Un combat de tous les instants

Chapitre 53 : Bec et flammes

2952 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 13/09/2019 22:20

Mikey se baissa pour esquiver la lame de Marion, mais encaissa le coup de pied qu’elle lui asséna dans l’abdomen. Il bascula sur le dos, lâchant l’un de ses nunchakus dans sa chute, pendant que Raphaël levait les yeux au ciel, excédé. Il tendit la patte à son frère pour l’aider à se remettre debout, mais au moment de le tirer vers le haut, il murmura à mi-voix :

- Arrête de la ménager, et surtout de faire semblant de perdre. Tu ne lui rends pas service.

- Je sais, mais j’ai l’impression que ça lui redonne un peu le moral.

- Ah oui ? Et qu’est-ce qui se passera quand elle sera confrontée à un véritable adversaire et qu’elle se croira prête, alors qu’elle ne l’est pas du tout ? Il paraît que tu commences enfin à penser, mais pas avec tout le monde, apparemment.

La remarque peina Mikey, même s’il était habitué à bien pire de la part de son frère. Quoi qu’il fasse, cela partait d’une bonne intention, celle de remettre du baume au cœur de Marion. Après tout, n’était-ce pas ce qu’elle-même avait fait pour lui, à la mort de maître Splinter ?

Il ne voulait cependant pas l’exposer au danger à cause de sa candeur ou de son affection, aussi se résigna-t-il à tenir compte, à l’avenir, des paroles que Raphaël venait de prononcer. Il savait Marion très attachée à son amour-propre, qu’il s’efforçait de préserver en se laissant vaincre par elle, mais sa vie était beaucoup plus importante à ses yeux.

- Comment tu te sens ? demanda-t-il à l’adolescente. Si tu es fatiguée, on peut reprendre demain, et...

- Non, coupa-t-elle. On continue.

Marion n’avait aucune envie de rentrer. Elle savait qu’à la maison, tout le monde travaillait dur. April passait des après-midis entiers à tenter d’établir une nouvelle connexion mentale avec Karai, depuis que cette dernière lui avait transmis les énigmatiques coordonnées au cœur de Manhattan, et Donnie et Marianne, aidés de Léo, s’efforçaient de mettre au point le drone qui leur permettrait de découvrir ce qui se dissimulait là-bas.

Marion essuya sa main moite contre son pantalon, puis resserra ses doigts autour de la garde de son épée. Mikey fit tournoyer ses nunchakus et, d’un « Booyakasha ! » enjoué, entama un nouveau combat. Cette fois, il ne retint pas ses coups. Moins d’une minute plus tard, il avait désarmé son amie, qui regarda d’un air dépité sa lame se ficher dans le sol terreux.

Raph avait beau l’avoir convaincu que c’était pour le bien de Marion, cela fendait le cœur de Michelangelo de la voir aussi triste. L’épée, qui avait jadis été un exutoire pour elle, était devenue source d’une indicible souffrance.

- Marion, je...

Le ninja orange s’interrompit avant d’aller plus loin. Si la jeune fille avait toujours su trouver les mots pour le réconforter, lui-même ne savait pas quoi dire. Il était plus doué pour les gaffes que pour le tact. Finalement, il ramassa l’arme et la rendit à sa propriétaire, sans un mot.

- À ton tour, lança-t-il à Raph, car il ne se sentait plus capable d’endurer le regard désespéré de Marion.

Raphaël se mit en position, ses sais à la main, mais au moment de débuter le combat, il ne bougea pas. Marion souleva son épée, tâchant d’ignorer ses muscles qui la suppliaient de leur accorder un peu de répit, mais son partenaire l’arrêta d’un geste.

- Vous avez entendu ? demanda-t-il avec gravité.

- Quoi ?

Il leur fit signe de se taire et tous tendirent l’oreille. Mikey ne tarda pas à percevoir quelque chose, lui aussi. Cela ressemblait à des bruits de pas, qui progressaient dans leur direction. Marion le confirma lorsque le son atteignit ses tympans.

- Casey ? supposa-t-elle. Il avait dit qu’il nous rejoindrait peut-être quand il aurait fini de couper du bois.

- Casey ne serait pas aussi discret, réfuta Raph. Il nous aurait déjà appelés pour nous localiser plus vite.

