Un combat de tous les instants

Chapitre 55 : La promesse

2883 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 21/11/2019 22:05

- Tends le bras, ordonna sèchement Marianne.

- Tu comptes me tartiner avec ce truc nauséabond pendant combien de temps encore ?

- Pendant aussi longtemps que je l’estimerais nécessaire. Tends le bras et arrête de gémir.

Marion obtempéra, non sans un soupir. Faute de remèdes adéquats, sa sœur avait passé un après-midi entier dans la forêt, ou plutôt ce qu’il en restait, à la recherche de plantes qu’elle pourrait transformer en cataplasme contre les brûlures. L’odeur était putride, mais il fallait admettre que le résultat était bien plus efficace que celui obtenu grâce aux pommades de l’armoire à pharmacie. D’ici deux ou trois jours, l’adolescente n’aurait plus que des cicatrices.

- Avec une odeur pareille, même les mouches prendraient peur, commenta cyniquement Raph, à l’autre bout du salon.

Il se baissa juste à temps pour esquiver le bol de mixture que Marion avait arraché des mains de Marianne pour le lancer sur lui. Il se fracassa contre le mur et vola en éclats, répandant son contenu un peu partout.

- Quand est-ce que vous arrêterez de vous comporter comme une bande de sauvages ? s’exaspéra April. Débrouillez-vous pour nettoyer, moi, je monte me coucher.

- T’as compris, Raph ? renchérit Casey. Va chercher le balai.

- Pourquoi moi ? C’est elle qui a balancé ce truc puant.

- Mais elle est convalescente par ta faute, rappela Marion avec un regard noir. Par conséquent, à ta place, je me ferais tout petit. Et estime-toi heureux que je n’ai pas décidé de t’asperger d’huile avant de craquer une allumette, ça n’aurait été qu’un juste retour des choses.

Marianne leva les yeux au ciel, au moins autant agacée qu’April par ces enfantillages. Elle était trop intelligente pour endurer de telles conversations. Elle abandonna la table basse sur laquelle elle était assise pour se retirer dans la cuisine, afin de s’y laver les mains. La mixture avait tendance à vite sécher, et quand c’était le cas, elle devenait particulièrement pénible à récurer.

Elle n’accorda pas un regard à Michelangelo, occupé à manger une part de pizza, et se dirigea vers l’évier, où elle rinça abondamment sa peau à l’eau tiède avant se frotter les ongles à l’aide d’une petite brosse dure. Quand elle se retourna, elle vit les yeux bleu ciel de la tortue rivés sur elle.

- Quoi ? s’enquit-elle avec son habituel ton cassant.

- Je pensais à un truc...

Marianne arqua les sourcils, même si elle devait effectivement concéder que le ninja « pensait » plus que dans les premiers temps où elle l’avait connu.

- Tu es hyper intelligente, tu connais bien le mutagène et tu es capable de fabriquer tout et n’importe quoi, énuméra Mikey.

- Et donc ?

Marianne n’était pas patiente, et elle n’aimait pas que l’on tourne autour du pot. Elle préférait quand les gens en venaient directement au fait, sans s’embarrasser de discours ou d’éloges inutiles.

- Tu ne pourrais pas essayer de concevoir quelque chose qui guérirait Marion une fois pour toute ? Genre... Potion magique ?

- Les potions magiques, c’est un concept de bande dessinée, répliqua la jeune femme. Et qu’est-ce que tu crois que je m’efforce de faire avec ce cataplasme ?

- Je ne parlais pas de ses brûlures, mais de son épaule. Pour qu’elle puisse recommencer à se battre comme avant.

Marianne l’observa, cette fois-ci sans une once de dédain. Elle n’avait jamais envisagé le mutagène à des fins médicinales. Elle savait pourtant qu’il agissait sur les tissus et l’organisme, qu’il pouvait le modifier à sa guise, mais pour elle, c’était surtout un élément dangereux, capable du pire bien plus que du meilleur.

- Botticelli a déjà préparé des remèdes de cette nature ? demanda-t-elle avec un peu moins de dureté.

