Quiconque quitte mon alliance le jour de l’épreuve est un félon et ne mérite aucune récompense !

- Voilà donc révélée la raison profonde de vos chicaneries. Jamais je n’eusse cru voir ternir à ce point la réputation de la maison de Dúrin par l’avarice de son héritier ! À présent honorez les écrits que vos témoins ont paraphés ! Ou espérez-vous me contraindre à rester sous prétexte que le dépositaire de l’accord nous fait défaut ?

À présent le seigneur nain s’était levé, serrant convulsivement les bras de son siège de pierre :

- Je vous concède ce qui fut écrit ! Courrez donc vous faire tailler en pièces dans les collines ! Ces richesses réintégreront mon trésor lorsque nous aurons occis vos vainqueurs !

- Les masques sont tombés : vous souhaitez notre défaite ! Mais la défense établie exclut toute sortie des montures par la porte principale. Pourtant je compte partir avec ce qui m’a été promis, car c’est pour moi la meilleure assurance de mobiliser ma plus grande force. Faites-nous conduire aux galeries occidentales ou remettez-nous un plan ! acheva Arathorn en tirant sa longue épée scintillante.

Thráin révéla son anneau d’or et sembla grandir, auréolé de la puissance de ses ancêtres. Les nains, échauffés par la ferveur de Thráin et les velléités de défection d’Arathorn, n’en restaient pas moins sensibles aux arguments du rôdeur. Quant aux dúnedain, irrités par le ton revêche, les accusations injustes et le jugement tactique discutable du roi sous la montagne, ils n’auraient pour rien au monde abandonné leurs compagnons au seuil d’une invasion orque. Bera tétanisée contemplait l’homme de ses pensées s’avancer vers son destin.

Tous regrettaient cet antagonisme mortel, mais chacun soutiendrait son seigneur. Ainsi l’exigeait l’honneur… Seul Gerry conservait une once de bon sens, désolé des débordements d’orgueil de si grands capitaines. Il vit avec consternation les rois rivaux s’avancer l’un vers l’autre. Il se remémora sa dame évoquer les dangers de l’orgueil au conseil de Fondcombe. Notre hobbit, encore jeune, s’était jusque-là bercé d’une illusion – celle que les adultes de son entourage se montraient forts et responsables. Ce leurre s’était dissipé, il ne conservait même plus l’espoir que ses aînés préféreraient la raison à l’honneur. Bien sûr, sa vie jusqu’ici sans épreuve de gentil-hobbit gâté par la naissance le disposait à une certaine indolence. Mais il sentait confusément un horrible gâchis s’imposer implacablement. Ses yeux baignés de larmes, il tituba entre les protagonistes, implorant la raison et la compassion. Mais Thráin l’ignora, brandit sa grande hache de combat et se mit en garde.

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NOTES

1 Peut-être notre lecteur souhaitera-t-il une explication à propos des paroles hautaines de Thráin. Au temps jadis, sept anneaux de pouvoir furent offerts aux seigneurs des Nains. Ces objets précieux conféraient une force morale, une persévérance et une résistance hors du commun, tant du corps que de l’esprit, ainsi qu’une grande habileté à rallier et dominer les siens. Contrairement aux neuf seigneurs des Hommes, les Naugrims ne furent pas subjugués par le pouvoir de l’ennemi et ils ne tombèrent aucunement sous sa domination. Pourtant leur anneau accrut leur orgueil et leur soif de richesses. Furieux de l’échec de sa tentative de domination, le seigneur des ténèbres frappa les maisons naines de sa malédiction. Avec le temps, tous leurs anneaux leur furent repris ou détruits, hormis celui de la lignée de Dúrin.

Et bien sûr, le Naugwar Mithmirion est le second trésor…

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