Un combat de tous les instants

Chapitre 39 : Patience et persévérance

3138 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 10/03/2018 22:32

- Marion ! Mikey ! Léo ! Venez vite !

April semblait exaltée lorsqu'elle passa la tête par l'embrasure de la porte de la cuisine. Les vivres qu'ils avaient rapportées de son appartement commençaient à s'épuiser et lorsqu'une petite faim les prenait, ils devaient se contenter d'un bol de crème glacée fourni par la chatte mutante de Michelangelo.

Mikey avait trouvé Léonardo attablé seul et lui avait proposé de manger un peu pour retrouver le sourire. Depuis l'enlèvement de Karai, il dépérissait de jour en jour. Deux semaines s'étaient écoulées depuis les évènements survenus au quartier général de Shredder et il s'en voulait de rester là alors qu'elle avait peut-être besoin de lui.

Il n'était pas le seul à ne pas avoir le moral. Raphaël était de plus en plus maussade, car il ne supportait pas d'être tenu à l'écart des entraînements à cause de son bras cassé. Il avait eu beau affirmer qu'il en avait toujours un de valide et que ses jambes étaient fonctionnelles, Marianne s'était montrée intransigeante.

Une violente dispute s'en était suivie lorsqu'elle avait souligné qu'elle ne se lamentait pas autant de l'immobilisation de sa jambe, ce à quoi la tortue avait rétorqué qu'elle n'en avait de toute façon pas l'utilité, assise sur un siège de laboratoire. Donatello avait dû les interrompre avant que la situation ne dégénère.

April, quand à elle, avait sombré dans le mutisme, car elle désespérait de voir l'état de Casey s'améliorer. À la manière dont elle venait de faire irruption et à la vue de son visage rayonnant, cela ne pouvait signifier qu'une chose :

- Il s'est réveillé ? demanda aussitôt Marion.

- Il est en train de revenir à lui. Venez vite !

L'adolescente fut la première à repousser sa chaise pour se mettre précipitamment debout. Mikey prit le temps d'engloutir en trois coups de cuillère la glace qui restait dans son saladier, alors que Léo ne se pressait pas. Même s'il éprouvait un profond soulagement à l'idée que Casey aille mieux, son cœur se serrait à la pensée qu'il n'en allait pas de même pour Karai.

Donnie, Raphaël, Splinter et même Marianne étaient déjà présents dans le dojo, bien que la jeune femme se tienne volontairement à l'écart. Elle était consciente d'être encore une pièce plus ou moins rapportée au groupe, et elle ne voulait pas envahir l'espace des véritables amis de Casey.

April se laissa tomber à côté de lui et les autres s'assirent en cercle, veillant à laisser une marge suffisante pour qu'il ne se sente pas opprimé au moment d'ouvrir les yeux. Marion aurait pris place auprès de Raphaël si elle l'avait pu, mais Léonardo l'avait devancée. Elle s'installa à la droite de Donnie et Mikey l'imita.

April accola ses deux mains aux tempes de Casey et se concentra. Ses lèvres bougeaient, probablement au rythme des paroles qui passaient de son esprit à celui de son ami. Les paupières de l'adolescent, qui s'agitaient déjà faiblement, remuèrent de plus en plus, jusqu'à s'ouvrir enfin.

- Salut, rouquine. Woh... Je me sens... à la ramasse, comme si j'avais dormi pendant des plombes. Qu'est-ce que... Eh ! Pourquoi vous êtes-tous là à me fixer comme une bête de foire ? Je suis devenu un mutant ou quoi ?

- Oh, Casey, je suis si heureuse !

April, les yeux embués de larmes, se jeta à son cou. Si, en temps normal, son ami se serait réjoui d'une telle marque d'affection et en aurait profité pour adresser un sourire narquois à Donnie, il se contenta de lui tapoter l'épaule, mal à l'aise. Il était totalement perdu.

- Tu as passé quinze jours dans le coma, mon pote, informa Raphaël. On commençait à se demander si tu allais te réveiller un jour.

- De quoi est-ce que tu te souviens ? interrogea Marion.

- Hum... J'étais en train de défoncer des Foot-bots, je crois, puis... Plus rien. Le trou noir.

- Comment est-ce que tu te sens ?

- Tout patraque, et j'ai l'impression que mes muscles se sont atrophiés.

- Deux semaines, c'est long quand on est parfaitement immobile, intervint Marianne. Tu permets que je t'ausculte ?

- Je ne peux rien refuser à une jolie fille, encore moins si elle est rousse.