- À moins qu’il veuille nous faire une blague. Dommage que je n’aie pas pris mes bombes à eau, j’aurais pu lui rendre la monnaie de sa pièce.

Mikey, encouragé par Marion, recouvrait progressivement son caractère d’antan. S’il paraissait toujours plus mature depuis le décès de Splinter, il recommençait à s’amuser et à faire des blagues, au grand dam de ses frères, mais au grand soulagement de son amie qui s’inquiétait dans un premier temps énormément pour lui.

- J’ai l’impression... souffla Raph, avant de s’interrompre pour mieux écouter. C’est massif. Plus massif que Casey, en tout cas. Il ne se déplace pas aussi lourdement. Encore moins quand il cherche à nous prendre par surprise.

Instinctivement, le ninja rouge raffermit sa prise autour de ses sais. Un pressentiment l’incitait à se montrer méfiant, et à se rapprocher de Marion dans une attitude protectrice. Sa prudence s’étendit jusqu’à Mikey qui fit tournoyer ses nunchakus, prêt à combattre un potentiel ennemi.

Quand le bruit ne fut plus qu’à quelques mètres d’eux, ils retinrent leur respiration, et ne la reprirent qu’au moment de pousser une exclamation de surprise. Quelque chose venait de surgir dans la clairière où ils s’entraînaient, une chose qui n’avait absolument rien d’humain. Elle ressemblait à un poussin, à ceci près qu’elle n’avait rien d’inoffensif.

Elle mesurait plus de deux mètres, dépassant de loin Marion qui était pourtant la plus grande du trio. Ses pattes puissantes lui permettaient de se mouvoir avec rapidité, ses yeux exprimaient une haine féroce et son bec paraissait suffisamment pointu pour éborgner sans mal un adversaire.

- Qu’est-ce que c’est que ce... truc ? s’exclama l’adolescente.

- Un poulet géant à épaules carrées et ailes musclées. Nan, trop long. Je vais l’appeler Moka.

- J’imagine que tous les accidents « mutagéniques » qu’on a provoqués la dernière fois ont créé plus de mutants qu’on le soupçonnait, supposa Raph. Bon, qu’est-ce qu’on attend ? On se bat ?

- Pourquoi toujours se battre ? On pourrait d’abord essayer de devenir copains, suggéra Mikey. Salut, je suis Michelangelo ! Je suis une tortue, et toi un poussin, on devrait pouvoir s’ent...

Tout en parlant, le ninja avait fait un pas en direction de la créature, la patte tendue comme pour lui serrer la main, mais il n’alla pas plus loin. Moka ouvrit son bec en grand et cracha un long jet de flammes. Mikey poussa un cri de surprise mêlé à de l’effroi lorsqu’une odeur de roussi s’éleva de ses écailles.

- Eh ! C’est tout sauf sympa comme façon de se présenter. Tu...

- C’est bon, assez copiné ! intervint Raph. C’est l’heure du booyakasha !

Sur ces mots, il bondit sur le poussin, les sais brandis vers l’avant. Le mutant l’esquiva d’un pas latéral, avant de le viser à son tour avec son feu incandescent. Marion se jeta sur lui juste à temps pour le plaquer au sol et lui épargner une transformation en chipolata grillée.

- Tu aurais vraiment dû prendre tes bombes à eau, Mikey, commenta l’adolescente en se redressant promptement, malgré son corps fourbu par l’entraînement. Venez, il ne faut pas rester ici, sans quoi cette bestiole va nous rôtir sur place.

- Pas si je le transforme en nuggets avant !

Raph arracha son poignet de la main de Marion, qui l’avait aidé à se remettre debout, et fit une nouvelle offensive, cette fois en slalomant, afin que Moka ne puisse pas le prendre pour cible. Cela fonctionna un peu trop bien, car les deux jets de flammes crachés successivement par le mutant le manquèrent complètement, percutant à la place deux arbres qui s’embrasèrent aussitôt.

- Oh, oh... marmonna Mikey. Pas bon, ça. Pas bon du tout !

- Raph ! insista Marion.

