La première Eve

Chapitre 18 : Sweetie et Wolfenizer

4111 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 27/01/2020 20:24

 Chapitre 18 : Sweetie et Wolfenizer


CHLOE  

Derrière la porte de sa chambre, Chloé avait rangé un tableau blanc où elle avait commencé à noter plusieurs théories sur la véritable identité de Lucifer et les origines de sa famille.

A proprement parler, ce n'était pas une enquête réalisée sur un sujet très privé, affreusement sensible pour lui. Non, ce n'était pas ça. C'était plus... un moyen de réfléchir à l'énigme qu'il représentait.

Au tout début de leur partenariat, elle avait volontairement renoncé à l'envie d'en savoir plus sur lui. Elle était déjà incroyablement reconnaissante de l'aide qu'il était disposé à lui fournir, alors que personne ne se souciait d'elle – et alors même qu'il s'avérait être le pire débutant qu'elle eut jamais vu. Et elle n'avait nullement envie de faire la fine bouche alors qu'elle trouvait avoir beaucoup de chance. Même si elle appréciait toujours pouvoir travailler avec lui (et que leur relation s'en tienne là), une part d'elle espérait encore qu'il se dégèlerait un peu et commencerait à lui faire assez confiance pour lui parler de son passé. Qu'est ce qui lui valait d'être aussi désespérément talentueux et pourri gâté ? Si indifférent à la vie et à la mort ? Comment il pourrait être à la fois si drôle et si puéril, et à d'autres, aussi sombre et sans pitié ?...

Pendant cette semaine folle qu'ils avaient traversée, elle avait eu l'impression qu'il était peut-être prêt à faire un pas de plus vers elle. En lui demandant de faire semblant d'être sa petite-amie, en suivant les conseils de Trixie sur la meilleure façon de faire sa demande (le petite avait lâché cette bombe au beau milieu du petit-déjeuner). Il était assez dingue pour s'interposer sans arme face à un tireur, juste pour la sauver. Encore une fois. Tout ceci devait bien avoir une signification profonde. Il était infoutu de dire autre chose que « vous comptez beaucoup pour moi, inspectrice ». Fort bien. Compter, cela lui convenait parfaitement. Mais pourquoi ces regards sensuels et affamés ? Pourquoi cet étourdissant sourire chaque fois qu'il la retrouvait sur une scène de crime ? Lucifer n'était peut-être pas un menteur, mais son comportement disait une chose et sa bouche une autre. Se pouvait-il qu'il rêve encore de la séduire, en dépit de sa prétendue « épiphanie » sur le fait qu'elle méritait mieux que lui et des démentis ultérieurs sur ses sentiments ?

Le rose lui vint légèrement aux joues à la pensée ténue de lui donner ce qu'il voulait qui s'insinua dans son esprit. Passons sur le fait qu'elle n'était pas du tout ce genre de femme, elle aimait beaucoup de travailler avec lui. L'idée de le laisser régresser vers son ancienne vie de fêtard licencieux lui déchirait le cœur. Lui accorder une nuit de passion ne l'aurait pas poussé dans la bonne direction. Avec le risque qu'il aille voir ailleurs une fois satisfait et qu'elle se retrouve encore seule. Pour autant, être collègues ne devrait pas obligatoirement signifier indifférence ou froideur. Elle n'avait aucun problème à l'idée qu'ils se connaissent mieux, ou bien de se sentir à l'aise et en sécurité en sa présence.

Peut-être était-il grand temps de faire la moitié du chemin vers lui. Et c'était pour cela qu'en haut du tableau blanc était écrit en lettres capitales :

L'AFFAIRE NON RÉSOLUE DE LUCIFER MORNINGSTAR

Dans les faits, c'était plutôt un questionnement sur les antécédents familiaux ayant marqué son enfance. Les seuls faits connus étaient les suivants : il avait au moins deux sœurs et un frère, une mère dont il avait totalement cessé de parler peu de temps auparavant, et un père dont l'imposante figure continuait à l'obséder beaucoup trop.

Elle avait imaginé cinq possibilités.