Cette remarque fit sourire tout le monde. Qu'il était bon de retrouver Casey, même avec ses défauts, après s'être inquiété pour lui pendant tant de jours. April céda sa place à Marianne, qui procéda à un rapide examen.

- À première vue, tout semble normal. Par contre, tu as perdu beaucoup de poids et tu vas mettre un moment à retrouver ta forme d'avant. Il n'a pas été facile de t'alimenter sans le matériel médical adéquat, et tout ce que j'ai réussi à faire, ça a été te maintenir en vie. Tu vas devoir suivre un régime hypercalorique et un programme adapté de remise en forme.

- Scientifique, médecin, diététicienne, coach... Tu as encore des talents cachés ou on a fait le tour ? interrogea Casey.

- Quand on doit se débrouiller seule, on apprend vite à tout faire par soi-même, répliqua Marianne. Je vais aller voir dans la cuisine ce que je peux trouver pour te préparer un premier repas. Tâche de rester tranquille. Tu es faible et je ne serais pas surprise de te voir tomber dans les pommes au premier effort.

La jeune femme s'exprimait toujours avec la même autorité naturelle qu'au moment où les amis de Marion avaient fait sa connaissance, le tout doublé d'une pointe de condescendance, mais à présent, cela ne choquait plus personne. C'était son caractère, tout comme Raph était colérique ou Mikey immature.

- Qu'est-ce que j'ai raté pendant que je jouais à la Belle au bois dormant ? voulut savoir Casey.

Son regard se posa sur Léo, car il s'attendait à ce que ce soit lui qui lui réponde, en sa qualité de chef, mais la tortue garda le silence. Donnie se racla la gorge avant de l'informer des dernières nouvelles, si du moins ils pouvaient nommer cela ainsi, puisqu'il ne s'était absolument rien passé, récemment.

***

Un morceau de tissu placé entre ses dents pour ne pas hurler de douleur, Karai tirait de toutes ses forces. Elle avait noué son drap à l'un des barreaux qui condamnaient sa fenêtre et tentait de l'arracher, mais c'était peine perdue. Ils avaient été trop bien scellés dans le chambranle.

Elle entendit un bruit de déchirure et, avant qu'elle n'ait pu réagir, sa corde de fortune craqua. Emportée par son élan, Karai bascula face contre terre, sur la moquette de la chambre dans laquelle Shredder la gardait captive. Du matin au soir, elle réfléchissait à un moyen de sortir d'ici, mais elle n'en trouvait pas.

Elle devait pourtant faire vite, avant que Dexter, Walter ou elle ne savait plus quel était le nom du chercheur employé par Saki, parvienne à mettre au point un procédé capable de lui laver le cerveau.

Elle savait ce que son père adoptif avait en tête. Plus que de retrouver la fille et la seconde loyale qu'elle avait été un temps pour lui, c'était en arme qu'il désirait la transformer. Une fois qu'elle n'aurait plus ni libre-arbitre ni souvenirs, il l'enverrait combattre les tortues, ainsi que Splinter, et ceux-ci, à moins d'anticiper la menace, se feraient prendre par surprise.

Karai entendit un bruit en provenance du sas. Accaparée par ses tentatives d'évasion, elle n'avait pas prêté attention à l'heure, qui était celle à laquelle l'un des lieutenants de Shredder venait toujours lui apporter son dîner. Les repas étaient copieux, mais elle ne se forçait à y toucher que pour ne pas mourir de faim. Elle redoutait que le Destructeur glisse quelque produit à l'intérieur, tout en sachant qu'elle ne pouvait se permettre de s'affaiblir en décidant d'une grève de la faim.

Elle cracha le morceau de tissu qui la bâillonnait et s'empressa de dissimuler ce qu'il restait de son drap sous le lit, avant d'arranger la couverture. Elle terminait juste au moment où quelqu'un toqua par la porte. Elle avait appris à identifier ses visiteurs à leur façon de frapper, à l'exception de Shredder qui entrait toujours directement.

- Je t'en prie, Tiger Claw, invita-t-elle d'un ton volontairement dédaigneux.

La porte coulissa et le tigre fit son apparition, un plateau entre les pattes. Tout comme son maître, il était si immense qu'il occupait l'intégralité de l'encadrement. Inutile pour Karai de songer à se faufiler, et encore moins à le combattre, car il était armé et pas elle. Et même si elle arrivait à le vaincre, elle ne pourrait pas sortir du bâtiment sans être arrêtée par les autres hommes de Shredder, voire par ce dernier en personne.

- Quand comprendras-tu que tu n'as aucune chance de t'évader ? interrogea Tiger Claw.