- Il a essayé, en tout cas. Pour Léo, ça n’a pas fonctionné. Tout ce qu’ils ont réussi à faire, c’est créer l’Herbe Barjo. C’était ici-même, d’ailleurs. Par contre, il a su soigner mon acné mutante... que j’avais attrapée en m’aspergeant de paillettes de mutagène.

- Pourquoi ne suis-je pas surprise d’entendre ça ?

- Tu es plus maligne que lui, non ? Ah, et il s’appelle Donatello. Donnie, pour les intimes.

Marianne haussa les épaules pour indiquer par ce geste qu’elle se moquait toujours aussi royalement de leur dénomination, et que cela avait désormais d’autant moins d’importance qu’ils parvenaient presque tous eux-mêmes à s’identifier.

- Bref, tu devrais pouvoir y arriver, conclut Mikey.

En réalité, il n’était sûr de rien, mais il voulait le croire. Pour Marion. Et si quelqu’un était capable d’accomplir un tel miracle, ce serait forcément Marianne.

***

- April...

L’adolescente remua sur son lit. Son corps était moite de sueur, car elle n’arrêtait pas de s’agiter, et les draps collaient à sa peau. Elle s’était assoupie quasiment tout de suite après s’être allongée, mais son sommeil n’était pas serein. Il y avait quelque chose... Elle n’était pas seule.

- April ?

Elle se réveilla en sursaut, les yeux écarquillés de terreur, et balaya les alentours du regard, ce qui était peine perdue, la pièce étant plongée dans les ténèbres. Elle déglutit péniblement, tandis qu’un frisson lui parcourait l’échine, avant de s’enquérir dans un murmure :

- Marion ?

Aucune réponse. Son amie était sûrement encore au rez-de-chaussée, puisque c’était là où elle dormait depuis sa confrontation avec Moka. Cela permettait à Marianne de la soigner plus facilement, sans avoir à trop s’éloigner du laboratoire, hors duquel elle évitait de mettre le nez si ce n’était pas d’une absolue nécessité.

S’il ne s’agissait pas de Marion, cependant, alors qui l’avait appelée ? April porta une main à son crâne, sentant poindre un début de migraine. Elle avait passé une partie de l’après-midi à s’exercer avec ses pouvoirs et commençait à songer qu’elle avait peut-être abusé de ses forces.

Sa gorge étant desséchée, elle décida d’aller se chercher un verre d’eau dans la salle de bain. Elle l’aurait bien accompagné d’un cachet contre le mal de tête, mais ceux-ci étaient de plus en plus résistants, surtout quand ils étaient d’origine surnaturels. Le paracétamol ne pouvait pas grand-chose contre la partie mutante d’April.

Elle soupira, repoussa sa couverture et réprima un frisson lorsque ses pieds nus touchèrent le sol glacé. Comme elle n’avait aucune idée de l’heure qu’il était, elle ouvrit la porte le plus silencieusement possible, afin de ne pas déranger le reste de la maisonnée, et se faufila hors de la chambre.

- April ?

C’en fut trop pour l’adolescente qui plaqua une main contre son cœur en se mordant la lèvre pour étouffer un cri de stupeur. Cette fois, c’était certain, elle ne rêvait pas. Elle tâcha de se concentrer. Cette voix... Elle l’avait déjà entendue. C’était... Mais bien sûr !

À l’aveuglette, April ne rejoignit non pas la salle de bain comme elle le souhaitait initialement, mais la chambre dans laquelle Karai avait été installée. Elle sonda l’intérieur de la pièce avant d’actionner la poignée et, Léonardo ne s’y trouvant pas, elle entra.

Elle fit un pas de trop en direction du lit, qu’elle ne parvenait pas à distinguer dans la pénombre, et percuta son montant. Elle rétablit son équilibre en posant une main sur le matelas, qu’elle longea jusqu’à être à hauteur du visage de Karai. Prenant une profonde inspiration, elle posa deux doigts sur sa tempe, et deux autres sur celle de la kunoichi.

- Karai... Est-ce que tu m’entends ? C’est toi qui m’as appelée ? Pourquoi ?

Rien. April se concentra davantage. Elle visualisa l’esprit de la jeune femme inconsciente, tenta de s’y projeter et, au bout d’une minute qui lui parut interminable, elle fut happée dans un monde immatériel, où elle ne distinguait à perte de vue qu’une épaisse brume blanche.

