Grand Final
Chapitre 1 : Je fleuris dans le carnage comme une corolle à l’aube.
1799 mots, Catégorie: M
Dernière mise à jour 04/12/2017 19:56
Je fleuris dans le carnage comme une corolle à l’aube.
Où suis-je ? Je ne vois que les lumières danser devant mes yeux. Ma mémoire flanche et je peine à me remémorer les événements passés. Mes oreilles bourdonnent. Mon corps est fatigué, mes membres… pourquoi ont-ils cette sensation de lourdeur ? Je tente de bouger tant bien que mal, mais c’est difficile. Comme si je tirai quelque chose. De… de l’eau ? Quelque chose de liquide glisse sur mon visage. Je le perçois, maintenant : je suis allongé par terre.
L’environnement commence à se révéler à moi. Mes yeux ne me font plus défaut. Combien de temps ai-je mis à ressentir ce changement ? Le temps est subjectif, dans l’état dans lequel je me trouve. Je crois que je suis… sur une espèce de sol aux motifs réguliers. Quel est son nom déjà ? Parquet ? Oui ! C’est cela, parquet. Les couleurs se font plus distinctes, elles aussi. Du brun. Et un immense mur rouge.
Non, ce n’est pas un mur. C’est un rideau.
Baissé.
Deviens un poème. Je chanterai ta mémoire !
Mon esprit me joue encore des tours. La couleur cramoisie du rideau se mêle au parquet, et… non, attendez. C’est un autre type de rouge. Craquelé, plus clair, plus distinct. Du sang. Et alors, je me rappelle le liquide qui coule sur ma joue. C’est chaud, c’est poisseux. Cela doit en être également.
La prise de conscience me glace les veines, et je tente de me mettre debout. Mais si mon esprit s’est éclaircit, ce n’est pas le cas de mes jambes et de mes bras. Bouger est toujours impossible. Je veux m’écarter, pour que les gouttes de sang arrêtent de me tomber dessus. Mais je n’y arrive pas.
Des pas. Il y a des bruits de pas. Le plancher craque.
L’art mérite que l’on souffre pour lui. La beauté… est dans la douleur !
Une voix. Je crois avoir entendu une voix. Elle chuchote, doucement, mais elle semble pernicieuse. Et elle me fait peur. Les gouttes arrêtèrent de tomber sur mon visage ; mais je sens toujours la délicate mais désagréable trace de l’hémoglobine sur mon visage.
Les pas se rapprochent. Et ils ont un rythme. Un, deux, trois, quatre, ils s’arrêtent. Puis ils reprennent. Un, deux, trois, quatre, stop. Un, deux, trois, quatre, stop. Un, deux, trois, quatre, stop. Un, deux, trois, quatre…
…stop.
Il est à côté de moi.
L’art préexiste à la raison. L’art requiert une certaine… cruauté. L’art…
La voix se fait plus proche. Elle est réellement devant mon oreille. Je n’arrive pas à tourner la tête pour voir son visage.
Mais il s’en charge pour moi.
Posant soudainement sa main sur mon épaule, il me fait rouler sur le sol, de façon à ce que j’ai la tête en direction du ciel. De la lumière. Des ampoules éclatantes brillent d’une lumière forte, je dois fermer les yeux, elles m’aveuglent. Une ombre passe au-dessus de moi. Mais je ne les rouvre pas.
J’ai un mauvais pressentiment.
…doit terrifier.
Je sens ses doigts soudainement serrer mon visage. Ils sont fins, et n’ont pas la texture de la peau : mon agresseur porte des gants. Est-il vraiment un agresseur d’ailleurs ? J’entends une voix, mais elle n’est peut-être pas la sienne : peut-être n’est-elle que le fruit de l’imagination bouillonnante dont fait preuve mon cerveau dans une pareille situation.
Le doute me pousse à ouvrir mes paupières. Un masque. Je vois un masque. Un fin visage blanc, figé dans une expression de sadisme, avec des volutes grises dessinés sur ses joues et son front. Toutefois, je peux voir ses yeux. Des yeux marqués par la haine, la colère, creusés avec une folie indescriptible qui pourrait vous faire perdre la raison rien qu’en les regardant.
Mon instinct ne s’est pas trompé. Il ne peut pas me vouloir de bien. C’est impossible. Il passe lentement un doigt sur ma joue, puis le contemple. La lumière, qu’il cachait jusqu’ici avec sa tête, recommence à m’aveugler.
Tout serait plus facile si le sang… avait plusieurs couleurs.
Je n’ai pas vu son masque bouger. Et pourtant… mes oreilles ne peuvent pas me tromper. Il y a bien une voix autour. Je tente de tourner la tête, mais je suis trop faible… Je ne comprends pas. Quel est cette paralysie qui me force à rester ainsi immobile ? Il me lâche le visage. Je sens ses doigts remonter le long de mon corps. Ils me chatouillent ; mais je suis trop inquiet pour lâcher le moindre éclat de rire.
Vous êtes des marionnettes. Je tire les ficelles… et vous dansez.
