Vaer aen birke - the Witcher
Année 1276, Rédania, Tretogor
Le vent souffle sur la capitale de la Rédania, jouant avec les bannières de l'aigle royal, emblème de la maison royale. Des gens se pressent dans le modeste marché, échangeant marchandises et nouvelles. Pour la capitale d'un des quatre grands royaumes du Nord, Tretogor est exceptionnellement petite, éclipsée par la cité de Novigrad non loin. La plupart de ses habitants sont des serviteurs directs du palais royal, le seul bâtiment vraiment marquant tant pour sa fonction gouvernementale que par son style architecturale. La plupart des nobles habitent à l'extérieur de la capitale dans des résidences secondaires somptueuses. La famille royale est la seule à vivre en permanence au palais. Dans le ciel, de gros nuages sombres gonflent à vue d’œil et il ne faudra pas longtemps avant qu'une bonne pluie éclate.
À la fenêtres d'une tour du palais se tient une silhouette sombre. De là où elle est, personne ne peut l'apercevoir et de toute façon, peu le souhaiterais. La silhouette fixe la banale activité des rues boueuses avec une acuité et une immobilité perturbants. Regarde les se précipiter, à droite, à gauche, au boucher, au boulanger, au tailleur, vite, ma bonne dame, vite, avant que la pluie tombe et ne perturbe notre train de vie de fourmis. Fous, ils ne voient pas que l'orage annonce des changements, l’avènement d'une nouvelle ère, mon ère. Mais ils sont aveugles, aveugles, aveugles aux signes et au sang qui coulera.
Radovid, ancien roi de Rédania, maintenant roi de tout le Nord, s'éloigne de la fenêtre. Le temps et les campagnes n'ont pas été tendres avec lui, d'aucuns disaient que la guerre l'a vieilli, battu, ajoutant de nouvelles cicatrices. Sa joue est brûlée, marquée par le feu d'un mage durant la conquête de Kovir et Poviss. Mais il a obtenu juste revanche, la plupart des mages sont morts et il a enfin fait main basse sur les incroyables richesses du pays qui ont été déniées à son ancêtre, Radovid le Grand. Que les Thyssen aient l'outrecuidance de refuser de s'incliner devant la lignée royale de Redania, les légitimes propriétaires de Kovir et Poviss dépassent l'entendement. Ces terres avaient été fondées par l'argent et le décret royal et revenaient donc de droit au roi. Mais il avait fait payer leur arrogance au soi-disant roi de Kovir dans le sang et réglé cette infâme dette. Désormais, tout le nord, depuis la mer à l'ouest jusqu'aux Montagnes Bleues à l'est et des Montagnes des Dragons jusqu'au fleuve Pontar, est uni sous sa bannière. Seule ombre au tableau, il n'a pu mettre la main sur la maudite Phillipa Eilhart qui n'a apparemment pas suivit ses collègues en Kovir ou bien a réussi à s'enfuir. Seule la mort de Triss Mérigold, membre de la Loge des Magiciennes comme Phillipa a pu être confirmée.
Mais son tout nouvel empire n'est pas complet. Au delà du fleuve Pontar, d'immondes et sournois non-humains ont profité de sa campagne dans le nord pour s'arroger les terres de la Téméria et d'Aedirn, lui volant comme ils savent si bien le faire ce qui lui revient de droit. Radovid s'assied à son bureau, une carte du continent étendue dessus avec de nombreuses figurines représentant ses forces, leurs positions et leurs ennemis. Son bureau est plutôt sobre en dépit du riche mobilier qui le compose mais Radovid aime sa praticité, sans aucun ornement ostentatoire distrayant. Un roi se doit toujours d'être concentré. Plusieurs petits coups retentissent à la porte.
–Entrez, fait Radovid en s'asseyant dans sa chaise assez sommaire.
La tête blonde d'un serviteur passe par l’entrebâillement de la porte.
–Milles excuses, votre majesté mais vos généraux sont arrivés.
–Bien, fais les entrer.
Aussitôt la porte s'ouvre en grand pour laisser passer le maréchal De Olan, un homme austère avec une moustache proéminente, l'amiral De Veneck, un homme blond légèrement enrobé, le chef des services spéciaux de Rédania Brival au visage toujours masqué, Gaspar Vapros, le commandant des Chasseurs de Sorcières et pour finir, plusieurs officiers. Tous sont en armure officielle à part le chef des services spéciaux, vêtu de tunique noire.