- Karai ? Réponds-moi, s’il te plaît ! Ou fais-moi un signe. Qu’est-ce que tu attends de nous ? De moi ? Tu peux me le dire ?

April cligna des paupières. Il lui semblait distinguer une masse informe devant elle, de couleur grisâtre. Elle gagna progressivement en netteté, jusqu’à ce que l’adolescente puisse identifier la silhouette de Karai. Lorsque celle-ci s’exprima, sa voix résonna comme un écho lointain.

- Bonjour, April.

L’intéressée avait un peu du mal à le croire. Après avoir tenté pendant des semaines de localiser la conscience de la kunoichi, voilà qu’elle se tenait là, juste devant elle.

- Inutile d’afficher cet air surpris, annonça Karai. Et ce n’est pas non plus la peine de te réjouir pour moi. J’ai effectivement retrouvé mon esprit, même s’il m’échappe encore la plupart du temps, mais je suis incapable de le reconnecter à mon corps. Il ne réagit à aucune de mes sollicitations.

- Tu as peut-être seulement besoin de temps, supposa April.

- Du temps... Non, je ne pense pas. C’est terminé, je ne reviendrai pas. Pas physiquement, en tout cas, et j’ignore si je supporterai ça longtemps. C’est pour ça que j’ai un service à te demander, April.

L’adolescente ouvrit la bouche pour l’inviter à formuler sa requête, mais les mots se coincèrent avec effroi dans sa gorge lorsqu’elle devina ce que Karai avait en tête. La kunoichi interrompit ses babillages en levant une main gantée.

- Le moment venu, je veux que tu me libères de cette enveloppe à laquelle mon âme est désormais réduite, mais avant ça, j’ai besoin que tu me fasses une promesse.

- Karai, ne parle pas comme ça ! Donnie et Marianne vont trouver une solution, ils trouvent toujours ! Ils...

- Ça ne m’intéresse pas. La seule chose qui compte à mes yeux, maintenant, c’est de partir sereine. C’est pourquoi je voudrais que vous acheviez la tâche à laquelle je me suis astreinte. Je veux que vous nous vengiez, Splinter, ma mère et moi. Je veux que vous fassiez payer le monstre qui a détruit nos vies. En d’autres termes, je veux que vous tuiez Shredder.

April ferma les paupières. Elle s’attendait à une telle requête, mais elle n’était pas en mesure de prendre cet engagement. Ils n’étaient pas assez forts pour vaincre le Destructeur, pas même tous ensemble et au meilleur de leur forme. Qui plus est, ils avaient une autre menace à endiguer en priorité.

- Ne vous souciez pas des Kraangs, répliqua Karai lorsque April avança cet argument. Je vous ai déjà offert mon aide pour les vaincre.

- Ton aide ? Tu veux dire... Les coordonnées ? À quoi correspondent-elles ?

Karai voulut répondre, mais son corps scintilla et se fit momentanément plus transparent, comme s’il était sur le point de disparaître. Elle serra les dents, les yeux plissés, avant d’en revenir au sujet qui la tourmentait :

- Il faut que tu me promettes, April. Shredder DOIT mourir. Tant qu’il vivra, vous ne serez en sécurité nulle part, et si vous ne l’arrêtez pas, c’est vous qui connaîtrez un jour le sort de la famille Hamato. Promets-moi.

April hésita. C’était un serment qui ne pouvait pas se faire à la légère, et encore moins sans consulter les autres, mais d’un autre côté, Karai avait raison. À moins de passer le restant de leur jour à se tapir dans l’ombre, les tortues ne seraient pas en sécurité tant que Shredder vivrait.

- Je te promets que nous ferons notre possible, biaisa finalement April.

Cela parut suffire à Karai, car elle inclina la tête sur le côté afin de la saluer, avant de disparaître dans un souffle de paillettes argentées. April resta immobile durant quelques secondes dans les limbes, avant de réintégrer son corps et sa maison de North Hampton.

