Un combat de tous les instants

Chapitre 47 : Éclats de fureur

3133 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 11/03/2019 21:26

En l’espace de quelques secondes, April devint aussi silencieuse que Michelangelo. Elle ne réagit pas, ne posa aucune question. Elle se contenta de baisser la tête et de visser les yeux au sol, semblant presque oublier que ses amis étaient rassemblés autour d’elle.

- Vous devriez sortir un moment, conseilla Marianne. Laissez-lui le temps d’assimiler la nouvelle. Je vous appellerai.

Donatello acquiesça et fut le premier à bouger, suivi de près par Casey qui se remit debout. Mikey et Marion leur emboîtèrent le pas, mais ils furent interrompus par la prise de parole d’April, les premiers mots qu’elle prononçait depuis qu’elle avait appris la mort de Splinter.

- Reste, Marion. S’il te plaît.

L’intéressée échangea un regard avec Marianne, et elles inversèrent finalement les rôles. L’aînée accompagna les autres hors de la pièce, tandis que la cadette demeurait seule avec son amie. Elle s’assit auprès d’April, non sans une grimace en raison de ses courbatures.

- Merci d’être intervenue, commença Marion, qui ne savait pas trop quoi dire. Si tu n’avais pas assommé Tiger Claw, nous... Ça aurait pu finir encore plus mal.

- Tu n’as pas à me remercier. En réalité, c’est à moi de m’excuser. J’aurais dû essayer d’arrêter Léo au lieu de le suivre dans cette folie, mais je... J’ai été stupide. Et égoïste. Et injuste.

- Comment ça ?

- Si j’ai accepté de l’accompagner, c’est parce que j’étais en colère, avoua April. Il m’a appris, pour Raph et toi, et je... Je t’en ai voulu, j’ai même ressenti de la fureur, sauf qu’elle était mal dirigée. S’il y a quelqu’un à blâmer ici, c’est moi, pas toi. Si j’ai aussi mal réagi, c’est peut-être parce que... Je t’envie, d’une certaine manière.

- Tu veux dire que...

- J’aime Donnie, oui. Enfin, en quelque sorte. Si je l’aimais vraiment, je suppose que je serais capable de faire abstraction de son statut de mutant, tout comme toi, mais ça m’est impossible. Je n’y arrive pas. C’est pour ça que ça m’est si compliqué de lui dévoiler mes véritables sentiments.

April essuya les larmes qui avaient commencé à perler dans ses yeux. Elle ignorait à quel moment exact elle avait pris conscience de ce qu’elle ressentait réellement, mais à présent, elle en était sûre.

- Maintenant qu’il sait à propos de Raph et toi, ça va être un coup de massue pour lui, comme ça l’a été pour moi, sanglota-t-elle. Il ne mérite pas que je lui inflige de la peine. Il a toujours été gentil, alors que moi, je...

April fut incapable de poursuivre. Marion posa sa main sur la sienne, avec douceur. Elle ne prononça pas un mot, ne lui reprocha ni son attitude envers Donnie, ce qu’elle avait pourtant coutume de faire, ni ce qu’ils auraient pu s’épargner si elle avait raisonné Léo au lieu de l’accompagner. Comme l’adolescente l’avait dit à Raphaël, ils avaient tous leur part de responsabilités. April était ni plus ni moins coupable que n’importe qui d’autre.

- Donatello ne sait rien à propos de ma relation avec Raph, déclara Marion. De toute façon... De toute façon, je crois que c’est terminé. Il est convaincu que c’est parce que Léo nous a surpris ensemble dans le dojo que tout ça s’est produit, et il ne veut plus me voir. Quant à moi, je ne suis pas certaine de pouvoir lui pardonner à quel point il a été odieux, tout à l’heure.

- Ah bon ? Plus que d’habitude ? réussit à sourire April, malgré ses sanglots.

- Beaucoup plus, oui.

La voix de Marion se transforma en murmure et ses doigts se raffermirent autour de la main de son amie. Le silence s’installa entre elles, uniquement troublé par les reniflements d’April, jusqu’à ce qu’un gémissement, si discret qu’il était à peine audible, se fasse entendre.

Elles s’observèrent mutuellement, avant de se tourner précipitamment vers Léo qui remuait faiblement. Son bras s’agitait de manière saccadée, comme s’il tentait de frapper un ennemi onirique. Entre ses dents s’échappa à deux reprises le nom de Karai, après quoi il ouvrit les yeux, la respiration haletante et le cœur battant à tout rompre.

