Un combat de tous les instants

Chapitre 38 : Garder courage

3010 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 18/02/2018 18:02

Karai était toute fourbue et n'avait aucun souvenir des derniers évènements lorsqu'elle revint à elle. Ce ne fut qu'en se redressant et en étudiant l'endroit où elle se trouvait que la mémoire lui revint progressivement. Le combat dans le repaire du Clan des Foots, Shredder... La seule chose qu'elle ne parvenait pas à s'expliquer, c'était ce qu'elle faisait là.

Elle était dans une chambre confortable, étendue sur un lit aux draps de satin, entourés par des rideaux à baldaquin translucides. Elle avait à sa disposition une étagère remplie de livres d'hiver, une armoire en bois probablement pleine de vêtements, un rocking-chair et une table accompagnée d'une seule chaise.

La décoration était sobre, mais soigné. Si les murs étaient nus, un élégant papier jaune et marron les tapissait. Le parquet semblait avoir été fraîchement encaustiqué, car une délicieuse odeur de cire s'en échappait, et un tapis persan occupait une grande partie du sol. Le radiateur diffusait une douce odeur dans la pièce.

En voulant se mettre debout, malgré la douleur que provoquait chaque mouvement, Karai s'aperçut qu'une paire de pantoufles l'attendait au pied du lit. Quoique sceptique, elle les chaussa, et s'aperçut seulement à ce moment-là qu'elle ne portait non plus son armure de kunoichi, mais une longue chemise de nuit blanche. Tout comme sa tenue, ses armes n'étaient nulle part en vue.

Elle était presque certaine de ne pas se retrouver dans le repaire souterrain des tortues. Elle n'avait pas vécu très longtemps avec eux, mais tout de même assez pour avoir eu l'occasion de découvrir une pièce de ce genre si elle avait existé dans les égouts. Qui plus est, il y avait une fenêtre, alors que ce n'était pas le cas dans l'habitat de ses amis.

Masquée par une épaisse tenture rouge, Karai se dirigea vers elle et repoussa le tissu d'un geste vif, pour découvrir avec effroi que, de l'autre côté de la vitre, de solides barreaux de métal rendaient impossible toute tentative d'évasion. Elle comprit alors comment elle était arrivée ici : elle avait été capturée par Shredder.

Son cœur oscillait entre la terreur et la fureur. Elle n'avait pas peur de Saki, mais elle n'oubliait pas que lorsqu'il l'avait capturée, la dernière fois, elle avait fini dans une cuve de mutagène qui l'avait transformée en serpent. Elle ne conservait que des souvenirs flous de la période qu'elle avait passée en tant que mutante, mais elle était certaine d'une chose : elle ne voulait jamais remettre cela.

Karai se demandait pourquoi Shredder avait pris la peine de lui faire aménager une chambre, alors qu'il n'avait pas eu de scrupules à la jeter dans une cellule sordide, autrefois. Qu'avait-il en tête ? Elle l'ignorait, mais cela ne laissait rien présager de bon.

Des bruits de pas résonnèrent à proximité de l'unique porte. Karai n'avait pas tenté de l'ouvrir, mais le battant était probablement verrouillé. Elle en eut la confirmation en entendant tinter un trousseau de clé. Bien qu'elle soit démunie et affaiblie, elle se plaça en position de combat, prête à se défendre, voire à s'échapper si l'occasion se présentait.

Elle déchanta en s'apercevant que la gigantesque silhouette de Shredder obstruait presque tout le chambranle. Elle put tout de même observer la piécette voisine, qui semblait être une sorte de sas. L'homme avait visiblement tout calculé pour qu'elle n'ait aucune chance de s'enfuir.

- Je suis venu voir comment tu allais, et je suis heureux de te retrouver éveillée, déclara le Destructeur d'une voix plus douce qu'à l'accoutumée.

- Qu'est-ce que tu as l'intention de me faire ?

- Pour le moment, rien. As-tu besoin de quelque chose ? Tu as faim, peut-être ? Je vais donner ordre qu'on te porte une collation.

- Tu te fiches de moi ? rétorqua Karai. Où sont les tortues ? Que leur as-tu fait ?

- Ces misérables créatures sont probablement mortes dans l'effondrement de notre ancienne maison, mais en ce qui te concerne, j'ai de plus grands projets. Tu te souviens de Baxter Stockman, n'est-ce pas ? Il est déjà en train de travailler sur un procédé qui te rendrait disons plus... docile.

