Un combat de tous les instants

Chapitre 60 : L'ultime ligne droite

2950 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 01/02/2020 22:29

- Yaaah !

Raphaël voulut résister, mais ses sais, avec lesquels il avait tenté de bloquer la lame de Marion, lui échappèrent des mains. Mikey, assis juste au-dessus d’eux sur une branche d’arbre d’où il contemplait toute la scène, poussa une exclamation de joie. Sa bonne humeur ne faiblissait pas depuis qu’il avait rendu sa rapière à sa meilleure amie, deux heures plus tôt, après s’être aperçu qu’elle la cherchait partout.

Le ninja rouge, vaincu, recula d’un pas et remua ses bras endoloris. Quelque chose n’allait pas. Au sommet de sa forme, Marion avait déjà réussi à le battre, car elle lui était supérieure en vitesse et en dextérité, mais sur le plan de la force brute, son niveau était nettement plus faible que le sien, or elle l’avait désarmé avec une facilité beaucoup trop déconcertante.

- Comment tu te sens ? demanda Mikey en sautant à terre pour se réceptionner avec souplesse à la droite de l’adolescente.

- En pleine forme ! J’ai l’impression que je pourrais continuer comme ça toute la soirée !

Marion avait commencé par exécuter plusieurs exercices physiques sous la supervision de Marianne, et dès que son aînée, estimant que le mutaremède avait correctement fonctionné, lui avait donné son feu vert, elle s’était empressée de retrouver son épée. Elle s’était entraînée un petit moment seule à la lisière de la forêt, puis elle avait décidé de se mesurer à Raph. Mikey aurait sans doute cherché à la ménager, or c’étaient ses limites que Marion avait tenu à tester.

- Il faut que j’aille embrasser ta sœur ! décréta Michelangelo. Je n’aurais pas dû douter d’elle, elle est géniale ! Enfin, pas autant que toi, mais géniale quand même !

Marianne avait avoué à sa cadette, quoiqu’à contrecœur, que c’était le ninja orange qui lui avait soufflé l’idée du mutaremède. Marion voulut rappeler à Mikey combien sa sœur était peu portée sur les démonstrations affectives et les contacts humains – ou mutants –, mais son ami s’était déjà élancé, la laissant seule avec Raph.

- Quoi ? interrogea-t-elle en constatant qu’il la fixait avec insistance. Tu ne vas pas m’en vouloir d’avoir gagné, quand même ? Je sais que ça fait longtemps que ça n’était pas arrivé, mais justement, tu pourrais te réjouir un peu pour moi.

- Ça n’a rien à voir... Tu te sens vraiment comme avant ? Rien de plus ?

- Je... Je ne sais pas. En fait, je... J’ai presque oublié comment c’était de ne pas avoir mal.

Marion contempla pensivement son épée. La manier avec aisance lui avait tant manqué qu’elle n’éprouvait rien d’autre qu’un profond soulagement et une intense euphorie. Elle ramena son attention sur Raphaël, à qui elle adressa un regard perplexe.

- Pourquoi ?

Il ouvrit la bouche, mais ne s’exprima pas. Ce n’était qu’une intuition, rien dont il ne soit parfaitement sûr. Il décida de procéder à un rapide test avant de se prononcer. Il balaya les environs des yeux et repéra une branche qui gisait sur le sol, large de huit centimètres de diamètre. Il la projeta en l’air d’un coup de pied pour la rattraper au vol.

- Prends ça, et serre de toutes tes forces, ordonna-t-il.

Marion fut surprise par son exigence, mais accepta tout de même de s’y plier. Elle fit passer sa rapière dans sa main gauche et s’empara du morceau de bois que la tortue lui tendait. Elle comprima l’écorce froide et rugueuse entre ses doigts, jusqu’à ce que celle-ci émette un craquement sonore.

- Que... bafouilla l’adolescente, tandis que la branche, cassée en deux, tombait à ses pieds.

- C’est bien ce qu’il me semblait... Marion, le mutaremède ne t’a pas seulement guérie. Tu es beaucoup plus forte qu’avant. Essaye de l’autre côté.

