Et la lumière fut

Chapitre 3 : Sale petit démon

3102 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 31/03/2017 08:56

  • Chapitre trois - Sale petit démon



L'ange de lumière ouvrit les yeux. L'obscurité parut l'écraser un moment, cillant pour tenter d'y voir plus clair.


Lorsque le voile sombre troublant sa vision s'estompa en dévoilant le décor, Samael fut saisit de surprise, brusquement tiré de son état comateux. Abasourdi, il tenta de se mouvoir dans un bruit métallique pour très vite constater qu'il était enchaîné au mur, bras en croix, ses ailes complètement liées. Ces dernières étaient soigneusement entravées par des lanières de cuir qui, en faisant le tour de son torse nu, mordaient douloureusement sa chair. Les liens qui le retenaient, vibraient à une fréquence qui neutralisait la résonance angélique. Il les sentait bourdonner contre sa peau.


Le prisonnier regarda nerveusement autour de lui. Il se trouvait dans un immense cachot, humide et maculés de fluides gluants, d'un bleu inflammatoire. Sa prison ressemblait à une salle de torture démoniaque équipée de lames destinées à trancher des chairs. Le décor baignait dans une lumière bilieuse qui dansait sur une arythmie surnaturelle et troublante. Chauds et humides, ses rais, comme autant de traits morbides, lustraient de moiteur tout ce qu'ils effleuraient.


Éparpillées à intervalles apparemment aléatoires dans des niches qui truffaient les murs, brillaient les sources de cette lumière infâme : des bougies épaisses et laides, de deux à cinq mètres de haut. Seule une étude minutieuse de ces piliers de cire révélait les silhouettes démoniaques qui en étaient prisonnières. Leurs contours se troublaient là où la chair se mêlait, et chaque détenu fondait ainsi lentement, trop lentement, son corps, sa vie, son âme, son être entier alimentant la flamme.


Quelqu'un l'avait enfermé ici et il devait s'en échapper le plus vite possible.


La colère monta et il exerça davantage de pression sur ses chaînes.


En vain.


Soudain, il perçut un bruit au fond de sa cellule, une sorte de répugnant déglutit qui lui donna un frisson tout le long de l'échine.


Parmi les hideuses petites créatures qui rampaient dans la pénombre, il vit cette chose de chair grasse non loin de lui, laissant à peine apparaître ses yeux rouges. Ses chaînes cliquetaient quand elle tira sur ses liens, des bandes argentées parcourues d'un anneau de lumière blanche. Elle s'avança en gémissant, recouverte de minuscules bouches dénuées de lèvres et hérissées de dents pointues qui s'ouvraient par intermittences, auxquelles il fallait ajouter de petits bras qui drapaient la graisse suintant de chaque crevasse.


Une autre remua dans le coin opposé, en sifflant et en grognant, un démon reptilien au calme trompeur prêt à se détendre comme un cobra.


Plus en retrait encore, il perçut le mouvement d'une ombre, plus petite cette fois.


Une forme plus profonde que la nuit elle-même qui bougea imperceptiblement. L'éclat d'un sourire éclaira brièvement un visage attentif qui se rappela très vite au souvenir de Samael comme étant celui de la mystérieuse démone de plaine. Il la regarda avec prudence, admirant d'abord la chaine dorée autour de son cou qui reposait entre ses seins halés, puis s'attarda sur son ventre plat et musclé, ses hanches fines et ses longues jambes fuselées aux cuisses puissantes et aux mollets galbés. Son incroyable physique était parfaitement nimbé dans des morceaux de tissus diaphanes. Puis une voix s'éleva, aigre-douce, bien qu'un peu tranchante, qui le marquait tel un fer rouge.


- C'est toi ! n'est-ce pas ? demanda t'elle en marchant rapidement en direction de sa personne, son œil noir brillant d'espoir, c'est toi qui a lancé l'appel ?


Le prisonnier la regarda avec défiance, se tortillant une nouvelle fois pour essayer de se libérer de ses entraves.


- Un appel ? Mais de quoi parles-tu à la fin ? s'agaça Samael en reculant brusquement sa tête en arrière pour éviter la proximité avec sa geôlière. Il put apercevoir de fines lignes rouges s'entrecroiser sur sa peau et ses longs cheveux de nuit. Ces lignes provenaient sans doute du sang éclaboussé de créatures qu'elles venaient d'éviscérer.


La tortionnaire se tenait maintenant à quelques centimètres de son visage, son œil de néant y analysant chaque trait, comme pour chercher quelque chose, ou quelqu'un. Elle le regarda de haut en bas. Ses lèvres sombres s'entrouvrirent tandis qu'elle passait sa langue le long de ses dents, qui ordinairement blanches, se teintaient d'un jaune flamboyant à la lumière des lieux.