Karai ignorait quelle révélation lui fit le plus grand choc. Apprendre que ses amis avaient peut-être péri ou que Shredder avait l'intention de forcer son allégeance grâce à la science et la technologie ? Elle secoua la tête, s'interdisant de se laisser abattre. Les tortues avaient déjà échappé plus d'une fois à leur ennemi juré et la jeune fille avait envie de croire que c'était encore le cas. Quant à elle-même, elle était résistante. Quoi que lui fasse subir son père adoptif, elle ne se soumettrait pas aussi facilement.

- Un jour ou l'autre, tu payeras, Shredder. Que ce soit de ma main ou de celle d'un autre, quelqu'un te fera regretter tout le mal que tu as causé.

- Vraiment ? répliqua l'intéressé alors qu'il était sur le point de quitter la pièce. J'attends de voir ça.

***

April essuya son front moite de sueur. Elle était penchée sur le corps de Casey depuis plus d'une demi-heure et la concentration plissait la peau de son visage. Marion, assise en léger retrait dans le dojo, pouvait deviner son épuisement. L'emploi de ses pouvoirs psychiques était au moins aussi fatiguant qu'un combat physique.

- Tu devrais peut-être faire une pause.

La suggestion de Marion fut reçue avec un regard noir. April n'avait pas l'intention de renoncer avant d'avoir réussi à atteindre la conscience de Casey et à le réveiller, mais toutes ses tentatives se soldaient par des échecs. Son coma était si profond qu'elle ne parvenait pas à l'en tirer.

Tous les autres s'étaient plus ou moins remis de leurs malheurs. Les tortues resteraient courbaturées pendant quelques jours et Donnie souffrait encore de maux de tête réguliers, mais elles étaient sur la voie de la guérison, à l'exception de Raphaël pour qui cela nécessiterait beaucoup plus de temps.

Leatherhead et Slash avaient quitté le repaire, tout en promettant à leurs amis de répondre à leur appel en cas de besoin. Ils leur en étaient tous reconnaissants, et éprouvaient aussi du soulagement à l'idée de pouvoir compter sur eux pour de futures batailles. Leur aide serait toujours la bienvenue.

Marion vit April chanceler et, l'espace d'un instant, crut qu'elle allait s'évanouir. Elle se leva précipitamment pour la rejoindre, mais la rouquin parut se ressaisir avant qu'elle n'ait eu le temps de franchir la distance les séparant.

- April, pourquoi t'acharner de la sorte ? Plus tu te fatigues et plus tes pouvoirs s'affaiblissent. Accorde-toi une heure ou deux pour te reposer, et recommence.

Marion posa doucement sa main sur son épaule et vit celles d'April s'éloigner des tempes de Casey sur lesquelles elles étaient placées. En se penchant un peu, l'adolescente remarqua que son amie pleurait.

- Et s'il ne se réveille pas ? sanglota-t-elle si bas que Marion n'était pas sûre de l'avoir véritablement entendue. Si...

- Arrête ! Ne sois pas aussi pessimiste. Je te signale que nos meilleurs amis sont des mutants, que notre ville a été envahie par des cerveaux à tentacules d'origine extraterrestres, que nous sommes toutes les deux hébergées par l'un des plus grands maîtres du ninjutsu... Avant que tout ça n'arrive, aurais-tu seulement pensé que ça puisse être possible ? Non, et moi non plus, pourtant c'est le cas. Si tout ça est réel, alors que dans le fond, c'est complètement fou, pourquoi Casey ne reviendrait-il pas à lui ?

April réussit à esquisser un sourire, en dépit de ses larmes, et consentit à se mettre debout, après avoir admis que s'accorder un peu de répit ne pourrait pas lui faire de mal. Elle jeta un dernier regard peiné à Casey, puis emboîta le pas à Marion pour sortir du dojo.

Dans la grande salle, tout était calme. Trop calme. D'habitude, il y avait toujours des bruits ou des conversations, mais pas là. Personne n'avait le cœur à parler, et encore moins à s'amuser. Les derniers incidents en date leur avaient infligé un coup au moral plus douloureux que ceux donnés par le clan des Foots. Ils s'inquiétaient autant pour Casey que pour Karai.

Michelangelo était assis à côté d'une boîte de pizza ouverte, dont il enchaînait les parts. Il n'en restait plus que deux, qu'il s'apprêtait à saisir quand il remarqua les deux filles. Il renonça à les manger et les leur proposa. Marion fut touchée par son geste, car elle savait ce que cela représentait pour lui.

