Un combat de tous les instants

Chapitre 13 : Chemins croisés

3414 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 10/11/2016 09:37

Michelangelo se tapit contre la paroi humide, avant de passer la tête à l'extrémité du tunnel qu'il suivait. Après s'être assuré que la voie était libre, il adressa un signe de la main à April et Donnie, qui marchaient dans son sillage. Léonardo, suite au désistement nécessaire de Marion, avait décidé de revoir la composition des groupes. Il avait laissé Casey et Raph en duo pour greffer le benjamin des tortues à la place de l'adolescente.

- Mikey, tu peux m'expliquer à quoi tu joues ? s'agaça le génie. D'ordinaire, lorsqu'il faut être discret, tu l'es encore moins qu'un ouragan. Et là que nous n'avons pas besoin d'être vraiment sur nos gardes, tu nous fais perdre un temps précieux.

- On est jamais trop sûr de rien. À North Hampton, j'ai vu un épisode de Crognard le Barbare où lors de...

Donatello poussa un soupir pendant que Michelangelo poursuivait son monologue. April, elle, demeurait silencieuse. Suite à la conversation qu'elle avait eu durant la nuit avec Marion, elle se sentait désormais terriblement mal à l'aise en compagnie de Donnie. Elle n'osait même pas le regarder en face et répondait précipitamment, de façon brève, dès qu'il tentait de lui adresser la parole.

Alors qu'ils continuaient leur chemin dans les égouts, scrutant attentivement chaque recoin sombre dans lequel Karai serait susceptible de se tapir tandis que Mikey ne cessait toujours pas de parler, la rouquine fut victime d'un étourdissement. L'espace d'une seconde, elle crut qu'on lui serrait le crâne dans un étau.

- April, qu'est-ce qu'il y a ? demanda immédiatement Donnie en la voyant prendre appui sur le mur.

- Un vertige. Je...

Elle ferma les yeux une seconde, pour voir une série de chiffres apparaître derrière ses paupières closes. Mis bout à bout, ils formaient le nombre 324. Son instinct kraang s'exprima ensuite autrement, en faisait naître en elle le sentiment qu'elle devait absolument se rendre là-bas.

- Je crois qu'il y a quelque chose à découvrir dans cette direction, indiqua-t-elle.

Le tunnel qu'elle pointait du doigt portait précisément l'indication numérique qu'elle avait aperçu dans sa vision. Mikey poussa une exclamation joyeuse, heureux d'avoir une piste à suivre alors qu'ils marchaient au hasard depuis plus d'une quarantaine de minutes, désormais, mais Donnie continua de fixer April avec anxiété.

- Tu es sûre que ça va aller ? Je sais que la manifestation de tes pouvoirs t'épuise souvent psychologiquement, alors si tu veux rentrer au repaire, tu...

- C'est bon, je vais bien, je t'assure. Je ne vais pas perdre connaissance comme l'autre jour, tous mes flashs ne sont pas aussi violents. Tu devrais arrêter de me ménager sans cesse, Donnie. Je ne suis plus une ado sans défense, maintenant. Je suis une kunoichi.

- Karai aussi, ce qui n'empêche pas Léo de s'inquiéter constamment pour elle.

- Léo est...

April n'acheva pas sa phrase. Elle s'apprêtait à souligner le fait que le leader de la bande était amoureux de la fille de maître Splinter, mais cette précision n'était pas adéquate, puisque Donatello éprouvait indéniablement les même sentiments à son égard, or elle n'avait aucune envie d'aborder ce sujet. Pas maintenant.

- Je passe devant ! se proposa Mikey, enthousiaste.

- Hors de question. Nous ne savons pas ce que nous allons trouver là-bas, et s'il s'agit d'un piège, tu vas tomber les deux pattes dedans.

Donnie le repoussa et prit la tête du petit groupe. Michelangelo se résolut à marcher dans son sillage tandis qu'April, elle, fermait la marche. Elle grimaça en les voyant tous deux plonger dans l'eau puante et nauséabonde qui coulait au milieu du tunnel, toutefois c'était le moyen le plus rapide d'atteindre le boyau qu'elle avait désigné.

Par chance, le ruisseau putride n'était pas très profond. Il ne dépassait pas la hauteur de ses genoux, mais cela suffit à la dégoûter. Elle s'efforça de se concentrer sur un point en face d'elle, plutôt que sur la saleté liquide à ses pieds. Chaque fois qu'elle posait ses yeux dessus, elle était victime d'un haut-le-coeur.

