Et la lumière fut

Chapitre 2 : Un ange à apprivoiser

2689 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 31/03/2017 08:32

  • Chapitre deux - Un ange à apprivoiser




Avant la chute



La passerelle sur laquelle Samael se trouvait était d'un argent étincelant, assez brillant pour aveugler quiconque s'attardait à trop le contempler. Des arcs-boutants donnaient au pont son assise, et les colonnes d'eau sans source naturelle apparentes chutaient telles autant de fontaines scintillantes entre chaque arche. Elles déferlaient dans le vide et disparaissaient en contrebas sans qu'on pût distinguer leur point de chute. Leur chant infatigable avait quelque chose de musical.


Sur les bords de la travée s'élançaient des saillies rocheuses sur lesquelles poussaient des bosquets d'arbres noueux et autant de buissons verdoyants. Sur quelques-uns de ces bras de roc se dressaient, la pierre érodée et grêlée par les siècles.


La cité d'argent était agencée en de nombreux paliers qui s'élevaient jusqu'au plus haut des cieux. Les niveaux étaient constitués d'iles aérienne. Ces petites parcelles de terre flottaient librement, se moquant de la plupart des lois physiques fondamentales. Déchiquetées sous leur surface telles des montagnes inversées, elles regroupaient de nombreuses routes et bâtisses.


Par la création, les bâtisses ! Des tours qui perforaient les nuages, d'éminentes cathédrales toutes de cette même alliance de marbre et d'argent dont se mariaient harmonieusement angles abrupts et courbes élégantes. Arbres, fleurs et vitraux étaient là pour les magnifier de couleurs et senteurs fabuleuses.


Pourtant voilà bien des éons que Samael avait perdu tout attrait pour les merveilles du paradis. Au contraire, à force de les côtoyer, il s'en retrouvait plus irrité qu'autre chose.


Et ces fichues statues…


Il trouvait cette imagerie trop étouffante, trop omniprésente, trop chargée. Il n'y avait qu'à voir les routes lisérées de Séraphins, les immenses Archanges d'argent accroupis aux quatre coins des jardins ou les scènes de dévotion en guise de bas-reliefs sur les murs des habitations.


L'oligarchie angélique à son paroxysme


Tous, il fallait les voir déambuler. Droits, fiers.


Ceux qui ne se déplaçaient pas aux quatre coins de la cité en armure complète, portaient des robes amples aux nuances vives de jaune, bleu, rouge et de violet, même si certains, plus rares, optaient pour le vert, et d'autres, plus nombreux, pour le blanc. Tous, quelle que fut leur mise, échouaient à se démarquer du somptueux théâtre où même les sons avaient quelque chose de splendide.


Samael marchait de foulées empressées, ignorant les anges à pied ou en vol qui le dévisageaient à s'en enflammer la rétine. La plupart reculèrent d'un pas ou deux, certains montrèrent de manière presque insolente qu'ils ne bougeraient pas d'un pouce mais aucun en revanche, ne fut assez zélé pour l'approcher.


Une poignée volait en cercle dans les hauteurs des cieux, le suivait, des gardes s'assurant qu'il ne causerait plus d'ennuis.


Qu'ils le surveillent donc !


Subitement, il décolla de la passerelle. Dans une ultime provocation, il fonça à pleine vitesse au centre de la phalange, manquant de percuter certains de ses membres. Un sourire satisfait illumina son visage lorsqu'il vit ses frères balbutier leurs battements d'ailes contre la puissante bourrasque.


- Samael ! hurla l'un d'eux, le visage empourpré de colère, La prochaine fois ton insolence ne sera pas pardonnée… prends bien garde !


Pour unique réponse, l'ange revêche le toisa avec mépris avant de filer dans une trainée de lumière vers les confins du Paradis.


Enfin tranquille...


La monotonie du vol lui permit de réfléchir à ce qui venait de se passer.


