Un combat de tous les instants

Chapitre 12 : Confessions nocturnes

3850 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 10/11/2016 09:04

 

Marion, allongée sur le dos, observait le plafond perdu dans les ténèbres. Cela devait faire une bonne heure qu'ils avaient tous décidé de se coucher, mais elle ne parvenait pas à trouver le sommeil. La scène à laquelle elle avait assisté au T.C.R.I., la vision de tous ces humains mutés parmi lesquels se trouvaient probablement Marianne, l'empêchait de fermer l'œil.

Alors qu'elle passait une main sur son visage pour repousser la mèche de cheveux qui venait lui chatouiller les lèvres, elle entendit un bruissement à côté d'elle et sentit qu'on s'agitait. A voix très basse, car les tortues avaient l'ouïe extrêmement fine, bien qu'elles dorment a l'autre bout du salon, elle souffla :

- Toi non plus, tu ne dors pas ?

- Non. Je n'y arrive pas.

April et elle partageaient la même couche, suffisamment grande pour leur permettre de tenir à deux sans s'y sentir à l'étroit. Elles devaient toutefois partager une même couverture, car les autres attendaient toujours d'être raccommodées. Cette cohabitation ne dérangeait pas Marion, qui avait pris l'habitude de dormir avec sa sœur lorsqu'elles se cachaient des Kraangs.

- C'est ce qui se passe dans la dimension X qui te perturbe ? s'enquit-elle, toujours dans un murmure. A cause de ton père ?

- Hum... Non. Enfin, si, ça me perturbe, mais je ne crois pas que ce soit ça qui me cause des insomnies.

- C'est Donnie, alors ?

L'adolescente n'avait pas voulu aborder ce sujet avec son amie au cours de l'après-midi, de crainte de laisser apparaître une curiosité déplacée. Comme April avait toutefois semblé de plus en plus préoccupée au fil de la soirée, elle songeait qu'en parler lui ferait peut-être du bien.

- Comment sais-tu que...

- Pas besoin d'être un génie comme lui pour s'en apercevoir, souligna Marion. Tu lui plais, ça crève les yeux.

- Je... En fait, c'est un peu plus compliqué que ça.

- Je ne veux pas que tu te sentes forcée d'en discuter si tu n'y tiens pas, mais si tu souhaites le faire, je veux bien t'écouter.

- Pourquoi pas ? chuchota April. Par contre, il faut que tu me promettes de ne rien révéler aux tortues.

- A mon avis, elles sont au courant aussi.

- Pas de ce que je m'apprête à te dire. Quand nous étions à North Hampton, je... je l'ai embrassé.

Marion ne réagit pas immédiatement. Elle aurait été certainement choquée, au début, d'imaginer cela entre une humaine et un mutant, mais après ces jours passés chez les tortues, elle s'était rapidement rendue compte qu'elles étaient exactement comme eux. Seul leur physique les distinguait des hommes.

- Et alors ?

- Alors ? répéta April. Je n'aurais jamais dû. Je m'en veux terriblement, je ne sais même pas ce qui m'est passé par la tête, ce jour-là.

- Si tu l'as fait, c'est que dans le fond, tu en avais envie, non ?

- Oui. Non. Peut-être. Je n'en sais rien. J'ai beaucoup d'affection pour Donnie, c'est indéniable. C'est mon meilleur ami, mon grand frère, mais... C'est une tortue. Pas un adolescent. Qu'importent mes sentiments pour lui, si tant est que j'en ai. C'est impossible entre nous.

- Pourquoi ? A cause de votre différence ?

- Franchement, tu t'imaginerais, toi, faire ta vie avec une créature mi-normale, mi-animale ?

- Si je l'aime sincèrement... Je suppose que oui. L'amour ne doit pas s'arrêter à ce genre de barrières. Et si tu l'as embrassé, c'est sans doute parce que, l'espace d'une seconde, tu as certainement dû le penser, toi aussi.

- Et je le regrette ! Depuis que nous sommes revenus de North Hampton, il essaye à nouveau de se rapprocher de moi et je ne sais pas comment le repousser. Comment lui expliquer que j'ai mal agi ? Que j'ai eu tort de lui laisser penser qu'il pourrait y avoir quelque chose entre nous, alors que je suis persuadée du contraire ? Il va m'en vouloir terriblement.

- J'imagine.

- Merci, Marion, tu es d'un grand soutien ! s'offusqua April.

- J'ose espérer que tu ne t'attendais pas à ce que je te réponde qu'il allait accepter ça avec un large sourire...

- Non, mais... Un petit conseil serait le bienvenu. Comment tu t'y prendrais, toi, à ma place ?

- Est-ce que tu veux une réponse honnête ou est-ce que je vais encore me faire taper sur les doigts si je te parle franchement ?