Ils avaient presque atteint l'autre rive de l'égout quand un rugissement résonna, si puissant qu'il en fit pratiquement vibrer les alentours. Donatello dégaina immédiatement son bo, tandis que l'adolescente se préparait à utiliser ses pouvoirs psychiques pour sonder les environs.

Seul Mikey demeura immobile, l'air perdu dans ses pensées. Il semblait réfléchir, ce qui était étonnamment rare chez lui. Ce fut d'ailleurs pour cette raison que les deux autres se mirent à le fixer avec inquiétude.

- Prends tes nunchakus, qu'est-ce que tu attends ? lui souffla son frère.

- Je connais ce cri. Je sais que je le connais. C'est...

A nouveau, le hurlement bestial se fit entendre, de façon encore plus menaçante, si cela était possible. Cette fois, le visage de Michelangelo alla jusqu'à se fendre d'un large sourire, alors qu'il s'exclamait :

- C'est Leatherhead !

- Mikey, attends ! Il...

Donatello n'eut pas le temps de le retenir. Déjà, la tortue au bandeau orange se précipitait à l'intérieur du couloir pour aller retrouver son monstrueux ami.

***

- Ça ne sert à rien, on tourne en rond ! s'exclama rageusement Raphaël, après que Casey et lui furent passés pour la troisième fois devant une même galerie. C'est comme chercher une aiguille dans une botte de foin.

- Dis plutôt que tu es impatient de rentrer au repaire parce que c'est là-bas que Marion attends. Ta petite chérie te manque.

- Un, ce n'est pas ma petite chérie. Deux, lâche-moi la carapace avec ça. J'ai assez de Mikey qui n'arrête pas de me taper sur les nerfs. Marion par-ci, Marion par-là... Vivement qu'elle retrouve sa soeur et qu'elle mette les voiles !

Raphaël s'était efforcé de prendre un ton colérique, mais il avait du mal à être convaincu par ses propres paroles. La conversation qu'il avait eu durant la nuit avec l'adolescente lui avait permis de prendre conscience qu'il ne la détestait peut-être pas autant qu'il voulait bien le laisser entendre.

- OK, j'arrête, pas la peine de t'énerver, assura Casey. Mais, euh... Si tu t'en fiches totalement de cette fille, ça ne t'embêtera pas, j'imagine, que je tente le coup avec elle ?

La tortue sentit une décharge électrique partir de son cerveau pour lui parcourir l'ensemble du corps. Ses poings et sa mâchoire se serrèrent instinctivement, de même que ses yeux se plissèrent. Comme il marchait devant son acolyte, néanmoins, celui-ci ne put rien remarquer.

- Fais ce que tu veux, grogna-t-il, presque de manière féroce. Je m'en tamponne complètement. Par contre, je croyais que tu avais des vues sur April ?

- La rouquine, ouais... Un peu. Le problème, c'est que j'arrive pas à la cerner. Parfois, je sens que ça peut coller, mais le reste du temps, j'ai l'impression que si j'essaye quoi que ce soit, je vais me prendre un râteau. Et puis, tu ne m'avais pas demandé de laisser tomber par rapport à Donnie ?

- Donnie se fait beaucoup de mal avec toute cette histoire, alors qu'il ne faut pas être un génie pour savoir qu'elle ne mènera nulle part. C'est une tortue, et elle, c'est humaine, alors il n'a... aucune chance.

Son timbre avait perdu sa fureur pour devenir plus mélancolique au fur et à mesure qu'il prononçait ces paroles. Il secoua la tête, désireux de chasser toutes les pensées susceptibles de venir parasiter son esprit irascible et solitaire.

Le silence revint sur leur groupe, tandis qu'ils continuaient à avancer. Raphaël ouvrait la voie en traînant des pieds. Parvenus à une intersection, ils choisirent de bifurquer à droite, bien que cela les conduirait hors de la zone à laquelle Léonardo les avait assignés. Ils en avaient toutefois fait le tour, en vain.

Ils n'avaient pas plus d'une centaine de pas, le long de ce nouveau tunnel, lorsque des bruits leur parvinrent. Prudents, Raph dégaina ses sais et Casey brandit sa crosse de hockey. Ils s'avancèrent sur la pointe des pieds jusqu'à l'extrémité du boyau. L'un comme l'autre, ils s'interrogeaient du regard.

