Un combat de tous les instants

Chapitre 65 : L'accident

3148 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 01/06/2020 22:21

- Ici l’équipe des champions, nous demandons des renforts immédiats. Team tocard, à vous d’intervenir.

- Tu sais ce qu’elle te dit, la team tocard ? grogna Raphaël.

- On est les rois de la castagne, nous ! renchérit Casey.

- Et toi, tu n’es qu’une sale...

Marion désactiva le communicateur de la navette furtive pilotée par Mikey et le remit en marche quelques secondes plus tard, juste à temps pour profiter de la fin du chapelet d’injures de Raph.

- Désolée, je n’ai pas tout entendu. Il y a des interférences sur la ligne, ça doit être à cause de ton mauvais caractère.

Elle pouffa de rire pendant que Michelangelo effectuait un brusque écart vers la droite pour échapper à un laser kraang. Ils avaient déjà neutralisé cinq vaisseaux ennemis, mais trois étaient encore à leurs trousses.

- Est-ce que le clan du QG pourrait désactiver le bouclier en vitesse ? crépita la voix de Casey.

- Je m’en occupe, annonça Léonardo. Ils survoleront la zone dans douze unités de temps kraang, essayez de les abattre avant.

- C’est comme si c’était fait, assura Raph.

Malgré la distance, Mikey et Marion virent le champ de force protecteur disparaître de la plateforme où ils avaient établi leur base. Une seconde soucoupe furtive, dont ils s’étaient emparés peu de temps avant la première, décolla pour venir à leur rencontre.

- Trois. Deux. Un, décompta Raphaël. Maintenant !

Michelangelo piqua en direction du sol pendant que le vaisseau allié fonçait sur leurs poursuivants pour les abattre en vol. Deux explosions retentirent l’une à la suite de l’autre, et la troisième illumina l’air toxique de la dimension X quelques secondes plus tard.

- Mission terminée, annonça Marion. On rentre tous à la base.

Ils se trouvaient dans l’univers kraang depuis plusieurs semaines, désormais, durant lesquelles ils avaient considérablement accru leurs défenses. Une mesure nécessaire, car les assauts extraterrestres étaient de plus en plus nombreux et acharnés. Une dizaine de jours plus tôt, les deux équipes avaient dû aller au-devant d’un technodrome pour le neutraliser avant qu’il n’atteigne les abords de la plateforme et déchaîne sa puissance de tir sur le bouclier.

- C’est bon, nous sommes passés, annonça Casey. Léo, tu peux réactiver le bouclier.

Le champ de force se rematérialisa autour du bâtiment, tandis que les deux navettes amorçaient leur atterrissage. Mikey posa la sienne en douceur, au contraire de Raph qui rejoignit le sol dans une manœuvre aussi complexe qu’inutile, à seule fin de démontrer une fois encore ses talents de pilote.

- Voilà pourquoi vous n’êtes que la seconde équipe, commenta Marion en sortant du vaisseau. Parce que Môssieur ne peut pas s’empêcher de frimer.

- Tu es dans la première équipe uniquement parce que Mikey t’adore, répliqua Raph en s’extirpant lui aussi de son appareil. Et s’il t’adore, c’est surtout parce que tu es la seule à le supporter. En tout cas, ce n’est sûrement pas pour tes compétences qu’il t’a chois...

Un grondement sonore fit taire le ninja rouge, et Casey, qui s’apprêtait à sauter à terre, s’empressa de regagner l’intérieur de sa navette, dont il verrouilla la trappe derrière lui. Un Kraathatrogon, de petite taille pour son espèce, mais aux dimensions tout de même impressionnante pour eux, se précipitait dans leur direction.

- Oh non... soupira Marion en reculant d’un pas, la bouche tordue par une grimace de dégoût. C’est reparti pour un tour.

- Kraath !

Mikey s’élança à la rencontre de la créature, qui s’immobilisa une fois qu’il fut parvenu à sa hauteur. Le ver extraterrestre bascula alors sur le flanc et offrit son ventre à la tortue, qui se mit à gratter sa peau translucide en poussant des gloussements enthousiastes.

Quand Michelangelo avait fait part de sa volonté de capturer un Kraathtrogron et de l’apprivoiser, l’idée n’avait séduit personne, à l’exception – et au grand étonnement de tous – de Marianne. Comme ces monstruosités étaient capables de produire des quantités impressionnantes de mutagène et qu’elle en avait besoin pour ses recherches, ce projet avait éveillé chez elle un intérêt inattendu.

