Un combat de tous les instants

Chapitre 20 : La rétromutation

3315 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 10/11/2016 09:44

L'ambiance était morne dans les tunnels des égouts, car personne ne s'adressait la parole. Une fois encore, le groupe s'était scindé en deux. Donnie, Mikey, Marion, Casey et April s'affairaient à installer le piège, désormais fin prêt, destiné à Karai, pendant que Léo et Raph étaient chargés de l'entraîner jusqu'à eux.

Pendant que les garçons suspendaient la cage à un système de poulies, les filles surveillaient l'emplacement de la kunoichi sur leur téléphone. Pour le moment, elle se déplaçait à un rythme irrégulier et s'immobilisait de temps à autre, ce qui indiquait que les deux autres ne l'avaient pas encore rejointe.

- Tout est en place, annonça Donatello.

Accroché à la chaîne qui reliait la future prison de Karai au plafond, il se laissa tomber sur le sol avec souplesse, juste à côté d'April qui se décala par réflexe de quelques centimètres, sous l'oeil attentif de Marion. Elle-même recula d'un pas lorsque Casey passa devant elle, un détail qui n'échappa pas à Donnie.

En dehors des plaisanteries régulières que Mikey faisait pour tromper l'attente, personne ne parlait. Ils patientaient en silence, attendant un signe de la part de la seconde équipe. Celui-ci ne tarda pas à leur parvenir. Ils reçurent tous un message de Raphaël au moment où le point lumineux symbolisant Karai se mettait à bouger à toute vitesse sur l'écran des deux adolescentes.

- Elle arrive ! Tout le monde en position ! s'écria April.

Marion, Michelangelo et Casey s'alignèrent immédiatement côte à côte, occupant toute la largeur du couloir pour empêcher la kunoichi de poursuivre sa route et la contraindre à faire demi-tour si jamais elle ne passait pas sous le piège. Donnie attendait à côté de la chaîne, prêt à la défaire, et April guettait l'approche de la mutante pour lui jeter une bombe fumigène au visage, qui l'aveuglerait un instant.

- Elle sera là dans une vingtaine de secondes. Dix-neuf... Dix-huit...

La rouquine poursuivit son décompte pendant que les autres se tenaient prêt. Marion dégaina sa rapière, Mikey ses nunchakus et Casey sa crosse de hockey. Donatello défit le noeud qui maintenait la cage en place et serra la corde métallique à deux mains. Tout allait se jouer très rapidement.

- Maintenant !

Alors qu'April s'écriait cet unique mot, Karai fit irruption dans le tunnel où ils s'étaient postés. C'était la première fois que Marion la voyait et elle fut impressionnée par son allure. Elle avait eu l'occasion de croiser d'autres mutants depuis sa rencontre avec les tortues, mais celle-ci était le mélange parfait entre vitesse et agressivité. Elle comprenait désormais mieux pourquoi elle causait tant de fil à retordre aux tortues.

La bombe fumigène qu'April jeta s'écrasa contre les écailles de la femme-serpent et diffusa une fumée noirâtre dans les environs. Les autres retinrent leur respiration, tandis que Donnie lâchait la cage et que Raph et Léo faisaient irruption à leur tour. Le métal émit un fracas assourdissant en heurtant le sol.

- On a réussi ! On a réussi ! s'exclama Mikey en exécutant une danse de la carapace. Booooo... yakasha !

Alors que la fumée se dissipait peu à peu, Donnie se rapprocha prudemment de la cage, imité par Léonardo, Raphaël et April. Ils s'immobilisèrent autour d'elle en arc de cercle, méfiant. Avec effroi, lorsque l'atmosphère fut revenue à la normale, ils constatèrent qu'elle était vide.

- Où est-e...

Le ninja bleu n'acheva pas sa question. Un sifflement suraigu se fit entendre au plafond. Karai venait de passer au-dessus de Marion, Casey et Mikey sans que ceux-ci ne le remarquent et s'enfuyait désormais en rampant dans une galerie adjacente.

- Vite, suivons-là ! ordonna Léo.

