Un combat de tous les instants

Chapitre 54 : Chaud à la carapace

3033 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 01/10/2019 21:39

Raph, en dépit de son endurance, avait couru si vite qu’il surgit de la forêt hors d’haleine. Il maintint néanmoins son allure, d’autant qu’il venait d’apercevoir Casey, toujours occupé à débiter du bois. Lorsqu’il entendit la tortue fondre sur lui, il pivota aussitôt, la hache brandie, menaçant.

- Oh, c’est toi, mon pote ! Ça va pas de me flanquer une frousse pareille ? J’aurais pu te fendre le crâne d’un coup de...

- Casey, lève les yeux de ton billot et regarde le ciel ! Il n’y a rien qui te choque ? La forêt est en train de brûler !

L’adolescent pencha la tête vers l’arrière et distingua effectivement le nuage grisâtre de fumée qui s’élevait au-dessus des arbres. Concentré sur sa tâche, toutefois, il n’avait rien remarqué avant. Quant à l’odeur de l’air qui devait un peu plus âcre à mesure que l’incendie gagnait du terrain, elle était couverte par celle de sa sueur et des bûches qu’il tranchait.

- Comment est-ce que vous avez fait ça ?

- Un poussin mutant cracheur de feu, éluda Raphaël en passant volontairement sous silence sa part de responsabilité.

- Quoi ? J’espère au moins que vous ne l’avez pas dézingué en mon absence, sinon c’en est fini de mon amitié !

- Je l’ai juste blessé. Quant à Mikey et Marion, je n’en sais rien, on a été séparés par les flammes. Il faut prévenir les autres, au cas où le feu se propagerait jusqu’ici.

D’un geste de la main, Raph invita son ami à lui emboîter le pas, ce qu’il s’apprêtait à faire quand un élément l’interpela. Il pila net avant même d’avoir effectué une première enjambée pour lâcher :

- Attends, attends... Tu es en train de me dire que Mikey et Marion sont seuls face à un poussin capable de provoquer... ça ? Une infirme et un... un... Michelangelo ?

Toutes les craintes que Raphaël avait tenté de refouler en regagnant la maison l’assaillirent de plus belle. Et s’ils avaient effectivement des ennuis ? S’ils s’étaient retrouvés piégés entre les flammes et Moka ? Si...

- Bouge ! ordonne Casey. On va les chercher.

Il accompagna ses paroles d’un coup de coude qu’il asséna au bras fraîchement rétabli du mutant, puis s’élança en direction de la grange-laboratoire. Raph sur ses talons, ils firent irruption à l’intérieur, interrompant Donnie, Léo et Marianne, qui travaillaient comme chaque jour sur leur projet de drone.

- Qu’est-ce que vous avez encore fait ? soupira la jeune femme en devinant que quelque chose s’était produit à la seule vue de leur expression.

- La forêt est en train de brûler à cause d’un piaf mutant, et à moins que vous ayez vu passer Mikey et Marion, ils sont encore tous les deux dedans.

- La forêt est en train de brûler ? répéta Léo d’un ton sec.

- Et ma sœur est à l’intérieur ?

- Avec notre frère ?

- Oui !

Un silence pesant s’abattit sur le laboratoire de fortune, mais ne dura pas, car des idées germaient déjà dans l’esprit de Donatello. Il le brisa pour communiquer des instructions aussi simples que précises et efficaces :

- Léo, va chercher April et préviens-la de ce qui se passe. Vous resterez ici avec Marianne et vous vous tiendrez prêts à combattre le feu s’il se propage jusqu’à la maison. Vous deux, avec moi. On va tâcher de retrouver Marion et Mikey.

- Équipez-vous, conseilla Marianne. Des lunettes pour supporter la fumée, et emportez aussi des linges humides, ils pourront toujours vous servir.

- Il y a aussi la pompe à désherbant, suggéra Casey. On peut remplacer le pesticide par de l’eau et s’en servir au cas où on ait besoin de se frayer un chemin à travers les flammes.

Cette idée fut approuvée par Donnie, et tous quittèrent la grande en hâte pour rassembler le matériel dont ils auraient besoin.