–Messires, je vous remercie d'avoir répondu à mon appel. L'heure est grave, il est plus que temps de préparer notre contre-offensive à l'attaque des non-humains sur les anciennes terres de Redania et Aedirn et de chasser cette chienlit de nos terres.
–Bien parlé, votre majesté, approuve le maréchal De Olan, Nous avons trop longtemps toléré cette vermine à notre détriment. Nos ancêtres auraient dû les massacrer jusqu'au dernier quand ils en avaient l'occasion. Nous avons enfin l'occasion de rectifier cette erreur.
–Où en sont les constructions de navires ? Demande doucement Radovid, seront-ils prêt à traverser le fleuve ?
–Elles sont presque terminées , répond l'amiral De Veneck, malgré les sabotages de ces nymphes de rivières, nous aurons assez de bateaux pour transporter au moins la moitié de nos troupes.
–La moitié seulement ? Vous m'aviez promis de faire traverser toute l'armée.
–Pardonnez moi votre majesté mais il y a eu des... complications. Les Rusalkas sont en nombre dans le Pontar et coulent autant qu'elles peuvent de navires. C'est du jamais vu. Nous avons dû déménager les sites de construction plus à l'intérieur des terres ce qui nous a fait perdre du temps. Et des monstres rôdent dans les forêts où on prélève le bois. On signale la disparition de nombreux bûcherons ce qui a ralenti la production des matériaux nécessaires aux bateaux. Si nous voulons construire suffisamment d'embarcations pour faire passer l'armée en un coup, il va nous falloir plus de temps.
–Nous n'avons pas ce temps, crie Radovid en tapant du poing sur le bureau. Nous avons déjà pris trop de délais pour reconstituer l'armée et l'hiver nous a fait attendre encore. Et pendant ce temps, les non-humains consolident leurs défenses. Le temps que nous perdont ne fais que bénéficier à la vermine. Il faut frapper maintenant et frapper fort.
–Les elfes n'ont jamais été de très grand maîtres de la guerre, ils seront incapables de construire des défenses adéquates comme du temps de nos ancêtres... fait un officier
–IMBÉCILE, les elfes ne sont qu'une part du problème ! C'est une coalition qui rassemble des nains, des gnomes, que sais je encore ! Et ces races-là s'y connaissent en fortifications! Nous devons frapper avant qu'ils ne transforment la berge sud du Pontar en forteresse. Le temps est un luxe que nous n'avons pas.
L'officier se recroqueville derrière son maréchal, apeuré. Malgré les... rumeurs sur sa santé mentale, Radovid est habituellement d'un tempérament calme et réfléchi. Il est rare de l'entendre élever la voix. Dans le lointain, on entend le grondement du tonnerre et les premières gouttes de pluie frappent les carreaux.
–Que sait-on des forces adverses ? A t'on une idée de leur nombre ? S' ils ont des engins de sièges ou des mages ?
–Les hommes que nous avons envoyés n'ont pas rapporté grand chose... Pour ceux qui sont revenus, explique Brival, le chef des services spéciaux. Les Scoia'taels surveillent activement la bordure sud et attaquent tout humain à vue, même déguisé en civil. Ils avertissent les intrus de ne pas faire un pas de plus une fois. Si la personne n'en tient pas compte, ils la lardent de flèches. Contourner le fleuve en passant par la mer puis par le sud s'est révélé être la meilleure option bien que bien plus longue et très dangereuse. Il faut toujours traverser des territoires peuplés de non-humains mais la surveillance est plus relâchée de ce côté et on peut trouver des cités sur la côte qui tolèrent les humains. On rapporte que la forêt de Brokilone s'est très étendue et couvre presque les royaumes de Cidaris et de Verden. Mes hommes ont traversé la Téméria, la plupart des grandes villes sont laissées à l'abandon ou sont en train d'être démontées par les Halfelins. Ces derniers se sont rassemblés autour des plus grandes collines comme c'est l'habitude de leur espèce et ont commencé à se creuser des villages. Mes hommes n'ont pas pu aller plus loin, les Scoia'taels patrouillent aussi ce territoire et les nains ont investi les forteresses des La Valettes et de Hagge qu'ils sont en train d'améliorer et d'équiper pour la guerre. Il semble qu'ils reçoivent des convois de pierres afin de construire de nouvelles forteresses. D'après nos estimations, il y aurait plusieurs milliers de Scoia'taels et plus de 10 000 nains sur la rive sud. Nous n'avons pas trouvé de camps militaires mais il y a fort à parier qu'ils les cachent dans la nature ou par magie. Je peux aussi confirmer la présence de plusieurs mages dont évidemment la sorcière elfe Francesca Findabair.