Ils avaient naturellement prévu un plan B, au cas-où le premier échouerait. Armés d'un filet, il leur fallait traquer Karai à l'aide du pisteur GPS jusqu'à la capturer entre ses mailles. La chasse promettait de ne pas être de tout repos, mais c'était leur dernière chance de lui rendre son apparence normale.

Immédiatement, ils se lancèrent à la poursuite de la mutante. Elle les entraîna dans un dédale de tunnels, sinuant tantôt sur le sol, tantôt par les parois, tantôt au plafond. Contrairement à elle, ils ne parvenaient pas à se déplacer avec une telle facilité. Seul Michelangelo, de loin le plus rapide du groupe, parvenait à ne pas se laisser distancer par elle.

- Essaye de lui couper la route et de la renvoyer vers nous, Mikey ! s'écria Léo alors qu'ils bondissaient par-dessus un canal d'eau usée.

Le ninja orange acquiesça et pressa l'allure. À l'aide de son kusarigama, dont il planta l'extrémité dans la voûte, il réussit à se balancer avec juste assez d'élan pour atterrir devant elle. Avec son nunchaku, il la frappa sur au visage, ce qui lui arracha un sifflement vengeur. D'un violent coup de queue, elle le balaya et il retomba sur sa carapace, déséquilibré.

Au moins, cela avait eu pour effet de ralentir temporairement Karai, car le choc l'avait quelque peu déstabilisée. Donatello jeta le filet à Léonardo, qui l'attrapa au vol, avant de dégainer son bo. Il escomptait finir de l'assommer avec un coup bien placé, cependant la kunoichi réussit de justesse à esquiver sa tentative.

Elle était cernée, désormais. Elle voulut se précipiter vers la rivière crasseuse qui s'écoulait à côté d'eux, mais Raphaël lui barra la route. Si elle voulait passer, elle devrait se heurter à ses sais, or elle n'était pas inconsciente. Ses yeux fluorescents se plissèrent à la recherche d'une issue.

- Léo, le filet ! s'écria Donatello.

Il jeta le piège sur Karai, mais celle-ci, choisissant d'opter le tout pour le tout, chargea April. Le rectangle de cordes nouées retomba sur le sol tandis que la femme-serpent gagnait en vitesse. La rouquine n'eut pas le temps de réagir et, au moment où la mutante était sur le point de la percuter, Marion la poussa sur le côté.

Son geste héroïque lui coûta très cher, car ce fut elle que Karai atteignit à la place d'April. Le choc la propulsa vers l'arrière et elle bascula dans l'eau sale, sous les yeux angoissés de ses amis. Le courant l'emporta sans qu'elle ne puisse lutter contre lui. Totalement sonnée, elle n'était pas en état de le faire.

- Raph, qu'est-ce que tu...

Avant même que quiconque n'ait eu le temps d'esquisser le moindre geste, la tortue avait déjà plongé. Nageant à toute vitesse, il entreprit de rattraper Marion, que l'eau éloignait déjà en direction d'une autre galerie.

- Euh... Euh... bredouilla Léonardo, soudain perturbé par les évènements.

- Eh, Karai ! s'écria Mikey, plus réactif. C'est pas parce que tu es la fille de maître Splinter que je vais te laisser faire du mal à ma meilleure amie. Booyakasha !

Il fit tournoyer son kusarigama autour de sa tête durant quelques secondes avant de le jeter sur la mutante qui tentait toujours de s'échapper. Elle voulut esquiver, mais Michelangelo avait bien visé. La chaîne s'enroula autour de son corps longiligne, puis se resserra d'elle-même lorsqu'elle voulut s'en dégager.

- Dépêchez-vous, les gars, je ne tiendrai pas longtemps !

- Waouh, Mikey ! s'exclama Casey en ramassant le filet. Je ne pensais pas avoir à dire ça un jour, mais franchement, tu m'épates, là !

Quelques secondes plus tard, Karai se retrouvait captive du piège. Donatello remit le vaporisateur de rétromutagène à Léonardo, considérant que c'était à lui que revenait l'honneur de rendre à la kunoichi sa forme normale. Prudemment, il s'approcha d'elle en murmurant :

- Ne t'inquiète pas, d'ici quelques minutes, tout sera terminé.