- Où est-elle ? s’enquit-il aussitôt, l’air à la fois hagard et fou. Où est...

- Dans le dojo, indiqua Marion. Elle a été blessée, mais...

- Toi ! Tout ça, c’est de ta faute !

Avant que les deux filles aient pu réagir, Léonardo sauta sur l’adolescente et la saisit par le col de son chemisier, le poing levé comme s’il s’apprêtait à la frapper. Elle ferma les paupières, mais le coup ne vint pas. La patte de la tortue s’était figée à une vingtaine de centimètres de son visage.

- Léo... Léo, on va tout expliquer, mais commence par me relâcher, d’accord ? suggéra Marion en essayant de demeurer aussi calme que possible.

- M’expliquer quoi ? Tes petites étreintes avec Raph, pendant que Karai croupissait en cellule ?

- Léo, ça suffit ! intima April. On n’aurait jamais dû faire ce qu’on a fait cette nuit, c’était de la folie.

- Plus que de se prendre un immeuble sur le coin de la tête pour sauver la copine de mon crétin de frère ?

- Oui, plus, parce qu’on aurait justement dû retenir la leçon, au lieu de foncer dans le tas. On était à peine remis de notre dernier face à face avec Shredder, Casey venait juste de sortir de quinze jours de coma, et...

- Alors comme ça, tu te ranges à leur avis, maintenant ? gronda Léonardo.

- Je prends du recul. J’ai accepté de te suivre sous le coup de diverses émotions que je ne contrôlais pas, toi tu as agi sous celui de la colère, ce qui n’est jamais une bonne cho...

- Où est Karai ?

- Je viens de te le dire, répéta Marion. Dans le dojo. Mais tu ne peux pas aller la voir !

Elle l’agrippa par le bras alors qu’il s’apprêtait à se diriger vers la porte. April le saisit également, à l’instant même où Donnie refaisait irruption dans la pièce. Marianne claudiqua derrière lui, tandis que Casey et Mikey s’immobilisaient sur le seuil. Ils avaient probablement été alertés par les cris tonitruants de Léo.

- Ça fait plaisir de te revoir debout, mon pot...

Casey n’alla pas au bout de sa phrase, car un regard noir du mutant le réduisit au silence et l’incita à se demander ce qu’il avait bien pu faire pour mériter de telles retrouvailles. Donnie, qui s’apprêtait à ouvrir la bouche, la referma aussitôt, tandis que Léo se remettait à vociférer :

- Et où est donc le dernier ? Ce sale traître qui...

Marion voulut le faire taire, mais April fut plus rapide et réussit à le bâillonner avec ses mains, dont il chercha à se défaire en s’agitant, pendant que l’adolescente recommandait aux autres de sortir.

- On va s’employer à le calmer, expliqua-t-elle. Ça va aller, attendez-nous dehors.

- Tu es sûre ? demanda Marianne.

- Ce n’est pas avec tes béquilles que tu vas réussir à le maîtriser. C’est bon, on gère.

Marion détourna le regard pour échapper à celui, suspicieux, que sa cadette lui lança. Elle n’était pas la seule à voir des doutes, car au moment de ressortir, Donnie était lui aussi perdu dans ses réflexions.

***

Raphaël était désormais en train d’arpenter sa chambre de long en large, assénant des coups de pied à tout ce qui avait le malheur de se trouver en travers de sa route, y compris les murs, quand on toqua une nouvelle fois à sa porte. Bon sang, personne ne le laisserait donc tranquille !

- Qu’est-ce que tu veux ? aboya-t-il en découvrant Donatello dans le couloir, la mine sombre.

- Te parler.

- Prends un ticket et repasse plus tard.

Raph voulut faire claquer le battant, mais la patte de son frère s’intercala dans le chambranle et il pénétra de force à l’intérieur de la pièce, ce qui ne fit qu’accroître la fureur du ninja rouge.

- Tu vas m’expliquer ce qui s’est passé avec Marion et Léonardo, exigea Donnie. Tout de suite.

- Pose donc la question à Léo quand il se réveillera, je suis sûr qu’il se fera un malin plaisir de te répondre.

- Il est réveillé. Et l’un de ses premiers réflexes a été de te qualifier de sale traître.