1) La pègre ou des gangsters. Il y avait dans son discours beaucoup trop de métaphores sur "Le Parrain", la mauvaise réputation, les "faveurs" qu'il accordait, des accointances pas très nettes. Et des tonnes de fric à ne plus savoir qu'en faire. Même si le Club était une entreprise très profitable (Dan avait vérifié les comptes à fond), Lucifer avait bien trop de biens immobiliers et de liquide dans les poches pour quelqu'un qui comprenait à peine la signification des mots "travailler dur".

2) Une secte religieuse. En ce qui concernait son père, elle aurait bien vu le gourou illuminé d'une secte prospère. En plus, une secte prônant la polygamie aurait pu expliquer tout à fait plusieurs épouses et des enfants qui ne se ressemblaient pas le moins du monde.

3) Grandes entreprises, lobbys ou politique de haut niveau. Il parlait souvent de son père comme d'un homme puissant et très influent, que ce soit au sein de sa famille ou au-delà. Un multi-divorcé ne vivant que pour son travail pourrait avoir imprimé tôt dans l'esprit de son fils que les attachements romantiques ou les engagements matrimoniaux étaient juste des contrats faciles à casser, très temporaires, qu'on pouvait faire et défaire au gré de ses intérêts.

4) Le monde du spectacle. Lucifer était assez ambivalent concernant la célébrité. Secrètement, elle aurait aimé apprendre que Lucifer se sentait proche d'elle parce qu'il aurait été le fils d'un chanteur renommé (dont il aurait pu hériter sa passion pour la musique). Après tout, ils s'étaient rencontrés sur le meurtre de la chanteuse Delilah, il connaissait plein de monde dans le milieu de la mode... Mais comme ils vivaient à LA, ce n'était pas tellement un indice significatif. Chloé ne partageait pas l'avis d'Ella qui le voyait comme un acteur en représentation permanente de son rôle. Elle-même avait été dégoûtée à vie des paparazzis mais Lucifer tout au contraire adorait être le centre de toutes les attentions. Le défaut de cette théorie : jouer la comédie, c'était faire semblant. Entre ça et mentir, la frontière était peut-être bien trop mince.

En marge de ces options, elle avait relevé qu'il était très amer d'avoir été abandonné, ce qui la conduisait à sa piste la plus réaliste et la moins tirée par les cheveux de toutes :

5) Un orphelinat. Grâce à ce qu'il avait dit de sa sœur Lilith, qui n'aurait pas été vraiment sa sœur, mais simplement considérée comme telle, elle avait peaufiné cette nouvelle théorie additionnelle. Lorsqu'elle avait rencontré Amenadiel, ce dernier avait laissé entendre que l'un des deux frères avait été adopté. Alors peut-être que tout était vrai, mais d'une façon symbolique. Si l'on en croyait Linda, Lucifer adorait les "métaphores" qui lui permettaient d'exprimer ce qu'il ressentait avec la sécurité que procurait la mise à distance. Peut-être avait-il grandi avec d'autres enfants abandonnés ? Peut-être que son père n'était pas son vrai père mais plutôt le directeur de l'orphelinat ? A un moment donné, cet homme avait dû être marié à une Charlotte Richards à peine majeure (bien avant qu'elle ne se mette à défendre des criminels en tant qu'avocate). Peut-être alors qu'Amenadiel était le vrai fils, luttant pour avoir l'amour de son père, parmi plein d'autres enfants perdus en souffrance ?

Cette dernière option lui semblait parfaite, sensée, raisonnable et intéressante. Bien loin du fantasme d'un golden boy, elle lui parlait bien davantage. Elle expliquait la raison pour laquelle il avait tant besoin d'être « reconnu » si ses parents s'en étaient débarrassés comme un paquet indésirable. S'il venait d'un milieu précaire, peut-être que son père avait été mis en prison, en laissant son fils aux mains de l'assistance publique. Ainsi, il pouvait croire qu'il ne disait pas de mensonges. Il avait bien un grand nombre de "frères et sœurs", c'était "normal" qu'ils soient tous différents. Et par-dessus tout, cela pouvait expliquer pas mal de choses s'il avait été attiré par une « sœur » légèrement plus âgée. Elle n'avait aucun mal à l'imaginer en ado déjà très séduisant. Si le directeur avait surpris les deux jeunes à partager le même lit, il aurait pu décider de régler le problème en expulsant Lucifer... C'était là une très bonne théorie. Pourtant, d'autres traits de caractère assez perturbants lui faisaient froid dans le dos, car ils impliquaient une suspicion de mauvais traitements ou des abus sur enfant mineur.

