The Legends

Chapitre 56 : Chapitre 49 Quatrième Partie

9207 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 29/08/2017 12:25

CHAPITRE 49 PARTIE 4 : 

    

Hand ne quitte plus le premier officier. Ils se tiennent à hauteur des quartiers des officiers et le pont est pratiquement désert. Derrière eux un homme crie :

- Uniquement les femmes et les enfants ! Vous montez dans les canots ! Pressez-vous ! Pressez-vous ! Ne discutez pas !

Murdoch questionne un matelot :

- Où sont tous les autres ?

- Ils sont tous à l'arrière maintenant !

Murdoch veut contourner Hans pour poursuivre son travail mais celui-ci l'en empêche :

H : Monsieur Murdoch... nous avons un accord, n'est-ce pas ? Hm ?

Il met une liasse de billets dans la poche brodée à l'emblème de la White Star du manteau bleu marine de l'officier, ignorant délibérément son regard accusateur. Puis Murdoch passe à côté de lui, gardant les billets :

- Si vous le dites...

Encore une fois, Hans a su acheter la volonté d'un homme.

 

De l'autre côté du navire, un officier crie :

- En arrière ! Les femmes et les enfants s'il vous plaît !

- Soyez raisonnables, les hommes !

Lightoller tire deux fois en l'air :

- Les femmes et les enfants uniquement !

Une femme regarde son mari droit dans les yeux et comprend qu'elle ne le reverra plus jamais... Un homme avance soudain et donne un message qu'il vient d'écrire sur la page arrachée d'un calendrier de poche :

- Voulez-vous donner ceci à ma femme à Des Moines, dans l'Iowa ?

Parmi les passagers attendant une place dans le canot, Jack, Elsa et les autres. Lightoller ordonne :

- Les hommes, reculez ! Reculez, monsieur ! Passez, madame, par ici ! Non, monsieur, reculez ! Laissez passer les femmes !

Jack demande à Tommy :

J : il faut aller voir de l'autre côté... vas-y !

Le pont fait 28 mètres de largeur et les quatre cheminées ayant une base de 34 m2, pesant 50 tonnes chacune et hautes de 24 mètres comme des maisons de 8 étages, les quartiers des officiers, le toit surélevé du salon des premières classes, le compas sur le toit de celui-ci, la coupole du grand escalier avant, le fumoir des 1ères classes... tous ces bâtiments empêchent de contrôler les deux côtés, bâbord et tribord, à la fois.

Tommy acquiesce et part, pendant que Lightoller répète machinalement :

- Les femmes et les enfants uniquement ! Messieurs, reculez !

 

Lovejoy traverse la passerelle de commandement pour rejoindre son maître. Les appels de Murdoch restent sans réponse :

- Est-ce qu'il y a encore des femmes et des enfants ? Est-ce qu'il y a encore des enfants ? Est-ce qu'il y a encore des femmes et des enfants ?

Lovejoy informe Hans :

- Je l'ai trouvée... de l'autre côté... Elle attend un canot ! Avec lui... !

Murdoch demande encore une fois :

- Est-ce qu'il reste des femmes et des enfants ?

Le président de la compagnie, Joseph Bruce Ismay, répond :

- Ils sont tous embarqués, monsieur Murdoch...

Le 1er officier, qui a depuis le début suivi la règle "les femmes et les enfants d'abord" et ensuite raisonnablement rempli les places libres d'hommes, aussi bien passagers qu'équipage, se retourne vers Hans en répétant :

- Quelqu'un d'autre alors ?

Ismay aide quelques personnes à s'installer dans le canot :

- Allez, allez ! Dépêchez-vous ! Dépêchez-vous !

Murdoch répète en regardant Hans :

- Quelqu'un d'autre ?

Hans hésite puis grommelle entre ses dents :

H ; Qu'ils aient tous se faire foutre !

Voyant qu'il ne se décide pas, Murdoch donne l'ordre d'affaler la chaloupe de secours C :

- Allez, descendez !

Ismay intervient :

- ça suffit, ça suffit...

Voyant Hans se diriger vers la passerelle de commandement au lieu de profiter de la seule chance qui lui reste pour quitter le paquebot, Lovejoy murmure :

- Merde !

Puis il suit son maître, sachant que sa dernière chance vient de passer en même temps...

Un officier envoie la 6ème fusée du Titanic, il est près de deux heures moins vingt :

- Feu !

Lorsqu'il voit Hans traverser la passerelle, il tente en vain de l'arrêter :

- Monsieur ! Monsieur ! Vous ne pouvez pas passer par là !

Lovejoy suit Hans sans se soucier de l'officier qui répète :

- Non, monsieur, vous ne pouvez pas passer par là !

D'un pas décisif, les deux hommes se mettent à la recherche de Jack et d'Elsa...

 

Le canot de type "Engelhard" intitulé C a commencé sa descente vers l'océan qui est déjà terriblement près à 1 heure 40'. Ismay approuve en se frottant les mains :

- Voilà qui est parfait... bien ! Bien !

Soudain, il regarde autour de lui, ne voit plus personne et décide de profiter d'une des 26 places vides dans la chaloupe. Il monte à bord alors que les bossoirs qui ont aussi mis le canot numéro 1 à la mer grincent en larguant le quatrième canot avant la fin...

Murdoch n'a rien vu tant il est occupé de donner les ordres :

- Préparez-vous à le faire descendre... à gauche, vous êtes prêts ? 

Puis il marque une pause involontaire, abasourdi par la vue du président dans le canot. 

- Faites descendre le canot... ensemble... doucement ! Les deux côtés ensemble... doucement ! Tout doucement !

Ismay n'ose pas croiser le regard du premier officier fixé sur lui et relève la tête seulement lorsque le flanc du Titanic apparaît devant lui. Ce regard et les remords le poursuivront tout au long de sa vie...

Pourtant il n'est pas le seul homme dans le canot : William E. Carter, à qui appartient la Renault flambant neuve qui a servi de nid d'amour à Jack et à Elsa, le maître de timonerie George Rowe qui a lancé la plupart des fusées de détresse, le coiffeur monsieur Auguste Weikmann, Thomas Cardeza qui habitait la suite avec pont privé opposée des Hockley, 4 passagers de la 3ème classe de nationalité chinoise...

 

A bâbord, quelques minutes plus tard. Un père confie sa petite fille au deuxième officier Lightoller afin qu'elle parte avec le canot numéro 2. La fillette pleure :

- Papa !

Lightoller intervient :

- Donnez-la-moi !

- Papa...

Le père, un passager de la première classe, rassure sa fille :

- Tout ira bien, ma chérie...

L'officier installe la fillette près de sa mère et sa sœur qui sont déjà dans la chaloupe :

- Prenez-la !

Le père capte le regard affolé de la petite et lui parle doucement :

- Ne t'inquiète pas...

- Papa !

- Quoi, chérie ?

- Papa, viens dans le bateau !

