Un combat de tous les instants

Marion faisait les cent pas dans le dojo du repaire, incapable de rester immobile. Elle avait déjà tenté de s'asseoir à quelques reprises, que ce soit dans la grande salle ou dans la cuisine, elle n'avait pas réussi à demeurer ainsi plus de quelques secondes. Elle était si agitée qu'elle avait même fini de nettoyer les chambres de Léonardo et Michelangelo.

Elle était ensuite descendue dans la pièce au tatami pour s'exercer à l'épée, mais elle avait fini par s'épuiser à force de mettre trop de hargne dans chacun de ses mouvements. C'était pour cette raison qu'elle se contentait désormais de parcourir l'endroit de long en large, perdue dans ses pensées.

- Quelque chose te tracasse, Marion ?

Elle sursauta à l'écoute de cette voix. Splinter sortait si rarement de ses appartements qu'elle en oubliait généralement sa présence. Bien qu'il soit toujours relativement faible et qu'il conserve de nombreuses cicatrices sur l'ensemble de son corps, sa santé s'améliorait de jour en jour.

- Je suis inquiète, maître. Pour Mikey, pour April, mais aussi pour tous les autres. Ils sont partis depuis des heures, désormais, et je n'ai aucune nouvelle d'eux. Je me sens terriblement mal d'être ici alors qu'ils sont peut-être en danger.

- Mes fils se sont sorti de nombreux mauvais pas. Qui plus est, ce n'est qu'une simple mission de recherche. Peut-être Miwa est-elle en train de les faire tourner en rond dans les égouts, auquel cas ils ne seront effectivement pas de retour avant un très long moment.

- J'espère que vous avez raison, maître.

- Veux-tu méditer avec moi, afin de tromper l'attente ? proposa aimablement le rat.

- Je ne pense pas que j'en sois capable. J'ai l'impression que si je cesse de bouger ne serait-ce qu'une minute, je vais devenir folle.

- La méditation est tout un art. Je me ferai une joie de te l'enseigner. Ça pourrait t'être un jour très utile.

Marion haussa les épaules, avant d'accepter. Elle n'était pas vraiment convaincue, mais tout le monde présentait assez unanimement Splinter comme un grand sage, alors elle décida de se ranger à son opinion. Elle le rejoignit au pied de l'arbre qui ornait le centre du dojo et dont l'écorce avait souffert des lasers des Krangs, sous lequel il était déjà assis.

Elle s'installa en tailleur sur le tatami et ferma les paupières avant qu'il n'ait eu besoin de le lui demander. Il lui conseilla de poser ses mains à plat sur ses genoux, puis de donner à sa respiration un rythme régulier, ni trop rapide, ni trop lent.

- Concentre-toi sur le calme, la sérénité. C'est la meilleure façon que tu as de l'atteindre. Oublie tout ce qui se passe autour de toi. Tes problèmes, tes préoccupations... Même le temps et l'espace. Laisse tout ça de côté pour ne garder que la plénitude.

Dit ainsi, cela semblait facile. Marion, toutefois, était convaincue qu'elle n'allait pas si aisément parvenir à un tel degré de tranquillité, surtout pas quand elle bouillonnait intérieurement. L'entraînement promettait d'être aussi long et fastidieux qu'un duel à l'épée.

***

Mikey pénétra joyeusement dans le tunnel d'où provenaient les grondements féroces, mais il s'immobilisa brutalement sitôt qu'il eut posé une patte à l'intérieur. Donnie, qui lui courait derrière pour tenter de le rattraper, le percuta de plein fouet et le poussa vers l'avant. Il tomba tête la première dans l'eau sale des égouts, d'où il se releva sale et puant.

April avait déjà levé une main pour se pincer le nez de dégoût lorsqu'elle se figea également en constatant ce qui avait paralysé son ami de la sorte. Leatherhead n'état pas seul, raison pour laquelle il poussait des cris aussi violents. Il était aux prises avec un bataillon de Foot-bots.

- Vite ! Allons l'aider ! s'exclama Michelangelo.

