Vaer aen birke - the Witcher

Chapitre 7 : Sous les Frondaisons de Brokilone

2701 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 30/10/2022 00:59

Année 1275, Brokilone, Duén Canell


Semant ses rayons d’or dans le champ noir de la nuit, le soleil s’élève peu à peu dans le ciel serein et caresse la canopée de la mythique Brokilone. Alors que les brumes matinales s'élèvent, les arbres accueillent l'astre solaire d'une lente et joyeuse sourdine, leur chant silencieux célèbre le départ des ténèbres et le retour de la lumière nourricière. Parmi tous les chanteurs de bois, nul n'émet une vibration plus profonde, plus vivante que les trois chênes étreints au centre de Duén Canell, la capitale des Dryades. Depuis des siècles, le Grand Arbre salue ainsi la venue du matin. Depuis des siècles, il est la demeure de la plus noble et de la plus fervente protectrice de Brokilone.

Mussée au creux des trois troncs du Grand Arbre, Eithné Oeil-d'Argent, la dernière reine des nymphes forestières du Nord, écoute le chant de la forêt comme chaque matin depuis des siècles. Assise en tailleur, elle laisse les mélopées du Grand Arbre et de ses frères la traverser, baignant dans ce chant sans mots. Nul ne peut comprendre les Dryades et leur dévotion aux forêts à moins d'avoir ressenti cette onde vivante vibrer au plus profond de son être.

Pourtant, aujourd’hui, la reine des Dryades peine à se laisser envahir par l’harmonie sylvestre, à s’immerger dans cette mélodie sourde des fibres et des feuilles. Les traits tirés, le corps tendu, elle tente de se décontracter et de faire le vide dans son âme afin d’y accueillir le chœur sylvestre dans sa plénitude. Hélas, son esprit agité ne la laisse pas en paix. Aujourd'hui est le jour.

Eithné se rappelle bien ce jour où cet étrange Aen Seidhe est arrivé à Duén Canell, la Place du Chêne, Brokilone n'oublie jamais. Ses filles l'avaient laisser passer, les elfes étant des alliés et mêmes des amis pour les Dryades, partageant leur amour profond pour la nature. Elle avait été curieuse de ce que pouvait bien vouloir un Érudit à Brokilone. Elle n'avait pas été déçue.

–Dame Eithné? Appelle une voix hésitante, Vous êtes levée, ma Dame?

Eithné se relève pour sortir, ses mains lissant machinalement les mèches rebelles de sa chevelure argentée. Près de l'entrée de sa demeure se tient une jeune dryade à la peau chlorophylle et à la chevelure couleur miel strié de discrètes mèches noires. La jeune fille danse d'un pied sur l'autre, ses mains bougent avec frénésie, s'empoignent et se tordent. Ses yeux regardent partout, scrutent le moindre détail comme une biche qui ne sait si elle doit détaler ou non. Quand elle constate la nudité de la reine, ses joues prennent une teinte plus sombre et elle détourne les yeux.

–Une dryade se lève toujours à l'aurore, Meiln, répond Eithné, Tu as quelque chose pour moi?

–O... oui, ma dame, hm, Dame... Fauve m'as envoyée vous chercher, elle a préparé un déjeuner pour vous près de l'affluent de la Vda. Elle... elle a dit que vous en auriez besoin aujourd'hui...

Entretemps, Eithné enfile une tunique, au grand soulagement de la jeune dryade, encore peu habituée aux mœurs libérées des nymphes des bois.

–Oui, aujourd'hui n'est pas ordinaire, ouvre la voie, Petite Abeille.