- On se dit "au revoir" pour un petit moment... juste un petit moment ! Il y aura un autre canot pour les papas...

Elsa observe la scène et comprend ce que les enfants et même la plupart des femmes n'ont pas encore compris : il n'y aura pas de canot pour les hommes... ni de première ni de troisième classe...

En dessous d'eux l'Atlantique submerge le pont B et ils entendent les bruits de meubles brisés...

Le père prend congé de sa famille en mentant misérablement :

- Celui-ci est pour les mamans et les enfants... Tiens la main de maman et sois bien gentille !

Elsa se tourne vers Jack :

E : Je ne partirai pas sans toi !

Stupéfait par cette décision, il s'écrie :

J : Si, il faut que tu partes ! Tout de suite !

E : Non, Jack...

J : Montes dans ce bateau Elsa !

E : Non, Jack !

J : Si, monte dans ce bateau...

Entre-temps, Hans les a repérés et intervient :

H : Si, montez dans ce bateau, Elsa !

Instinctivement, Elsa se serre près de Jack et tous deux le regardent, incrédules de l'entendre dire :

H : Mon Dieu, mais regardez-vous ! Vous êtes à faire peur...

Il ôte la couverture qu'Elsa avait drapée autour de ses épaules et la fourre entre les mains de Jack avec dédain, puis enlève son manteau et le donne à la jeune fille :

H : Tenez ! Mettez ça sur vous... allons !

Inconsciemment, il a empoigné Elsa qui s'écarte de lui d'un mouvement vif, se blottissant contre Jack qui s'agite :

J : Monte, je prendrai le prochain...

E : Non, je ne pars pas sans toi !

Cette fois, Jack prend un ton plus autoritaire :

J : Je m'en sortirai ! Ecoute : je m'en sortirai ! Je suis un rescapé grâce à toi... T'inquiète pas pour moi ! Maintenant monte !

Pourtant interloqué par cet échange empreint d'une passion d'Elsa dont il n'avait profité à aucun moment même s'il l'aurait voulu, Hans est décidé de sauver la vie d’Elsa :

H : Ecoutez, j'ai un arrangement avec un officier de l'autre côté du navire... Jack et moi, on peut embarquer... tous les deux...

Etonné, Jack observe son rival. Puis, comprenant qu'elle ne l'écoutera pas, il supplie Elsa :

J : Tu vois... j'ai un canot, moi aussi... vas-t-en !

Hans ajoute :

H : Embarquez vite... Il est presque plein...

L'officier Wilde empoigne Elsa :

- Montez à bord, mademoiselle !

Jack approuve :

J : Vas-y, vas-y !

L'officier en chef, Wilde, aide la jeune femme à s'installer, pendant que Lightoller continue à presser les femmes de ne plus attendre :

- Allez, vite ! Montez à bord, s'il vous plaît ! Dépêchez-vous ! 

Il sépare les mains de Jack et d'Elsa :

- N'avancez pas ! N'avancez pas ! 

Puis il ordonne d'affaler le canot avec les femmes des milliardaires Madeleine Astor, madame Arthur Ryerson, madame George Widener, madame John B.Thayer... 

- Préparez-vous à faire descendre ! Dégage-s’il vous plaît !

Wilde ajoute :

- Allez, faites descendre ! Attention, bien ensemble... doucement ! Continuez ! Allez, continuez ! Abaissez ensemble, les gars... Doucement, voilà ! Allez-y, faites descendre...

Jack et Hans se tiennent côte à côte au bastingage, Jack hoche doucement la tête, satisfait d'avoir pu sauver Elsa malgré son obstination. Il ne compte pas perdre une seule seconde de ses derniers regards sur elle, mais Hans l'interrompt :

H : Vous mentez bien...

Il répond sans quitter la jeune femme des yeux :

J : Presque aussi bien que vous !

Wilde dirige toujours :

- Tout doucement... faites descendre doucement... Plus doucement ! Les deux côtés régulièrement...

Timidement, Jack ose poser la question qui lui brûle les lèvres :

J : Vous n'avez... aucun arrangement, n'est-ce pas ?

D'un air triomphant, Hans contredit :

H / Oh si, j'en ai un ! Mais je ne vous en ferai pas profiter ! Dommage que je n’aie pas gardé ce dessin... il aurait valu une fortune demain matin...

Pendant que Jack hoche la tête d'un air vaincu, les épaules affaissées, Wilde crie toujours des ordres aux matelots :

- Les deux côtés en même temps, les gars ! Abaissez régulièrement... attention, ça penche !

Hans termine sa mise à mort :

H : Je gagne toujours Jack... d'une façon ou d'une autre !

Wilde crie toujours :

- Rééquilibrez le canot... doucement ! Régulièrement, les gars ! Allez, continuez ! Voilà ! Sur la droite, régulièrement... Faites descendre, allez-y, allez les gars, doucement !

Assise dans le canot, Elsa réalise ce qui se passe autour d'elle. Elle voit Jack et l'officier Wilde et surtout les maris et pères qui se détournent du canot, après avoir dit adieu à leur famille à laquelle ils ont menti afin de la mettre en sécurité...

Elle voit quelques larmes scintiller dans les yeux de Jack, et elle comprend qu'ils lui ont menti eux aussi !

Une fusée explose au-dessus de leurs têtes et entoure le visage de Jack d'un halo lumineux tel un saint...

Et subitement, Elsa sait où est sa place ! Elle traverse le canot et se cramponne au pont promenade ouvert du pont A, se hissant avec ce qui lui reste de forces à bord du paquebot qui s'enfonce un peu plus à chaque minute. Jack hurle :

J : Elsa ! 

Un matelot dans le canot tente de la retenir en criant :

- Non, ne faites pas ça ! Non !

Hans ordonne :

- Empêchez-la !

Ahuri, Jack hurle :

J : Elsa ! Qu'est-ce que tu fais ?

Mais il le sait, il le sait parfaitement. Hans crie :

- Arrêtez-la !

Jack répète :

- Non !

Mais Elsa a trouvé une main compatissante qui la hisse de l'autre côté du bastingage et remonte déjà la pente dangereusement raide vers l'entrée des premières classes.

Jack pénètre dans le foyer des premières classes par la porte du pont des embarcations, le dôme en verre au-dessus de lui toujours illuminé brille de mille feux comme si tout était normal... seuls les escaliers dont les marches penchent et rendent l'accès plus difficile annoncent le désastre imminent...

Il descend les escaliers à toute allure et retrouve Elsa au pied de l'escalier, la serrant contre lui en pleurant, comme s'il voulait ne plus la lâcher :

J : Elsa ! Tu es trop stupide ! Pourquoi tu as fait ça, hein ? Tu es trop stupide, Elsa... mais pourquoi tu as fait ça, pourquoi ?

E : Tu sautes pas, je saute pas, vrai ?

Devant cette logique dont il est l'origine, il ne sait plus s'il est plus content qu'elle se soit décidée de rester près de lui quoi qu'il arrive ou s'il est plus triste qu'elle va peut-être mourir à cause de lui :

J : D'accord !