Il avait été convoqué devant le conseil et remis à sa place par ses frères tel un enfant indocile, blessant par la même occasion son égo. Si ce procès populaire se voulait surtout comme un avertissement, l'effet auprès du jeune rebelle ne fut pourtant pas escompté. Bien au contraire, ce dernier resta fidèle à lui-même : buté, réfractaire, insolent… et comble de tout : honnête.


Comment dit-on déjà ?


Il n'y a que la vérité qui fâche ?


Pas de chance, il s'agissait là de son don.


Samael ne s'était pas gêné pour dire ce qu'il pensait de cette assemblée, insistant sur cette mascarade, son inutilité. Il enchaina sarcasmes et insultes, dénonçant cette dévotion exagérée, ce respect exacerbé des règles, et ce libre arbitre inexistant… Bien entendu, L'ire générale ne se fit pas attendre, si sa tentative était de se mettre à dos la cité d'argent, la réussite était totale. Une armée d'anges en colère, voilà à quoi il aurait pu faire face sans l'intervention d'Amenadiel. Il rit intérieurement en revoyant la mine outrée de son grand frère l'évacuant sans ménagement de la salle bouillonnante qui semblait vouloir en finir avec lui à coups d'ongles et de dents.


Puis il eut les sermons, et encore des sermons…


Ô cruelle Torture…


Amenadiel ne le relâcha pas avant de les avoir tous brillamment cités, comme le brave lavé du cerveau qu'il était.


Le parfait fils à papa...


En y repensant, l'ange se demandait comment, cette fois encore, il avait pu échapper à une sanction, Père devait être sacrément occupé pour laisser passer un tel affront. Il avait quand même bravé l'interdiction formelle de pénétrer le monde interdit, son petit monde à lui.


l'Eden.


Cet écrin idyllique, merveilleux, somptueux qui rien qu'au simple souvenir, laissait à son âme le reliquat d'une douce caresse. Un monde de paix et d'abondance isolé et réservé à un peuple à naître, selon les vœux de son père lui-même. L'Eden était sans doute ce qui, toutes réalités confondues, se rapprochait le plus d'un véritable paradis.


Et comment résister à ces curieuses créatures qu'il avait épiées pour la première fois.


Ces humains…


Tout simplement… Fascinants !


Samael sortit de ses pensées en apercevant enfin sa destination. Une paisible plaine aux longues herbes et au tapis de tulipes rouges. En son centre, subsistait un unique pommier en floraison dont l'effluve sucrée enivrait ses narines. Il atterrit à son pied, savourant le calme et la douceur du lieu, seulement perturbé par le bruissement continuel du vent dans le feuillage.


Dans un soupir exagéré, il se laissa glisser le long du tronc : Jambes tendues devant lui, bras croisés sur le torse.


Puis, lentement, un demi-sourire apparut sur son visage.


- Tu es là quelque part, interpela l'ange en balayant du regard la canopée, je sais que ce je vois n'est qu'une illusion.


Durant de longues secondes, rien ne se passa, personne ne répondit. Puis tout à coup, le champ entier se mit à ondoyer.


D'énormes brèches apparurent dans les herbes, l'arbre, sur le sol. Des hélices de fumée tourbillonnaient poussivement vers le ciel, filant comme si chacune voulait être la première à atteindre les nuages.

Une magie bien puissante, de fait.


L'image fantasmatique s'estompa encore un peu plus pour laisser apparaître dans les airs, tel un mirage, une silhouette féminine. Elle flottait lentement de ses ailes brunes, juste devant le pommier.


- Mince, tu m'as encore eue ! soupira t'elle d'une voix défaite.


Samael haussa les épaules.


- En même temps, ce n'était pas bien difficile petite sœur.


L'illusionniste se posa debout près de lui, sa longue tresse platine ballant dans son dos. Sa robe d'un blanc immaculé tombait élégamment sur son corps frêle tandis que les fines runes bleues tout autour de sa taille lui donnaient sa prestance.


- Et qu'est ce qui m'a trahi cette fois ? demanda t'elle en posant ses mains sur les hanches.