La douleur. Je hurle. Quelque chose vient de me pénétrer le poignet.
Silence !
Je tente de serrer les dents tant bien que mal. Je ne veux absolument pas contrarier la Voix. J’ai le sentiment que si j’ai le malheur de le faire, la souffrance ne se fera que plus fort. Alors je me tais. Mes yeux s’embuent de larmes. Mon bras est transpercé par petits intervalles, de la main jusqu’à l’épaule. Puis c’est au tour de l’autre bras. Je ne peux me retenir et je crie : bien mal m’en prend. On me frappe le visage.
Tous les éléments doivent être en place.
C’est au tour de l’autre bras se souffrir atrocement. Je ne sais par quel miracle cela est possible, mais je sais que les choses que l’on plante dedans – car on y plante bel et bien quelque chose – ne sont pas situées au même endroit. Je tente de me débattre, mais mon corps, mou comme lors de mon réveil, ne bouge pas. Et je ne peux qu’attendre en souffrant. En criant.
Il me refrappe.
Comment suis-je censé travailler dans de telles conditions ?! La plèbe… est si intolérante… à MON ART !
Mon visage, toujours coincée en direction du ciel, distingue une drôle de câble noir qui descend du plafond. La main de l’homme masqué l’attrape et il me le plante devant les yeux. Il se termine par un drôle de mécanisme en forme de pointe…
Et alors que je comprends, il me l’enfonce dans le torse avec un rire dément.
Vous autres, de par votre contrée, vous ne comprenez que l’harmonie… Il me faut vous contraster… avec un peu de discorde.
Il s’adresse clairement à moi. Mais ma contrée ? D’où viens-je ? Qui suis-je ? L’amnésie me frappe avec une étrange manière de procéder. Les mots se formebt dans ma tête, mais je n’ai ni nom, ni origines. Je ne me rappelle même pas de mon visage.
Il me retourne avec force. Je suis à nouveau face contre terre.
Un !
Il plante un autre pic dans mon dos.
Deux !
Et un autre.
Trois…
La douleur allait-elle s’arrêter ?
QUATRE !
Il a hurlé le dernier mot. Le dernier des pics – car c’était le dernier – est de loin celui qui m’arrache le cri le plus horrible. Je sens ses doigts quitter mon dos. C’est fini. Il ne va plus me faire mal. Il va…
Ma pensée s’arrête lorsque je sens son souffle, qui passe à travers le masque, me glisser dans le cou.
J’espère que tu as appris ton texte. Que le spectacle…
Un sentiment de défaite s’empare de moi. J’allais boire le calice jusqu’à la lie.
…commence !
La lumière s’éteint soudainement. Un bruit de velours vint briser le silence. Il se lève. Le drap rouge se lève.
Prenez place ! Les places !
Pourtant, il ne fait pas totalement noir. J’ai le visage face au rideau qui se lève. Et j’ai vue sur ce qu’il se trouve derrière.
Une grande salle. Des projecteurs qui sont braqués sur moi. Un public qui regarde la scène. Et dans la loge royale, l’homme au masque. Comment a-t-il pu bouger aussi vite ?
Fais face à la foule. Et saignes pour eux.
Alors, le supplice commença.
Fais face… à ton grand final !
Les câbles qui sont plantés dans ma peau se tendent sans crier gare, et mon torse et mes bras prennent soudain une position étriquée. Et je commence à m’élever doucement du sol, ma peau tiraillée de toutes parts. Je n’ai même plus la force de crier ; les larmes ne peuvent que tomber mollement sur la scène, telles les gouttes de sang qui me tombaient dessus peu auparavant.
Les gouttes de sang.
Je tente, entre deux pleurs, de tourner la tête. L’exercice est extrême, surhumain : mais ce qui m’arrive est déjà dépourvu de toute humanité. Il y a d’autres corps au-dessus de moi. Entrelacés dans de fines branches d’arbre, avec des… fleurs qui poussent sur leurs cadavres, à même leur peau.
Souris ! Tout le monde te regarde…
Je trouve cela beau…
Un violon se met à jouer.
Mais je ne puis l’entendre sous le bruit du coup de feu.
Jhin renifla ses doigts. Une palette d’odeurs exquises s’en dégageait. Il avait goûté le sang de chacune de ses victimes. Et en avait gardé un souvenir précieux.
La caresse et la mitraille, cette plaie qui nous tiraille.
Ils l’avaient emprisonné car ils trouvaient son génie totalement dénué de raison.
Mais quel artiste n’était pas fou ?
Ils danseront… Ils chanteront… Ils mourront !
Il se leva de sa paillasse et alla contempler l’extérieur, derrière les barreaux. Des barreaux de métal, tous plantés dans la pierre à intervalles réguliers.
La symétrie est ennuyeuse…
Il releva la tête et renifla. Une odeur de poudre flottait dans l’air.
Son heure était venue.
Vous apprendrez…
Une explosion souffla les murs qui le retenaient prisonnier. Il était libre.
… que l’art ne peut être tué.
Il allait à nouveau pouvoir s’adonner à sa passion.