E : Oh mon Dieu, je ne pouvais pas partir, je ne pouvais pas partir Jack...

J : Ce n’est pas grave, on va trouver quelque chose...

A l'étage supérieur, Hans se tient à la balustrade et observe la scène, fulminant de rage et vexé. Lovejoy est près de lui. Ils entendent Elsa dire à Jack :

E : Au moins je suis avec toi !

J : On va trouver quelque chose... on va trouver quelque chose...

Lovejoy tente d'éloigner Hans pour préserver ce qui lui reste de fierté, mais celui-ci s'empare de son revolver, le dégaine et s'approche de la balustrade pour tirer sur les amants. Si Elsa ne veut pas de lui, personne d'autre ne la possédera, et sûrement pas un moins que rien de l'entrepont, c'est bien plus qu'il ne peut supporter ! Au dernier moment, Jack voit Hans se pencher avec l'arme à point pour leur tirer dessus et crie :

- Attention, Elsa ! Viens ! Cours ! Viens vite, cours !


En les voyant s'enfuir ensemble, Hans hurle :

- Non !

Jack entraîne Elsa dans les escaliers en criant :

- Vite !

Et ils s'enfoncent dans le ventre du paquebot, étage par étage ils s'approchent de l'eau glacée qui envahit déjà le hall d'accueil de la salle à manger du pont D. Hans les suit en hurlant, encore plus furieux après être tombé sur les débris d'un gland en chêne qu'il a détruit par sa propre balle, bousculant les rares passagers témoins de la scène :

- Bouge-toi !

Elsa regarde derrière elle et voyant Hans elle crie :

- Non !

Ils arrivent au pont D où le grand escalier qui craque et grince sous la pression de l'eau prend fin et Jack entraîne Elsa dans l'eau. En s'enfonçant, Elsa s'écrie :

E : Ha, non !

Mais le chemin du retour est bloqué par Hans et Lovejoy et ils sont obligés de traverser le hall déjà sous l'eau et de remonter vers la salle à manger encore au sec. Jack encourage sa compagne :

- Viens vite, viens vite ! Allez ! Allez, vite ! Viens Elsa, allez !

Autour d'eux, les balles sifflent une après l'autre. Une vient de briser la vitre à côté de la magnifique porte d'entrée de la salle à manger. En tout, Hans tire huit fois sans jamais atteindre ses cibles. Maintenant le chargeur est vide et il est dans l'eau jusqu'aux cuisses mais il ne s'en était pas encore aperçu tellement il est en rage :

H : J'espère que vous profitez du temps passé ensemble !

Il abandonne et rejoint Lovejoy qui l'attend sur les premières marches de l'escalier, bien au sec. Par la baie vitrée ils voient Jack et Elsa qui remontent la pente dangereusement raide de la salle à manger sans se retourner. Soudain, Hans émet un petit rire hystérique. Incrédule, Lovejoy le regarde et finit par demander :

- Qu'est-ce qui peut bien vous faire rire ?

Hans hésite un instant puis avoue sa bêtise :

- J'ai mis le diamant dans le manteau... et je lui ai donné mon manteau ! Lovejoy, si vous pouvez le récupérer... il vous appartient !

Il lui rend son arme. Lovejoy hésite un instant puis avance dans l'eau d'un pas décidé...

 

Lovejoy traverse la salle à manger dont la partie supérieure, qui était autrefois le fond de la salle rattachée aux cuisines, est encore au sec. Ses yeux scrutent systématiquement l'endroit, ses oreilles sont à l'affût du moindre bruit... il recharge habilement son arme, un détective accompli. Il laisse derrière lui un lac de tables flottantes avec les petites lampes diffusant toujours leur douce lumière sur les magnifiques arrangements de fleurs fraîches. Une dînette se met en route comme par enchantement, fonçant droit dans une table dans le bas de la salle. Un écho effroyable de grincements d'acier qui cède secoue le navire et Lovejoy voit que la retraite est désormais coupée : l'eau envahit déjà l'estrade du grand escalier et le hall d'accueil est immergé, et même la partie inférieure de la salle à manger. Le Titanic coule de plus en plus vite...

Jack et Elsa sont cachés derrière une table renversée quelque part au milieu de la pièce, regardant avec effroi l'eau monter de plus en plus haut. Ils rampent vers le prochain groupe de meubles et Jack murmure :

J : Reste ici !

Il s'apprête à avancer encore un peu lorsque Lovejoy a perçu un mouvement. Il se retourne rapidement mais ne voit rien. Soudain, une autre dînette avec des piles d'assiettes avec leur élégant motif bleu royal se met en route, suivant les lois de la physique, et fonce droit sur Elsa. Après avoir heurté une table, la porcelaine explose littéralement et la jeune femme n'a d'autre choix que de s'enfuir d'un bond pour éviter les débris coupants et cette fois Lovejoy l'a repérée. Il pointe le Colt sur elle et c'est l'instant que Jack attendait pour sauter sur lui de derrière la table qui le cachait. Ils tombent tous deux sur une table qui se brise sous leur poids et les plonge dans l'eau froide. Jack empoigne Lovejoy qui tente de se remettre de ce premier contact avec l'eau glaciale et lui administre un coup de poing dans l'estomac qui lui coupe la respiration :

J : Avec les compliments de la maison !

Puis il envoie le valet dans une des colonnes ornées, où il se heurte violemment la tête et lâche son arme sous le choc. Jack prend la main d'Elsa qui est restée à l'écart de ce règlement de comptes, étonnée de la violence dont Jack a fait preuve.

J : Viens. Vite !

Il l'entraîne dans les cuisines d'où un escalier de service mène sur le pont des embarcations. Elsa s'apprête à monter les marches mais Jack attrape son bras et la force à descendre d'un étage. Il sait que Lovejoy n'abandonnera pas aussi facilement.

Chancelant de douleur, Lovejoy se relève, récupère son arme et les suit à travers les cuisines désertes à présent. Croyant qu'ils sont montés sur le pont - logiquement, qui ferait l'inverse ? il se lance dans l'escalier, grimpant les marches deux par deux, le revolver à la main.

 

Les sons qu'émet le navire à l'agonie les font frissonner, la pression de l'eau fait grincer l'acier au fur et à mesure qu'elle le déforme comme s'il s'agissait de papier. Des meubles flottent un peu partout, et l'eau a déjà atteint le haut de la salle à manger maintenant. Blottis dans le passage des cuisines vers une coursive des troisièmes classes au pont E, réservée à l'équipage, les cris d'un enfant leur parviennent soudain. La langue leur est étrangère mais la détresse est évidente. Elsa regarde Jack et décide :

E : On peut pas le laisser !

J : Bon, viens !

