Les bons contes font les bons amis

Chapitre 2 : ... font les bons amis

Chapitre final

1390 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 23/01/2016 18:49

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Sur la colline…

Quelques jours plus tard, les Sacquet fêtèrent leur anniversaire.[1] A cette occasion assez formelle, Frodon, ses jeunes cousins, Sam et quelques farceurs des environs goûtèrent leur première bière officielle – car il fallait bien déplorer quelques rapines officieuses et libations clandestines antérieures ! Une tonne impressionnante avait donc été mise en perce par ces jeunes gens, sous le haut patronage de Bilbon. Une sélection d’amis et de parents se trouvaient donc réunis dans le jardin, savourant l’un de ces instants délicieux au cours desquels on remplit les derniers petits creux avec les friandises et les confiseries.

Face à ce parterre rassasié et béat, le maitre de Cul-de-Sac ne sut résister à la tentation de faire louer sa dernière composition. Il donna donc à nouveau son « Histoire d’Aldarion », dont Sam et Frodon purent enfin entendre la fin.

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Dans l’île merveilleuse de Numenor, une douzaine d’années après l’épisode cité plus haut…

Aldarion resta longtemps absent, explorant les merveilles de l’océan, s’enfonçant parfois fort loin à l’intérieur des terres découvertes pour y sonder les ressources et le cœur des hommes. Il accomplit de hauts faits. Il établit les cartes de la totalité des côtes occidentales de la terre du milieu, et même au-delà. C’est lui qui amorça la présence numénoréenne en Eriador et dans la vallée inférieure de l’Anduin. Il bâtit des hâvres, construisit des refuges et établit des liens avec les autochtones, scellant des alliances lorsqu’il le pouvait.

Enfin il revint à Romenna, les cales chargées de marchandises précieuses. Son carnet de bord compilait toutes les observations menées, dans maints savoirs des hommes. Mais le prince Aldarion était fatigué. Il aspirait au repos après des découvertes qui avaient ébranlé sa confiance en l’avenir. Mais à son retour, son épouse le congédia avec froideur, et c’est le cœur lourd qu’il se présenta au jugement du Roi.

Aldarion remit à son père la missive du Haut Roi des Elfes Noldor. Gil Galad lui révélait qu’un pouvoir maléfique s’était éveillé en terre du milieu, et demandait toute l’aide que pourrait lui apporter Numénor. Car, disait-il, l’île de l’offrande ne resterait pas à l’abri de ce sombre pouvoir, si Elfes et Dunedain ne s’alliaient pour l’abattre avant qu’il ne devînt invincible.

Ainsi Meneldur fut confronté au changement du monde qu’il avait redouté. Il s’avisa qu’Aldarion avait anticipé ces malheurs, et que ses clairvoyantes préparations militaires et navales permettaient encore de parer au désastre et de garder espoir. Aussi Meneldur écouta-t-il, le visage fermé et avec attention, la relation que lui fit son fils, de la guerre imminente en terre du milieu et des manœuvres qu’il préconisait.

Le Roi tint conseil en lui-même toute la nuit. Au matin, il remit entre les mains de son fils, le texte des décisions que le conseil suprême devait avaliser :

-« Pour l’honneur de son fils bien-aimé, et pour assurer au royaume le meilleur des gouvernements, dans les domaines essentiels dont son fils est mieux instruit, le Roi a résolu de transmettre le Sceptre d’Armenelos à son fils, qui sera désormais le Roi Tar-Aldarion. »

Le prince, qui s’était attendu à endurer les amers reproches de son père, resta sans voix devant l’humilité du souverain, empreinte de grandeur et de sagesse. Le Roi ajouta :

-« Cette proclamation te permettra de répondre toi-même à Gil-Galad. Et peut-être ces moyens d’agir, remis entre tes mains, pourront-ils occuper ton esprit et adoucir les déceptions que tu as endurées en revenant, mais qui n’étaient que trop prévisibles... »

Ainsi père et fils furent réconciliés, leurs politiques et leurs aspirations se complétaient pour la grandeur de Numenor. Le peuple de l’île bénie, longtemps resté à l’abri des malheurs du monde sous la houlette conservatrice et prévoyante de ses rois jusqu’à Meneldur, s’était lentement multiplié, cultivant les arts et sa terre avec modestie et persévérance. La nation Numenoréenne allait projeter sur les côtes des Terres sombres explorées par Aldarion, sa force lentement maturée, pour l’amitié des elfes qui l’avaient jadis tirée des ténèbres.

Numenor, délaissant sa charrue pour aiguiser son glaive, se levait désormais pour se mêler aux querelles du monde. Son peuple et ses rois n’allaient pas cesser d’en assumer les conséquences au fil des siècles, jusqu’à la submersion de l’île. »

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Sur la Colline…

Hamfast Gamegie avait observé à la dérobée son cadet qui écoutait avec émerveillement Mr. Sacquet déclamer ses vers – sans l’interrompre, pour une fois. La poésie, les elfes et les dragons le passionneraient certainement toute sa vie… Comme Bilbon concluait son conte avec un trémolo dans la voix et un effet de manche très réussi, le vieux jardinier vida sa chope en soupirant :

-« Numenor submergée ! En voilà encore qui se sont mêlés d’affaires au-dessus d’eux, et qui ont abouti à des ennuis trop gros pour eux… »

En prenant congé de son hôte, Hamfast s’inclina devant Bilbon et lui déclara toute son estime :

-« Un conte honnête et décent, que vous avions écrit là, Mr. Sacquet ! Une morale convenable, je n’aurais pas dit mieux ! »

Pour la première fois de sa vie de labeur, l’Ancien entrevoyait que les contes avaient peut-être une fonction plus haute que divertir ou pervertir la jeunesse : celle de lui apprendre à vivre. Il considéra de loin Sam et Frodon qui trinquaient joyeusement, esquissa une moue résignée et rêveuse, peut-être même satisfaite, puis s’en retourna clopinant sur le chemin des trous du talus, sous les trilles gracieux des merles.

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Ce petit moment d’égarement dans les balirnettes, n’empêcha pas l’Ancien, dès le lendemain, de rappeler à sa progéniture, par une débauche de corvées champêtres choisies et de sentences circonstanciées, tous les bienfaits du travail de la terre. [2] 

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NOTES

[1] Bilbon et Frodon se trouvaient avoir la même date d’anniversaire, le vingt-deux septembre.

[2] Assez librement inspiré de Jean de La Fontaine : « Travaillez, prenez de la peine, c’est le fond qui manque le moins. » Le laboureur et ses enfants.

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