***

Marianne observa les composantes technologiques kraang qu’elle avait récupérées sur le vaisseau dissimulé au sous-sol et qu’elle devait à présent greffer sur les circuits du drone qu’elle fabriquait avec Donatello et Léonardo, sans esquisser le moindre geste. Elle n’avait pas la tête à travailler, ce qui était très inhabituel pour elle.

Elle ne cessait de repenser à ce que Michelangelo lui avait dit dans la cuisine. Elle ne l’avait jamais vraiment pris au sérieux, l’ayant catalogué dans la catégorie « cas désespéré, degré d’imbécilité trop élevé » à la minute où elle l’avait rencontré, pourtant elle commençait à songer que son idée pouvait effectivement être pertinente.

Ce ne serait pas la première, d’ailleurs, puisque c’était lui qui leur avait entre autres soufflé celle de la construction du drone. Il n’y avait donc pas matière à être réellement surpris, d’autant que Donnie avait dépeint son frère comme un génie, même si cet état de fait ne s’appliquait qu’à la dimension X, et Marianne elle-même avait admis qu’il paraissait moins immature depuis la mort de Splinter.

Elle était toujours en train de songer au crédit qu’elle pouvait accorder à sa suggestion lorsque quelqu’un se présenta à la porte du laboratoire. Léonardo interrompit aussitôt les soudures qu’il était en train d’effectuer et Donnie suspendit son calcul en cours pour se tourner vers April. Elle était très pâle, et des cernes violacés soulignaient ses yeux bleus.

- Est-ce que je peux te parler en privé ? demanda-t-elle au ninja mauve, qui s’empressa d’abandonner sa table de travail pour bondir sur ses pattes et l’accompagner à l’extérieur.

Les ténèbres de la nuit avaient recouvert la maison et les environs de leur voile, mais une petite lumière, fixée sur la façade de la grange-laboratoire, les dissipait un peu, à condition de ne pas s’aventurer trop loin du bâtiment.

- Je t’écoute.

Comme il faisait frais et qu’April n’avait pas songé à enfiler un gilet, elle entoura son buste de ses bras afin de se réchauffer un peu, puis se lança. À voix basse, au cas où Léonardo serait susceptible de les entendre, elle lui raconta ce qui venait de se passer, ainsi que la conversation qu’elle avait eue avec Karai.

- Une aide pour vaincre les Kraangs ? À ton avis, à quoi est-ce qu’elle fait référence ? s’enquit Donatello.

- Aucune idée. Ça peut être tout et n’importe quoi. Peut-être une arme appartenant à Shredder et dont elle aurait eu connaissance de l’existence. Enfin, ce qui me préoccupe surtout, c’est ce qu’elle attend de nous...

Donatello ne releva pas. Il estimait qu’April avait eu raison de ne pas s’engager plus avant dans la promesse qu’elle avait faite à Karai, mais il savait également que la kunoichi n’avait pas tort non plus. Shredder était devenu une trop grande menace. S’ils ne le supprimaient pas, ce serait lui qui leur infligerait ce sort tôt ou tard. À condition, bien sûr, que les Kraangs ne s’en chargent pas avant.

- Le drone sera bientôt prêt, affirma Donnie. Nous en saurons un peu plus à ce moment-là quant aux motivations de Karai. En attendant, tu ferais mieux de te reposer. Tu as l’air exténuée.

April acquiesça. Ses pouvoirs étaient de plus en plus forts, mais elle en payait le prix. Ils nécessitaient toujours plus de travail, et surtout plus de concentration. Donnie marqua une hésitation, alors qu’il s’apprêtait à poser sa main sur son épaule pour la raccompagner à l’intérieur, et choisit finalement de n’en faire rien.

April, qui l’avait vu esquisser son geste, s’efforça de conserver une expression neutre. Ses sentiments contradictoires pour Donatello étaient douloureux, mais puisqu’elle en était seule responsable, elle n’avait pas le droit de se plaindre. Elle aurait tant voulu être comme Marion, ne pas voir l’aspect mutant comme un obstacle, mais malheureusement, elle en était incapable.

- Bonne nuit, Donnie, murmura-t-elle en passant devant lui, tête basse.

- Bonne nuit, April, répondit ce dernier, le cœur tout aussi lourd.

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