–Décevant, je m'attendais à mieux de vos services, Brival, est ce que les Stries Bleues ont fait des découvertes de leur côté ?
–Pas plus que les nôtres, fait Brival sans cacher son dédain. Surprendre des elfes dans les bois est difficile même pour nos hommes entraînés mais il y a aussi des dryades dans les commandos maintenant et elles font de bien meilleures forestières que les elfes. Ils ont pu déterminer que les commandos rassemblent non seulement des elfes et des nains mais aussi des gnomes, des marmottins, des vrans mais sans plus. Il semble aussi que les vodyanois et les sirènes les soutiennent.
–Des vodyanois ? Des hommes-poissons ? S'esclaffe le maréchal De Olan, c'est une plaisanterie ?...
–Certainement pas, mon seigneur, réplique froidement le chef des services spéciaux. Mes agents qui ont infiltré les cités côtières font état d'un commerce intense entre les Anciennes Races et les créatures de la mer du Nord et ont observé des détachements remonter le lit du Pontar. Mes hommes n'ont pu déterminer leur nombre mais ils sont facilement plusieurs dizaines de milliers.
Radovid reste silencieux quelques secondes, le regard rivé sur un nœud du bois de son bureau.
–Nos forces, dit-il finalement sans relever les yeux. Combien ?
–Près de 100 000 fantassins légers, répond le Maréchal, environ 20 000 fantassins lourds, 30 000 cavaliers légers, 10 000 cavaliers lourds et près de 20 000 chasseurs de sorcières. Sans compter les ingénieurs, les chirurgiens, les agents spéciaux... L'église du Feu Éternel nous soutient pleinement ainsi que les différents offices religieux. Nous pourrons compter sur l'aide de leurs prêtres. Nous allons noyer l'ennemi sous le nombre.
–Bien, approuve Radovid. De Olan, je veux que l'armée soit prête à traverser dans les deux semaines qui suivent. Pas de délai. Brival, accentuez vos efforts de reconnaissance en territoire ennemi, le mieux informé nous serons, mieux ce sera. Nous ferons donc un aller-retour sur le Pontar, la première vague devra prendre et tenir la rive sud jusqu'à ce que la deuxième arrive. Nous parlerons de stratégies plus avant quand nos forces seront prêtes. Messieurs, vous pouvez disposer.
Les officiers saluent le roi tout en reculant vers la porte qu'ils referment derrière eux. Radovid se tourne avec un soupir vers la fenêtre, contemplant, maussade, la pluie qui tape sur les vitres. Méthodiquement, il tape sur le bord de son bureau à un rythme que lui seul peut entendre. Puis brusquement, il se lève et sort dans le couloir. Il parcourt le corridor en silence, croisant serviteurs et nobles qui s'inclinent respectueusement devant lui. Il monte un escalier en colimaçon avant de tomber sur un autre corridor richement décoré, avec des tapisseries dépeignant diverses scènes de chasses, de combats contre des monstres et autres exploits de ses ancêtres. Il s'arrête devant une porte en bois de pins gardé par deux gardes.
–Annoncez moi, ordonne t'il
L'un des gardes saisit la poignée dorée de la porte et l’entrouvre.
–Sa Majesté le Roi, fait il d'une voix de stentor.
–Qu'il entre, répond une voix de femme, interrompue par des cris de bébé.
Radovid entre donc dans la Chambre de la Reine aux tons roses et dorés, agrémentée de mobilier en noyer et de jolis tableaux de saints et de divinités dans toute leur gloire. Au centre de la pièce se tient un grand lit à baldaquin aux voiles roses. Dessus, vêtue d'une longue robe pourpre qui met outrageusement sa silhouette en valeur se tient Ada, fille de feu le roi Foltest de Téméria, reine de Rédania. Ses cheveux roux, harmonieusement coiffés, sont retenus par un diadème pourpre incrusté de diamants et de perles diaphanes. Entourée de ses dames de compagnie, elle taquine d'une plume un bébé, tendrement emmailloté dans des linges blancs et dorés. Un bel enfant aux yeux bruns comme son père. Ada ayant été maudite dans son enfance à se transformer en Strige, une bête implacable et sanguinaire, puis une nouvelle fois alors qu'elle était adulte, Radovid avait craint que tout enfant né de leur union développe des caractéristiques monstrueuses malgré l'assurance du célèbre sorceleur Géralt de Riv, qui avait brisé la malédiction les deux fois, qu'Ada était tout à fait capable d'engendrer des enfants humains. Mais ses doutes se sont dissipés en voyant ce beau petit garçon, plein de vie et en parfaite santé.