1) Blessures physiques. Tout d'abord, il y avait les cicatrices atroces dans son dos ! Elle n'avait jamais eu le courage d'en reparler avec lui. Une brutalité si crue était plutôt inhabituelle dans un milieu aisé, mais pas dans la Mafia. Même s'il paraissait accuser son père d'en être responsable, était-ce nécessairement une responsabilité directe ? Ou par exemple aurait-il été enlevé et torturé par des personnes espérant en tirer une rançon si sa famille était pleine aux as ? Peu de temps auparavant, il avait parlé pendant des jours, son "kidnapping" dans le désert. Le fait déclenchait-il en lui de mauvais souvenirs, dus à une expérience antérieure traumatisante ?

2) Libertinage éhonté. Tout le monde s'accordait sur la chose : Lucifer était considéré comme un homme excessivement désirable et il en tirait le plus possible avantage. Elle avait encore en tête les rapports de témoins prouvant qu'il pouvait faire face à un nombre totalement aberrant de rencontres sexuelles en un mois. Mais dans le même temps, il dédaignait tout contact qui ne serait pas d'ordre sexuel. Il était peut-être très doué pour donner du plaisir, mais refuser les câlins joyeux d'Ella, de tenir la main à Trixie ou simplement de la prendre elle-même dans ses bras... Tout semblait indiquer qu'il n'avait jamais connu de véritable affection. Et c'était vraiment une chose qui lui faisant monter les larmes aux yeux.

C'était bien là une autre raison pour laquelle elle trouvait difficile de creuser le sujet : elle craignait ce qu'elle pourrait découvrir. Et si elle se mettait à ressentir de la pitié ? Lucifer avait sa fierté, il ne prendrait pas bien ses investigations, tout spécialement si elle levait le voile sur une enfance malheureuse ou dramatique... En dépit de tout le charme qu'il était capable de déployer, elle aurait pu jurer qu'il se sentait peu sûr de lui de temps à autre, même s'il le cachait bien.

Et c'était là la raison pour laquelle son tableau ne servait à rien du tout.

Il s'y trouvait trop de théories et pas la moindre piste sérieuse. Papiers d'adoption ? Rien. Vieux articles de journaux ? Rien. Chaque possibilité comportait une once de plausibilité. Elle avait même considéré l'opportunité fantaisiste qu'il puisse être un membre d'une famille royale dans un lointain pays de l'Est et entré aux Etats-Unis grâce à un passeport diplomatique. Mais tout cela ne fonctionnait pas bien, une fois replacé dans un contexte plus global.

Donc que lui restait-il d'autre sinon aller lui parler franchement, pendant qu'elle se sentait encore un petit peu le courage d'une Wonder Woman ? En plus, il lui restait assez de temps avant de devoir passer prendre Trixie.

Sans s'en rendre compte, elle massa doucement son poignet droit. Elle remarqua qu'il était un peu plus chaud, mais sous sa manche : aucune éruption cutanée, tout était normal. Du coup, elle ne s'en préoccupa pas davantage.

Personne ne lui avait donné la moindre explication sur ce qui lui était vraiment arrivé. Les médecins s'étaient contentés d'avoir l'air embarrassé. Au fond d'elle, elle soupçonnait que Lucifer aurait pu avoir quelque chose à dire sur la question. Pourtant son cerveau rationnel ne l'acceptait pas, soulignant le fait qu'il avait été très inquiet à la nouvelle, ou à la possibilité qu'elle soit blessée. Mais par contre, l'objet en lui-même ne l'avait pas du tout impressionné. C'était un peu bizarre mais elle n'avait pas cherché à comprendre, parce qu'il avait gardé son sang-froid tout du long et qu'elle y avait puisé beaucoup de réconfort. A ce moment très précis, elle avait ressenti qu'elle pouvait aveuglément compter sur lui. Et ce sentiment avait été électrisant.

.°.