Triturant ses cheveux, Meiln regarde alentour avant de se rappeler que le surnom la désigne elle. Elle s'élance en avant, rapide et agile, la reine sur ses talons. Elles traversent en courant la doline de Duén Canell entiérement couverte par la voûte verdoyante d'arbres immenses. De part et d'autres de ces arbres géants pendent, tels de grosses boules de gui, les maisons des dryades faites de la matière vivante de la forêt. À leurs pieds se trouvent quelques grandes cabanes, vestiges d'une époque où Brokilone était plus accueillante envers le monde extérieur. Pour un humain, le voyage au travers des fourrés et des hautes branches serait rapidement épuisant mais les dryades traversent le dédale vert aussi facilement qu'une rue pavé. Meiln s'arrête à un embranchement au sommet d'un grand arbre, plus très sûre de la route à suivre. Avec un sourire, Eithné s'avance pour lui indiquer la direction, suivant le hum familier et mystique de la forêt. Les joues vertes de Meiln s'assombrissent encore plus et elle repart de plus belle. Enfin, alors que le soleil s'élève de plus en plus dans le champ céleste, elles arrivent près d'une rivière peu profonde. Sur la rive et dans l'eau se trouvent déjà plusieurs nymphes procédant à leur propre toilette sous la surveillance de sentinelles perchés dans les arbres, guettant les dangers tapis dans l'ombre des fourrés. Parmi elles, s'ébattent leurs cousines à la peau bleue et aux mains palmés, les Naïades. Sur les rochers et les branches basses, les farfadets, petits lutins bedonnants, dansent et jouent du violoncelle, insouciants et oublieux de l'endroit où ils se trouvent.

–Hael, me Rhena, s'avance une dryade aux cheveux vert mousse, Conas esseath aelaedde? Te'ss hunger?

–Ceád, Fauve, Essea ghnath, répond Eithné, yeá, essea hungy.

–Cáemm, me Laith.

Eithné la suit jusqu'à un bassin à côté d'un petit promontoire herbeux sur lequel se trouve un panier de feuilles et de branches magiquement tressé ainsi qu'un grand paquet enveloppé de tissus. Sans attendre, la maitresse de Brokilone se dévêtit avant de se glisser dans l'eau fraiche. Fauve sortit de petits carrés de rayons de miel et morceaux de viande enveloppée de feuilles ainsi que de petits gâteaux elfiques, met rare et revitalisant, avant d'ordonner à Meiln en langue ancienne de peigner la reine. Les deux dryades froncèrent les sourcils devant l'air confus et hésitant de la jeune nymphe.

–Meiln, aboie Fauve, Que...

–Cáelm, Fauve, interrompt Eithné, Meiln, dis moi, ou en es tu de tes leçons de langue ancienne?

–Je, euh, répond elle en traçant un trait dans le sol de son pied, les mains dans le dos. Dame... Dame Aglais n'as pas eu le temps de m'enseigner, elle a été très occupée ces dernières semaines. Il y a de plus en plus de conflits en dehors de la forêt et d'humains qui se battent avec les sentinelles. Cinq nouvelles blessées ont été amenée à Col Serrai avant-hier et Dame Dunca a dit qu'elle et ses forestières avaient plus important à faire, parce qu'il y a une guerre qui va arriver et qu'il faut qu'on se prépare...

–Et chercher quelqu'un qui puisse s'occuper de l'éducation de nos jeunes nymphes n'était pas assez important? Bl... commence Fauve avant de s'interrompre devant le regard froid de la reine, Zut alors.

Meiln fait partie de ces petites humaines, perdues ou abandonnées dans la forêt et qui ont rejoint les rangs des dryades en buvant l'Eau de Brokilone qui efface leur mémoire et transforme leur corps au point qu'elles deviennent indistinctes des née-dryades, en dehors de l'odeur pour celles ayant passé la puberté avant leur transformation. Ces dryades naturalisées qui oublient jusqu'à leur nom,, doivent par la suite, apprendre les traditions et la culture de Brokilone, apprendre leur dialecte chantant dérivé de la langue ancienne, à se diriger dans les bois, à utiliser la magie pour manipuler les plantes et la météo.

À tuer.

Ces dryades adoptées montent la garde à l’orée de Brokilone et transperceront de flèches leur propre frère si il tente de s’introduire dans la forêt.