Comme elle essayait férocement de se dégager de sa prison de corde, Léo ne perdit pas un instant. Il l'aspergea à l'aide de la préparation. Progressivement, son corps cessa de s'agiter avec violence pour être parcouru de tremblement nerveux, tandis que le produit s'infiltrait dans ses veines pour ramener son ADN à la normale.

Il fallut une minute au sérum pour faire effet. Lorsque la transformation s'acheva, ce n'était non plus une femme-serpent qui était étendue sous les mails du filet, mais une jeune fille inconsciente aux cheveux noirs, parsemés de mèches blondes. Une tenue métallique recouvrait son corps mince et elle avait les paupières clauses. Apparemment, elle avait perdu connaissance.

Léonardo esquissa un sourire. Il retrouvait enfin Karai telle qu'il l'avait toujours connu. Maître Splinter serait à n'en pas douter tout aussi ravi que lui quand ils la ramèneraient au repaire. Il se retourna, désireux de féliciter Michelangelo à son tour, sans l'intervention de qui un tel résultat n'aurait pas été possible.

- Bah... Où est Mikey ? s'étonna-t-il.

Casey, April et Donatello parcoururent les alentours du regard, juste à temps pour voir la tortue disparaître à l'extrémité du couloir, où elle suivait le courant des eaux usagés. Sa mission accomplie auprès de Karai, il s'était immédiatement lancé à la poursuite de Raph et de Marion.

***

Raphaël était un excellent nageur, ce qui lui permit de rattraper Marion avant que son corps ne s'enfonce dans les profondeurs du ruisseau souterrain. Quoique brinquebalée dans tous les sens par les remous, il réussit à refermer un bras autour de sa taille et à la tirer sur une rive en ciment.

Elle ne respirait pas. Il songea avec une grimace qu'elle avait certainement dû avaler plusieurs gorgées du liquide nauséabond dans lequel elle avait trempé jusqu'à présent. Il entreprit de lui frapper le buste, à l'endroit où se trouvaient ses poumons, afin de lui faire recracher l'eau qu'elle avait ingurgitée. Il mesura sa force afin de ne pas risquer de lui briser les os.

- Allez... marmonnait-il entre ses dents. Allez, reviens, espèce de sale petite peste... Réveille-toi.

Il s'interrompit quelques secondes pour observer son visage. Elle était blême et l'air ne circulait toujours pas dans son système respiratoire. Des cheveux auburn étaient collés à ses joues, et une mèche suivait même l'arête de son nez, qu'il repoussa avec la pointe de son doigt.

- Je te préviens, menaça-t-il, je t'interdis de me laisser en plan comme ça, après avoir semé la pagaille dans mon existence.

Si Donnie était avec lui, il aurait sûrement déjà trouvé une solution pour ranimer Marion, mais Raph n'avait pas son savoir, et son frère était resté avec les autres auprès de Karai. Léonardo étant le chef, la fille qui était chère à son coeur était visiblement prioritaire sur les autres.

À force de contempler l'adolescente inconsciente, Raphaël se surprit à la trouver assez jolie, lui qui jusqu'à présent n'avait pas prêté la moindre attention à son physique, seulement à son insupportable caractère. Son regard s'arrêta sur ses lèvres charnues, sur lesquelles perlait une goutte d'eau.

Bien sûr ! Le bouche à bouche ! Allait-il oser, cependant ? Allait-il se permettre d'approcher son visage de celui de Marion, jusqu'à ce qu'il soit suffisamment près pour insuffler artificiellement de l'air dans ses poumons ?

Il hésitait, pourtant sans même s'en rendre compte, il avait déjà commencé à se pencher au-dessus d'elle. Il n'était plus qu'à quelques centimètres, désormais. Le nez de Marion frôlait ses écailles, rendues humides par son plongeon dans les égouts. Alors qu'il entrouvrait la bouche, la jeune fille se redressa brutalement.

Il s'écarta de justesse pour ne pas que sa tête vienne cogner la sienne, tandis qu'elle se mettait à tousser et à crachoter. Elle vomit un long filet d'eau, puis prit de longues inspirations afin de remplir à nouveau son corps d'oxygène. Elle haleta longuement avant de noter la présence de Raph à ses côtés.