- Casey... commença-t-il, mais l'adolescente secoua la tête en signe de dénégation avant qu'il ait eu le temps d'aller plus loin.

- Il ne répond pas, souffle April. C'est comme si sa conscience avait trouvé refuge au plus profond de son être, quelque part où même moi, je ne peux pas l'atteindre.

Splinter, qui était également présent dans la pièce, tout comme Léonardo, n'avait pas perdu une miette de la conversation, grâce à la finesse de son ouïe. Au contraire de la tortue qui réagit à peine, il déclara avec sagesse :

- Il existe certains cas où la magie et la science sont inefficaces. Dans celui de Casey, je crains que seul le temps ne nous livre un verdict.

Personne ne releva. Marion mangeait sa part de pizza sans trop d'appétit, tandis qu'April contemplait mélancoliquement la sienne, à laquelle elle n'avait pas encore touché. S'il devait arriver malheur à Casey, elle ne savait pas comment elle parviendrait à le supporter.

- Si nous avions une télé, nous pourrions nous changer les idées, soupira Mikey.

- Quoi ? s'écria la rouquine. Casey est peut-être entre la vie et la mort, et toi, tout ce à quoi tu penses, c'est ta stupide télé ?

Ses nerfs étaient en train de lâcher. D'habitude, elle était celle qui se montrait le plus patiente avec Michelangelo, à l'exception de Marion, mais sa colère et sa frustration étaient tellement à vif qu'elle avait besoin de se défouler sur quelqu'un. Manque de chance pour la tortue, cela tombait sur lui.

- À t'entendre, on pourrait croire que tout est un jeu et que rien n'a d'importance, sauf que ce n'est pas le cas, figure-toi ! Tu devrais grandir un peu dans ta tête, Mikey. Il est plus que temps !

- Arrête ! ordonna Marion alors qu'April s'apprêtait à vociférer encore. Tu le connais depuis plus longtemps que moi, et tu devrais savoir que le tact n'est pas son fort. Il n'y avait rien de méchant dans ce qu'il a voulu dire, au contraire. Nous sommes tous inquiets pour Casey, mais si nous continuons à remâcher nos sombres pensées, nous allons devenir cinglés.

April se calma légèrement. Comme elle avait bondi sur ses pieds au moment de se mettre à crier, elle se rassit, tandis que Mikey se rapprochait instinctivement de Marion, presque effrayé par la jeune fille. Ses réprimandes l'avaient blessé et ses yeux exprimaient sa honte.

- Elle ne voulait pas se montrer méchante, assura Marion en saisissant son ami par le bras et en posant sa tête sur son épaule. Elle a simplement peur, comme nous tous.

- C'est vrai... Excuse-moi de m'être énervée, Mikey. Ce n'est pas ta faute.

- Bah... Je suis trop gentil pour être rancunier.

Le ninja adressa un sourire aux adolescentes qui l'entouraient, à tour de rôle, et elles le lui rendirent, bien que celui d'April paraisse excessivement crispé. Le silence retomba sur la pièce, qui redevint aussi calme qu'à leur sortie du dojo. Plus personne ne prononçait un mot et Léonardo s'était même dirigé vers les escaliers menant à l'étage sans que personne ne le remarque.

Aussi regrettable que soit l'état de Casey, il ne parvenait à concentrer ses pensées sur rien d'autre que Karai. L'idée qu'elle soit entre les mains de Shredder, de ce que ce monstre pouvait lui infliger... C'était intolérable. Et lui, il était là, alors qu'elle avait sûrement besoin de son aide.

Léonardo était loin de se sentir au mieux de sa forme, car il souffrait encore beaucoup des séquelles qu'il conservait de son combat, mais comme l'avait si justement fait remarquer Marion, ils allaient tous finir par devenir fous s'ils restaient assis à se tourner les pouces, lui le premier. Il devait agir, tenter quelque chose pour venir en aide à Karai.

Il rejoignit sa chambre en silence, bien qu'il traîne quelque peu les pieds. Derrière la porte, il avait suspendu son capuchon, duquel il se munit. Il doutait qu'une telle précaution suffise à duper les Foot-bots de Shredder, mais cela valait la peine d'essayer. Ce n'étaient que des machines, après tout. À moins de rencontrer l'un de ses lieutenants de chair et sang, Léonardo avait ses chances.

- Je peux savoir ce que tu fiches ?