Il leur était en revanche très difficile de se procurer les autres ingrédients nécessaires à la rétro-mutation, surtout en quantités suffisantes. S’ils voulaient rendre à tous les habitants de New York leur apparence normale, il allait leur falloir des centaines de litres d’antidote, or ils n’avaient réussi à en fabriquer pour l’heure que quelques dizaines.

Explorer la dimension X était toujours une mission périlleuse, au terme desquelles ils revenaient la moitié du temps bredouille. Les Kraangs semblaient avoir compris ce qu’ils cherchaient et, à défaut d’arriver à les vaincre, ils mettaient tout en œuvre pour les empêcher d’atteindre leurs objectifs.

- C’est qui la plus... la plus... la plus mutagéneuse de toute la dimension X ? s’extasia Mikey, toujours en train de jouer avec sa nouvelle amie. C’est ma Kraath !

Grâce au don qu’il possédait dans ce monde, il ne lui avait pas fallu longtemps pour rendre la créature aussi docile que Minette Glacée, d’autant qu’elle avait l’air d’être très jeune. Cela avait contribué à renforcer sa capacité d’attachement, malgré quoi Marion la fixait toujours avec méfiance. Cette créature sécrétait du mutagène, et un accident était si vite arrivé...

- Bon, Mikey, ramène Kraath dans son enclos et viens ! Marianne attend ses... comment tu appelles ces trucs, déjà ?

- Des bulbignons.

- C’est ça, ses bulbignons...

Cinq caisses, qu’ils avaient été remplir dans ce qui s’apparentait le plus à une forêt dans la dimension X, attendaient dans la navette furtive. Comme Mikey semblait décidé à prendre tout son temps pour reconduire Kraath, afin de mieux roucouler avec elle, ce furent Casey et Raph qui aidèrent Marion à décharger la cargaison.

- Je le retiens, celui-là, grogna le ninja rouge.

- Allez, arrêtez de vous plaindre. Je vous rappelle qu’April nous a promis une double ration de pizzax si on ne rentrait pas les mains vides.

La pizzax était, comme tout ce qu’ils mangeaient depuis leur installation ici, un plat tiré de l’imagination de Mikey, grandement inspiré de la spécialité italienne qu’il chérissait tant sur Terre. April avait tant bien que mal appris à maîtriser ses recettes tarabiscotées et les préparait à chacun de leur retour de mission.

***

- Tu t’es surpassée, April, commenta Michelangelo en tapotant son ventre plein. Je te décerne le titre officiel de kordon bleu. Kordon avec un K, comme dans Kraang.

Elle le remercia d’un sourire tout en continuant à remplir le plateau, ou plus exactement la plaque de métal qu’ils utilisaient comme tel, avec la nourriture qu’elle avait mise de côté pour Donatello et Marianne. Ils étaient si concentrés sur leurs recherches qu’ils prenaient rarement leurs repas avec eux à table.

Léonardo se chargea de le leur apporter. Il était de surveillance toute la nuit dans la salle informatique, et le laboratoire était sur sa route. Il prit la collation des deux scientifiques, ainsi qu’une grande timbale remplie d’un breuvage qui possédait sensiblement les mêmes propriétés que le café. En dépit de son goût immonde et de sa couleur verdâtre repoussante, elle l’aiderait à rester éveillé jusqu’à ce que Casey prenne le tour de garde suivant.

Passer des heures à fixer les moniteurs l’ennuyait à mourir, mais ils devaient tous accomplir cette tâche à tour de rôle afin d’être prompt à réagir en cas d’attaque. Léonardo s’affala sur le siège qu’il avait lui-même fabriqué et braqua son regard sur l’écran face à lui en soupirant.

Quand il était occupé, c’est-à-dire quand il avait l’occasion de partir en mission avec April, en relève de Raph et de Casey, il parvenait à chasser Karai de son esprit, mais dans ses moments d’inactivité, il n’avait rien d’autre à faire que de l’imaginer seule, glacée, dans les entrailles de la soucoupe kraang enterrée sous la propriété des O’Neil, à North Hampton.

Que se passerait-il si elle n’émergeait jamais de son coma ? Il ne le supporterait pas, et pourtant, c’était une possibilité qui n’était pas à écarter. Si une telle tragédie devait se produire, Léo avait déjà songé à une alternative, mais il n’avait encore osé en parler à personne. C’était sûrement un rêve fou et inaccessible. Encore plus fou et inaccessible que Karai ne l’avait jamais été.