–Laissez nous dit-il aux dames de compagnies qui s'empressent de sortir. Radovid s'approche du bambin et lui caresse doucement la joue. Vif comme l'éclair, le petit lui attrape le doigt et ne le lâche plus. Le roi sourit doucement.
–Regardez moi ça, ma chère, à peine âgé de quelques semaines mais il sait déjà ce qu'il veut et ne le lâche plus. Un vrai petit prince.
–C'est bien vrai, mon époux, un digne héritier pour la Rédania.
–Oh non, pas que la Rédania, fait Radovid en s'agenouillant. Toi, mon fils, tu régnera sur tout le Nord. Un empire dévoué aux dieux et débarrassé des fléaux de la magie et des non-humains dont la gloire éclipsera celle de Nilfgaard et de tout autre empire passés ou à venir. Oui, ce sera ton héritage, mon fils, et je sais que tu t'en montreras digne.
Pendant ce temps, dans un camp à l'extérieur de la ville, la pluie tombes telles des hallebardes venues du ciel. Ce camp n'arbore pas l'aigle royale sur fond rouge mais des lys d'argent sur fond bleu. Les tentes sont alignées avec une précision toute militaire, des râteliers d'armes sont disposés de façon ordonnée entre les tentes. Plusieurs chevaux broutent l'herbe dans un enclos à l'écart. En dehors de quelques sentinelles, personne n'est dehors sous une pluie pareille. Une silhouette encapuchonnée traverse rapidement le terrain boueux en direction de la plus grande tente au milieu du camp. Deux gardes à l'air morose sont placés de part en part de l'entrée, l'eau dégoulinant sur leur casques.
–Halte, qui va là ? Crie l'un des gardes en apercevant la silhouette.
–Brival des forces spéciales, je dois parler à votre commandant.
Le garde glisse la tête par l'ouverture de la tente et des voix se font entendre, noyées sous le clapotis de l'eau.
–Pouvez entrer, fais le garde en reprenant sa position.
Brival entre dans la tente, découvrant un espace spartiate. Les seuls meubles sont un lit de camp et un bureau. Penché sur le bureau se tient un homme en uniforme bleu avec un chaperon sur la tête. Étudiant une carte, il discute avec une femme aux courts cheveux blonds. Sa tenue, bleue aussi, attire tout de suite le regard, ouverte jusqu'au nombril. Tous deux s'interrompent en voyant entrer le chef des services spéciaux de Rédania.
–Commandant Vernon Roche, lieutenant Ves, j'apporte des nouvelles du roi Radovid.
L'homme et la femme échangent un regard. Seuls rescapés de l'unité d'origine des Stries Bleues, les services spéciaux de Téméria dédiés à la lutte contre la Scoia'tael, un lien fort les unit. Désormais chef de ce qu'il restait des forces témériennes après l'invasion de Nilfgaard, Vernon Roche a la réputation d'un homme impitoyable, intelligent et concentré.
–Bien, quelles nouvelles alors ? Demande Roche en fixant Brival de ses yeux perçants.
–Les plans d'invasions continuent comme prévus, l'armée traversera le Pontar d'ici deux à trois semaines...
–C'est une plaisanterie ?! Nous n'avons qu'une vague idée de ce qui nous attend sur l'autre rive, sans mages à nos côtés, nous n'avons aucun moyen d'espionner l'ennemi à distance ou détecter les sorts de protections...
–Au diable les mages, s'insurge Bravil, nous n'avons pas eu besoin d'eux durant la libération de Kovir et Poviss, nous n'avons pas besoin d'eux maintenant. Je suis étonné que vous vous souciez de leur aide alors qu'ils sont directement responsables de la mort de votre roi et l'invasion de votre pays par Nilfgaard. Les mages étaient un fléau pour nos pays et Radovid nous en a débarrassés.
–Je ne discute pas ce point mais nos ennemis ont des mages contre lesquels la plupart d'entre nous sommes impuissants. La majorité des soldats n'ont pas de charmes en diméritium pour les protéger de la magie. Et nous n'avons qu'une vague idée de leurs forces, sans parler des créatures de la mer qui sont beaucoup plus nombreuses que ce que nous pensions. Nous avons besoin de plus d'informations. Ici ce n'est pas comme à Kovir où nos espions pouvaient se fondre dans la foule. Là bas, nos agents ressortent comme une tâche noire sur une nappe blanche. Peu d'entre nous peuvent se faire passer pour des elfes et les patrouilles Scoia'taels sont particulièrement vigilantes. Nous avons besoin de temps, de beaucoup plus de temps.