Léo se figea en entendant grincer la porte qu'il avait pris soin de refermer derrière lui. Raphaël se tenait dans l'encadrement, son bras valide ramené contre celui qui était plâtré, comme s'il voulait les croiser sans y parvenir.

- Mêle-toi de ce qui te regarde, frérot. Je suis assez grand pour m'occuper de moi tout seul.

- Et pour te comporter en idiot aussi, visiblement. Franchement, tu crois que tu vas faire quoi ? La retrouver ? M'est avis que Shredder la retient quelque part où il est sûr qu'on ne risque pas de la localiser. Et si tu y parviens, alors c'est probablement parce qu'il l'aura voulu, et qu'il guettera ton arrivée pour te transformer en soupe de tortue.

- Tu as d'autres remarques perspicaces, Raph ?

- Ne fais pas l'imbécile. D'habitude, c'est moi qui fonce tête baissée, pas toi. Arrête de mettre ton cerveau en veille chaque fois qu'il est question de Karai.

- Nous aurions pu abandonner Marion aux mains de Shredder, mais nous ne l'avons pas fait, en dépit des dangers que ça représentait. Pas question que je renonce à sauver Karai.

- La différence, c'est que nous étions nombreux pour attaquer le repaire de Shredder, que nous savions où elle était et que nous avions plus ou moins un plan. Et malgré ça, nous n'avons pas tous réussi à nous en sortir indemne. Tu crois que seul, tu auras plus de chances, alors que nous avons échoué en groupe ?

- J'essaye, au moins, rétorqua Léonardo. Tu ne peux pas comprendre, Raph, parce que je ne suis pas certain que tu saches ce que c'est que d'aimer quelqu'un au point d'être prêt à commettre des folies pour cette personne.

Les poings de Raphaël se contractèrent et une douleur lancinante se diffusa le long de son bras cassé. Oh que si, il savait. Il savait même très bien. Si les autres ne l'avaient pas aidé, il aurait agi exactement de la même manière que son frère pour sauver Marion, quitte à y laisser sa carapace.

- C'est bien pour ça que je considère l'amour comme un sentiment stupide, marmonna simplement le ninja. Parce qu'il pousse à la folie, et que c'est cette même folie qui nous perdra un jour… Fais ce que tu veux, Léo, mais n'oublie pas que Splinter t'a choisi pour être notre chef. S'il m'a refusé ce titre, c'est parce qu'il a toujours décelé en moi mon impulsivité et ma colère, et s'il te l'a accordé à toi, c'est parce qu'il pensait indubitablement que tu valais mieux que moi. Tu es le seul à avoir véritablement l'âme d'un commandant. S'il t'arrive quoi que ce soit, qui prendra la relève ? Moi ? Donnie ? Tant qu'à faire, autant passer directement les rênes à Mikey. Au moins, la chute sera rapide.

- Raph... Pourquoi est-ce que tu me dis ça maintenant ? Tu as toujours envié mon rôle de chef et tu n'as jamais cessé de critiquer ma manière de vous diriger, alors... Pourquoi cet éloge soudain ?

- Parce que tu passes ton temps à nous ramener dans le droit chemin et que le moment me semble opportun pour te rendre la pareille. Je n'ai aucune envie de te voir faire une bêtise, frangin. C'est justement parce que tout va mal qu'on a plus que jamais besoin de toi ici.

- Et si je décide quand même de le faire, tu vas tenter de m'en empêcher ? le brave Léo.

- Avec un bras dans le plâtre ? J'ai beau avoir de l'orgueil, je ne suis pas idiot. Tâche de ne pas l'être non plus.

Sur ces mots, Raphaël quitta la pièce sans se retourner et Léonardo ne détacha pas les yeux de l'embrasure par laquelle son frère avait disparu. C'était la première fois qu'il l'entendait s'exprimer de manière aussi philosophe, lui qui avait plutôt tendance à cogner d'abord et à réfléchir après.

Léo se perdit dans ses pensées, le regard dans le vague. Il voulait sincèrement venir en aide à Karai, mais il ne pouvait pas non plus abandonner ses frères et ses autres amis rien que pour elle. Il ne devait pas songer qu'à lui. Il avait des responsabilités, il n'était pas libre de ses actes, contrairement à tous les autres.

La tortue retira sa cape et la remit sur le crochet auquel elle était suspendue avant qu'il ne la revête. Pour une fois, Raphaël avait raison. C'était assez rare pour que cela mérite d'être pris en compte.

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