Si proche, elle sentait toujours cette énergie, ce rugissement sourd, comme celui d'une cascade ou d'une tempête. Cela vibrait dans son crâne et dans la substance de ses pensées et, autour de ce son, les ténèbres se diffusaient.


Elle contempla ce visage dur faiblement éclairé et indéniablement séduisant. La démone percevait quelque chose de différent en lui : une allure truculente qui dissimulait un sens certain de l'honneur, certes, quelque peu faussé mais qui n'en restait pas moins un code de conduite bien défini.


- Ça suffit ! gronda l'ange d'une froide assurance, je ne comprends rien à ce que tu me racontes. Il marqua une pause tout en balayant la salle d'un air circonspect, et puis c'est quoi cette mise en scène ? Tu crois me faire peur avec tous tes jouets, sale petit démon !


- Doucement mon grand, je te trouve bien impoli… dois-je te rappeler qui a sauvé ton beau plumage blanc du roussi !


- De mon point de vue, je n'aurais pu faire preuve de plus de courtoisie. En revanche, si tu veux goûter à mon impolitesse, libère-moi et je serai ravi de t'en faire une petite démonstration.


La démone s'esclaffa, son rire tonnant à travers la vaste chambre en échos assourdissants si bien que les créatures serviles à ses côtés posèrent sur elle des yeux éberlués.


- Oh, dit-elle entre deux éclats, essuyant une larme d'un doigt, tu devrais prendre garde à ne pas menacer n'importe qui. Un jour, tu risques de tomber sur quelqu'un qui ne le prendra pas aussi bien que moi.


- Le moment venu, je saurai m'en souvenir...


La tortionnaire se raidit violemment. Ses traits se tordirent en un rictus de rage et de stupéfaction avant de se changer lentement en une expression de respect teintée de méfiance. Cet emplumé ne manquait pas de courage, ou d'inconscience… C'était au choix.


- Continue avec cette attitude, et tu auras bientôt siphonné ma dernière goutte de patience.


Samael secoua doucement la tête, et quelques mèches de ses cheveux noirs se perdirent devant ses yeux.


- Je n'en crois pas un traitre mot, dit-il d'une moue moqueuse.


- Tu ne me crois pas lorsque je dis m'impatienter ?


- Non, je ne crois pas au fait que tu possèdes la moindre once de patience de toute façon.


Une nouvelle fois, le visage de la belle démone se gâta d'une grimace de rage. Et une fois encore, une fraction de seconde plus tard, elle riait aux éclats.


- Tu prends indéniablement plaisir à te jouer de moi, n'est-ce pas ? Très bien, mais prends garde, si tu ne veux pas que je t'arrache la langue pour m'en servir de semelle, je te conseille de la ménager.


- Je ne te promets rien, répondit-il d'un sourire malicieux, les cieux eux-mêmes n'ont jamais réussi à me faire taire…


Subitement, la démone lui empoigna violemment les cheveux pour ensuite orienter son visage dans sa direction. Elle murmura une phrase inintelligible, et un instant plus tard, l'ange comprit qu'il s'agissait d'un sort.

Des mains surgies de nulle part se resserrèrent autour de sa gorge. Il ne put qu'haleter, les yeux écarquillés tandis que la tortionnaire, manifestement satisfaite, lui gratifiait de son plus beau sourire carnassier.

Alors qu'elle regardait son prisonnier happer de difficiles bouffées d'air comme s'il s'agissait d'un effort démesuré, la démone laissa glisser sa main sur sa barbe rugueuse, avant de maintenir fermement son menton.


- Oups ! on dirait bien que le sale petit démon a accompli ce que les cieux n'ont jamais réussi à faire…


Samael essaya d'articuler quelque chose, ne réussissant qu'à souffler laborieusement sa question.


- Mais… qui… es….tu… ?


La tortionnaire émit soudain un son que l'ange de lumière aurait eu du mal à décrire comme autre chose qu'un aboiement. Puis, elle leva le poing en l'air et ouvrit sa paume, annulant immédiatement la pression exercée autour de sa gorge.


- C'est vrai, je ne me suis pas présentée dans les règles, dit-elle en se penchant en avant, son mouvement d'une théâtralité experte, révélant juste assez de peau nue pour susciter chez son interlocuteur un inconfort malvenu. Je m'appelle Mazikeen, gardienne des âmes. Et toi ? quel est ton nom ?


Bien qu'il fît son possible pour la dissimuler, l'ange tressaillit, ses yeux onyx ne purent cacher cette fugace mélancolie.