Pourtant, lorsque Marianne se présenta dans la salle informatique pour lancer une série de calculs sur l’un des processeurs, avant de se retirer dans les quartiers d’habitation pour s’accorder quelques heures de sommeil méritées, Léonardo décida de lui parler. Peut-être avait-il juste besoin de l’entendre réduire ses espérances à néant.

- Quoi ? demanda-t-elle sur son habituel ton cassant en réalisant que les prunelles bleues du ninja s’attardaient sur elle.

Elle ne cessa pas de pianoter sur le panneau de contrôle qu’elle manipulait, mais elle avait à présent les yeux rivés sur lui. Marianne ne se contentait pas de fabriquer du rétro-mutagène. Elle continuait à essayer de mettre au point une formule plus condensée que celle qu’elle avait utilisée pour recouvrer son apparence, afin peut-être d’en obtenir une quantité suffisante dans des délais plus brefs.

- J’ai une question à te poser, avoua Léo.

- Sois bref.

- C’est à propos de Karai.

Marianne entrouvrit la bouche pour exiger davantage de concision, mais la referma sans prononcer un mot lorsqu’elle eut pris conscience du sujet. Elle blêmit, ce dont, par chance, Léo ne s’aperçut pas, en raison de la lumière blafarde que l’hologramme qui venait d’apparaître devant elle projetait sur son visage.

- Oui, eh bien ? fit-elle en essayant de se montrer aussi neutre que possible.

Cela n’aurait pas dû être très difficile de la part d’une jeune femme que tous ou presque prenait pour un robot, néanmoins, tout au fond de son cœur, elle ressentait une pointe de culpabilité vis-à-vis de Léonardo. En plus d’avoir utilisé le corps de Karai comme cobaye pour le mutaremède destiné à Marion, April, Donnie et elle lui avaient tu qu’elle ne se réveillerait jamais.

- Je pensais... Il y a pas mal de temps, à New York, Raphaël a fait les frais d’une étrange machine kraang. Bien fait pour lui, tu me diras... En tout cas, son esprit a été transféré dans le corps d’un extraterrestre, et inversement.

- Je crois que je vois où tu veux en venir...

- Est-ce que tu pourrais créer quelque chose de similaire ? Quelque chose qui pourrait transférer l’âme, l’esprit, appelle ça comme tu veux, de Karai vers une autre enveloppe corporelle ?

Marianne ne répondit pas. Elle se sentait redevable, même si elle ignorait envers qui. Sans les tests secrets qu’elle avait pratiqués sur la kunoichi, elle n’aurait pas pu guérir Marion avant de partir pour la dimension X, et sa sœur serait peut-être morte, à l’heure actuelle.

- Honnêtement, je n’en sais rien. Je n’ai jamais essayé. Il faudrait que tu cherches dans la mémoire des supercalculateurs si tu trouves quoi que ce soit ayant trait à cette machine, et à partir de là... Je verrai ce que je peux faire.

- Vraiment ?

- Je ne te dis pas que j’en suis capable, l’interrompit précipitamment Marianne. Même un cerveau comme le mien à ses limites. Toutefois, quand je n’aurai plus à me soucier ni des Kraangs ni du rétro-mutagène, rien ne m’empêchera de me pencher là-dessus. Maintenant, si tu m’excuses, je vais dormir un peu. Je tombe de fatigue.

Ce n’était pas tout à fait vrai, mais Marianne n’avait aucune envie de prolonger une conversation dont Karai était l’objet. Heureusement, Léonardo n’était pas du genre insistant, et il se contenta de la remercier en lui souhaitant de se reposer. Il ne remarqua pas le regard qu’elle lui lança par-dessus son épaule, juste avant de quitter la pièce.

***

April se réveilla en sursaut, avec la désagréable impression qu’on lui comprimait la poitrine. Elle recula contre le mur à laquelle sa couchette était fixée, dans le dortoir qu’elle partageait avec Marion et Marianne, et tâtonna dans les ténèbres à la recherche de sa lampe. Un halo blanc violacé éclaira les alentours dans un rayon de deux mètres.

Il n’y avait personne, à l’exception de l’aînée des deux sœurs, endormie dans son lit. Celui de Marion était défait, et April supposa qu’elle était, comme souvent, en train de faire les cent pas dans le couloir. Elle souffrait fréquemment d’insomnie depuis qu’ils se trouvaient en dimension X, et quand elle parvenait à s’assoupir, elle faisait de nombreux cauchemars, dont la plupart, à l’instar de celui qui l’avait assaillie lorsque Marianne lui avait injecté le mutaremède, mettaient son père en scène.