- Hum... Les deux ? Non, je t'écoute, c'est promis.

- Très bien. Je ne suis pas le genre de personne qui réfléchit des heures à ce qu'elle fait avant d'agir. Généralement, c'est plutôt le contraire. A partir du moment où ça implique d'autres personnes, cependant, tu n'as pas le droit de te comporter de façon aussi impulsive. Tu ne peux pas agir sur un coup de tête et te demander pourquoi tu l'as fait ensuite. Toi, tu regrettes, mais qu'en sera-t-il de Donnie ? Tu lui as donné de l'espoir, et maintenant tu vas le lui reprendre. Je ne vous connais pas depuis très longtemps, mais je suis certaine d'une chose : c'est un être très sensible. Il ne mérite pas ça.

- En clair, je suis monstrueuse, c'est ça ?

- Je n'ai pas dit ça. Tu es une fille bien, April, je n'en doute pas une seule seconde. Par contre, c'est sûr que je n'irais pas te décerner une médaille pour ton attitude dans cette histoire. A quoi t'attendais-tu, franchement ? Que si tu l'embrassais, il lâcherait l'affaire et il se contenterait de ça jusqu'à la fin de ses jours ? Il ne m'a pas fallu longtemps pour m'apercevoir qu'il avait des sentiments pour toi. Je me suis d'ailleurs longuement demandé si tu t'en étais aperçue et que tu feignais de les ignorer ou si tu passais inconsciemment à côté. Pas une seule fois, néanmoins, j'ai songé que tu avais répondu à ses avances.

- J'ai préféré faire comme s'il ne s'était rien passé, en songeant que, peut-être, la situation redeviendrait normale.

- Elle ne peut être normale. Il t'aime. C'est un conseil que tu me demandes ? En voilà un : tu devrais lui parler. Lui avouer la vérité au sujet de ce que tu ressens et des raisons pour lesquelles tu penses que toute relation autre qu'amicale est impossible entre vous.

- Tu as reconnu qu'il allait m'en vouloir si je faisais ça, rappela April.

- C'est vrai, mais plus tu tarderas à t'exprimer franchement avec lui, plus ce sera pire. Il faut vraiment que tu le fasses. En fait, tu aurais même déjà dû mettre les choses à plat depuis longtemps, ça t'aurait évité de commettre des erreurs.

La rouquine ne répondit pas. Elle resta un long moment allongé en chien de fusil, à méditer sur la conversation qu'elle venait d'avoir avec Marion, avant de s'assoupir, l'esprit préoccupé par sa situation avec Donatello. L'autre adolescente, pour sa part, avait beau essayer de s'endormir, elle n'y parvenait pas.

Elle se sentait légèrement coupable de s'être montrée aussi dure dans les propos qu'elle venait de tenir vis-à-vis d'April, mais elle ne le regrettait pas pour autant. Elle avait l'habitude de dire toujours ce qu'elle pensait, ce qui était rarement apprécié par le commun des mortels.

Alors qu'elle changeait pour la énième fois de position, dans l'espoir d'en trouver une plus propice au sommeil, son ventre se mit à gronder férocement. Comme elle n'avait rien avalé depuis leur retour du T.C.R.I., à l'exception d'un bout de pizza, son corps commençait à crier famine.

Elle décida de se lever et de se rendre dans la cuisine afin d'y prendre un paquet de biscuits. Elle savait que Léonardo insistait pour rationner les vivres, mais comme ils en avaient ramené avec eux sur le chemin du retour, après s'être rendus dans la tanière des extraterrestres, la nourriture était devenue un problème moindre. Ce n'était pas quelques gâteaux de moins qui leur seraient fatals.

Elle traversa la grande salle du repaire sur la pointe des pieds, jusqu'à atteindre la porte qui donnait sur la pièce dans laquelle ils préparaient à manger et prenaient leur repas. En l'entrouvrant, elle fut surprise d'être frappée par un raie de lumière, qui l'aveugla. Soit quelqu'un avait oublié d'éteindre derrière lui, soit quelqu'un s'y trouvait déjà.

- Qu'est-ce que tu fiches ici, toi ?

Marion n'eut pas besoin de voir Raphaël pour comprendre qu'il était l'auteur d'un si charmant accueil. Elle cligna plusieurs fois des paupières, le temps pour elle de s'habituer à la luminosité ambiante, avant de pouvoir distinguer la tortue, qui patientait les bras croisés devant le four micro-onde, abimé par les Kraangs et réparé par Donnie.

- Et toi ? répliqua-t-elle. Tu voles de la nourriture en douce pendant la nuit ? Pas sûre que ton frère approuve.

- Parce que tu vas me faire croire que tu es venue précisément dans cette pièce dans l'unique but de faire une petite promenade nocturne ?