***

Mikey balaya les larmes qui lui masquaient la vue, puis souleva le corps inconscient de Marion qui avait roulé un peu plus loin quand il avait trébuché. Cette fournaise le vidait de ses forces encore plus vite que le poids de l’adolescente qu’il transportait. Il avait la désagréable impression que le feu le cernait désormais de toute part, et qu’où qu’il aille, sa route finirait irrémédiablement barrée par un mur incandescent.

Il replaça Marion dans son dos, calée du mieux possible, et se redressa. Le vert de ses écailles avait presque entièrement disparu, remplacé par le noir de la suie. S’il s’était vu dans un miroir, à cet instant, il se serait à peine reconnu. Son amie n’était pas en meilleure état, crasseuse et brûlée en maintes endroits.

Puisant dans le peu d’énergie qu’il lui restait, Mikey reprit son chemin, mais ainsi qu’il le redoutait, il ne tarda pas à se trouver complètement acculé. L’incendie l’entourait, rendant toute retraite impossible. De nouvelles larmes ruisselèrent sur son visage, creusant des sillons dans la saleté, mais cette fois, elles n’étaient pas dues à la gêne, juste au désespoir.

- Maître Splinter... murmura-t-il. Maître, j’ai tant besoin de vous. Je sais que je n’ai jamais été votre meilleur disciple, et que je n’ai pas toujours suivi vos conseils, mais je vous en supplie, montrez-moi la voie comme vous le faisiez autrefois. Sans vous, nous sommes perdus.

Mikey était naïf, mais pas à ce point. Il savait qu’il y avait peu de chance pour que son défunt sensei lui envoie un signe. La seule réponse qu’il obtint fut un craquement sinistre, et il recula juste à temps pour éviter un arbre dont le tronc venait de se craqueler en deux, avant de percuter violemment le sol.

- Eh ! s’exclama le ninja en l’observant plus attentivement. Est-ce que...

Le végétal déraciné avait traversé les flammes, et son écorce épaisse résisterait quelques minutes avant d’être consumée. Cela offrait à Michelangelo un pont de fortune pour franchir le mur de feu et continuer ses efforts afin de conduire Marion en sécurité. Il s’empressa de s’y engager. Une fois de l’autre côté, il chuchota :

- Merci, maître. Je vous revaudrai ça, même si je ne sais pas encore comment.

***

- Tu es sûr que c’est la direction indiquée par April ? grogna Raph.

- Si j’en crois la boussole implantée dans mon T-Phone, oui. Elle a dit qu’elle les avait sentis plein sud-est. Après, ce n’est ni sa faute ni celle de mon application s’ils se déplacent en même temps que nous.

Le trio composé des ninjas rouge et mauve, ainsi que de Casey, progressait emmitouflé dans les linges que Marianne avait humidifiés pour eux juste avant leur départ, pendant qu’ils se chargeaient de remplir leur réservoir portatif. Raphaël l’avait porté durant une partie du trajet et son frère venait de le relayer, car il était tout sauf léger.

- Marion ! s’écria Casey, les mains en porte-voix. Mikey !

Il nettoya les verres des lunettes qu’il portait et que la suie avait déjà commencé à noircir, avant de presser l’allure. À mesure qu’ils se rapprochaient de la zone qui était la proie des flammes, ils avaient de plus en plus de difficulté à respirer, et même les mouchoirs mouillés qu’ils avaient noués devant leur bouche ne suffisaient pas à les protéger.

Leur avancée cessa une centaine de mètres plus loin, quand les flammes leur barrèrent la route. L’air s’était transformé en véritable fournaise, et même si l’heure n’était pas à la plaisanterie, Casey ne put s’empêcher de s’imaginer mentalement avec l’apparence d’un pruneau séché.

- Et maintenant ? grogna Raph. On aurait mieux fait de prendre April avec nous.

- Elle n’est pas aussi endurante que nous, rappela Donnie. Elle n’aurait pas supporté des conditions aussi pénibles et nous aurait ralentis.

- Pas sûr qu’on gagne du temps si on doit chercher Mikey et Marion par nos propres moyens, souligna Casey.

Il était impressionné par ce qu’il voyait, des flammes hautes de plusieurs mètres qui léchaient les arbres, les noircissaient, puis ne laissaient que des troncs calcinés dans leur sillage. Où étaient leurs amis ? Le feu les avait-il pris de vitesse ? Les avait-il encerclés ? Étaient-ils bloqués quelque part ? Auquel cas, comment les rejoindre avant qu’il ne soit trop tard ?