–Eh bien, vous n'en aurez pas ou fort peu. Le roi exige que vous et vos forces retournent sur la rive sud pour rassembler autant d'informations que possible. Puis quand l'invasion commencera, vous appuierez nos forces depuis les lignes arrières ennemies. Nous vaincrons l'ennemi par le poids du nombre et l'habileté stratégique comme nos ancêtres avant nous. Sur ce, si vous n'avez rien de pertinent à ajouter, vous avez vos ordres et je dois m'occuper de mes agents. Commandant, lieutenant.
Sur ces mots, Brival sort de la tente, faisant voler sa cape derrière lui. Roche continue de fixer, interdit, l'ouverture de la tente.
–Non mais quel abruti, s'écrie Ves, brisant le silence. Qu'est ce qu'il s'imagine qu'on va pouvoir faire ? On a déjà eu un mal fou à passer inaperçu en Téméria et aucun de nos agents n'a réussi à s'introduire plus avant dans les terres ennemies. Qu'est ce qu'il s'imagine qu'on va pouvoir faire en deux semaines ?
–Rien, j'imagine. Plus le temps passe, plus j'ai l'impression que nous perdons de la valeur pour Radovid. Il sait que nous nous battons pour la libération de la Téméria, pas pour lui mais cette libération... Ves, je n'y croyais pas quand nous étions en guerre contre Nilfgaard et que Radovid ne contrôlait qu'une partie du Nord, j'y crois encore moins maintenant. Cet enfoiré ne rendra pas son indépendance à la Téméria. Nous aurions mieux fait de rester au pays pendant l’insurrection des non-humains plutôt que de nous replier. Au pire, nous serions morts avec honneur en défendant notre patrie. Là... nous sommes pieds et poings liés. Si seulement... si seulement nous avions pu mettre notre plan à exécution, Radovid serait mort et nous aurions pu négocier avec l'empereur...
–Silence, dit Ves en regardant les ombres avec suspicion. On ne sait pas...
–Qui pourrait écouter ? Fait une voix tandis qu'une silhouette franchit l'ouverture de la tente.
Vive comme l'éclair, Ves brandit ses épées vers l'inconnu tandis que Vernon a déjà à moitié sorti la sienne.
–Thaler! Fait le commandant en reconnaissant le chef des espions de Téméria. Tu as failli te prendre une dérouillée.
–Et vous risquez bien plus que ça si vous ne faites pas un peu plus attention à quand vous ouvrez votre grande gueule. Fait l'homme chauve, un monocle sur son œil gauche. On est plus dans les bois ici mais dans la putain de capitale de Radovid. Il y a des espions partout et faudrait pas qu'ils apprennent ce qu'on a fait.
–Il se pourrait qu'il le sache déjà, répond gravement Vernon.
–Si, c'est le cas, il nous aurait déjà écartelés et pendus, non ? Demande Ves en rangeant ses armes.
–Va savoir ce qu'il se passe dans la putain de caboche du roi, renifle Thaler. Les rumeurs sur sa santé mentale se vérifient chaque jour un peu plus. Peut-être qu'il pense qu'on peut lui être encore utile ? Ou il nous garde parce qu'il ne veut pas jeter ses jouets avant de les avoir usés jusqu'à la fin. Va savoir. Ce qui est sûr en tout cas, c'est son ambition. On peut lui faire confiance pour reprendre les terres au sud mais il ne leur rendra pas leur liberté. Ce ne sera plus les Royaumes du Nord mais l'Empire de Rédania.
–Alors c'est fini ? Demande Ves, accablée, les yeux baissés. On a pas pu faire aboutir notre... projet. Emhyr est mort et il ne reste personne qui puisse s'opposer à Radovid.
–Ptet bien, ma poulette, fait Thaler, en baissant d'un ton et en regardant furtivement autour de lui. Mais il se pourrait qu'on ait une autre opportunité si on est prêt à faire preuve... d'un peu d'ouverture d'esprit.
–Tu as une idée derrière la tête, Thaler. Dit Vernon en se rapprochant. Dis nous quoi.
–En ce moment, il y a des forces qui s'opposent encore à Radovid, pile de l'autre côté du Pontar. Je parie qu'ils cracheront pas sur un peu d'aide...