- A quoi bon de te le dire, tu le connais déjà, souffla t'il en baissant pour la première fois le regard au sol, et ce n'est plus le mien de toute façon.


La geôlière fit mine de réfléchir de longues secondes, un doigt tapotant sa joue, les autres caressant délicatement le tissu diaphane, comme si elle ne pouvait s'empêcher, même inconsciemment, de se faire outrageusement séductrice.


- Oui, en effet je le connais… comment pourrait-il en être autrement après tous tes exploits... je voulais simplement te l'entendre me le dire.


- Et bien dommage pour toi Mazikeen, ça ne sera pas le cas, avertit l'ange les lèvres serrées.


C'était trop douloureux de se rappeler son nom, cela le renvoyait à son bannissement, à l'indifférence insupportable de sa mère, à l'implacabilité de son père et au mutisme de ses frères et sœurs. Il se souvint de cette sensation nauséeuse, perturbante, lorsqu'il fut jeté en perdition dans le portail. Quelque chose avait pénétré dans son âme, cette division funeste du bien et du mal moral. A partir de ce moment, une lutte terrible et incessante avait commencé en lui. Ainsi placé entre la lumière et les ténèbres, les portant à la fois au fond de son être, il s'était sentit poussé intérieurement, et attiré au dehors des deux côtés car il avait en lui comme un aimant repoussant deux pôles contraires.


- Tu es l'instigateur de la rébellion des cieux, poursuivit la gardienne, le porteur de la lumière banni par le créateur...


L'ange se figea, lui intimant par un regard mauvais de se taire immédiatement.


- Ne t'avise pas à dire mon nom...


- Rassure toi, je ne le prononcerais pas. Du moins, pas celui-là.


Mazikeen marqua une pause, étudiant le changement soudain d'attitude du déchu qui la regardait à présent avec perplexité.


- Que veux-tu dire ? Je n'en ai pas d'autre, rétorqua l'ange.


- Tu te trompes, l'enfer t'a aussi baptisé… et ici ton nom est Lucifer


Trois clignements d'yeux discrets trahirent la surprise de l'ange, suffisants pour faire comprendre à la gardienne qu'il ne s'attendait pas à cette révélation. Alors comme ça, le monde des ténèbres lui avait donné un sobriquet. Il était si connu que cela ? Ironie du sort, lui ignorait presque tout de l'enfer. Il n'avait jamais été assigné aux patrouilles comme Amenadiel et ses autres frères, ni côtoyé beaucoup de démons. Il ne les connaissait que dans les archives de la flèche, l'immense bibliothèque de la cité d'argent. A un moment, Samael s'était même demandé si son père n'avait pas délibérément agi de la sorte pour le préserver, lui son fils préféré.


Soudain, les chaines qui entravaient bras et jambes du prisonnier s'ouvrirent, le tirant brutalement de sa réflexion. Son corps chuta sans ménagement aux pieds de la démone, qui se contenta de le regarder bras croisés, sans émotion. Soulagé l'être céleste se hâta de se relever et de délier les insupportables sangles pour libérer ses membres trop longtemps contenus.


- Merci… lui murmura-t-il du bout des lèvres, trop affairé par le débarras des lanières de cuir. Une fois la chose faite, Il déploya enfin pleinement ses ailes blanches dans son dos.


La démone le regarda longuement, son œil noir vagabondant nerveusement sur sa personne. En effet, elle ne tarda pas à faire partager son impatience.


- Maintenant que je t'ai libéré, Lucifer, montre-le-moi !


Si l'ange ressentit la moindre inquiétude devant le ton menaçant de la démone, il n'en laissa rien paraître.


- Quoi ? demanda t'il en levant ses sourcils noirs, Je ne comprends pas ce que tu veux…


- Celui qui a massacré ces créatures dans la plaine, celui qui m'a appelée, Montre-le-moi !


L'ange se raidit, comprenant enfin de quoi elle parlait, elle le voulait lui, ce monstre qui avait marqué sa mémoire d'une désagréable expérience et l'envie de ne surtout plus la revivre.


- Écoute, dit-il en affaissant ses épaules, ce pouvoir n'est pas le mien… il s'est immiscé en moi à mon arrivée, sans que je puisse le contrôler… Enfin, tu étais là ! tu as bien vu le résultat... Je ne sais même pas si…


La réponse ne se fit pas attendre.


L'uppercut qu'assena Mazikeen ne fit pas que le soulever légèrement du sol : elle le projeta dans les airs et l'envoya s'écraser à plusieurs mètres d'elle. Le sol du cachot se brisa sous son poids et du pus écumant exsuda du sol souillant ses ailes.