Ce n'était certainement pas Karai. Elle avait toujours été aussi silencieuse qu'une ombre et sa mutation n'avait rien changé à cela, or les sons qu'ils entendaient étaient tout sauf discrets, comme si l'individu qui en était à l'origine ne cherchait pas à dissimuler sa présence.

Les deux amis se figèrent au moment de découvrir ce dont il s'agissait vraiment. Si la kunoichi ne faisait plus partie du Clan des Foots, ce n'était pas le cas des deux zouaves qu'ils pouvaient apercevoir depuis le renforcement dans lequel ils s'étaient tapis. Fishface et Rahzar marchaient lourdement le long de la petite berge de l'égout, en grommelant.

- J'espère que Shredder a raison et que sa fille se cache vraiment là-dessous, parce que si on inspecte cette puanteur pour rien...

- Eh bien ? Qu'est-ce que tu feras, Xever ? Des paroles, comme toujours. Tu n'oserais jamais te dresser devant maître Shredder, comme nous tous. Pour ma part, je suis convaincu qu'il a raison. Le repaire des tortues est situé quelque part dans les entrailles de la ville. Puisqu'elle est leur nouvelle alliée, elle ne doit sûrement pas se trouver très loin d'eux.

- En tout cas, je ne vois de traces d'elle nulle part. J'espère que Tiger Claw aura eu plus de chance que nous.

A la mention de ce nom, Casey blêmit et les écailles de Raphaël perdirent leur éclat durant quelques secondes. Le tigre mutant était un adversaire redoutable, dont aucun d'eux n'avait réussi à venir à bout, pas même Karai elle-même. D'un geste, la tortue désigna le tunnel par lequel ils étaient arrivés là.

D'ordinaire, Raph était toujours partant pour un combat, même lorsque les chances de victoire étaient minces. Cette fois-ci, ç'aurait néanmoins été du suicide. Ils n'étaient que deux, ce qui serait loin d'être suffisant face à un ennemi comme Tiger Claw, encore plus s'il était épaulé par Fishface et Rahzar.

Ils s'éloignèrent le plus discrètement possible afin que les deux sbires de Shredder ne les remarquent pas. Apparemment, eux aussi étaient sur la trace de Karai, et ils n'avaient pas davantage réussi qu'eux à la localiser. Les autres y seraient-ils parvenus, contrairement à eux ?

C'était la question que Raphaël se posait mentalement, alors qu'ils rejoignaient l'entrée du boyau et mettaient par conséquent une distance de sécurité entre eux et les deux mutants, lorsqu'un feulement se fit entendre.

- Tiens, tiens... Regardez qui voilà.

Immense, musculeux, le poil fauve et son bandeau noir sur les yeux, celui qu'ils cherchaient à tout prix à éviter se tenait devant eux. Tiger Claw. En dépit de la panique qui les assaillit, les deux amis ne se laissèrent pas démonter et brandirent leurs armes, prêts à en découdre.

- Je me doutais que nos chemins viendraient tôt ou tard à se croiser. C'était inévitable, sur la piste de cette traîtresse de Karai. J'espérais d'ailleurs que ça arrive.

- Ah bon ? le brava Raphaël. Tu espérais te prendre une bonne volée ?

- Non. Qu'on me serve deux appâts sur un plateau d'argent pour la faire venir jusqu'à moi. Elle ne résistera pas longtemps à la tentation de pointer le bout de sa queue lorsqu'elle entendra les cris d'agonie poussés par ses nouveaux alliés.

Tiger Claw dégaina ses pistolets laser et les braqua sur eux tandis que Raph et Casey prenaient une position d'attaque, bien déterminés à se battre de toutes leurs forces contre le mutant, même si l'affrontement semblait déjà perdu d'avance.

***

Léonardo sursautait dès qu'il entendait un bruit, mais bien souvent, il ne s'agissait que de l'écho de ses pas renvoyés à l'infini par les souterrains déserts. Même s'il continuait à essayer de se convaincre que Karai ne lui ferait jamais de mal, il redoutait de la voir surgir à chaque instant pour l'agresser.