Il l’ignora cependant et asséna un féroce coup de pied à Moka, qui dut battre des ailes pour rétablir son équilibre. L’entaille que la tortue lui infligea au flanc avec l’un de ses sais ne fit que l’énerver davantage, en plus de lui arracher un pépiement suraigu si désagréable que Marion dut résister à la tentation de se boucher les oreilles.

- Raph, arrête, bon sang ! À cause de toi, c’est toute la forêt que va prendre f...

Mikey tira la jeune fille vers l’arrière, tandis qu’une branche enflammée tombait à l’endroit exact où elle se tenait une fraction de seconde plus tôt. Comme Raphaël continuait sa danse furieuse autour du poussin, lui-même ne cessait d’embraser tout ce qui se trouvait à proximité de lui.

Le feu se propageait rapidement, et avant que Marion ait pu réfléchir à un moyen d’endormir la témérité de Raph pour lui faire entendre raison, un mur incandescent se dressa entre eux. Lorsque la tortue rouge en prit conscience, il était déjà trop tard.

Il venait d’infliger une seconde blessure à Moka, qui avait décidé de battre en retraite, et s’apprêtait à le pourchasser quand il réalisa que Mikey et Marion n’étaient plus en vue. Les flammes s’accompagnaient d’une épaisse fumée, rendant l’air presque irrespirable.

- Eh oh ? Vous m’entendez ?

- Et c’est toi qui nous demande ça, imbécile ? répliqua l’adolescente avec colère. Pourquoi est-ce que tu ne m’as pas écoutée ? Où est le mutant ?

- Il a déguerpi quand il a compris qui était le patron. Ça va, de votre côté ?

- Mis à part qu’il fait plus chaud que dans un four et que tout est en train d’être réduit en cendres, ça va super. Il faut qu’on rentre à la maison et qu’on avertisse les autres, au cas où le feu se propagerait jusque là-bas.

- D’accord... Essayez de trouver un chemin qui vous ramènera à l’orée de la forêt.

- Non, sans blague ? Tu pensais qu’on allait privilégier une cuisson à point ? Tu as de la chance qu’une barrière de flammes nous sépare, sans quoi je t’aurais botté la carapace !

Marion exagérait, et elle en avait conscience. Plus d’une fois, elle s’était montrée au moins aussi téméraire que Raphaël, voire même davantage. Elle était donc mal placée pour lui faire la morale, ce qui ne l’avait pas empêchée d’anticiper la menace que représentait Moka. Combattre un ennemi sans réfléchir était une chose, mais le feu était un danger qu’il ne fallait pas prendre à la légère.

- En route ! s’écria-t-elle, la voix rendue un peu rauque par l’air encrassé qu’elle respirait.

- Le dernier arrivé est un vieux Fishface pourri ! annonça Mikey.

Raphaël aurait voulu leur répondre d’être prudent, mais qui était-il pour leur donner ce genre de conseil, d’autant qu’il était en grande partie responsable de la situation ? Il se contenta donc de maugréer un bref « à tout à l’heure » avant de s’élancer, tout en croisant les doigts pour que son frère et son amie s’en sortent indemnes.

***

- Eh, Marion ? Tu ne te sens pas bien ?

Ils couraient à perdre haleine depuis près d’une dizaine de minutes, mais à cause du vent qu’ils avaient dans le dos, le feu ne cessait de les talonner. L’adolescente, épuisée, s’accorda un bref instant de répit, adossée à un arbre. Elle était couverte de suie et de sueur, et avait de plus en plus de mal à respirer.

- Je peux te porter, si tu veux, insista Mikey.

- Tu n’irais pas assez vite avec moi sur ton dos, se força-t-elle à sourire. Et puis, j’ai encore ma dignité.

Marion accepta néanmoins de bonne grâce la patte qu’il lui tendait, et ils se remirent en route, les yeux gorgés de larmes à cause de la fumée qui les aveuglait. Ils ne parcoururent cependant qu’une dizaine de mètres supplémentaire avant de se heurter à un nouvel obstacle, et de taille, puisqu’il s’agissait de Moka en personne.

- Comment ce gros tas de plumes a pu nous rattraper si vite ? s’étonna Mikey.

- La chaleur et les vapeurs nous ralentissent, alors qu’il est dans son élément. Il a dû se rabattre sur nous lorsque Raph a réussi à l’effrayer.