Et depuis quelque temps, les intrusions dans la sylve se multiplient. Nilfgaard a traversée la Iaruga à nouveau et monte vers le nord. Des déserteurs et des réfugiés tentent d’échapper aux Escadrons Noirs en fuyant par les bois en dépit des risques. La plupart meurent sous les flèches et les sortilèges des nymphes, ainsi que les troupes qui les poursuivent. Seules les jeunes filles sont épargnées et intégrées. L’empire a envoyé un elfe en tant qu’émissaire dans l’espoir d’obtenir un cessez le feu, voire une alliance. Eithné a poliment écouté l’émissaire avant de le renvoyer avec le message : « rien n’a changé ».

–Ne t'en fait pas, Mieln, nous trouverons quelqu'un pour s'occuper de toi et des autres jeunes. dit gentiment la reine en grignotant un gâteau elfique couvert de miel.

–En attendant, aide moi, veux tu? demande Fauve en déposant le grand paquet au sol, Les cheveux de la reine sont emmêlés et pleins de brindilles, c'est une horreur. C'est comme si votre majesté avait passé la nuit à se frotter la tête contre les buissons.

Les nymphes alentours pouffèrent et la reine pousse une exclamation indignée. D'un grand mouvement du bras, elle asperge la dryade aux cheveux verts qui éclate de rire.

–Je m'en souviendrai, menace t'elle Fauve du doigt, Je crois que j'ai trouvé ma volontaire pour s'occuper de cette invasion de champignons sur les grands saules.

–Oh non, que votre majesté me pardonne, rit la dryade en sortant du paquet une longue robe soyeuse, fendue sur les cotés et de couleur grise.

–Ma dame, fait la nymphe aux cheveux de miel avec effort, Les autres jeunes racontent des histoires, il y a des rumeurs comme quoi Dunca ne se prépare pas à défendre Brokilone mais à attaquer les royaumes voisins, c'est vrai?

–Je vois que si l'éducation ne parvient pas aux jeunes, les rumeurs par contre ont trouvé leur chemin.

–Mais c'est vrai, non? dit une naïade aux cheveux noirs comme nuit, assise sur un rocher presque immergé, Une de mes cousines a entendu des gardes de Duén Canell parler d'un Aen Saevherne et de son plan fou pour unir les races anciennes, que vous aviez accepté de participer à cette alliance pour reprendre les terres que les humains ont pris à Brokilone,...

–Et on raconte que les Hamadryades sont en train de réveiller les Tréants, renchérit une jeune dryade de treize ans aux cheveux rouge vif, pourquoi si ce n'est pour la guerre?

–Cirilla! L'interpelle une dryade plus âgée aux yeux bleus, Ne sois pas impertinente.

–Je ne me souviens pas d'une telle impertinence de ta part quand tu avait son âge, Braenn, rit Fauve en étendant la tunique sur des branches, ça doit lui venir de son père.

La petite Cirilla fait partie des née-nymphes, fille d'une dryade et d'un mâle d'une autre espèce. Le fruit d'une telle union est rare car les elfes sont peu fertiles et les humains ne sont plus les bienvenus dans la forêt. Il est convenu parmi les Nymphes que la conception de Cirilla était la volonté de la providence tant les circonstances autour de la venue de son père furent étranges. Non pas qu'il fut lui-même un spécimen remarquable. Elle porte le nom d'une enfant lourdement marquée par le Destin, j'espère que cela n'assombrira pas son propre futur, songe Eithné en observant attentivement la jeune nymphe qui lui rend son regard sans ciller, ce qui a pour effet de la faire sourire. Elle en partage le caractère en tout cas.

–Laisse, Braenn, elle ne m'offense pas, si il y a un temps pour l'impertinence, c'est bien l'enfance. Un tel caractère lui sera bien utile si elle ne le laisse pas la dominer. Quand aux rumeurs, nous verrons bientôt si elles sont fondées.Je vais retrouver cet Aen Saevherne aujourd'hui avec les chefs de différents royaumes. Suivant ses plans et qui participera, nous verrons si Brokilone suivra cette voie. Dunca se prépare à protéger nos frontières contre la guerre qui est déjà là et pour celle qui, peut-être, suivra.