Marion ramassa l’un des fragments brisés et le pressa cette fois-ci dans sa main gauche. Rien ne se produisit, le bois ne se fendilla même pas. En revanche, il explosa sous son étreinte lorsqu’elle fit une nouvelle tentative à droite. Elle écarquilla les yeux.

- Je crois... Je crois que je ferais bien de prévenir Marianne, souffla-t-elle, abasourdie.

***

- Bas les pattes ! intima Marianne en pointant un tournevis menaçant en direction de Michelangelo après qu’il eut tenté de la serrer dans ses bras pour la seconde fois. On ne me touche pas, moi.

- S’il te plaît ! Rien qu’un câlin ! Pour te remercier d’avoir soigné Marion.

- C’était ton idée, le mutaremède. Je n’ai fait que la mettre en pratique, alors tu n’as pas besoin de me remercier. Contente-toi de garder tes distances.

- Tape-m’en au moins une, insista Mikey, la main levée.

Marianne considéra sa paume avec une moue de dégoût. Qui savait où il avait pu la laisser traîner ? Elle consentit tout de même à la frôler superficiellement, car elle savait que sans cela, il n’abandonnerait jamais. Le ninja orange parut satisfait, puisque son sourire s’élargit.

- Voilà, va jouer ailleurs, maintenant. Au fond de l’océan, par exemple.

Marianne était en train de travailler sur le caisson de stase à la place de Donnie, qui avait décidé de s’accorder un peu de repos, quand Michelangelo avait fait irruption au sous-sol. Elle avait dû interrompre son ouvrage pour venir à sa rencontre, afin qu’il ne découvre pas le corps de Karai dissimulé à l’intérieur de la soucoupe kraang, en attendant d’être cryogénisé.

Le mutant battit en retraite, et la jeune femme put reprendre sa tâche. Elle achevait de réparer un bloc d’alimentation lorsqu’elle entendit le grincement caractéristique de l’escalier en bois. Elle leva les yeux en maugréant. S’il s’agissait encore de Michelangelo, elle s’arrangerait pour que l’un des câbles électriques qu’elle manipulait lui envoie une décharge suffisante pour l’assommer durant les six prochaines heures.

- Marianne ?

L’intéressée se raidit en reconnaissant la voix de sa sœur. Contrairement à ses pesants amis, Marion savait que son aînée détestait être dérangée en plein travail, et elle ne s’y risquerait pas sans une solide raison. Y avait-il un problème avec le mutaremède ? La douleur était-elle revenue ? Peut-être sa cadette avait-elle forcé sur ses muscles trop vite ?

Marianne lança son tournevis dans la caisse à outils de Donatello et retira ses gants isolants avant de rejoindre Marion. Elle fronça les sourcils en la découvrant en compagnie de Raphaël. De toute la bande, c’était, avec Casey, celui qu’elle supportait le moins. Elle avait en revanche constaté que sa sœur passait beaucoup de temps avec lui, lorsqu’elle n’était pas avec Mikey ou April.

- Un problème ? demanda-t-elle.

- Pas vraiment un problème, mais Raph pense... Non, pour être honnête, on pense tous les deux que tu as surdosé le mutaremède.

- Pardon ? Surdosé ? Dans quel sens ?

- Ce sens-là...

Marion serra et desserra les doigts de façon à les préparer à l’impact, puis dépassa son aînée pour projeter son poing contre la carcasse métallique du vaisseau. Celle-ci se tordit sous le choc.

- Ah oui, je vois... marmonna Marianne. C’est assez... inattendu.

Ce fut tout ce qu’elle put déclarer sur le moment. Elle avait redouté l’apparition d’effets secondaires, du fait de l’instabilité du mutagène dans cette dimension, mais elle se réjouissait presque qu’il n’y ait pour l’heure que cela à déplorer.

- Est-ce que c’est permanent ? s’enquit Raph. Ou ça va passer ?

- Ça me coûte de l’admettre, mais je l’ignore. Le mutagène, et par conséquent tout ce qui en découle, n’obéit pas à des lois fixes sur Terre. Ça peut donc perdurer quelques heures comme être irréversible, ou disparaître à la seconde même où on pénètrera en dimension X.

- Ce serait dommage, commenta Marion. Un atout pareil, c’est toujours bon à prendre face aux Kraangs. Qu’est-ce que je suis censée faire, du coup ? Comme si de rien n’était ?