Ils s'engouffrent dans l'étroit couloir et Jack empoigne l'enfant qui doit avoir 3 ou 4 ans, le serre contre lui et ils cherchent désespérément une échappatoire. D'un côté, l'océan s'apprête à forcer une porte à double battant qui est sur le point de céder, de l'autre côté une cascade leur annonce que la retraite est déjà coupée par là. Jack fait demi-tour en hurlant :

J : On retourne !

Le père de l'enfant apparaît subitement, pose une valise et arrache son fils aux bras de Jack en l'insultant en russe :

- Idiotem ! Idiotem !

Jack ne sait quoi dire mais voyant l'homme se diriger vers la porte qui va céder il hurle :

J : On ne peut pas sortir par-là, revenez !

Horrifiée, Elsa enchaîne :

E : Revenez, revenez !

J : On ne peut pas sortir par-là !

Au moment même la porte s'ouvre sur une puissante cascade qui terrasse tout sur son chemin, le papa et son garçon les premiers. Ils disparaissent sous les flots et Jack et Elsa se réfugient dans un autre couloir, l'eau à leurs trousses. Jack s'exclame :

J : Cours ! Cours ! Cours !

D'une force et vitesse incroyables, l'eau les rattrape et les emporte pour les jeter contre une grille fermée quelques dizaines de mètres plus loin. Jack repère un escalier montant au pont D juste derrière eux et appelle Elsa :

J : Par ici !

Il se hisse dans l'escalier et tend sa main pour l'aider à remonter le courant :

J : Continue ! Allez, donne-moi la main !

Ils montent les marches pour se retrouver devant une autre grille solidement verrouillée, et Elsa est au bord du désespoir :

E : Oh non !

Jack voit l'eau montant très vite leur barrer la retraite et appelle aussi fort qu'il peut :

- Au secours !

Elsa empoigne la grille mais elle a beau tirer, elle ne cède pas :

E : Allez là ! Au secours !

Un steward passe devant eux et Elsa le supplie :

- Aidez-nous !

Jack ajoute :

- Attendez, monsieur, ouvrez la grille s'il vous plaît !

E : Ouvrez-nous, s'il vous plaît...

Voyant que l'homme hésite, Jack répète :

J : S'il vous plaît !

E : Aidez-nous s'il vous plaît !

J : S'il vous plaît...

Le steward qui a déjà grimpé quelques marches de l'escalier menant au pont B redescend, comprenant que sans son aide, dans une ou deux minutes les jeunes gens seront morts :

- Nom de Dieu !

Il veut insérer une clef dans la serrure mais il tremble de peur, l'eau atteint déjà ses pieds maintenant, Elsa et Jack sont immergés jusqu'aux genoux. Jack supplie :

J : Dépêchez-vous ! Dépêchez-vous !

E : Allez !

J : Vite, vite !

Mais une clef après l'autre se révèle être la mauvaise... le steward prie tout haut :

- Mon Dieu !

Elsa est prise de panique :

E : Je vous en supplie...

J : Allez !

E : plus vite !

J : Dépêchez-vous !

Un court-circuit éteint les lumières en lançant des étincelles et cette fois s'en est trop pour le jeune steward. Jack le presse, n'arrangeant pas les choses :

J : Allez vite !

- Je suis désolé, j'ai fait tomber les clefs !

Et il part en courant, laissant Elsa et Jack dans cette situation précaire. La jeune femme essaye de le retenir, mais en vain :

E : Attendez !

J : Attendez !

Ils crient ensemble "Attendez", mais le steward est déjà parti. Pendant qu'Elsa continue d'appeler, Jack plonge pour tenter de récupérer le trousseau :

E : Ne partez pas, je vous en prie ! Envoyez-nous de l'aide !

Jack a trouvé la clef et revient à la surface. L'eau leur monte déjà jusqu'à la taille.

- Je les ai ! Laquelle c'est, Elsa ?

- Attends... la plus petite ! C'est la plus petite ! Dépêche-toi, Jack !

Il parvient à insérer la clef dans la serrure qui est déjà sous l'eau, mais :

J : Oh non, c'est pas celle-là !

E : Dépêche-toi, Jack !

J : C'est coincé !

E : Dépêche-toi ! !

L'eau atteint leurs têtes et Elsa crie.

J : C'est coincé !

E : Jack ! Dépêche-toi ! Dépêche-toi !

J : C'est coincé ! Allez ! C'est coincé !

E : Dépêche-toi !

J : ça y est ! Je l'ai ! Ça y est ! Allez, vas-y !

L'eau est si profonde qu'ils nagent juste en dessous des tuyaux au plafond, et ils sont obligés de plonger entre chaque tuyau en contresens. Bientôt, il ne reste plus que quelques centimètres d'air et lorsqu'Elsa se retourne, elle ne voit plus Jack :

E : Jack ! Jack, viens !

Il émerge entre deux tuyaux et crie :

J : Avance ! Avance !

Ils atteignent l'escalier suivant vers le pont C et Jack pousse Elsa la première :

J : Monte, monte, allez !

 

L'eau envahit l'avant du pont A à présent. Les hommes de l'équipage sont maintenant aidés de passagers désespérés pour dégager les chaloupes du type "Engelhard" qui sont plus petits que les canots et dont la moitié de la coque est en toile pliée pouvant être relevée. Mais ce sont malgré tout de vaillants voiliers, à condition d'avoir un connaisseur de la technique à bord. Deux d'entre eux sont solidement attachés sur le toit des quartiers des officiers, et les hommes ont le plus grand mal à s'en emparer :

- Faites descendre ! Attention !

- Les femmes et les enfants uniquement, nom de Dieu !

Un des canots manque d'écraser quelques hommes tentant de l'attraper lorsqu'il glisse du toit sur des rames posées contre la façade qui cèdent sous le poids :

- Retenez-le ! Retenez-le ! Allez, on embarque !

Les cousins suédois qui partageaient la cabine de Fabrizio, Olaus et Bjorn Gundersen sautent sur le côté pour ne pas être écrasés par le canot.

Murdoch observe depuis un certain temps l'ascension de l'eau par un étroit escalier de l'équipage, où elle avale marche par marche, les lampes scintillant encore d'un étrange éclat verdâtre avant de s'éteindre pour toujours... il comprend que la fin est proche :

- Il faut remonter ce bossoir ! Un matelot pour accrocher les boucles !!

Entraîné par une masse de passagers qui afflux soudain depuis le foyer des premières classes, Hans débouche sur le pont des embarcations. Il voit sa dernière chance de quitter le navire indemne, la chaloupe qui est tombée du toit des quartiers des officiers. Les officiers luttent vainement contre le mouvement de panique croissant qui s'empare des passagers et de l'équipage, mais ils continuent de hurler :

- Les femmes et les enfants uniquement ! Laissez passer les femmes et les enfants ! Ne poussez pas !

Hans entend les pleurs d'un enfant tout près de lui. Il trouve une petite fille des troisièmes classes, qui a perdu ses parents et qui cherche à se protéger derrière des cordages :

- Maman...

Insensible, Hans l'abandonne à son sort et reporte son attention sur le premier officier qui ordonne :

- N'avancez pas, monsieur ! N'avancez pas, j'ai dit !