L'adolescente ne répondit pas. Raph venait de marquer un point et elle n'avait aucun moyen de le contredire, puisqu'il s'agissait de la stricte vérité. Le minuteur de l'appareil électroménager émit une discrète sonnerie quand il arriva à son terme. Marion avait déjà commencé à tourner les talons quand le bandeau rouge l'interpela :

- Tu en veux une part ?

Elle s'immobilisa, un peu surprise. Elle ne s'était pas attendue à ce qu'il lui propose de partager la pizza qu'il sortait actuellement du micro-onde avant elle, mais elle accepta d'un hochement de tête. Il déposa le carton ouvert au milieu de la table, découpa le cercle appétissant à l'aide d'une roulette et piqua un morceau avec la pointe de son sai.

- Vas-y, sers-toi, l'invita-t-il pendant qu'il se laissait nonchalamment tomber sur une chaise.

Marion l'imita et prit place sur le siège qui faisait face au sien. Elle croqua une bouchée de pâte recouverte de sauce tomate et de chorizo, qu'elle prit à peine le temps de mâcher tant elle était affamée.

Quelques minutes s'écoulèrent ainsi, sans que ni l'un ni l'autre ne prononce le moindre mot. Le silence était seulement troublé par le bruit de leur mastication, ainsi que par celui qu'émettait le carton lorsqu'ils se resservaient. Ce fut l'adolescente qui le brisa en premier. Contre toute attente, elle souffla :

- Je suis désolée.

Raphaël se mit à tousser bruyamment. Les paroles de Marion venait de lui causer un tel choc qu'il avait avalé un morceau de pizza de travers et s'étouffait désormais avec. Il se frappa le poitrail avec son poids, jusqu'à se remettre à respirer convenablement, mais sans cesser de l'observer avec des yeux ronds.

- Quoi ? Qu'est-ce que tu viens de dire ? bredouilla-t-il, hagard.

- J'ai dit... Je suis désolée. Cet après-midi, quand tu as demandé à Léo de ne pas me mêler à votre mission pour sauver Karai, j'ai cru que tu cherchais encore à m'évincer, alors je me suis emportée. Je n'ai pas pensé une seule seconde que tu avais une bonne raison d'agir ainsi.

- Pourtant, pour une fois, c'était le cas.

- Pour une fois, souligna Marion avec un sourire amusé.

- Je suis comme ça, c'est dans ma nature. Je ne suis pas fait pour m'entendre avec les gens, et encore moins pour les apprécier.

- Pourtant tu aimes tes frères, ça se voit. Même Mikey, inutile de le nier. Pourquoi toujours jouer les durs et les insensibles ?

- Si ce n'était pas le cas, tout le monde compterait sur moi, et je les décevrais. Je suis capable de me mettre en colère, au point de tout claquer et tout lâcher sans crier gare. Au moins, ils savent à quoi s'attendre. Personne ne s'appuie sur moi, comme ça, personne ne me reproche de les laisser en plan.

- C'est étrange, parce que même si je ne suis pas là depuis bien longtemps, j'aurais dit exactement le contraire. En dépit du mauvais caractère dont tu fais constamment preuve, tu réponds toujours présent lorsque c'est nécessaire.

- Pas toujours, non. Si tel était le cas, je ne remettrais pas sans cesse en doute les commandements de Léo. Je m'inclinerais et je me tairais, or ce n'est pas le cas. Je suis incapable de me soumettre, et souvent, ça se finit mal.

- Moi aussi, j'ai toujours eu du mal à obéir à ma soeur. Nous avons eu de nombreuses disputes, mais à chaque fois, j'essayais de me souvenir que sans elle, je ne m'en sortirai pas. Sans elle, on m'aurait sûrement placée dans un foyer ou dans un institut pour enfants abandonnés quand mon père a mis les voiles. Ce qu'elle faisait n'était pas toujours pour me plaire, mais j'étais certaine d'une chose : ce n'était jamais autrement que dans mon intérêt.

Le silence revint sur la cuisine. Marion essuya avec une serviette en papier la sauce tomate qui teintait ses lèvres d'une couleur écarlate avant d'avaler la croûte de la pizza qu'elle n'avait pas fini de manger. Ce fut elle qui reprit la parole en premier, au bout de quelques minutes :

- En fait, je crois que nous sommes pareils, toi et moi. Nous possédons tous les deux un fort caractère, mais en dépit de ça, nous pourrions mettre la planète, voire davantage, à feu et à sang si ça nous permet de voler au secours des êtres qui nous sont chers.

- Peut-être, répondit la tortue avec un haussement d'épaules.

- Et puis... Tout à l'heure, tu ne m'as pas laissé le temps de te le dire, mais je te suis vraiment très reconnaissante de m'avoir rapporté ma rapière. Cette épée, c'est... C'est presque un pan entier de moi.