–Les non-humains ?! crie Vernon, oubliant toute prudence. Tu as complètement perdu la tête, Thaler ?
–Moins fort, moins fort, proteste ce dernier, s'agirait de pas alerter tout le foutu camp.
–Vernon a raison, renchérit Ves, la voix basse, tu as perdu la raison. Ça ne ferait pas de nous que des traîtres à Radovid mais à tout le genre humain.
–Il faut savoir ce qu'on veut, mes petits, soit nous nous plions au bon vouloir de Radovid tout en sachant qu'il nous entubera et se débarrassera de nous dès que nous ne lui serons plus d'aucune utilité. Soit nous prenons un risque et négocions avec les Anciennes Races dans l'espoir que si elles gagnent, elles nous rendront notre patrie.
–C'est un espoir de fou, ils nous haïssent, nous avons passé presque toute notre carrière à chasser la Scoia'tael et ceux qui les supportaient. Ils ne nous feront pas confiance et JE ne leur fais pas confiance.
–Et quelle autre opportunité on a ? Demande Thaler. Entre un roi de plus en plus fou et paranoïaque et des non-humains qui nous haïssent mais désirent ardemment gagner la guerre, quelles options a t'on ?
Le silence s'abat tel un lourd rideau dans la tente. Dehors, l'orage continue de faire rage, ponctué par moment par le tonnerre et les éclairs.
–J'imagine... j'imagine qu'on a pas d'autres choix. fait Ves en se redressant.
–Quoi ? Ves... dit Vernon.
–Mais quoi ? Thaler a raison, personne d'autres ne nous en donnera l'opportunité et face à l'armée formidable de Radovid, les non-humains sont sans doutes avides de trouver des alliés. Ça vaut le coup d'être tenté.
Vernon se rabat sur son siège en grognant, prenant son visage entre ses deux mains.
Thaler et Ves se contentent de le regarder sans mot dire pendant que le commandant des Stries Bleues fulmine derrière ses mains. Finalement, il se ressaisit et regarde d'un air désabusé ses associés.
–Très bien dit il d'une voix lente. J'imagine que l'on n'a pas d'autre choix. Tentons-le.
Très loin au sud, au cœur de Mahakam, au sommet de la tour du Conseil d'Hen Uniade, des yeux ne perdent pas une miette du spectacle projeté par les flammes du braséro qui reflètent parfaitement l'espace de la tente et les trois humains.
–Ainsi, il y a des dissensions entre les troupes de Radovid, commente doucement Egdhimold Vrostchmil, la représentante des Gnomes. Ça pourrait être une opportunité pour nous.
–on peut toujours compter sur les Dh'oines pour se planter des coups de couteaux dans le dos. Commente le Voïvoide Keral des Vrans. Quand ils n'ont plus de non-humains sous la main, ils se retournent les uns contre les autres.
–Nous n'envisageons pas d'accepter, n'est ce pas ? Fait Eithné, la reine des Dryades, debout, les mains posées sur la table de pierre.
–Nous serions bien naïfs de ne pas l'envisager, remarque Brouver Hoog, Chef des Anciens des Nains. Cela nous offre l'occasion d'affaiblir l'ennemi de l'intérieur.
–Dois-je vous rappeler de qui c'est ?! s'insurge Isengrim. Vernon Roche, le chef des Stries Bleues, une unité connue pour être impitoyable non pas juste avec la Scoia'tael mais avec tous les non-humains. On ne peut pas faire confiance à un tel voisin, si nous lui offrons la Téméria, ils feront exactement comme leurs ancêtres, ils se multiplieront comme des lapins jusqu'à ce qu'ils aient besoin de nouveaux espaces et là ils nous déclareront la guerre à nouveau. Et nous n'aurons pas le fleuve pour faire barrage.
–Mais c'est l'occasion de faire la paix. Remarque Neoth Korm, l'Ancien des Marmottins, n'est ce pas l'un des objectifs de ce conseil d'apprendre à vivre avec les humains ?
–Au prix de notre nouveau royaume, répond Dermin Biberveldt; représentant des Halfelins. Je suis pour la paix mais que deviendra mon peuple si nous rendons la Téméria aux humains ? Devront nous revivre sous leur joug ? Ou bien nous relocaliser dans les autres royaumes ?
–Je pense que ceci appelle à un vote, dit Calened en effaçant les images dans le feu d'un geste de la main. Alors mes seigneurs et mes dames, sommes nous prêts à nous associer à des humains ? Ou bien contre ?