–Tu imagine si Brokilone retrouvait sa taille d'avant? Chuchote une naïade aux cheveux remplis d'algues à sa voisine qui porte une grenouille sur son épaule, nous ne serions plus obligées de nous terrer ici, nous pourrions nager à nouveau tout le long de l'Adallate et du Ruban jusqu'à la Iaruga sans craindre d'être attaquées par des forestiers.

–Ou enlevées par des braconniers! Rétorque sa compagne, les traits tordus, le ton venimeux. Je hais cette engeance, ils ont pris tellement de mes sœurs et cousines, qui sait ou elles sont maintenant? Sont elles même en vie? On raconte qu'ils les emmènent à l'intérieur des terres, dans leurs grandes villes. Qu'est ce qu'ils croient qu'une nymphe de rivière a à faire là? Nous avons même dû abandonner notre fleuve, notre fleuve ! Qui sait dans quel état il est maintenant? Nous avons été trop douces, au lieu de roucouler et minauder avec eux, nous aurions dû les noyer tous! Assène t'elle avec un grand coup de poing dans l'eau, délogeant sa grenouille qui tomba dans l'eau.

–Il est bien trop tard pour les regrets. Commente Eithné les yeux perdus dans de lointains souvenirs en triturant une petite broche dans ses cheveux. Le passé est passé, ce qui est perdu est perdu et les regrets n'y changeront rien. Comme les arbres qui tendent infatigablement leurs bras vers le soleil, nous devons aussi aller de l'avant.

Le silence s’abat un instant sur la rivière, les violons des farfadets ne résonnent plus et seul le glougloutement de la rivière continue de se faire entendre. Pourtant, même cette absence de son ne parvient pas à trahir l'arrivée d'une archère.

–Me Rhena, un elfe, un magicien, est arrivé à Duén Canell, il a dit se nommer Calened et que vous l'attendiez.

Eithné ne dit rien pour un moment, les yeux fermés, les doigts agiles de Fauve lui massent le crane. Sous les chauds rayons du soleil, elle se remémore une clairière fleurie, remplie d'abeilles et de papillons, un ciel clair loin au dessus de la frondaison de Brokilone. Et parmi les fleurs, une petite dryade aux cheveux noirs courrait après les insectes, tentant vainement de les saisir avant de tomber et de faire un rouler-boulé. Avant même qu'elle ne puisse intervenir, la petite nymphe s'était redressée et assise, les cheveux en bataille, une moue contrarié sur le visage. Un rire lui avait alors échappée, un rire monté du ventre devant une mine si boudeuse pour une si petite pousse ce qui ne fit qu'accentué sa grimace. En grognant, la jeune mamoune s'était relevée avant de reprendre sa chasse, l'air déterminée, une volonté inaltérable, tout comme sa mère.

–Retourne à Duén Canell et annonce lui que j'arrive bientôt. Répond elle enfin tandis que Fauve finit de la coiffer. Qu'on lui donne à boire, un Sage est un invité de marque.

Un peu plus tard, Eithné fait son apparition devant Calened, vêtue de sa robe grise fendue,une couronne de bois et de fleurs sur sa tête, des lanières de cuirs enserrent ses bras. Le tout lui donne une allure aussi sauvage que digne.

–Rhena y Brokilon, la salue l'elfe roux. Vous avez l'air magnifique. Vous êtes prêtes?

La reine ne répond que d'un signe de tête, le visage grave, les mains légèrement tremblantes. Avec de grands gestes, Calened prononce une série de mots en un dialecte de la langue ancienne qu'elle ne reconnait pas et une brèche opaque et grise apparait. D'un sourire, il invite la reine à entrer. Sans hésiter, celle ci avance et ils s’engouffrent ensemble dans le vide.









NOTES:



Hael, me Rhena: Salutation, ma Reine.


Conas esseath aelaedde?: Comment vous sentez vous?


Te'ss hunger?: Avez vous faim?


Ceád: Bonjour


Essea ghnath: je vais bien


yeá, essea hungy: oui, j'ai faim.


Cáemm, me Laith: Venez, ma Dame.


Cáelm: Du calme


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