Son regard fixait un pan du drap que Karai, dans sa précipitation, n'avait pas caché correctement. Elle ne se laissa pas démonter, toutefois. Elle soutint le regard du mutant au moment de lui prendre son repas de mains et ne le lâcha pas lorsqu'elle s'assit sur le lit, en soulevant la cloche en plastique qui gardait au chaud le plat de résistance.

- Et toi ? Quand comprendras-tu que servir Shredder ne te mènera nulle part ?

- J'ai prêté allégeance à ton père, et il n'est pas question que je revienne sur ma parole.

- Il n'est pas mon père ! tonna Karai avec une telle violence que les murs de la chambre auraient presque pu en trembler.

Incapable de contenir sa fureur, elle s'était levée et avait renversé son plateau, dont le contenu était en train de se répandre sur le sol. Le contenu de son verre d'eau, tout comme la sauce de sa viande, imbiba la moquette. Si Tiger Claw conserva son flegme en apparence, il avait tout de même posé ses griffes sur la gâchette de l'un de ses pistolets.

- Regarde autour de toi, ordonna Karai en désignant d'une main la fenêtre, où l'on pouvait apercevoir l'une des rues désertes de New-York. Ce sort qu'a connu notre ville, les Kraangs le feront bientôt subir au monde entier. Je reviens de la dimension X, j'ai vu leur armada. Nous devons les arrêter à tout prix, sinon nous n'aurons plus de planète.

- Tu as participé à ça, je te signale. C'est toi qui as contribué à la capture de l'humaine aux cheveux de feu, afin que nous puissions la livrer à ces bestioles.

- J'étais aveuglée par la colère et par la vengeance, à ce moment-là, tout comme Shredder l'est encore aujourd'hui, et comme il ne cessera probablement jamais de l'être. Les Kraangs ont déjà mené des expériences sur toi, par le passé, et lorsqu'ils auront terminé de prendre le pouvoir et métamorphosé complètement la Terre, ils te réduiront en esclavage, au même titre que chacun des êtres humains qu'ils croiseront sur leur route. De toute façon, aucun de nous n'aura le choix, puisque l'atmosphère kraang est mortelle pour nous. Ce sera muter ou mourir. Tu tiens vraiment à ce que nous en arrivions là ? Ce n'est pas parce que Shredder a fait le choix de nous condamner que tu dois le suivre les yeux fermés.

- Excellent discours, Karai, mais si tu crois que ça va suffire à me convaincre de te laisser partir, tu te trompes.

- Alors quoi ? Tu vas rester ici et assister les bras croisés à la lente agonie de l'humanité ?

- J'ai accepté de servir maître Shredder et je ne reviendrai pas sur mon engagement. C'est quelque chose qu'une traîtresse comme toi à sûrement du mal à concevoir.

Karai poussa un mugissement de rage alors que le tigre tournait les talons et, après avoir ramassé son plateau sur le sol, le jeta dans sa direction. Tiger Claw se retourna en dégainant pour le faire voler en éclats d'un seul tir. La moquette étouffa le son qu'émirent les morceaux en retombant.

- Bonne soirée, Karai.

***

Marion s'agitait sans cesse sur sa couche de fortune, installée dans la chambre d'amis qu'elle partageait avec April, à côté de celles des tortues. Si la rouquine n'avait pas mis longtemps à s'endormir, après ne presque pas avoir fermé l'œil pendant toute la durée du coma de Casey, son amie continuait à souffrir d'insomnie.

Cela était dû non pas à l'inquiétude, mais aux cauchemars qu'elle faisait fréquemment depuis qu'elle avait été séquestrée par Shredder. À cause de la peur qu'elle ressentait au moment de s'endormir, son cerveau avait commencé à prendre l'habitude de lutter de lui-même contre le sommeil.

Comme elle était allongée depuis près de deux heures et qu'elle ne parvenait toujours pas à s'assoupir, Marion décida de descendre au rez-de-chaussée. S'il y avait eu du lait, elle s'en serait servi un verre, mais il ne leur en restait plus en réserve. Elle se contenterait donc de rendre visite à Marianne. Avec un peu de chance, sa sœur ne dormirait pas non plus.

Donatello lui avait donné son accord pour qu'elle passe ses nuits dans le laboratoire. En plus de lui éviter d'avoir à monter les marches de l'escalier en colimaçon avec ses béquilles, cela lui permettait de consacrer encore plus d'heures aux recherches qu'elle menait.

Lorsque Marion arriva dans la grande salle, la première chose qu'elle remarqua fut de la lumière, qui émanait non pas du laboratoire, mais du dojo. C'était curieux, car si Casey avait demeuré dans cette pièce jusqu'à sa reprise de conscience, car l'espace permettait aux autres de se rassembler régulièrement à son chevet, il partageait désormais la chambre de Raphaël, au grand dam de celui-ci.