- Je ne vois pas ce que je pourrais te recommander d’autre. Nous serons vite fixés, de toute manière. D’ici cette nuit, j’aurai plongé Karai en stase, et plus rien ne nous retiendra à North Hampton. Si tout se déroule comme prévu, nous rejoindrons l’univers kraang dans trois jours maximum.

Marion acquiesça, sans cesser de remuer son bras. Le plus dur allait être de ne pas s’habituer à cette sensation grisante de puissance. De nouveau en pleine possession de ses moyens et portée par cette force surhumaine, elle se sentait presque invincible. Un sentiment très éloigné du désespoir qui la rongeait encore le matin même.

***

- Booyakasha ! C’est le grand jour !

Marianne foudroya Mikey des yeux lorsqu’il s’engouffra dans la cuisine, ses nunchakus brandis. Elle n’avait quasiment pas fermé l’œil de la nuit pour fignoler les derniers détails du caisson de stase et passer une ultime fois en revue son programme de réassignation des Foot-bots. Tout était fin prêt, mais elle était épuisée et n’avais pas encore engloutie sa troisième tasse de café.

- On va casser du méchant ! renchérit Marion en franchissant le seuil à son tour.

L’un comme l’autre, ils ne s’étaient pas sentis aussi joyeux depuis leur défaite face à Shredder. Mikey en oubliait presque le deuil de maître Splinter, qu’il avait porté plus intensément que ses frères.

- C’est moi qui vais vous casser quelque chose si vous continuez à hurler, gronda Marianne. Même un cerveau comme le mien a parfois besoin de repos.

Casey fut le troisième à pénétrer dans la pièce et se prépara lui aussi à pousser une exclamation, mais Mikey et Marion plaquèrent juste à temps une main sur sa bouche. Il leur lança un regard interrogateur en émettant un gémissement étouffé.

- Ma sœur est d’une humeur exécrable, ce matin. Enfin, encore plus exécrable que d’habitude.

- Oulà... J’hésite entre la voix de la raison qui m’encourage à me taire et le fait de rappeler à miss rabat-joie qu’on s’apprête enfin à quitter notre tanière pour repasser aux choses sérieuses.

- Je suis fatiguée, pas sourde, souligna Marianne. Et si on s’apprête à partir d’ici, c’est surtout pour voler des robots à votre ami le Détrousseur. Rafraîchis-moi la mémoire, DJ... Ce n’est pas lui qui a bien failli vous massacrer, la dernière fois, et qui l’aurait d’ailleurs fait si Machiavel et moi n’étions pas arrivés à temps pour vous sauver la peau ?

Cette remarque pertinente jeta un froid sur la cuisine et réduisit le trio de combattants au silence. Sans un mot, ils se laissèrent tous tomber sur une chaise autour de la table, sauf Mikey qui sortit au préalable un paquet de céréales et des bols du placard.

- Waouh ! C’est quoi ces têtes d’enterrement ? interrogea Raph en ouvrant la porte à la volée. Mettez-vous dans l’ambiance, les gars ! Je vous rappelle qu’on va...

L’expression meurtrière de Marianne, à laquelle se coupla contre toute attente celle des trois autres, suffit à le faire taire. Quelques minutes plus tard, April, Léo et Donnie les rejoignaient à leur tour. Le ninja mauve avait lui aussi beaucoup œuvré durant la nuit en apportant quelques modifications à Lastchance, et en s’assurant que le véhicule n’avait aucun souci technique.

- Bon, marmonna-t-il. Je suppose qu’il n’est pas utile que je vous répète encore une fois le plan.

Les autres secouèrent la tête. Ils savaient tous ce qui les attendrait à New York. En premier lieu, ils devraient retrouver Slash et Leatherhead afin de leur proposer une nouvelle alliance. Si ceux-ci acceptaient, les autres leur confieraient la mission de se rendre au repaire, dans les égouts, pour y récupérer le portail portatif kraang avec lequel ils étaient revenus sur Terre en compagnie de Marianne.

Pendant ce temps, le groupe s’infiltrerait dans l’usine Foot et reprogrammerait autant d’androïdes que possible, avant de fuir avec eux. Marianne espérait en détourner au moins une trentaine, mais cela dépendrait de la vitesse à laquelle le transfert de son codage s’effectuerait, et surtout des complications qu’ils étaient susceptibles de rencontrer sur place, tel que Shredder en personne.