 A bout de forces, Jack et Elsa montent les escaliers de service qui semblent ne pas en finir en courant, étage par étage pour sortir de ce tombeau luxueux qui risque de les emporter au fond de l'océan. Jack encourage Elsa :

- Continue à monter !

Sur le pont des embarcations, le chaos est complet maintenant. Murdoch répète inlassablement :

- Arrêtez de pousser ! N'avancez pas !

Parmi les hommes qui l'encerclent pour monter dans le canot A, se trouvent Tommy et Fabrizio. Le jeune Irlandais s'écrie :

- Est-ce que vous nous laisserez une chance de vivre, salopard de British ?

Murdoch le regarde froidement et répond à l'intention de tous :

- Comprenez bien que je tire sur le premier qui essaie de passer ! N'avancez pas !

Mais Tommy est hors de lui après les scènes qu'il a observées dans l'entrepont, tous ces gens qui sont enfermés sans aucune chance de sortir du paquebot :

- Vieux salaud !

- N'avancez pas !

Hans a suivi la scène de près et s'approche du premier officier :

H : Nous avons un accord, nom de Dieu !

Mais s'il s'est laissé tenter plus tôt, Murdoch opte pour le respect et la fierté de sa profession à présent, il sait qu'il va plonger avec le navire et attend d'un gentleman qu'il en fasse autant. Aussi, il sort l'argent de sa poche et lance les billets aux pieds de Hans : 

- Votre argent ne vous sauvera pas plus qu'il ne me sauvera moi ! Reculez !

Ahuri, Hans tient bon au regard impénétrable et décidé de l'officier. Quelques passagers de l'entrepont se bousculent derrière lui et Tommy est propulsé en avant malgré lui. Murdoch réagit instinctivement et tire. Tommy s'écroule sans vie, Fabrizio plonge sur son ami :

- Tommy ! Non ! Tommy ! Relève-toi ! Non, Tommy !

Il s'adresse à Murdoch :

- Bastardo ! Non ! Oh, oh, Tommy ! Aiuto, Tommy, aiuto...

Murdoch comprend la monstruosité de son acte et ne peut encaisser les paroles de ce jeune Italien affligé ni affronter les regards accusateurs des matelots et de Wilde, l'officier en chef, qui se tient tout près de lui. La situation est pourtant paradoxe : presque tous ces gens sont condamnés à mourir, et on le prend pour un meurtrier parcequ'il a tué un homme... pour sauver les vies de femmes et d'enfants, comme tout bon officier se le doit. Mais c'est aussi lui qui a condamné les autres à la mort puisqu'il se trouvait lui-même au poste de commandement et n'a pas su éviter la collision...

D'un geste solennel, William Murdoch porte la main à son front, rend hommage, et se tire une balle dans la tête. Les dernières paroles qui lui parviennent avant de tomber par-dessus bord sont les cris affolés de l'officier en chef Wilde qui hurle :

- Non, Will !

Une seconde plus tard il flotte dans l'Atlantique qui n'est plus qu'à un mètre et demi du pont des embarcations. Un homme crie :

- Il a tiré !

La foule avance vers le bord pour voir le corps de Murdoch autour duquel flottent les billets de Hans qui avaient échappé à sa poignée. Wilde brandit son arme :

- Reculez, bande de crétins ! Reculez nom de Dieu !

De l'autre côté du vaisseau, la chaloupe "Engelhard" B est également détachée à grand peine de son emplacement sur le toit des quartiers des officiers. Lightoller ordonne :

- Doucement, attention ! Retenez le canot ! Retenez-le, il va tomber !

Elle tombe du toit, mais malheureusement sur sa base. Lightoller et les autres hommes essayent de la redresser, mais en vain...

A tribord, Wilde hurle :

- N'avancez pas ! Les femmes et les enfants d'abord !

Hans se ravise et se souvient de la fillette qu'il avait aperçu un peu plus tôt. Il la retrouve, la prend dans ses bras et retourne près de l'officier :

- J'ai un enfant ! J'ai un enfant !

Wilde écarte les autres passagers de force :

- Laissez-le passer !

- Je vous en prie... j'ai un enfant ! Je vous en prie ! Je suis tout ce qu'elle a au monde !

Wilde le considère pendant une seconde. Il n'est pas dupe et voit bien que la fillette porte de pauvres vêtements et que Hans est manifestement un passager privilégié. Néanmoins, il lui intime de passer et retient la foule qui panique :

- Montez. N'avancez pas ! N'avancez pas, je vous dis !

Hans rejoint le dernier canot, tend la fillette à une femme de troisième classe qui y est déjà installée :

H : S'il vous plaît...

- Donnez, passez-la-moi... viens ma chérie, ce n'est rien !

Hans monte dans le canot à son tour et récupère l’enfant :

H : Donnez-la-moi ! Là, là...

Il secoue la fillette plus qu'il ne la calme, mais il la garde serrée contre lui de peur qu'on lui demande de quitter l'embarcation...

 

Elsa et Jack ont atteint le salon-fumoir des premières classes. Devant la cheminée en marbre où brûle toujours un feu réconfortant, ils y trouvent Thomas Andrews qui attend la fin, solitaire, ravagé par la certitude que "son" navire emportera tant de vies dans l'au-delà. Elsa se défait de la main de Jack qui l'entraîne déjà vers la porte :

E : Attends ! Attends ! Attends ! Monsieur Andrews... ?

- Oh, Elsa...

E : Vous ne voulez même pas faire une tentative ?

Sachant qu'il y aura beaucoup de questions auxquelles lui seul pourrait répondre, l'ingénieur a pourtant décidé de rester sur le bateau comme le capitaine est censé faire lui aussi :

- Je suis désolé de ne pas avoir construit un navire plus solide, jeune Elsa...

Jack s'affole, la raideur de la pente s'accentue à chaque minute :

J : ça va très vite... faut pas traîner ici !

Elsa le rejoint, mais enfin Andrews se débarrasse pour un moment de sa léthargie et remarque qu'elle ne porte pas de gilet de sauvetage :

- Attendez ! Bonne chance à vous, Elsa...

Il lui donne son propre gilet qu'il avait négligemment posé sur un fauteuil à oreilles, et elle le remercie :

E : A vous aussi !

Il la serre contre lui, Jack hoche la tête en sa direction et tous deux partent par la porte tournante qui donne dans le café-véranda, dernier obstacle avant le pont promenade.

 

Un steward tend un gilet de sauvetage à un homme d'âge avancé qui descend dans le foyer des premières classes suivi de son serviteur privé, Victor Giglio :

- Monsieur Guggenheim, c'est pour vous, monsieur Guggenheim...

Benjamin Guggenheim compte affronter la mort dignement :

- Non-merci, nous sommes assez habillés comme çà... et préparés à couler comme des gentlemans. Mais nous aimerions un brandy...