- Le vent souffle de ce côté, estima Donnie. Donc l’incendie s’étend dans cette direction. En théorie, c’est donc par là-bas qu’on aura une chance de les trouver.

- En théorie...

Tous trois s’interdisaient de penser au pire. Mikey n’était pas l’être le plus intelligent qui soit, mais il possédait une incroyable capacité à fuir devant le danger. Quant à Marion, elle était maligne et débrouillarde. S’ils avaient survécu à Shredder et aux Kraangs, ce ne serait pas pour succomber à un simple feu de forêt.

Cessant de ménager leurs forces, ils s’élancèrent, du moins aussi vite que le leur permettait leur équipement handicapant. Ils longèrent le brasier, tout en demeurant à une distance sécuritaire des flammes et en criant régulièrement le nom de leurs amis à tour de rôle. Enfin, alors qu’ils commençaient à perdre tout espoir de recevoir une réponse, une voix leur parvint.

- Ici ! Touss... touss... Je suis... touss... touss... coincé !

- Mikey ? Où est Marion ?

- Avec... touss... moi... touss. Inconsciente.

Raphaël dénoua la lourde couverture gorgée d’eau qui lui avait jusque-là servi de protection et l’abattit sur la barrière incandescente, pendant que Donatello l’aspergeait. Casey les rejoignit pour tenter de dégager une issue, à grands coups de linge humide. Leurs efforts payèrent, car ils ne tardèrent pas à distinguer au cœur des flammes un Michelangelo mal en point, Marion calée sur son épaule.

- Par ici, frérot, l’encouragea Raph en lui tendant sa patte.

Les flammes les frôlèrent lorsqu’il tira son cadet au travers, mais au moins, il était sauf. Comme Donnie avait presque entièrement vidé son réservoir, il le détacha de sa carapace et l’abandonna par terre. Au lieu de s’en encombrer inutilement pour le trajet du retour, il pourrait ainsi soutenir Mikey, qui tenait à peine sur ses jambes.

- Ne restons pas là, ordonna Casey. Je ne tiens pas à finir en merguez grillée.

Il fut le premier à s’élancer, tandis que Raph délestait son frère du poids de Marion et la calait précautionneusement contre son torse. Elle souffrait de nombreuses brûlures, ses vêtements et certaines mèches de cheveux étaient roussies, mais elle respirait faiblement, et c’était le principal, à la vue de ce à quoi elle venait de réchapper. Par sa faute, il ne pouvait le nier.

Tandis qu’ils regagnaient la propriété, ils constatèrent non sans soulagement que le feu ne se dirigeait plus vers elle. Il poursuivrait son œuvre funeste et réduirait probablement une grande partie de la forêt en cendres, mais au moins, il épargnerait l’habitation devenue leur refuge.

Lorsque Casey émergea du bois, bien avant Raph et Donnie, puisque eux étaient ralentis par Marion et Mikey, il se retrouva presque nez à nez avec les trois autres. L’anxiété avait rendu April livide, et bien que Marianne s’efforce de conserver son masque de froideur, l’inquiétude qu’elle ressentait pour sa sœur se lisait dans ses yeux. Seul Léo restait de marbre.

- Alors ? interrogea April en le saisissant par le bras, si fort qu’elle enfonça ses ongles dans sa chair.

- C’est bon, tout le monde est indemne, mais Marion est dans un sale état. J’espère que vous avez quelque chose contre les brûlures.

- Et l’incendie ? s’enquit Léonardo.

- Il continue à s’étendre, mais vers l’est. Il ne devrait pas se propager jusqu’ici.

Casey remarqua les deux tuyaux d’arrosage qui gisaient à leurs pieds, ainsi qu’un troisième, attachés au drone sur lequel le ninja bleu et les deux scientifiques travaillaient. Il volait, raison pour laquelle ils prévoyaient certainement de l’utiliser pour endiguer les flammes, mais il n’était pas encore assez autonome pour traverser New-York et atteindre les coordonnées communiquées par Karai.