Quelqu'un souffrait probablement d'insomnie, tout comme elle, et avait décidé de venir s'entraîner. Elle regrettait de ne pas avoir pris sa rapière avec elle, que ses amis avaient pensé à récupérer après qu'elle eut été enlevée par Fishface. Quelques estocades l'auraient peut-être épuisée assez pour l'aider à trouver le sommeil.

Bah... Elle pourrait toujours pratiquer le combat au corps à corps. Avec un peu de chance, elle tomberait sur Léonardo. C'était un excellent professeur et il avait ses propres raisons pour ne pas réussir à dormir, puisqu'il passait son temps à s'inquiéter pour Karai. En pénétrant dans le dojo, cependant, Marion se figea de stupeur.

- Aurais-tu perdu l'esprit ? s'exclama-t-elle.

Raphaël était en train d'exécuter des mouvements de son bras valide, tout en donnant dans le vide des séries de coups de pied. Il s'immobilisa lui aussi en prenant conscience de la présence de la jeune fille et se tourna vers elle, essoufflé. Les poings serrés, elle franchit la distance qui les séparait l'un de l'autre et tapota son torse d'un index accusateur :

- Marianne t'a ordonné de rester tranquille ! Si tu bouges, ça peut nuire à la consolidation de tes os, or je te signale qu'ici, il n'y a ni table d'opération, ni chambre stérile, ni rien. Si ton bras ne se répare pas de lui-même, ma sœur ne pourra rien faire pour arranger ça. C'est ce que tu veux ?

- Ce que je veux, c'est pouvoir me battre, répliqua le ninja rouge.

- Alors arrête de commettre des imprudences. Je sais que c'est difficile pour toi de prendre ton mal en patience, mais si tu ne le fais pas, tu le payeras à un moment donné. Mikey m'a parlé du genou de Léonardo. C'est un miracle s'il a fini par se remettre en place. Est-ce que tu veux courir le risque que ça ne t'arrive jamais ?

- Je... Tu n'as aucune idée de ce qu'on ressent quand on est aussi inutile qu'impuissant.

- Oh que si, rétorqua Marion. J'ai vu ma sœur se démener pour empêcher notre père de sombrer dans l'alcool à la mort de notre mère, au détriment de son propre deuil. Je l'ai vue se tuer à la tâche pour assurer notre subsistance une fois qu'il nous a abandonnées, après nous avoir accablées de mauvais traitements pendant des années. Ce sentiment que tu as aujourd'hui, c'est le même qui m'habitait à l'époque. Et puis un jour, j'ai décroché l'épée de notre père du mur, et j'ai appris à la manier. Je ne pouvais pas travailler pour aider Marianne à rapporter de l'argent à la maison, parce qu'à treize ans, personne ne m'aurait confié un emploi, mais j'ai fini par m'apercevoir que je pouvais faire ça pour elle : apprendre à me battre. À première vue, ce n'était pas d'une grande utilité, mais je lisais sa plus grande crainte dans son regard, celle de voir un jour notre père revenir. Ça la rassurait de savoir que s'il passait la porte, il y aurait quelqu'un pour le chasser.

Raphaël resta silencieux. Marion ne s'était jamais confiée sur son passé à personne d'autre qu'April, et la tortue était bien la dernière personne avec qui elle se serait attendue à partager cela. Les choses avaient cependant tant changé entre Raph et elle qu'elle lui accordait désormais une confiance aveugle.

- Tu es de loin le meilleur combattant du groupe, ajouta-t-elle dans un murmure. Nous avons besoin de toi, c'est vrai, mais de toi en pleine possession de tes moyens. C'est pour ça que tu dois guérir, pour nous tous.

Marion prit le visage du ninja entre ses mains et accola son front au sien. Elle vit ses épaules s'affaisser, signe qu'il commençait à se détendre un peu. Elle l'embrassa alors à la commissure des lèvres, puis sur la bouche, tandis que Raphaël enlaçait sa taille de son bras valide.

Leur étreinte fut interrompue par le bruit qu'émit le panneau du dojo, que Marion avait refermé derrière elle, en coulissant. Ils s'écartèrent aussitôt l'un de l'autre, mais trop tard pour que Léo ne puisse rien remarquer. En quelques secondes, son visage, qui affichait une expression aussi morose qu'au cours des deux dernières semaines au moment de franchir le seuil, fut gagné par la colère, et le regard haineux qu'il leur lança indiqua qu'ils n'étaient pas au bout de leurs peines.

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