En dépit de sa carrure effrayante et de sa violence naturelle, le crocodile avait des difficultés à venir à bout de ses adversaires, tant ceux-ci étaient nombreux. Si Donatello et April marquèrent une légère hésitation à l'idée de s'en approcher, la jeune tortue bondissait déjà sur les robots, nunchakus à la main.

- Booyakasha !

- Allons-y, avant qu'il ne se fasse réduire en miette, soupira le génie du groupe.

Il se saisit de son bo et s'élança à son tour, tandis que l'adolescente dégainait son tessen. Leatherhead, absorbé par la bataille, ne leur prêta pas la moindre attention. Il n'avait sans doute même pas remarqué leur intervention, tandis qu'ils causaient des dégâts considérables dans les rangs adverses.

Donnie pourfendait les soldats de Shredder avec sa lame rétractable, April leur tranchait les membres avec son éventail acéré et Michelangelo les rouait de coups au point de les rendre difformes, sans se départir de sa bonne humeur naturelle. Il était si heureux de retrouver son meilleur ami qu'il ne cessait pas de sourire, même lorsque les Foot-bots manquaient de l'atteindre.

Bientôt, il ne resta plus le moindre simili-ninja encore en état de fonctionnement. Mikey était sur le point de pousser un nouveau cri, de triomphe, cette fois-ci, lorsque la situation bascula. Leatherhead, loin d'être apaisé par cette victoire, tourna vers eux ses iris blancs et sa gueule ouverte.

Férocement, il chargea Donatello. La tortue tenta d'esquiver son assaut, mais il ne fut pas assez rapide. Le coup que le crocodile lui asséna était d'une telle puissance qu'il vola sur plusieurs mètres, avant de s'écraser contre l'un des murs du tunnel. Sa carapace émit un craquement sinistre, puis il tomba dans l'eau, tête la première.

- Donnie ! s'exclama April.

Elle se précipita vers lui afin de le tirer hors du ru putride, pendant que Mikey bondissait sur le dos de Leatherhead, déjà prêt à repasser à l'attaque. Son agilité s'avéra particulièrement utile en cet instant. Il demeura cramponné à son cou, en dépit des tentatives du mutant pour le contraindre à lâcher prise.

- Du calme, mon pote ! C'est moi, c'est Michelangelo, la tortue. Tu es en sécurité avec moi, tu le sais bien ! Reste zen. Inspire, expire.

Avec ses trois doigts, il entreprit de lui masser les épaules, dans la mesure du possible, tout en continuant de murmurer des paroles apaisantes à son ami. Il était le seul capable de le ramener à la raison et, une fois encore, cela fonctionna. Leatherhead finit par se détendre.

- Michelangelo ! Je suis navré de vous avoir encore attaqué.

- Ce n'est pas grave, Donnie commence à avoir l'habitude. Mon gros croco ! Je suis tellement heureux de te revoir ! Quand Léo nous a raconté ce qui t'est arrivé face à Shredder, j'ai craint le pire.

- J'ai survécu aux Kraangs, alors il en faut plus que ça pour m'abattre, affirma fièrement le redoutable mutant.

- Qu'est-ce que les Foot-bots te voulaient ?

- Ils n'en avaient pas après moi, du moins je ne crois pas. J'errais dans les égouts quand je les aperçus, et réciproquement. C'est à ce moment-là qu'ils m'ont attaqué. Ils avaient l'air de chercher quelque chose.

- Comme nous. On essaye de trouver Karai, la fille de maître Splinter. D'ailleurs, c'est peut-être elle que les Foot tentent de local...

- Mikey !

Le cri paniqué d'April incita la tortue à mettre immédiatement un terme à sa conversation pour se tourner vers elle. Trempée, les vêtements nauséabonds, elle avait ramené Donatello sur la bordure du tunnel, où elle l'observait avec inquiétude. Mikey les rejoignit, alerte.

- Que se passe-t-il ?

- Donnie ne va pas bien. Pas bien du tout !