- Quoi d’autre ?

- On l’a entendu hurler sur Marion et April, et elles ont dû se mettre à deux pour le maîtriser, parce qu’il semblait à deux doigts de les violenter.

- Où est-ce qu’il est ?

- Avec elles. Elles nous ont demandé de sortir.

- Vous avez laissé Marion toute seule avec Léonardo ? s’exclama Raphaël.

- Non, pas toute seule, je viens de te dire qu’il y avait aussi April. Eh, pas si vite !

Raph l’avait déjà contourné pour fondre sur la porte, prêt à dévaler les escaliers quatre à quatre pour intervenir avant que Léo s’en prenne à Marion. En son absence, ce serait probablement elle qu’il choisirait comme bouc émissaire. Il fut néanmoins arrêté par Donatello qui le retint par la carapace.

- Je t’ai posé une question et j’attends une réponse. Qu’est-ce qui s’est passé entre Marion, Léo et toi ?

Au fond de lui, il croyait déjà connaître l’explication à tout cela, mais il tenait à l’entendre de la bouche de Raphaël, afin de confirmer ses soupçons. Son frère dut les lire dans ses prunelles, car il lâcha :

- Tu le sais très bien. Splinter m’a toujours reproché de me laisser dominer par mes émotions, et maintenant, c’est à cause de moi qu’il est mort. Léo était déjà à deux doigts de m’étrangler avant cette nuit, et dès qu’il le saura, il sera sans pitié pour moi. Et pour Marion.

- Je l’ai trouvée en larmes, tout à l’heure, dans les escaliers. Pourquoi ?

- Parce que je suis un abruti, évidemment.

Raph accompagna ces mots d’un coup d’épaule destiné à se dégager, mais Donnie résista. Il le tira vers l’arrière pour l’éloigner de la porte, tout en déclarant :

- Laisse-moi faire. Je vais m’occuper de Léo. Si c’est toi qui interviens, tu risques juste d’envenimer la situation.

Le ninja rouge voulut insister, mais le regard autoritaire que son frère lui lança l’en dissuada. Il se contenta donc de se laisser tomber sur son lit et d’asséner un coup de poing à son oreiller, pendant que Donatello regagnait le rez-de-chaussée.

***

- Parce qu’en plus Marianne a percé un trou dans son crâne ? s’époumona Léo. Elle est complètement folle !

- Non, elle a essayé de lui sauver la vie, répliqua Marion. Ce qui est complètement fou, c’est d’avoir voulu affronter Shredder seul pour la libérer. Tant qu’elle était sa prisonnière, elle ne risquait presque rien, et maintenant, regarde où elle en est, à cause de ton opération commando.

- Presque rien ? La dernière fois, elle a fini dans une cuve de mutagène qui l’a transformée en serpent.

- Si je me souviens bien, vous aviez réussi à la délivrer une première fois, et elle est retournée auprès de Shredder pour se venger, souligna April. Sans son entêtement...

- Ça suffit avec vos accusations ! À vous entendre, tout est de la faute de Karai ou de la mienne, mais toi, Marion, tu n’as aucun droit de me faire la morale.

- Je ne te la fais pas, je...

- Je commence à penser qu’on aurait dû te laisser croupir dans les geôles de Shredder. Au moins, Karai ne serait pas dans cet état.

- Léo ! s’offusqua April.

Marion encaissa la remarque sans ciller, mais s’agaça lorsque la porte pivota une fois de plus sur Donatello. Elle ouvrit aussitôt la bouche pour lui indiquer qu’elles n’en avaient pas terminé, néanmoins il la devança :

- Je prends le relai.

- Donnie, ce n’est pas une bonne idée, prétendit April.

La colère de Léonardo à l’encontre de Raphaël et de Marion ne décroissait pas, et l’une comme l’autre ne tenaient pas à ce que cela s’ébruite. La rouquine parce qu’elle préférait que Donatello l’ignore, et son amie parce qu’elle avait la conviction que Marianne s’en indignerait.

- C’est Raph qui m’envoie.

- Bah tiens ! siffla Léo pendant que les deux adolescentes s’observaient d’un air dubitatif. Qu’est-ce qu’il espère ? Se faire pardonner par le biais d’un intermédiaire ? Ce n’est pas comme ça que ça marche.

- Sortez, ordonna Donnie aux filles en désignant la porte.