Et voilà qu’ils étaient à présent cernés, pris au piège entre l’incendie d’un côté, et le poussin mutant de l’autre.

- Il faut qu’on passe en force, décréta Marion. C’est ça ou mourir brûlés vifs.

- Et sinon, tu n’as pas une troisième option plus encourageante ? supplia presque Mikey, en bondissant dans les airs pour échapper à un jet de flammes sorti du bec de Moka.

L’adolescente secoua la tête en signe de dénégation. Ils allaient devoir affronter leur adversaire et le mettre hors d’état de nuire en moins de temps qu’il n’en fallait pour le dire, car le mur incandescent gagnait dangereusement du terrain dans leur dos.

- Chacun d’un côté ? proposa Mikey.

- Faute de mieux... Booyakasha !

Ils s’élancèrent, Marion vers la droite, la tortue vers la gauche. Si Michelangelo eut le réflexe de se baisser quand Moka leva son aile pour lui barrer le chemin, la jeune fille, ralentie par la lassitude, la percuta de plein fouet. Le choc lui coupa le souffle et elle bascula vers l’arrière. Elle heurta si violemment le sol qu’elle lâcha son épée, et ne put la récupérer, car le mutant menaçait de l’écraser sous sa patte. Elle s’empressa de rouler sur le flanc.

- Oh, sac à plumes, je suis là !

Mikey agitait ses nunchakus afin de détourner l’attention du volatile de son amie. Cela fonctionna, car Moka le visa avec son souffle incandescent. Agile et rapide, le ninja n’eut aucun mal à esquiver. Marion en profita pour tendre la main en direction de son épée, qui n’allait pas tarder à être engloutie dans l’incendie. Elle poussa un hurlement de douleur lorsque les flammes lui léchèrent les doigts, lui infligeant de cuisantes brûlures.

- Eh, la monstruosité jaune ! s’écria-t-elle à son tour. Par ici !

- Marion, non ! tenta de l’arrêter Mikey. C’est trop risqué !

L’adolescente choisit de l’ignorer, car elle avait une idée. Elle espérait simplement que la tortue comprendrait ce qu’elle avait en tête, ce qui n’était pas sûr. L’anticipation n’avait jamais été une qualité possédée par Michelangelo.

- Oh, tu me vois ? Je suis là ! Qu’est-ce que tu attends, sale nugget ambulant ?

L’oiseau poussa un pépiement de rage et se détourna de Mikey pour revenir sur Marion. Le ninja se ravisa alors qu’il s’apprêtait à lui sauter dessus, devinant au même instant que son amie avait un plan. Il se tint prêt à guetter l’ouverture que cela lui offrirait pour tenter quelque chose.

Lorsque Moka se pencha au-dessus d’elle, le bec ouvert, Marion se redressa promptement. Elle hurla de douleur en fendant avec son bras droit, mais réussit à planter l’extrémité de son épée dans l’œil de la créature. Du sang se mit à ruisseler à flot de son orbite crevée, et Mikey en profita pour lui planter son kusarigama dans le dos, avant de l’enrouler autour de lui jusqu’à ses pattes.

- Déséquilibre-le, vite ! s’exclama Marion.

Mikey se jeta de tout son poids contre le volatile, qui chancela vers l’avant. Marion se précipita vers la droite pour s’éloigner de lui, mais bien qu’il soit mal en point, il réussit à lui barrer la route avec un énième jet de flammes. Avec horreur, la jeune fille vit Moka s’abattre massivement sur elle.

Son effroi se refléta dans les yeux de Michelangelo. Lui aussi commençait à manquer de force, aussi puisa-t-il dans sa hargne pour repousser le poussin inconscient. Marion gisait sous lui, sans connaissance. Elle avait en dépit de la panique pensé à soulever son épée, de manière à ce que Moka s’empale dessus dans sa chute.

Mikey n’eut pas le temps de s’assurer qu’elle allait bien, ni même qu’elle respirait, car le feu menaçait d’embraser ses cheveux. Il la chargea sans ménagement sur son épaule, arracha son arme du cadavre et s’éloigna aussi vite que le lui permettait la fatigue, ainsi que l’encombrement de son amie.

- Tiens bon, Marion, murmura-t-il. Je vais te sauver. Je ne te laisserai pas m’abandonner.

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