April se leva sur la pointe des pieds, afin de ne pas déranger Marianne durant le peu de repos qu’elle s’autorisait, et quitta le dortoir. Comme elle s’y attendait, elle trouva Marion devant la porte, en compagnie de Mikey. Tous deux grignotaient les restes de la pizzax qu’elle avait mis de côté à la fin du repas.

- Insomnie, toi aussi ? s’enquit l’adolescente.

- Ou petit creux ? renchérit le ninja.

April réfléchit. Elle n’avait aucune idée de ce qui l’avait tirée du sommeil. Ou plutôt si. C’était une sensation. Elle avait un mauvais pressentiment.

- C’est vague, commenta Marion lorsqu’elle leur en eut fait part. Tu veux qu’on descende voir si Léo a remarqué quelque chose de suspect sur les moniteurs ?

- Pourquoi pas ? Ça m’étonnerait que j’arrive à me rendormir dans l’immédiat, de toute façon.

Mikey lui proposa le bout de pizzax qu’il lui restait, afin de la réconforter, mais April le refusa en le remerciant, et ils se mirent tous les trois en route pour la salle informatique. Alors qu’ils passaient devant le labo, la rouquine s’immobilisa brusquement.

- Je crois... Je crois que ça vient de là. Oh non, Donnie !

Elle enclencha le système d’ouverture électronique et s’engouffra dans une vaste salle, celle où les scientifiques menaient leurs recherches. Le ninja mauve n’était pas là, et Mikey n’eut aucune réponse lorsqu’il prononça le nom de son frère.

- Allons voir dans l’annexe, proposa Marion.

C’était une salle presque aussi grande, remplie de gigantesques alambics et de cuves diverses, nécessaires à la fabrication du rétromutagène. Donatello n’était pas là non plus. Marion et April ne dépassèrent pas le seuil, au contraire de Mikey qui avança, intrigué, jusqu’à une bonbonne en verre qui émettait un filet de vapeur.

- On dirait que...

- Qu’est-ce que vous faites là, toutes les deux ?

April et Marion se retournèrent promptement pour voir Donnie pénétrer à son tour dans le laboratoire. Il les observa d’un air suspicieux.

- Vous savez très bien que Marianne n’aime pas voir qui que ce soit se permettre d’entrer ici sans son accord.

- On n’a rien touché, Donnie, mais j’ai senti quelque chose, tout à l’heure. Je pense qu’un accident va se produire.

- Où est-ce que tu étais, d’ailleurs ? s’enquit Marion.

- Avec Léo. Il fallait que je contrôle les calculs que ta sœur a lancés avant d’aller se coucher. Je pensais qu’ils seraient terminés, mais ils en ont encore pour un moment.

- Eh oh, les amis ! s’écria Mikey. Vous devriez venir !

- Oh non... Marion, si Marianne apprend que tu l’as emmené ici, elle va nous tuer !

Avant que l’adolescente ait le temps de répliquer, Donnie l’avait déjà repoussée, de même qu’April, afin de se frayer un chemin entre elles. Il braqua un regard courroucé sur Michelangelo, toujours en train d’étudier la bonbonne, dont le nuage de vapeur semblait avoir gagné en épaisseur.

- Mikey, sors de là tout de suite. Tu sais très bien que les laboratoires te sont interdits.

- C’est April qui nous a conduits ici, et je pense avoir trouv...

- Mikey, recule tout de suite, coupa Donnie. Ces appareils sont fragiles, et Marianne a eu un mal fou à concevoir cet ensemble. Si tu casses ne serait-ce qu’une chose, tu...

- Je n’ai pas l’intention de casser quoi que ce soit, mais ça arrivera si...

- Pour la dernière fois, éloigne-toi de cet appareil ! Ne m’oblige pas à te traîner jusqu’à la sortie par la carapace.

- Et si tu l’écoutais, au lieu de lui tempêter dessus ? intervint Marion. Nous sommes en dimension X, et...

- Je sais, je suis le premier à admettre ses qualités dans l’univers kraang, mais en l’occurrence, nous sommes dans une base terraformée, alimentée en oxygène par un générateur, et de surcroît dans un laboratoire, celui de ton intransigeante sœur. Alors Mikey, s’il te plaît, éloigne-t...

Un sifflement strident couvrit la fin de la phrase de Donatello. April écarquilla les yeux, horrifiée, et Marion eut juste le temps de voir le ninja orange leur faire signe de reculer avant que la vapeur ne l’engloutisse totalement. Elle voulut se précipiter vers lui, mais n’en eut pas l’occasion. Au même instant, une explosion retentit et la déflagration les souffla vers l’arrière.

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