 

Le capitaine Smith, qui a cruellement manqué à son devoir pendant les deux heures qui viennent de s'écouler, observe la préparation du dernier canot du côté bâbord. Il retourne vers la passerelle de commandement lorsqu'une femme de l'entrepont avec un nouveau-né dans les bras l'appelle :

- Commandant ? Commandant, s'il vous plaît ? Je vais où ? S'il vous plaît ?

Horrifié qu'il y ait encore au moins une femme et un des 105 enfants, dont 76 en 3ème classe, à bord, il reste pourtant incapable d'aider cette pauvre femme, abandonnant la mère et son bébé à leur triste sort. Derrière eux, Lightoller, qui a fini par enlever son manteau tellement il s'épuise à la tâche, crie :

- Ne poussez pas ! Dépêchez-vous ! Les femmes et les enfants !

Un matelot accourt avec un gilet de sauvetage :

- Commandant ! Commandant ! Monsieur !

Smith refuse le gilet et repousse le matelot étonné. Complètement apathique, il regarde son poste à la barre que l'eau envahit déjà, 32 mètres au-dessus de la quille et autrefois 21 mètres au-dessus du niveau de l'océan. Il décide de se retirer dans le poste de pilotage encore au sec. Il ferme la porte derrière lui, se préparant au dernier acte, laissant sur le pont un matelot et une pauvre mère sans défense, n'y comprenant plus rien...

 

Les musiciens finissent une partition, bousculés et poussés par les gens qui courent de tous côtés. Wallace Hartley regarde autour de lui et décide :

- Bon, ça suffit...

Le violoniste lui dit solennellement :

- Au revoir, Willie, bonne chance !

Le joueur de contrebasse ajoute :

- A un de ces jours, mon vieux...

Tandis que ses collègues s'éloignent en emportant leurs instruments, Wallace Hartley pose son menton une dernière fois sur son violon, et les premières notes de "Plus près de Toi, mon Dieu" réchauffe les cœurs. Les musiciens hésitent, se regardent les uns les autres et finalement se rassemblent autour de leur leader et l'accompagnent dans ce dernier hymne, qui est leur propre choral funéraire, ils en sont conscients.

Une vague submerge l'avant de la passerelle, et elle s'enfonce doucement.

Sur sa passerelle de commande, qui se trouve à 32 mètres de la quille, le capitaine affiche une mine de damné attendant le jugement dernier en voyant l'eau monter devant la vitre qui le sépare du poste de navigation, elle monte toujours plus vite et bientôt le verre cédera à la pression...

Thomas Andrews, le dernier client du salon-fumoir regarde sa montre de gousset, et arrête les aiguilles de l'horloge qui ornait la cheminée dans laquelle un bon feu réchauffe ses dernières minutes. Il est 2 heures 12, et sous la toile à l'huile "Le port de Plymouth" les verres de Whisky vont se briser au sol, fidèles à loi de la gravité...

Isidor et Ida Strauss, le couple âgé dont la femme a décidé qu'elle mourra avec son mari, sont étendus sur le lit de leur luxueuse suite et se serrent très fort, consolés l'un et l'autre par la présence de l'autre.

Dans une cabine de l'entrepont, la mère irlandaise, qui a compris qu'elle ne pourra pas se sauver ni ses enfants, a confortablement installé son petit garçon et sa fille et leur raconte leur histoire préférée afin qu'ils s'endorment :

- ...et ils vécurent heureux tous ensemble pendant 300 ans au pays de Tir Na Nog, le pays de la jeunesse et de la beauté éternelle...

L'eau a envahi la suite B 52,54 et 56 par le pont-promenade privé autant que par l'intérieur. Les exquis tableaux d'Elsa flottent paisiblement, le portrait aux plusieurs visages de Picasso semble s'animer, les couleurs de la danseuse de Degas s'écoulent et les lys de Monet ne flottent plus sur l'eau imaginaire d'un tableau à présent...

La passerelle de commande s'enfonce toujours plus vite dans l'océan obscur, et Fabrizio enlève la veste de sauvetage tâchée de sang de Tommy qui ne pourra plus servir à son ami, mais peut-être sauver sa vie...

Le canot dans lequel Hans a pris place ne peut plus être mis à l'eau puisque l'océan lui-même vient le chercher. L'officier en chef Wilde crie :

- On n'a plus le temps, coupez ces cordages, on les coupe ! On coupe tout s'il le faut !

Un matelot hurle :

- Je n'ai pas de couteau !

Mais Wilde n'a pas le temps pour ce genre de détail :

- Coupez ces cordes, coupez-les ! Coupez ces putains de poutres !

Fabrizio entend la requête et arrive au plus vite, son canif entre les dents. 

L'enfant qui a servi de prétexte à Hans se met à pleurer :

- Maman, maman...

Hans la pousse dans les bras d'une femme puisqu'il n'en a plu besoin :

- Tenez !

Voyant avec horreur un groupe qui a été emporté par une vague du pont des embarcations s'approcher à la nage, il s'empare d'une rame et se met à taper sur les têtes et les mains des personnes qui cherchent désespérément à se sauver de cette eau qui fait 2° et que seul le sel marin empêche de geler...

A bâbord le scénario diffère à peine, Lightoller essaye désespérément de mettre la chaloupe retournée sur sa base à flot. Plusieurs hommes tentent frénétiquement de libérer le canot B des cordages, pour que le navire ne l'emporte pas avec lui. Le colonel Gracie donne un canif à Lightoller afin qu'il coupe les liens. Quelqu'un crie :

- Coupez ces cordages, aidez-le !

L'eau immerge déjà leurs pieds et soudain le canot flotte et les hommes nagent et plongent pour l'atteindre.

 

Dans le foyer du pont A des premières classes, Benjamin Guggenheim, dont l'amante française est partie à bord d'un canot il y a bien longtemps, est installé sur une chaise et il regarde l'eau submerger les couloirs luxueux devant lui, le visage figé en une grimace d'horreur. Derrière lui, son serviteur fidèle attend avec lui, la peur se lit sur son visage, mais il n'imitera pas les derniers passagers qui se réfugient dans l'escalier pour tenter de quitter le navire. Quelqu'un hurle :

- Dépêchez-vous ! Montez ! Montez !

Sur le pont des embarcations, l'hymne "Plus près de Toi, mon Dieu " se termine. Un nombre incroyable de passagers se rue en direction de la poupe, l'eau les suit de près...

Wallace Hartley remercie ses musiciens et c'est en même temps un adieu :

- Mes amis, ce fut un privilège de jouer avec vous ce soir...

Le capitaine Smith respire un grand coup en entendant un petit craquement qui annonce le déluge final ; à 2 heures 15 les vitres qui le séparent du poste de navigation cèdent et quelques tonnes d'eau le détruisent immédiatement...

Fabrizio, Hans et encore d'autres hommes espèrent pouvoir se réfugier dans le canot qui est déjà rempli d'eau jusqu'au tiers. 