Si cela se produisait, il redoutait le pire. Il savait très bien qu'il serait incapable de lui faire du mal, même si sa propre vie en dépendait. Il l'aimait beaucoup trop pour cela, et le fait qu'elle n'était plus tout à fait la sublime et redoutable kunoichi qu'il avait connue ne changeait rien à ses sentiments.

Il marchait depuis des heures, mais il n'avait rien croisé, à l'exception de quelques rats, de nombreuses toiles d'araignée, et surtout des ombres. Il n'avait pas l'intention de baisser les bras, cependant. Il était déterminé à ne pas renoncer et il continuerait coûte que coûte, jusqu'à ce qu'il soit parvenu à localiser Karai et à l'équiper de l'un des traceurs de Donatello.

Il consulta son T-Phone pour la cinquième fois, tout en sachant pertinemment que cela ne servait strictement à rien. Aucune des deux autres équipes n'avait retrouvé la jeune mutante, car s'ils lui avaient laissé un message, il aurait forcément entendu sa sonnerie. Les alentours étaient trop silencieux pour qu'elle puisse lui échapper.

Il sauta dans l'eau sale des égouts pour rallier l'autre bord du boyau qu'il suivit depuis un moment déjà. Il s'y enfonça jusqu'aux genoux, puis se hissa sur la rive d'en face à la force des bras. Il venait de repérer un second tunnel, de ce côté-ci, qu'il était certain de ne pas avoir encore exploré.

Son entrée était presque indécelable, simple fente étroite qui donnait sur un conduit obscur. Pour un peu, Léo l'aurait certainement manqué si son regard ne s'était pas posé précisément dessus. Comme l'endroit était particulièrement sombre, il se saisit de la lampe torche dont il s'était équipé avant de partir et qu'il portait jusqu'alors à la ceinture afin d'éclairer les environs.

Au début, il ne remarqua rien de suspect. Ce fut en progressant dans ce lieu sinistre qu'il finit par distinguer quelque chose. Son faisceau lumineux éclairait une masse, au loin, qui semblait recroquevillée sur elle-même. Léo fit un pas dans sa direction. Quoi que ce soit, cette chose était totalement immobile.

S'agissait-il de Karai ? Il n'osait le croire. Il préférait ne pas se bercer d'illusions s'il devait se retrouver face à quelque affreux mutant ou même tout simplement à un tas de déchets abandonné là. Par mesure de sécurité, il choisit d'éteindre son T-Phone. Tel qu'il connaissait ses frères, ceux-ci étaient bien capables de l'appeler au moment le plus mal choisi.

Il s'approcha prudemment, avec lenteur et dans le silence le plus complet. Il mettait grand soin à éviter d'émettre le moindre son en se mouvant. Il s'attendait à voir la masse bouger, toutefois rien ne se produisit. Elle demeurait toujours aussi immobile depuis l'instant où il avait repéré.

Il lui fallut une longue minute pour réduire la distance qui le séparait encore d'elle. Bientôt, il serait suffisamment près pour distinguer ce dont il s'agissait. Il songea un instant à presser l'allure, mais il se ravisa. Dans un cas comme celui-ci, faire preuve de célérité se serait apparenté à de la témérité.

Lorsqu'il ne fut plus qu'à une poignée de mètre de son objectif, il leva sa lampe torche, de façon à avoir une meilleure luminosité. Le faisceau de celle-ci scintilla sur un long corps mauve constitué d'écailles miroitantes, enroulé sur lui-même. Léonardo n'arrivait pas à en croire ses yeux.

C'était elle ! C'était bel et bien elle ! Toutes ces heures et l'espoir qu'il avait entretenu de la localiser n'avait pas été vain. Il venait de retrouver Karai. S'il n'avait pas eu peur de la réveiller, car elle était assoupie, ainsi qu'il l'avait soupçonné, il aurait volontiers pousser un cri de joie. Au lieu de cela, il murmura dans un souffle à peine audible :

- Ne t'inquiète pas. Tout ça sera bientôt terminé.

Tandis qu'il prononçait ces paroles, il constata avec effroi que ses écailles n'étaient plus la seule chose à luire dans la pénombre. En effet, désormais, deux grands yeux verts aux pupilles verticales le fixaient, et ils rehaussaient deux crochets acérés, couvert de venin. Le sommeil avait délaissé Karai, qui l'observait à présent d'un regard mauvais.

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