- C'est simple, la dernière fois que je suis venu ici, l'arbre avait déjà ses fruits…


L'espiègle cadette le contempla, bouche ouverte, comme un poisson hors de l'eau. Ses yeux rieurs d'un bleu clair presque transparent, révélaient la pureté de son visage pâle tout juste sorti de l'adolescence.


- Bon sang, quelle idiote je fais !


- Les petits détails, Azrael… tu as toujours eu tendance à occulter les petits détails…


- Je ferai mieux la prochaine fois, tu verras.


- ça, je n'en doute pas, répondit Samael d'une voix plate.


Un silence s'installa, juste brisé par le soupir sonore et la délicatesse bourrine de la jeune femme qui s'affala à ses côtés. Son voisin la toisa de haut en bas avec une expression perplexe, accusant l'insistance de ses yeux turquoise.


- Quoi ? s'exclama-t-il, agacé.


- Mes félicitations mon frère, on ne parle que de toi à la Cité d'argent…


- Le contraire m'aurait étonné, de qui d'autre peuvent-ils parler ? je suis le seul à être intéressant ici... ils devraient me remercier d'animer leurs conversations ennuyeuses.


Azrael ne put s'empêcher d'hoqueter de rire.


- Et tu es fier, n'est ce pas ?


En guise de réponse, Samael offrit un petit sursaut de ses sourcils noirs, accompagné par un large sourire qui fendit son visage d'une oreille à l'autre. Puis il taquina sa cadette d'un léger coup d'épaule.


- Parlons de toi petite sœur, que fait l'ange de la mort aussi loin de la source des âmes ?


- Mon devoir, répondit-elle non sans fierté, est de protéger la source de toute intrusion extérieure et ce, jusqu'à l'avènement de l'humanité. Mais elle fonctionne très bien sans que je sois présente, et puis les barrières magiques que j'ai laissées là-bas devraient pouvoir palier à mon absence.


- Fais attention ma chère, si tu délaisses trop longtemps tes obligations, tu risques d'avoir de très gros ennuis… Une tape sur les doigts peut-être, quelques plumes arrachées… ou comble de l'horreur, les discours d'Uriel pour les trois siècles à venir !


- Mon frère, tes sarcasmes me laissent de marbre.


- C'est cela, à d'autres… Je sais qu'ils te font toujours sourire…


Était-ce sa petite moue amusée timidement dessinée sur ses fines lèvres roses qui lui faisait dire ça ?


De tous ses frères, Samael était son préféré. Toujours le premier à l'encourager, à la distraire… il était cette petite graine de folie dans un monde aseptisé. Et bien qu'Azrael ne saisisse pas ses sursauts de rébellion et cette désobéissance récurrente, elle ne pouvait s'empêcher de lui vouloir du bien. C'était tout simplement son héros.


- Si tu veux savoir, je suis venue pour t'offrir quelque chose, annonça-t-elle avec énigme.


Son frère arqua un sourcil interrogateur.


- Pitié, ne me dis pas que tu m'as encore fait une de ces immondes sculptures d'anges en argile… Je croyais cette phase créative passée.


- Dis, je ne suis plus une enfant, rétorqua-t-elle un brin vexée, et pour ta gouverne, mes sculptures n'étaient pas immondes. Amenadiel, lui, les aimait beaucoup.


- Sache, que les goûts douteux d'Amenadiel ne sont pas de bons exemples.


En retour, Azrael lui tira la langue.


- Charmant, complimenta ironiquement son frère en roulant des yeux, et après on ose dire que c'est moi l'immature...


Après quelques instants, le petit rire cristallin de la cadette laissa à nouveau place au silence. Dans un soupir heureux, Azrael s'agrippa au bras de son frère, pour ensuite poser sa tête contre son torse.


- Une envie soudaine de câlin ? sourit Samael, attendri par le petit bout d'ange à ses côtés.


Tout en se concentrant sur le rythme régulier de ses battements de cœur, l'ange de la mort lui répondit d'une voix sans ambages :


- Je te donne juste mon cadeau…


Presque immédiatement, l'aîné se raidit, un soudain inconfort perceptible sur son visage, reconnaissant cette invasive chaleur surnaturelle au sein de son être.