Les hommes, femmes et enfants qui n'ont pas pu quitter le vaisseau pour une raison ou une autre, ou qui n'ont pas cru que l'impensable pouvait arriver, courent maintenant vers la poupe. Le dernier chapitre dans le carnet de bord du Titanic a commencé, mais il n'y a personne pour l'écrire...

Certains sautent par-dessus bord, d'autres utilisent les cordages des canots qui pendent inutilement des bossoirs à cette heure pour arriver indemnes dans l'eau, d'autres encore attendent que l'eau vienne les chercher, ce qui ne risque pas de durer longtemps...

Parmi eux il y a Jack et Elsa, et Jack décide :

J : Il faut qu'on reste sur le paquebot le plus longtemps possible, viens !

Derrière une grille en fer séparant une coursive de 3ème classe du magnifique foyer du pont A, Bert Cartmell et sa petite fille Cora regardent les passagers privilégiés monter les escaliers en courant. Bert tente désespérément de forcer la grille, mais c'est impossible. Horrifié, il regarde l'eau monter toujours plus haut derrière eux, Cora pleure et crie en serrant sa poupée contre son cœur, et déjà ils sont submergés et l'eau s'infiltre dans le luxueux foyer.

 

Le grand escalier est bientôt submergé par l'Atlantique qui fait fuir les quelques rares gens se trouvant encore à l'intérieur de l'infrastructure des premières classes qui avait pourtant libre accès aux canots. Ils tentent de s'échapper mais l'eau est bien plus rapide qu'eux...

Jack et Elsa traversent le navire de pont en pont, sautant par-dessus les bastingages et les grues électriques puisque les rares escaliers sont embouteillés. Jack aide sa compagne qui est entravée par sa longue robe et ses chaussures à talons :

- Par ici, viens, viens Elsa ! Saute ! Vas-y, je te tiens...

Dans l'élégant foyer, l'eau monte rapidement. Les passagers flottent grâce aux gilets de sauvetage mais l'eau les emporte rapidement jusqu'au plafond ou ils sont pris au piège et s'étouffent ou se noient...

Parmi eux John Jacob Astor, un des hommes les plus riches des Etats-Unis. Sur son yacht privé il avait 6 canots et 4 mitraillettes contre les pirates des Caraïbes, rien ne vaut la sécurité, mais dans les canots du Titanic il n'y avait pas de place pour lui et il n'a jamais tenté de profiter de sa situation financière et de son pouvoir.

L'horloge qui représente la gloire et l'honneur couronnant le temps, qui faisait allusion à la règle rigoureusement observée de la White Star Line de ne jamais arriver en retard, disparaît sous les flots...

Les fenêtres donnant sur le pont des embarcations se brisent et l'air propulsé vers l'extérieur par la pression de l'eau s'engouffrant avec un atroce bruit de succion aspire Fabrizio et quelques autres malheureux se trouvant là. Fabrizio se dégage de justesse en se tenant au cadre de la fenêtre jusqu'à ce que le foyer soit sous l'eau et l'aspiration ainsi coupée.

Elsa et Jack se tiennent sur la grue électrique du "well-deck" arrière, cherchant à atteindre la poupe au plus vite. Jack presse :

- Viens ! Viens ! Vas-y, saute !

Elsa s'exécute mais elle tombe et le boulanger Charles Joughin vient la relever avant que Jack en ait eu le temps :

- ça va mademoiselle ?

Elsa serre sa main puis se met à la recherche de Jack :

E : Jack ?

J : Viens !

 

A hauteur des quartiers des officiers désormais sous l'eau, Lightoller et une trentaine d'autres hommes se sauvent sur le canot B qu'ils n'ont pas pu redresser. 

Hans tente sa chance dans le canot A qui s'enfonce doucement. 

Soudain, un morceau du Titanic qui ne supportait pas que le paquebot se transforme en montagne se fait entendre ; la première cheminée, ovale géant de 5,80 de diamètre qui pourrait aussi bien servir de tunnel de chemin de fer que d'expédier les déchets des machines du plus grand navire du monde dans l'atmosphère, s'arrache de ses câbles d'acier et se brise, écrasant la passerelle de commande et une grappe de passagers sous lui. Hans la voit tomber depuis l'autre côté de la passerelle. Fabrizio était tout près et il voit les passagers qui se débattaient autour de lui soit être écrasés soit être aspirés comme lui par l'ovale géant. Lorsqu'il se détache de sa base, une bouffée de vapeur de la salle des machines souffle littéralement les malheureux à la surface et la cheminée se remplit d'eau et coule immédiatement. 

La vague provoquée par la cheminée emporte la plupart des occupants du canot B et l'éloigne du Titanic sombrant par la même occasion ce qui lui évitera d'être aspiré. Lightoller et quelques hommes, le deuxième opérateur radio Harold Bride et le colonel Archibald Gracie de Washington entre autres, parviennent à rester sur le canot qui leur sauvera la vie.

Le canot A qui a Hans pour passager s'est éloigné lui aussi du paquebot et Hans empêche tout un chacun tente de monter à bord en frappant une rame sur les têtes et les mains :

H : Non ! Vous allez nous faire chavirer !

Elsa et Jack sont encerclés par un millier de passagers qui portent leur baluchon sur la tête, contenant tout ce qu'ils possèdent, et de membres de l'équipage qui n'avaient pas le privilège de partir à bord des canots sous prétexte qu'ils savaient ramer. La procession se dirige lentement vers la poupe, beaucoup de gens pleurent ou prient ou les deux. Jack pousse Elsa dans l'escalier étroit qu'elle avait déjà emprunté. Et voilà que la vie ne veut plus d'elle...

J : Monte !

Devant eux, un homme prie à voix haute :

- ...et même si je marche à travers la vallée de l'ombre et de la mort, je...

Jack l'interrompt brutalement :

J : Tu ne peux pas marcher un peu plus vite dans ta foutue vallée ?

Autour d'eux, les plus faibles sont écrasés par les plus forts qui ne reculent devant rien pour arriver au dernier bastion que l'Atlantique avalera : la poupe. 

Des centaines de tonnes d'eau entraînent T.W.Mc Cauley, l'instructeur de gymnastique, et des dizaines d'autres que la cheminée tourbillonne comme dans un whirlpool. Fabrizio parvient à s'écarter du Titanic et repère le canot A qui est sa dernière chance...

A travers le dôme toujours illuminé du grand escalier avant, l'Atlantique prend possession de son illustre victime à grandes rafales d'eau, véritable Niagara emportant tout et tout le monde qui se trouve sur son passage.

John Jacob Astor est parmi ceux que la mort vient frapper violemment, les arrachant à la vie luxueuse qu'ils menaient. Mais il sait sa jeune femme et son enfant, qu'elle porte sous son cœur, en sécurité et s'éclipse en vrai gentleman, comme tant d'autres d'ailleurs. 