Elles n’obéirent pas immédiatement, se concertant d’abord en silence, mais elles finirent par s’exécuter. Au grand dam d’April, si le ninja mauve venait de s’entretenir avec Raphaël, il y avait fort à parier qu’il savait désormais la vérité. Donatello attendit que le battant se soit refermé derrière elles pour prendre la parole :

- Raph n’a pas à se faire pardonner. Si quelqu’un s’est conduit comme un imbécile cette nuit, c’est toi.

- Moi ? Qui est-ce qui a incité tout le monde à sauver Marion quand Shredder la retenait ? À cause de qui Karai...

- Personne n’a jamais refusé de sauver Karai, coupa Donnie. On l’a déjà secourue une fois par le passé, tous les quatre. Puis on l’a à nouveau retrouvée et rétro-mutagénée quand elle était sous sa forme mutante. Et lorsqu’on s’est précipité à l’aide de Marion, on était encore tous ensemble. On avait un plan, et on était surtout plus nombreux.

- Ça n’a pas empêché la mission de tourner au désastre.

- Non, mais c’était toujours moins stupide que ce que tu as fait.

- Alors pourquoi est-ce que cette fois, tout le monde est resté les bras croisés ? Pourquoi est-ce que j’ai été le seul à répéter pendant deux semaines qu’il fallait sauver Karai ?

- Parce que c’était trop dangereux, et ce qui s’est produit cette nuit l’a confirmé. Léo, je ne pense pas que Marion et April t’aient tout raconté, et par conséquent, tu n’as encore aucune idée de ce que tu as provoqué.

- Que j’ai provoqué ? Je ne vous ai pas demandé de nous suivre, que je sache, et encore moins d’envoyer Splinter sur nos traces.

- Personne n’a envoyé Splinter ! On suppose qu’il est parti quand il a remarqué ta disparition.

La mâchoire de Léo claqua d’un coup sec, car il ne s’attendait pas à cette révélation. Très vite, le lien se fit dans son esprit. La voix chargée de haine et de rancœur, il déduisit :

- C’est à cause de Raphaël, alors.

- Cesse de toujours le prendre pour cible, veux-tu ? soupira Donnie. Il...

- Il a reproché à Splinter son inaction. Il te l’a dit, ça ? Qu’il pensait que c’était à lui, et non à nous, d’affronter Shredder pour libérer Karai, parce que c’est sa fille ?

Donatello ne sut que répondre à cela. Il reconnaissait bien là l’impulsivité de Raph, capable de dire tout et n’importe quoi à n’importe qui lorsqu’il était furieux, et en même temps, il ne pouvait être en total désaccord avec de tels propos. La situation à laquelle ils étaient confrontés n’était que la résultante du conflit qui opposait Splinter à Shredder depuis toujours.

- Tout ça, c’est la faute de Raphaël, insista Léonardo.

- Raph a toujours eu mauvais caractère et il a tendance à se laisser emporter au lieu de réfléchir, c’est vrai. Et c’est aussi pour ça que ce n’est pas lui le chef de la bande, parce que pas plus que Mikey, il n’est apte à endosser des responsabilités. C’est toi que Splinter a désigné pour nous diriger, or aujourd’hui, tu ne t’es pas montré à la hauteur de ses attentes. Ton attitude est effectivement digne de Raph, mais pas de celui que notre maître a choisi.

- J’ai l’impression d’entendre April... Dommage qu’elle ne veuille pas de toi, vous iriez bien ensemble, tous les deux.

Donnie ne releva pas. Il n’avait jamais vu Léonardo faire preuve d’une telle cruauté et préféra considérer qu’il n’était pas dans un état normal, au lieu de s’offenser. Il resta silencieux jusqu’à ce que son frère reprenne :

- Si c’est vraiment ce que vous pensez tous de moi, allez donc vous plaindre à Splinter et demandez-lui de nommer un nouveau chef. J’ai hâte de voir sur qui son choix se portera, cette fois. Toi ? Tu es peut-être intelligent, mais tu ne tiendras pas une heure face aux caprices de Raph et aux gamineries de Mikey.

- Personne ne demandera rien à Splinter.

- Pourquoi ? Parce que vous avez peur qu’il vous donne tort ?

- Non. Parce qu’il est mort, et à la vue de ton comportement qui est en cet instant tout sauf celui d’un meneur, j’ai bien peur que notre clan soit désormais livré à lui-même.

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