Porte à porte

Chapitre 9 : La porte du souvenir

856 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 10/01/2016 10:47

Gerry débarrasse la resserre.

Les reliques s’y entassent sous la poussière. La cabane déborde de bibelots, comme le crâne vénérable d’un vieillard recru de souvenirs - les plus précieux, les plus intimes, s’y bonifient, profondément enfouis sous les couches de décorum et de faux-semblant. Les plus insignifiants y moisissent dans l’oubli, jusqu’à ce qu’un rai de lumière réveille des émotions oubliées.

Mais la petite resserre ne suffit plus à accueillir les reliques que sa chère Avacuna avait rassemblées au fil des siècles dans sa maison de la butte et que les Elfes continuent à lui adresser.

Il faut trier. Un pincement au cœur, Gerry poursuit son ouvrage, chaque découverte le replongeant dans le labyrinthe des passés entremêlés. Lorsqu’il en émerge, son sentiment de culpabilité s’enfle à la mesure du tas de trésors mis au rebut. Choisir, c’est renoncer – mais renoncer entache le respect qu’il porte à son épouse, ou l’ampute d’une partie de lui-même…

Un grincement le tire provisoirement d’embarras : un petit garnement se glisse par la vieille porte. La démarche hésitante, Isengrin gazouille de plaisir dans cette caverne aux merveilles. Au milieu de tant de colifichets et de parures, le petit hobbit, encore sans aucun duvet sur ses petits pieds potelés, jette son dévolu sur une vieille casserole, bosselée et sans manche…

Son papa sent l’étreinte d’un géant lui couper la respiration, au point qu’il doit se tenir au chambranle de cette vieille porte de chêne noueux qui l’a toujours rappelé à l’essentiel.

Gérontius a pris sa décision. Secondant désormais son père le Thain à prodiguer ses soins à la Comté, il a pris « quelques cailloux dans les poches » (1). Une idée simple, une idée forte, une idée inédite – une idée de magicien – lui est venue.

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Avec la complicité de son épouse, Gerry a résolu d’ouvrir un lieu consacré à l’édification des jeunes générations, où tous ces objets remarquables du passé, seraient exposés au bénéfice de tous. Sur ses propres deniers, il fait donc construire à Grand-Cave un beau bâtiment couvert de chaumes. Il y loge les trésors de la resserre de son grand-père paternel. La plupart des menus objets et reliques des environs de la Comté que le grand-père avait rassemblés sont donc exposés là en souvenir de l’aïeul. Enfin les merveilles conservées par Avacuna y trouvent un abri digne de leur longue destinée.

Ils la nomment la Maison des Mathoms (2). Certains mathoms sont tellement passés de mains en mains que leur fonction initiale a été oubliée depuis longtemps. Pourtant leurs mystères évoquent des temps qui forgèrent le génie des hobbits. Plus tard, la maison des mathoms accueillera des donations à chaque fois qu’un Hobbit, invitant un grand nombre d’amis pour son anniversaire, recevra une masse de cadeaux qui encombraient son smial.

Mais pour l’heure, les chefs de clan sont rassemblés autour du Touque et du Maire de Grand’Cave. Certains des chefs, rébarbatifs et pragmatiques, ont combattu l’idée. Mais tous durent s’incliner devant Avacuna, Adamantine l’inflexible. Ils mettront longtemps à l’admettre, mais la plupart comprendra l’importance de ce lieu, à l’instant où une petite main se glissera dans la leur pour obtenir « une histoire de quand tu étais petit, Papy s’il te plaît ».

En attendant Avacuna laisse son « petit loup » Isengrin s’escrimer sur la sonnette naine. Elle entrebaille l’arche en chêne vermoulu, constellée de masques et de glyphes étranges. Et cette porte du souvenir s’ouvre sur le boulevard des possibles…

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Notes

1- L’expression de Lézeaux « Prendre quelques cailloux dans les poches » signifie « Acquérir de la sagesse ». De nos jours on dirait plutôt « Avoir du plomb dans la cervelle ».

2- Mathom est un terme Kuduk, ou Hobbitique, qui désigne tout objet ornemental, symbolique ou de prestige.

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