Au même instant, le reste de la bande émergea du bois. Mikey, épuisé, s’effondra face contre terre, et même Donnie et Raph, éreintés, qui tombèrent à genoux. Ils étaient tous aussi noirs de suie que ceux qu’ils étaient allés secourir. Marianne, avec son sang-froid habituel, transmit ses instructions :

- Portez Marion dans le salon et étendez-la sur le canapé. June, ramène-moi tout le contenu de l’armoire à pharmacie. Plus que ses brûlures, ce sont ses poumons qui m’inquiètent. La fumée a pu l’intoxiquer. Michelotto, tu as des difficultés pour respirer ?

- C’est à toi qu’elle s’adresse, murmura Donnie en donnant un coup de coude à son cadet.

- Non, ça va. Les tortues savent retenir leur souffle. L’air était tellement chaud que j’ai inspiré le moins possible.

- Tes écailles t’ont préservé, commenta Marianne en examinant brièvement l’état de ses membres. Tu as moins souffert du feu que Marion, et tu ne devrais pas avoir trop de mal à guérir. Va te nettoyer, je verrai mieux une fois que tu seras propre. Et vous trois ? Pas de blessures à signaler ?

- Raph s’est brûlé à la main en aidant Mikey.

- Je m’en remettrai, répliqua l’intéressé. Occupe-toi de ta sœur et ne t’en fais pas pour nous. On a vu pire.

Sur ces mots, Raphaël se redressa, tenant toujours Marion entre ses bras, et franchit la distance qui les séparait de la maison, à l’intérieur de laquelle April s’était précipitée dès la seconde où Marianne lui en avait donné l’ordre. Suivant lui aussi les consignes de la jeune femme, il allongea son amie sur le canapé.

Du bout des doigts, il frôla sa joue, mais s’empressa de reculer car les autres le rejoignaient déjà dans le salon. Marianne vint s’asseoir sur la table basse et réclama une bassine d’eau à Léonardo, afin de laver sa sœur. Raph crut pendant un instant que son frère allait refuser, voire les envoyer paître, mais il obtempéra. Puisque la rousse l’aidait à construire le drone, il estimait sans doute préférable de ne pas se quereller avec elle.

- C’est bon, je vais m’en sortir, lâcha Marianne à l’intention du ninja rouge. Tu n’as pas besoin de rester là, tu risques plus de me gêner qu’autre chose.

- En théorie, c’est Mikey qui devrait être à son chevet, mais tu l’as envoyé prendre une douche. Il faut bien que quelqu’un le remplace.

- Et ce quelqu’un, c’est moi. Je suis sa sœur, ce qui me place avant une tortue un peu simplette pour laquelle Marion s’est inexplicablement prise d’affection.

- Ah, tu es une humaine ? C’est drôle, vu ton absence de cœur, j’aurais juré que tu étais un robot. Désolé, le choléra. C’est peut-être ta sœur, mais c’est mon frère qui me le pardonnera pas si je ne reste pas, alors tu vas devoir composer avec moi. Ensuite, Mikey prendra le relai.

- Génial... Je m’en réjouis d’avance.

Malgré l’agacement léger qui transparaissait dans sa voix, ce fut avec délicatesse que Marianne souleva la nuque de sa sœur et lui ouvrit la bouche. À la lumière de l’ampoule, elle examina sa gorge, et en conclut que cela aurait pu être pire. Elle ramena ensuite son attention sur Raphaël :

- Donne-moi un sai.

- Pardon ?

- Donne-moi un sai.

Quoique sceptique, Raphaël s’exécuta, et avec la pointe de l’arme, Marianne déchira les manches du haut de Marion, ou plus exactement ce qu’il en restait. Elle écarta ensuite les lambeaux de tissu pour dévoiler sa peau rougie par les brûlures, et couverte de cloques.

- Qu’est-ce que tu comptes faire ? interrogea Raph.

- Croiser les doigts pour que June déniche de la pommade, un baume ou n’importe quoi, ce qui apaisera ses douleurs. Sinon, je serai obligée de la bander directement, juste pour limiter les risques d’infections. Quoi qu’il en soit, elle en gardera des traces. Comme si elle n’en avait pas suffisamment...

Marianne ferma brièvement les paupières, ce qui n’échappa pas à Raphaël, pas plus que le léger tremblement de ses doigts lorsqu’elle manipula le bras droit de sa sœur pour l’examiner sous un angle différent. Il y avait donc réellement une âme à l’intérieur de ce corps, et quoi qu’elle en dise, il n’était pas seulement régi par la raison. Elle était aussi capable d’émotions.

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