Porte à porte

Chapitre 10 : Au seuil de l'avenir

673 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 09/11/2016 03:09

Des pas décidés font crisser les graviers de l’allée dans l’air du soir. Les petits hobbits s’éparpillent comme une volée de moineaux, houspillés par leur aînée :

-« Haro, freluquets ! Regagnez vos trous ! La soupe mitonne sur l’âtre et l’ancêtre  attend pour conter son histoire ! »

Un garnement s’éloigne prudemment puis chante en glissant des regards veules à Belladone :

-« Vilaine fille de fée,

Grand mal nous fait

Avec sa baguette

Elle nous guette

Au fond des bois

Gare à toi ! »

Belladone réprime un triste sourire, prends sa grosse voix et réplique, saisissant une branche de coudrier :

-« Houste, à ton trou, Fred Rouquin ! Par ma baguette, gare au Miaulabre (1) ! »

Des cris d’orfraies s’élèvent, aussi incisifs qu’une meule plaintive de rémouleur, et se dispersent en exorcisant la menace jusqu’aux seuils éclairés des smials familiaux.

Belladone pousse le grand portail de la Maison des Mathoms. Un carillon mélancolique salue la fille de la maison d’un air caressant. La hobbit s’avance dans la pénombre des salles. Les tentures la saluent de maintes cajoleries. Un sourire fier et paternel anime les masques à son passage. Les robes de tulles elfiques s’inclinent en une gracieuse révérence. Les bibelots argentés clignent d’un discret scintillement complice :

-« T’en souviens-tu ? Nous t’avons appris le rêve et la curiosité. La patine de nos boiseries t’a enseigné la patience et la modestie. Nous sommes empreints des espaces sauvages et lointains - nous te faisions peur, mais tu as apprivoisé ton effroi aux reflets de nos ors. Nous t’avons révélé une partie de toi-même. Nous sommes la charpente de ton toit. »

Belladone, rejeton du Thain de la Comté et de la fée Avacuna, s’avance confiante sous les ailes d’un grand aigle de bois et de papier.

Chaque pièce familière a consolidé l‘édifice de son esprit. Chaque bribe de souvenir, racontée ou rêvée, a renforcé sa confiance dans l’existence. Les coins d’ombre et de mystère qui subsistent dans la Maison des Mathoms, parmi les colifichets et les reliques, sont autant d’appels à l’aventure dans les vastes Terres du Milieu et justifient l’espoir de trouver, dans ce monde comme au-delà, toujours plus de merveilles.

Ses parents l’ont quittée. La nombreuse fratrie les pleure, éperdument. La très longue vie du couple avait fini par laisser croire à leur éternité. A Bourg-de-Touque, personne n’ose rien déplacer ou modifier dans les appartements du Thain, qui semble encore assis sur son siège sculpté, à scruter le cœur et l’esprit des convives réunis. On dirait qu’il est encore parmi les siens, à veiller à la concorde entre les factions, à conseiller ses pairs, à houspiller et pousser la jeunesse en avant.

Leur joie intime reviendra. On dit qu’ensemble le vieux couple fête l’arrivée du printemps renouvelé, parmi les fées et les lucioles, en un lieu hors du temps et des souffrances de ce monde. Belladone en est certaine. Car le carillon de la vieille porte, témoin des émois de tant de jours, n’a rien perdu de sa fraîche insouciance.

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NOTES

1- Nouvelle traduction de Mewlips (anciennement Chat-gluant)

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