LUCIFER

Quand les portes de l'ascenseur s'étaient ouvertes avec un tintement clair, il était penché derrière son bar, torse nu, chiffonné, ébouriffé, avec un ombre de barbe plus marquée qu'à l'ordinaire. Il fourrageait impatiemment dans les placards quand il vit Chloé entrer chez lui. Ses traits se détendirent instantanément.

Il avait bien cru ne jamais avoir le plaisir de la revoir.

— Inspectrice !

— Je suis navrée de venir comme ça sans prévenir. Est-ce qu'il vaut mieux que je repasse ? Je veux dire est-ce que vous avez... euh... de la compagnie ?

Elle avait chuchoté la dernière question avec un petit mouvement de la tête en direction de sa chambre. Il remarqua qu'elle avait cette expression toute particulière qu'il adorait. Ce regard étincelant à la fois timide et audacieux, qui disait plus ou moins : Je ne vais pas vous faire le plaisir de me faire rougir avec vos bêtises. Je vais gagner à qui baissera les yeux le premier. Je suis une femme adulte forte et plein d'assurance. Pas jalouse du tout. Pas le moins du monde menacée par ces coucheries insignifiantes avec tout le monde et n'importe qui... Parce que je sais que pour vous, je suis très spéciale.

Bon, elle n'était probablement pas du tout en train de penser cela. Il avait beau avoir désespérément envie que ce soit le cas, elle n'était pas du tout impressionnée et ses fantasmes ne mèneraient à rien d'autre que de jeter la dernière pelletée de terre sur leur relation amicale. Alors qu'il détestait les mensonges, ces fantaisies irréalistes lui semblaient pourtant très agréables.

— Personne, je suis tout à vous... Je suis rentré chez moi il y a moins d'une heure et j'ai trouvé le penthouse dans cet état...

Elle s'éclaircit la gorge. Ses yeux bleus faisaient leur possible pour essayer d'éviter ses abdos, ce qui était très vexant maintenant qu'il en avait de splendides.

— Qu'est-ce qui s'est passé ? Votre femme de ménage s'est mise en grève ?

— Non, j'étais en ville en train pour un rendez-vous de travail et cela m'a pris plus longtemps que prévu. C'est de ma faute. Sweetie était seule ici et cette pauvre créature a ravagé tout l'appartement à la recherche de quelque chose de comestible... Ah, les voilà ! De jolies croquettes toutes rondes...

Derrière son babillage, Lucifer n'avait pas la plus petite intention de lui révéler qu'il venait de passer plusieurs longues heures, enfermé dans la chambre froide fortifiée d'une usine abandonnée. L'Ultime Pécheur s'était révélé à lui et avait enfin déclenché ouvertement les hostilités. Terminé le temps des vagues menaces, et il n'était pas "parano" d'avoir cru que quelqu'un en avait vraiment après lui. Si Maze ne l'avait pas retrouvé grâce à leur ancien lien d'invocation, il serait resté là pour toujours, à attendre une mort très lente, torturé d'anxiété à l'idée que Chloé ne soit blessée par un fou... Et comme il était profondément égoïste, la pensée qu'après sa mort elle irait au Paradis – un endroit où il ne pouvait plus remettre les pieds pour la revoir – n'était pas le moindre de ses tourments. [1]

Parfaitement ignorante des sombres pensées qui roulaient sous son crâne, Chloé lui demanda innocemment :

— Qui est-ce que vous appelez sweetie ?

Il se força à un sourire joyeux.

— Si je peux la retrouver, j'aimerais vous présenter à cette vilaine petite chipie qui a pissé sur ma chemise il y a cinq minutes... Comme d'après l'adage, les femmes sont toutes les mêmes, je ne sais pas si elle défaillait de bonheur de me revoir, ou si elle me punissait de l'avoir laissée toute seule... Si vous voulez bien, je vais passer une autre chemise...

Chloé approuva vigoureusement avec un geste embarrassé de la main.

— Faites, je vous en prie. Je trouve ça un peu difficile à croire mais... est-ce que j'ai raison de supposer que vous parlez d'un chien ou d'un chat ?