***

Karai se redressa, déployant son corps sinueux de serpent. Léonardo l'observa avec prudence, sans se saisir de ses armes pour autant. Il n'avait aucune envie de l'effrayer, d'autant que rien ne prouvait qu'elle était sur le point de l'attaquer. Elle se contentait pour l'instant de le fixer de ses grands yeux envoûtants.

- Karai, c'est Léo. Tu me reconnais ? Je ne te veux aucun mal. Je suis simplement venu te dire que nous allions prendre soin de toi, mes frères et moi. Nous allons te rendre ton apparence normale, je te le promets. Il suffit que je...

Il avait commencé à esquisser un geste lent vers sa carapace, à l'intérieur de laquelle se trouvaient les trois traceurs de Donnie qu'il avait à sa disposition. La mutante sembla toutefois redouter son geste, ou plus exactement ce qui risquait de s'ensuivre, et elle s'empressa de plonger dans l'eau sale des égouts.

- Ah non ! J'ai mis des heures à te trouver, pas question que je te laisse me filer entre les doigts !

Léonardo se saisit de l'un des émetteurs et le mit en route, avant de se lancer à la suite de Karai. Elle nageait beaucoup plus vite que lui, cependant il parvenait à ne pas se laisser distancer. Comme elle était aussi agile que lui, il ne pouvait pas escompter regagner du terrain dans les virages, alors il allait devoir ruser.

Là encore, la tâche s'annonçait rude. Il n'avait aucune connaissance des lieux, contrairement à la kunoichi qui semblait vraisemblablement y avoir passé un long moment, car elle était en mesure d'anticiper chaque courbe, chaque obstacle. À deux reprises, Léo manqua lui de se heurter à des tuyaux qui venaient déverser plus d'eaux usées que celles dans lesquelles il baignait déjà.

Tant pis, il allait devoir essayer de l'atteindre avec le traceur, et ce malgré la vingtaine de mètres qui les séparait. Il n'était pas aussi bon lanceur de bombes à eau que Mikey, ni aussi redoutable tireur de shurikens que Raph, mais c'était faisable. Ou, du moins, cela l'aurait été sans le courant qui le ballotait sans cesse.

Il espérait que Donatello ne s'était pas trompé et que l'appareil s'accrocherait bien aux écailles de Karai sans risquer de lâcher prise, sans quoi sa petite course poursuite ne servirait strictement à rien, d'autant qu'il n'aimait pas particulièrement patauger dans la saleté des égouts.

Il se concentra et visa. Sa chance d'atteindre son amie était infime, mais il préférait tenter sa chance. Il lui resterait encore deux tentatives après celle-ci s'il ratait son coup. Il devrait juste se montrer plus prudent s'il venait à échouer une première fois.

Cela se produisit. Comme Karai et lui étaient en perpétuel mouvement, portés par l'eau, il lui était très difficile d'estimer une trajectoire d'une façon précise. Il la manqua d'un bon mètre en largeur, et de trois en longueur. Il s'y attendait un peu, ce qui ne l'empêcha pas d'éprouver une pointe de déception.

Ce sentiment s'accentua lorsqu'il constata que la femme-serpent en avait profité pour reprendre du terrain sur lui. Elle venait désormais d'atteindre une plate-forme en béton, sous laquelle le courant qui les avait transportés jusqu'alors disparaissait. Lorsque Léonardo l'atteignit à son tour, elle avait disparu.

- Karai ! appela-t-il. Karai, montre-toi, s'il te plaît !

Il jeta des regards partout autour de lui, dans l'espoir de l'apercevoir. Les environs étaient très sombres, et de nombreux tuyaux le cernaient de toute part. Elle pouvait être n'importe où, y compris déjà très loin.

Il s'apprêtait à donner un coup de pied rageur dans l'un des tubes de métal qui l'entouraient lorsqu'il entendit un sifflement sinistre. Il eut tout juste le temps de lever la tête en direction du plafond, perdu dans les ténèbres, pour voir Karai fondre sur lui, la gueule ouverte, ses crocs luisants prêts à se refermer sur sa proie, à savoir lui.