Cette fois, ils n’attendraient pas la nuit pour pénétrer dans la ville, car ils devraient s’être entretenus avec leurs amis mutants avant le coucher du soleil. Si ces derniers refusaient de les aider, bien qu’ils en doutent, les tortues et leurs compagnons devraient se charger eux-mêmes de mettre la main sur le portail, puis pénétrer dans l’usine à la faveur de l’obscurité.

Même une fois qu’ils auraient accompli tout cela – s’ils réussissaient –, le plus dur ne serait pas derrière eux. Il leur faudrait encore conquérir une base en dimension X, où établir le laboratoire de Marianne et de Donatello afin qu’ils fabriquent une quantité de rétro-mutagène suffisante pour rendre leur apparence à tous les habitants de New York.

C’était à la fois étrange et intimidant pour eux de songer, après tout ce qu’ils avaient traversé, ensemble aussi bien que séparément, que tout serait bientôt terminé. Pour le meilleur ou pour le pire, en revanche, seul l’avenir le leur dirait.

- Bien... conclut Donatello. Quand vous aurez tous fini de manger, allez rassembler vos affaires et préparez-vous à partir. On se retrouve tous dans la cour dans deux heures maximum. Tout va s’enchaîner très vite dès l’instant où nous serons de retour à New York, et ce sont peut-être les derniers instants de tranquillité dont vous pourrez bénéficier, alors savourez-les.

Sous la table, Mikey prit la main de Marion dans la sienne, tandis qu’elle-même jetait un regard en coin à Raphaël. Léonardo contempla mélancoliquement le contenu de sa tasse qu’il avait remplie de café à son arrivée, en songeant à Karai. April, quant à elle, évita soigneusement de croiser les yeux de Donnie, le cœur lourd de regrets.

Plus personne ne prononça un mot par la suite, et ce fut dans le silence le plus complet qu’ils quittèrent la pièce après avoir avalé un maigre petit-déjeuner. Ils regagnèrent tous leurs quartiers, et comme ils n’avaient presque rien emporté au moment de fuir New York, ils seraient vite prêts.

En dépit du délai accordé par Donnie, il leur fallut moins de trente minutes pour se réunir aux abords de Lastchance. Le ninja mauve avait conçu à la hâte une sorte de vigie, sur le toit. Comme le véhicule manquait de places, l’un d’entre eux voyagerait là-haut, ce qui lui permettrait de surveiller les alentours grâce à la longue vue qui y était fixée.

- Je conduis, annonça Donatello avant que quiconque ait le temps de se proposer. Léonardo, tu t’installes sur le siège passager, tu t’occuperas des armes avant en cas d’attaque. Raph, dans le coffre, avec les armes arrière. Mikey...

- Je peux être sur le toit ? S’il te plaît, s’il te plaît, s’il te plaît ?

- J’étais sûr que tu dirais ça. Oui, tu peux. April, Casey, Marion et Marianne, j’ai bien peur qu’il vous faille vous tasser à l’arrière. Vous risquez d’être un peu à l’étroit, mais...

Donnie s’interrompit de son propre chef, néanmoins personne ne protesta, pas même Marianne, en dépit de sa répugnance à l’égard des contacts physiques. Elle exigea seulement d’être assise entre sa sœur et la portière, une volonté que ni April ni Casey ne discutèrent.

Après avoir entassé leurs maigres bagages dans le coffre auprès de Raphaël, tous prirent la place qui leur avait été assignée. Donatello, au volant, mit le contact, tandis qu’ils jetaient tous un dernier regard en direction de North Hampton, qui avait été leur foyer durant plusieurs mois.

Le moteur rugit, Mikey poussa une exclamation depuis sa vigie lorsque le véhicule se mit en mouvement, et les quatre adolescents serrés sur la banquette arrière s’accrochèrent du mieux qu’ils purent pour ne pas se bousculer les uns les autres. Quelques minutes plus tard, la résidence secondaire des O’Neil disparaissait de leur champ de vision.

Plus question de faire machine arrière, à présent. Les dés étaient jetés.

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