- Il n'y a pas de quoi. Après tout, comme tu l'as fait remarqué, c'est un peu à cause de moi que tu l'avais perdu, non ? Une chance que les Kraangs ne l'aient pas détruite, surtout.

- Une chance, en effet.

La jeune fille adressa un sourire hésitant à Raphaël, qui le lui rendit sans plus d'assurance. Faire preuve de sympathie n'était pas dans leur nature, ni à l'un, ni à l'autre, mais faire des efforts, cependant, était à leur portée. Marion constata :

- Finalement, on pourrait presque finir par s'entendre, toi et moi.

-  Impossible. Si ça devait se produire, ça signifierait que Mikey n'avait pas tort, pour une fois. Il ne cesse de me répéter que tôt ou tard, je t'apprécierai, exactement comme je l'ai fait avec Casey.

- Mikey a raison sur beaucoup plus de choses que vous voulez bien le croire. Il est naïf et immature, mais je ne pense pas qu'il soit stupide. Il est... inspiré.

- Si tu le dis. Enfin, ça ne m'explique pas ce que tu peux lui trouver.

- Je n'ai pas besoin de lui trouver quelque chose pour l'apprécier. Les sentiments, ça ne se commande pas, tu sais. La preuve, nous deux, nous n'avions pas vraiment de raison de nous détester, à l'origine, et pourtant c'est qui s'est passé.

- Mouais, c'est pas faux, admit Raph.

Il tira le carton de la pizza vers lui afin de prendre une nouvelle part, avant de constater qu'il n'en restait plus qu'une. Son regard passa du triangle recouvert de chorizo et de fromage fondu à Marion, et inversement. Après une légère hésitation, il repoussa l'emballage dans sa direction.

- Tiens, finis-la. Tu n'as presque rien avalé, aujourd'hui.

- Dois-je en conclure que, malgré l'indifférence dont tu t'efforces de faire preuve à mon égard, tu te préoccupes quand même de moi au point de prêter attention à la consistance de mes repas ?

- Non, répliqua Raph du tac au tac. C'est juste Mikey qui m'a rabattu les oreilles parce qu'il s'inquiétait pour toi. C'est d'ailleurs pour ça que je t'ai rendu ton épée. Je pensais que tu retrouverais le sourire et qu'il me lâcherait cinq minutes.

- Cinq minutes... Exactement le temps pendant lequel tu arrives à rester sociable, avant de te remettre à houspiller la terre entière, constata Marion avec un petit rire. Remarque, c'est un progrès. C'est la première fois que je te vois tenir une aussi longue conversation avec qui que ce soit. Tout espoir n'est peut-être pas perdu.

Raphaël grommela quelque chose d'inaudible, mais son regard, derrière son bandeau, semblait s'être adouci. Alors que l'adolescente s'apprêtait à tendre la main vers l'ultime morceau de pizza, la porte de la cuisine s'ouvrit à la volée et une traînée verte s'engouffra à l'intérieur.

- Yeah ! Il me semblait bien avoir senti l'odeur de cette délicieuse pâte bien croustillante !

Mikey se pourlécha les babines avant de se jeter sur la part restante et de l'avaler en trois bouchées, sous le regard amusé de Marion et les marmonnements furieux de Raphaël. Lorsqu'il se fut essuyé ses joues, maculées de taches orangées, il s'exclama :

- Vous auriez quand même pu me prévenir ! Vous vous êtes enfilés le reste à vous tout seul ? Merci de la solidarité. Marion, la pizza, c'est sacré. Tu as pratiquement trahi ma confiance en te comportant comme tu viens de le faire.

- Ne t'inquiète pas, Mikey, je saurais me faire pardonner.

Elle repoussa sa chaise, se mit debout, et après avoir adressé un sourire un peu plus avenant à Raph, embrassa la tortue au bandeau orange sur le front. Il rougit légèrement, tandis qu'elle se dirigeait vers la porte. Elle leur fit un signe de la main au moment d'en franchir le seuil, tout en lançant :

- Bonne chance pour votre mission avec Karai, demain.

Tandis qu'elle disparaissait, Michelangelo se laissa tomber sur le siège qu'elle venait de quitter et entreprit de récolter sur son pouce les miettes de pizza qui se trouvaient encore dans le carton, d'un air affamé. Raphaël, pour sa part, ne quittait pas des yeux l'encadrement de la porte, désormais close, qu'elle venait de franchir.

- Je plaisante, je ne lui en veux pas, affirma Mikey d'un ton catégorique. Elle est beaucoup trop sympa pour ça, même si je sais que toi, tu ne la portes pas dans ton cœur. Bien que je ne comprenne pas pourquoi, d'ailleurs.

- Ouais... murmura son frère, plus pour lui-même qu'en réponse à son cadet. Moi non plus.

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