***

La crosse de hockey de Casey se brisa en deux sur l'épaule de Tiger Claw, qui en profita pour lui asséner un puissant coup de poing dans le ventre. L'adolescent s'écroula sur le sol froid des égouts, plié en deux, le visage violacé, le souffle coupé. Il peinait à retrouver sa respiration.

Raphaël aurait aimé lui porter secours, voyant que le tigre s'apprêtait à l'attaquer de nouveau, sans lui laisser le temps de se redresser, mais cela lui était impossible. Il devait affronter pour sa part Fishface et Rahzar, revenus sur leurs pas après avoir entendu le bruit des combats.

Entre les puissantes pattes mécaniques de l'un et les pics acérés de l'autre, il avait du fil à retordre. Il venait d'encaisser un mauvais coup au niveau de la jambe, sur laquelle il peinait désormais à s'appuyer, et l'un de ses bras souffrait d'une douloureuse estafilade sanguinolente.

Seul contre eux deux, les assauts s'enchainaient les uns à la suite des autres et il devait les parer de façon grossière s'il tenait à continuer à se protéger. Il ne fallait pas qu'il se laisse distraire par Casey, en dépit de l'inquiétude qu'il éprouvait à l'égard de son ami mal en point.

Malgré sa détermination, il ne put continuer à rester concentrer lorsque l'adolescent poussa un cri déchirant. Avec ses griffes, Tiger Claw venait de lui lacérer le flanc. Le haut de son pantalon et le bas de son T-shirt étaient désormais en lambeaux. Un liquide rouge venait en teindre le tissu.

- Casey !

- Vas-y, crie ! ordonna le félin mutant. Et tâche d'être convaincant. Je te promets que si tu arrives à attirer Karai hors de sa cachette, je t'accorderai une mort rapide tout de suite après, afin de mettre un terme à tes souffrances.

Raphaël poussa un hurlement rageur en se détournant totalement de ses deux adversaires pour fondre sur Tiger Claw, qui s'apprêtait à infliger une nouvelle blessure à Casey, tandis que ce dernier s'efforçait d'éponger le sang qu'il avait sur lui. Par chance, ses plaies, quoique douloureuses, n'étaient pas très profondes. Le bras droit de Shredder avait besoin d'eux vivants pour son plan.

La tortue s'accrocha à la fourrure du tigre, qui se libéra de son étreinte d'un violent mouvement de l'épaule. La carapace de Raph, sur laquelle il retomba, amorti le choc. Il s'empressa de bondir sur ses pattes et Casey s'efforça d'en faire de même, bien qu'il soit beaucoup plus amoché. Des grimaces trahissaient le calvaire qu'il subissait en cet instant.

Raphaël brandit ses sais, menaçant, mais se fit percuter au même moment par l'anatomie robotique de Fishface. Son ami tenta d'abattre sa batte de baseball sur ses écailles, toutefois celle-ci fut sectionnée en deux par les tranchants de Rahzar et atterrit sur sa tête, où elle rebondit.

- Oh, oh... Pas bon, ça !

Il écarquilla les yeux au moment où Tiger Claw l'empoignait pour le jeter contre le mur, derrière lui, si fort que cela causa une fissure dans le béton. Il ne se releva pas. Le contrecoup avait provoqué chez le jeune homme une perte de connaissance. Rahzar se dirigea vers lui et le souleva.

- Pas question que je vous laisse l'emmener ! s'époumona Raphaël en jetant un sai à la face du mutant.

- Ne t'inquiète pas, tu viens aussi, ricana Fishface.

Alors que la tortue se baissait pour échapper au tir du pistolet laser de Tiger Claw, elle vit surgir les véloces pattes du monstre aquatique. Celles-ci l'atteignirent en pleine face et Raph vola sur plusieurs mètres avant de heurter le sol. Dans sa chute, son T-phone et ses sais rebondirent à côté de lui.

Puisant dans les quelques forces qu'il lui restait, il étendit son bras en direction de ses armes, mais il se ravisa au dernier moment pour orienter ses doigts vers l'appareil de communication. Il eut juste le temps d'enclencher le signal d'alerte avant de s'évanouir à son tour.