Il fit coulisser la porte de son impressionnant dressing et marmonna quelque chose à propos d'un bleu plus sombre. Il la laissa délibérément ouverte quand il marcha jusqu'à son lit king size, mit un genou à terre et commença à roucouler :

— Ah mais te voilà, petite terreur ! Crois-tu donc que je n'ai pas vu que tu as aussi grignoté le pied de mon piano ? C'est impardonnable. Je t'avais pourtant prévenue de ne pas t'en approcher !

Il n'avait pas du tout l'air en colère. Chloé en resta bouche bée quand elle le vit revenir dans le salon en transportant contre sa poitrine un petit lapin tout tremblant. Il était certain que cette vision ne lui semblerait que trop familière. La confirmation ne se fit pas attendre :

— Est-ce qu'elle a des ailes ?

Les yeux rivés aux siens, il ne cherchait pas à cacher combien il était désespérément attiré. Puis il sembla se reprendre et sourit effrontément avant d'aller jusqu'au piano. Un genre de tiare bizarre était posée sur le couvercle.

— Vous avez tout à fait raison, Inspectrice. Je lui ai offert ça pour sa naissance. Mi collier, mi serre-tête, agrémenté de ces petites choses noires duveteuses sur le dessus. Regardez, si je le pose comme ça sur son dos, elle est tirée à quatre épingles et s'accorde parfaitement à mon costume. Qu'est-ce que vous en dites ?

— Pitié, dites-moi que ces brillants sont du zirconium... vous n'avez décemment pas pu utiliser de vrais diamants, n'est-ce pas ?

Il arbora un sourire hésitant.

— Mais il fallait que ça s'accorde avec mes boutons de manchette... Oh, ne faites pas cette tête, je ne suis pas stupide, je ne la laisserai pas le porter tous les jours, seulement pour les grandes occasions...

.

CHLOE

Chloé le contempla en train de poser délicatement le lapin nain sur la surface noire et polie de son piano.

— Reste là et ne bouge plus, ma mignonne, je vais te prendre en photo pour la mettre sur mon Insta... Oh, qu'elle est jolie ! Non, pas ta charmante petite queue toute ronde. Par ici, montre à Papa ton joli nez rose...

Chloé ne put se retenir de pouffer discrètement derrière ses doigts. Qui l'eut cru ? Lucifer, égocentrique à 10 sur l'Échelle de Richter, était plus gaga avec son animal que la "grand-mère arthritique" qu'il l'accusait d'être.

— Quoi, vous ne la trouvez pas adorable ?

— Oh si. Mais c'est quelque chose de vous voir vous occuper de quelqu'un d'autre que vous-même... Je me demande pourquoi vous avez changé d'avis envers ce genre de responsabilités. Cela ne vous ressemble pas beaucoup.

— Je sais, mais c'est ma sœur qui me l'a donnée. Et Linda a été catégorique : caresser un lapin peut aider les gens à se sentir mieux quand ils ne vont pas bien. Alors j'ai décidé d'essayer pendant quelques jours...

— Est-ce que ça signifie que vous allez vous en débarrasser quand votre intérêt se sera dissipé ?

Ce n'était pas très gentil de sa part de sous-entendre ce qu'elle sous-entendait, mais elle n'avait pas prévu que sa réponse honnête lui brise un peu le cœur.

— Je ne sais pas. Je n'ai jamais eu d'animal domestique avant. Mais je ne me vois pas faire une telle chose. Regardez-moi ces magnifiques billes d'yeux à faire fondre... Elle est si douce et si calme, je ne veux pas qu'il lui arrive quoi que ce soit de mal...

Elle se croisa les bras et fit passer son poids sur l'autre jambe – toutes deux revêtues d'un jean très étroit et de bottes à talons hauts.

— Mhh, d'après ce que je vois, on dirait bien qu'elle sait déjà vous mener par le bout du nez ! Ne venez-vous pas de dire que vous étiez son "papa" ? Vous êtes cuit, camarade, et bienvenu chez les parents !

— Non pas du tout. Mais je sens bien que vous êtes d'humeur taquine avec moi, Inspectrice.

— Peut-être juste un peu... Vous avez conscience qu'avant d'avoir le temps de dire ouf, elle commencera à avoir des petits-amis. Et qu'est-ce que vous ferez alors ?