Lorsqu'il se releva, sa mâchoire serrée avait virée au pourpre, et la démone avait déjà parcouru la distance qui les séparait.


- Je veux le voir ! me suis-je bien faite comprendre ?


Le poing de Samael se serra malgré lui, son corps se mit à trembler de rage, mais il réprima l'envie de la frapper autant que d'invoquer sa lame de lumière pour la trancher en deux.


- Mais je ne peux pas !


Un deuxième coup, à la poitrine, l'envoya voler plus loin encore. Il brisa le sol sous lui, et, une fois de plus, l'être céleste se releva en titubant. Lorsqu'elle approcha, Mazikeen enserrait dans chacune de ses mains, ses poignards.


- Maintenant je te préviens, j'en ai fini de jouer avec mes poings… MONTRE-LE MOI !


Cette fois, elle lui lança l'une de ses lames en pleine tête mais ce fut sans compter sur les réflexes surnaturels de L'ange qui l'attrapa au vol.


- Arrête immédiatement petit démon ! ordonna t'il en balançant le poignard au sol.


- Lâche ! tu as peur c'est ça ? tu as peur d'affronter ce que tu es censé devenir.


- Peur de quoi ? Je n'ai rien à faire ici ! l'enfer n'est pas ma place !


- Ah bon, tu crois ça, Lucifer... tiens regarde...


A sa grande surprise, elle lui nargua devant le nez un objet familier qui ne le laissa pas indifférent.


- Ma pièce pentecôtiste ! s'exclama t'il avec stupeur, tu me l'as prise, saleté !


- Si je me souviens bien, une protection des cieux pour les anges pénétrant l'enfer… un passe-droit… Il m'est arrivé de croiser aux portes certains de tes frères en possession de cette chose.


- Donne-la moi tout de suite, gronda t'il en tendant sa main dans sa direction, je ne le redemanderais pas.


Mazikeen lui offrit en retour un sourire narquois tandis qu'elle s'amusait à faire sautiller le cercle en métal dans sa paume.


- Pas très performante ta fameuse pièce, ton arrivée tonitruante peut en témoigner.


Samael, ou le tout nouveau dénommé Lucifer, réprimait de plus en plus difficilement la frénésie ardente qui consumait son âme. Ses yeux commencèrent à rougeoyer lentement, annonçant le sinistre compte à rebours de l'explosion finale.


- Et tu veux savoir pourquoi ça n'a pas marché ? reprit-elle dans une ultime provocation, c'est parce que tu n'es plus un ange… Lucifer.


- SALE PETIT DÉMON !


A cet instant, tout bascula.


Il sentit la chaleur bruler en lui, envahir ses membres, embraser son corps pour lui procurer une force sans précédent. Dans un rugissement guttural, le déchu se jeta sur Mazikeen qu'il percuta de toute sa colère. Un choc fantastique auquel elle ne s'attendait pas. Les deux masses se propulsèrent contre le mur qui s'effrita sous l'impact. La démone, incrustée dans la pierre qui s'était moulée à sa forme, exhala un soupir orgasmique. Une jubilation placardée sur sa grimace. Une jouissance naissait, sans qu'elle puisse réellement comprendre, pour celui qui, elle en était sure, était sa raison d'exister.


Son apparition terrifiante d'un rouge volcanique anima les créatures, une panique aux effets effrayants. Aussitôt, les démons rassemblés dans la salle se retournèrent, puis s'enfuirent en toute hâte, marchant, rampant, ondulant, chutant, avant de disparaitre dans une cavité dissimulée dans l'ombre. Quelques secondes plus tard, leurs sanglots s'évanouissaient à leur tour. Les deux plus grosses, quant à elle, couinèrent de douleur tout en se recroquevillant dans les coins.


Mazikeen entendait également résonner au-delà de la prison, aux delà des terres désolées, les cris qui avaient plus à voir avec des hurlements d'affliction et de suffocation s'additionnant pour susciter la clameur d'une folie.


Le démon rouge aux yeux flamboyants noua ses mains autour de son cou. Il sentit sous ses doigts le sifflement de l'air pénétrant sa gorge, serra plus, vit ses veines gonfler, rougir, bleuir. Pourtant malgré la pression, la tortionnaire continuait d'afficher ce sourire machiavélique.


De longues secondes s'écoulèrent, avant que Lucifer daigne enfin relâcher sa prise. Il baissa son regard de feu sur ses mains tremblantes, décharnées par les brulures, avant de le remonter lentement sur Mazikeen d'une expression teintée de stupéfaction et de frayeur.


- Enfin ! te… voilà… mon diable ! soupira t'elle langoureusement.



à suivre

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