Dans les coursives et couloirs du Titanic, l'eau s'engouffre avec une telle force qu'elle arrache et brise tout sur son chemin. Portes, fenêtres, meubles, boiseries volent en éclat, sans tenir compte des classes... C'est l'apocalypse, ou plutôt l’Armageddon de l'élégance...

 

Les énormes hélices de 5, respectivement 7 mètres de diamètre s'élèvent hors de l'eau comme quelque Dieu obscur de l'Antiquité. Entre elles, le gouvernail de 24 mètres de haut et de 4,5 mètres de large, pesant 101 tonnes à lui seul. Les passagers d'un canot passant à proximité sont fascinés par ce spectacle horrible dont ils ne peuvent s'arracher. Pourtant il leur faut s'éloigner rapidement :

- Allez ! Allez-y ! Ramez plus vite ! Plus vite !

Autour d'eux, des corps se heurtent sur l'eau comme s'ils tombaient sur un rocher après leur chute de 50 ou 60 mètres depuis la poupe, les tuant sur le coup.

Les lumières hésitent pour la deuxième fois depuis le début du naufrage, grâce au travail acharné des plus de 30 ingénieurs qui sont enfermés dans le ventre du navire et savent qu'ils sont condamnés, aussi fidèles à leur tâche que les officiers. Aucun d'eux ne survivra.

Sous la passerelle de commande arrière, le prêtre Thomas Byles tient plusieurs mains unies dans la prière :

- ...Sainte Marie, mère de Dieu, priez pour nous pauvres pécheurs, maintenant et à l'heure de notre mort. Amen. Je vous salue Marie, pleine de grâces, le seigneur est avec vous, vous êtes bénie entre toutes...

Elsa et Jack entendent la prière collective en passant, s'élevant au point le plus haut sur l'Atlantique cette nuit-là : la poupe du Titanic à près de 60 mètres avec son drapeau britannique qui a cessé de claquer puisque aucun vent ne l'agite. Jack précède Elsa :

J : Par ici !

Le pont forme une pente si raide maintenant que marcher devient presque impossible, mais le but est si près...

J : Viens, viens ! Nous ne pouvons pas espérer que Dieu fasse tout le travail pour nous...

Ils arrivent enfin au bastingage de poupe illuminé par une lampe en pétrole. Le père Byles prie toujours :

- ...puis je vis un ciel nouveau, une terre nouvelle, car le premier ciel et la première terre avaient disparu. Et il n'y avait plus de mer et je vis...

Elsa empoigne Jack, rassurée de sa simple présence et regarde autour d'elle.

Une mère de troisième classe essaye d'apaiser son enfant en pleurant :

- Ce sera fini bientôt... ce sera bientôt fini...

Tout le monde cherche quelque chose pour s'agripper tandis que le paquebot continue de se transformer en un énorme cocher d'église se découpant des étoiles.

La jeune Norvégienne Helga Dahl qui s'était liée avec Fabrizio est accrochée au bastingage, sa famille près d'elle. Elle regarde Elsa tristement. Mais elle doit affronter cette épreuve seule. Sachant la chance qu'elle a, Elsa se serre encore plus contre Jack.

Le père Byles continue de consoler les catholiques dans la prière mais on peut supposer que les méthodistes, les orthodoxes, les juifs, les moslems et tous les autres se joignent à eux, chacun à sa façon, chacun dans sa langue :

- ...puis j'entendis une voix clamer depuis le trône : voici la demeure de Dieu, et ils s'y installeront et ils seront tous son peuple. Et Dieu lui-même, Dieu sera avec eux... et il sera leur Dieu...

Elsa observe le mât qui porte la lanterne et le fanion britannique :

E : Jack ! Je t'aime

Il dépose un baiser sur son front et la serre dans ses bras, conscient que c'est justement parce qu'ils ont fait connaissance, et qu’ils s’aiment qu'elle ne soit pas dans un des canots, en sécurité, bien au chaud dans un manteau de fourrure...

Tandis que la prière résonne au-dessus d'eux comme une promesse qui sera bientôt accomplie :

- ... et Dieu séchera lui-même toutes les larmes de leurs yeux, et de mort il n'y en aura plus aucune, et de cris il n'y en aura plus aucun, et de peine il n'y en aura plus aucune car l'ancien monde aura totalement disparu...

Dans le salon des premières classes sur le pont A le corps d'une femme en chemise de nuit flotte sous le magnifique candélabre ovale qui illumine ce théâtre macabre d'une douce lumière verte...

Le degré de la verticale est tel que dans les cuisines, les assiettes tombent pile par pile et vont se briser sur le sol par centaines.

Dans la salle à manger le piano se brise contre un mur.

Dans le canot numéro 14, le 5ème officier Lowe ordonne :

- Allez, ramez plus vite ! Plus vite !

Mais lui et les autres passagers du canot ne peuvent détacher leur regard de cette tour qui s'élève dans l'eau d'une façon si monstrueuse...

Le Titanic est comme posé sur la pointe de l'étrave maintenant, la verticale totale. Tous ceux qui n'ont rien dans le dos pour les retenir glissent le long des pont-promenade, parmi eux Trudy Bolt, la servante personnelle d'Elsa qu'un homme ne peut plus tenir sur le parquet ciré des ponts. Elle glisse tout le long du pont A, droit vers la mort...

Les dernières assiettes vont grossir la pile de vaisselle brisée sur le sol des cuisines, dans les cabines et salles communes, les meubles et tout ce qui n'est pas attaché au sol glisse et va se détruire dans un coin de la pièce.

Toujours plus de gens qui étaient accrochés au bastingage perdent leurs forces et tombent depuis le haut de cette tour infernale.

Charles Joughin, le boulanger qui se tient tout près d'Elsa et de Jack, voit tomber les gens, certains seuls, d'autres en grappes humaines. Quelques-uns se heurtent sur les énormes hélices. Joughin décide qu'il est temps de prendre un bon coup de sa bouteille de Whisky...

Jack demande à Elsa : 

J ; Tiens-toi très fort !

Dans le canot numéro 6, Ruth Hockley regarde cet obélisque géant dont elle ne sait pas s'il retient toujours prisonnier la fille de son amie, Elsa. Des cris résonnent sur l'océan, glaçant le sang dans les veines des occupants des trop rares canots. Près de Ruth, Molly Brown exprime ce que chacun pense :

- Dieu tout puissant !


Dans le canot C, Bruce Ismay n'ose pas jeter plus d'un rapide coup d'œil à ce paquebot de rêves dont il s'enorgueillissait qui est devenu le pire de ses cauchemars...

Dans la salle des machines, déjà dans le noir hormis les derniers foyers qui éclairent cet enfer. Les ingénieurs forment une échelle humaine pour permettre à un des hommes de remonter la pente jusqu'au panneau de fusibles. 

L'ingénieur en chef, William Bell crie :

- Branchez les coupe-circuit ! Branchez les coupe-circuit !

En actionnant une manette, l'ingénieur qui s'en charge est électrocuté sur place, échappant peut-être à une mort plus atroce encore...

 

 

A SUIVRE....


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