Cessant de la mitrailler sous tous les angles, il laissa son téléphone de côté et s'appuya pensivement sur son instrument.

— Mais c'est bien simple : elle n'aura pas le droit. Est-ce que vous croyez que je vais laisser le premier Jeannot Lapin venu, couvert de jeans et de tatouages, avoir ma précieuse petite, juste comme ça ? demanda-t-il en claquant les doigts.

Il ne plaisantait qu'à moitié et appréciant infiniment ce léger badinage inconséquent avec elle, car il était rare. Et il était si soulagé de la retrouver en bonne santé et d'humeur joueuse.

— Jeannot Lapin ? Ha ha ha ! Parce que vous croyez que vous aurez cette chance ? Non ! En tant que fille du Diable, elle est vouée à ramener à la maison un énorme loup plein de dents, en smoking, et dont vous verrez venir les intentions réelles à dix kilomètres... Et elle vous dira de sa petite voix silencieuse : Papa, je te présente mon nouveau petit-ami Wolfenizer [2], je l'aime teeeeellement ! Il a une voiture noire hyper cool, qui roule super vite, et il veut qu'on fasse une soirée pyjama dans son terrier trop stylé !

Lucifer lui adressa un sourire carnassier de son cru, conscient qu'elle parlait sûrement d'une vieille affaire – en fait une des premières sur lesquelles ils avaient travaillé ensemble.

— Vous ne m'avez toujours pas pardonné de m'être indigné devant quatre cent personnes de votre refus de coucher avec moi ? [3]

— Ce n'est pas vrai. Je vous ai pardonné.

— Oh, ça fait un point pour vous et zéro pour mon Père ! Est-ce que je peux vous demander... pourquoi ?

— Et bien monsieur J'accordeDesFaveurs, vous auriez pu deviner. Peut-être que je compte sur votre aide quand ma fille commencera à flirter avec des garçons qui vous ressembleront trop et se comporteront très exactement comme vous. Parce que vous êtes son adulte préféré, je m'attends à quelques problèmes...

— Mais s'ils osaient toucher Trixie, je serais plus que ravi de les terrifier jusqu'à se chier dessus. Et vous pourrez probablement compter sur Maze pour les pourchasser de son propre chef...

Chloé lui adressa un sourire ravi ce qui le fit fondre.

— Tope-là, partenaire !

— Faites attention, jeune fille, vous formez un pacte avec le Diable. Il s'attendra bien à ce que vous lui retourniez la politesse ultérieurement.

— Ah, mais j'espère bien ! J'ai hâte de voir si vous valez quelque chose quand il s'agit de limiter la casse.

Mettant un terme à ces plaisanteries, elle redevint soudain sérieuse et baissa la tête pour l'informer qu'elle allait devoir aller chercher ladite rejetonne à l'école.

— Déjà ? Non, s'il vous plaît, ne jouez pas les rabat-joie ! Est-ce que vous ne pouvez pas rester encore un peu ?

— Non, je pense que ce ne serait pas sage. Je pourrais être tentée.

— Vous me taquinez encore, inspectrice... Quel genre de tentation aviez-vous à l'esprit ?

— Oh barbante, j'imagine. Vous savez comment je suis.

— Pas aussi bien que j'aimerais. Est-ce qu'au moins vous allez me dire quel est votre plus profond désir, Chloé Jane Decker ? Laissez-moi un peu d'espoir. Serait-ce le baiser enchanteur qui hante vos pensées depuis le moment où je vous l'ai promis ?

.

.

(à suivre)


Notes de l'auteur

[1] Saison 3 épisode 9 "The Sinnerman" – Ma fanfiction est censée se dérouler avant l'épisode du Sinnerman (l'Ultime Pécheur) mais j'ai légèrement avancé cette scène pour les besoins de la cause

[2] Construit sur Wolf (loup) et Womanizer (séducteur impénitent, coureur de jupon). Notez aussi que Wolfenizer rappelle aussi Weaponizer, le film d'action factice dont le nom revient comme un gimmick tout au long des trois saisons.

[3] Saison 1 épisode 4 (Manly Whatnots / Un mec qui assure). Dans cet épisode un coach en séduction incitait les hommes à se considérer comme des loups et les femmes comme des petits lapins…

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