- Que... commença-t-elle avant de s'interrompre.

Marion semblait surprise de le voir là. Un frisson parcourut son corps, car son plongeon dans le canal l'avait frigorifiée. Elle observa la tortue durant plusieurs secondes et Raphaël finit par se résoudre à esquisser un geste dans sa direction. Avant qu'il ne l'achève, cependant, un cri les fit sursauter.

- Marion, t'es vivante !

Une traînée verte remonta la galerie en courant pour se jeter sur l'adolescente et la plaquer au sol. Son souffle fut coupé sous le choc, elle qui commençait tout juste à le recouvrer, pendant que Michelangelo l'étreignait de toutes ses forces, soulagé de la voir saine et sauve.

- Lâche-la, abruti, tu vas l'étouffer !

Raph l'empoigna par la carapace et le força à se mettre debout, libérant Marion du poids qu'il appliquait sur son corps. Elle se redressa, devant à nouveau apaiser ses poumons malmenés. Cela fait, elle entoura son buste de ses bras pour tenter de se réchauffer un peu.

- J'ai une bonne nouvelle ! annonça joyeusement Mikey. On a eu Karai.

- Super, grimaça la jeune fille. Je suis au moins ravie d'apprendre que je n'ai pas failli me noyer pour rien.

- T'inquiète, Raph aurait pas laissé le courant t'emporter. Il a tout de suite sauté dans l'eau pour te repêcher, c'était héroïque. Même Crognard le Barbare n'aurait pas fait mieux.

- C'est vrai ? interrogea Marion en posant ses yeux bruns sur l'intéressé, qui s'efforçait de regarder ailleurs.

- Ouais, et alors ? On est quitte, à présent. Ça t'évitera de te pavaner dans tout le repaire en me rappelant sans cesse que tu m'as sauvé la vie.

- Bah... Euh... Merci.

- C'est bon, on n'en parle plus.

En grommelant quelques paroles supplémentaires, totalement inaudibles, il décida de lui tourner le dos. Mikey ignora sa mauvaise humeur pour tendre une main à Marion et l'aider à se mettre debout. Elle l'en gratifia d'un sourire, puis d'un remerciement lorsqu'il lui frictionna le dos.

- Je vais te ramener au repaire. Tu vas attraper une pneumonie si tu restes comme ça. Tu as besoin d'enfiler des vêtements secs.

Marion acquiesça, sans cesser de grelotter, et Mikey se mit à marcher doucement afin qu'elle puisse suivre son rythme. Ils avaient déjà parcouru trois mètres lorsque Raphaël décida de leur emboîter le pas. À distance, il marchait dans leur sillage, le visage baissé. Il ne relevait les yeux que de temps en temps, pour observer la silhouette dégoulinante de l'adolescente devant lui.

Elle écoutait attentivement Michelangelo lui narrer la façon dont il avait capturé Karai dans l'étreinte de son kusarigama, avant de se précipiter à son tour à sa recherche sitôt que ses frères avaient repris la situation en main. D'après ses propres dires, personne n'arrivait jamais à s'en sortir sans lui.

Quand il eut achevé son récit, Marion jeta un regard par-dessus son épaule, en direction de Raphaël. Ce dernier ne s'y attendait pas et il se détourna précipitamment d'elle, gêné. L'espace d'une seconde, il entraperçut tout de même son visage. Il ignorait si c'était le fruit de son imagination, d'autant que ce contact visuel avait été trop bref pour être précis, mais il lui avait semblé qu'elle lui souriait.

La commissure des lèvres de Raph était sur le point d'en faire de même lorsqu'il se remémora la scène qu'il avait surprise la veille, dans la cuisine. Cette image de Casey et elle n'avait cessé de le hanter depuis qu'elle s'était imposée à lui. Il n'arriverait pas à l'oublier.

Instinctivement, il serra les poings. Il n'avait jamais eu la moindre chance avec Marion, au contraire de Casey. L'adolescent avait au moins l'avantage sur lui d'être un humain. Quelques soient les désirs de Raphaël, il ne pourrait hélas jamais rien faire pour changer cela. Il n'était rien qu'une tortue, irrémédiablement.

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