En effet, le don de soulagement de sa sœur se mettait déjà au travail et commençait à faire tomber rapidement les barrières de son psychisme pour sonder les maux de son âme. Il était comme un baume insidieux infiltrant chaque recoin de son esprit, anesthésiant lentement ses pensées.


Non !


- AZRAEL, arrête tout de suite ! gronda-t-il en retirant brusquement son bras, pas de ça avec moi.


Le lien rompu, la concentration vola en éclats telle une pièce de cristal sous une enclume.


- Samael, gémit-elle dans une tentative de supplication, Je voulais juste…


- Je sais ce que tu voulais faire… je n'en ai pas besoin !


Les yeux humides de l'ange s'abaissèrent doucement sous le poids redoutable de ceux du grand brun. Tout comme elle, ce dernier se redressa d'un bond, son visage figé en une expression glaciale.

A présent, les deux êtres célestes se tenaient debout face à face, leurs ailes pleinement déployées.


- Lequel de nos frères t'a donné cette mission ? interrogea l'aîné, plus sombre que jamais.


- Aucun, je te jure.


- Ne t'avise pas à me mentir…


- Bien, s'exclama t'elle froidement tout en rapprochant ses prunelles des siennes, vérifie par toi-même si tu veux.


Face au chagrin et à l'abattement manifeste de sa petite sœur, Samael détourna vivement son regard d'elle en maugréant.


- Pas besoin, je te crois…


La cadette se mordit les lèvres, essayant tant bien que mal de retenir son irrépressible envie de pleurer.


- Sombre idiot ! je voulais juste t'offrir quelques instants de paix. A force d'agir comme tu le fais, tu vas pousser la patience de père à bout… Mais que cherches tu à faire à la fin ?


- Ce que je cherche ? vociféra t'il avec fureur, fuir ce maudit cauchemar, pour échapper aux dictats de ce père qui nous entrave, qui refuse de nous donner le choix.


- Arrête ! tu te fourvoies !


- Mais ouvre les yeux Azrael ! Quand l'humanité prendra son essor, il lui sera réservé le même destin. Des pantins sans désirs, voilà ce que nous sommes tous condamnés à être !


- Blasphèmes !


- Oui petite sœur, approuva-t-il d'une voix enflammée, Je blasphème, que ça te plaise ou non. Tu peux me juger, me réprimander, mais sache que jamais tu ne pourras me changer.


- Je t'en prie, tais-toi maintenant !


Stupéfiée et inquiétée par les propos outranciers de son frère, l'ange de la mort lui tourna vivement le dos, les ailes brunes prêtes à ordonner son envol. La cadette pressa du plus fort qu'elle put, ses petits yeux bleus, déversant un flot de larmes. Elle avait lamentablement échoué à essayer de ramener son grand frère à la raison.


Son héros.


- Va petite sœur, retourne donc à tes devoirs ! lui intima son aîné avec autorité, je m'en voudrais de te causer des problèmes.


Vaincue par la solennité de sa voix, Azrael n'eut pas d'autre choix que de se résoudre à le laisser seul, non sans lui confier, avant de partir, un sinistre avertissement :


- Sache mon frère, que c'est l'oubli qui t'attend si tu poursuis dans cette voie, et je ne veux pas être là quand ce jour arrivera.


Puis enfin l'ange de la mort disparut précipitamment dans les nuages duveteux, laissant Samael interdit, le regard perdu dans le cumulus percé de part et d'autre par la traversée de sa sœur.


L'oubli…


Pour des êtres immortels, l'oubli était de loin le destin le plus effrayant qui soit.


Il ne s'agissait ni plus, ni moins que de La désacralisation du baptême, de la perte du nom et de la légitimé du paradis.


En définitive, le rejet ultime de dieu à sa créature. Son abandon dans un néant d'indifférence.


D'un ébrouement, Samael chassa de son esprit l'idée de cette perspective.


Non ça n'arrivera jamais, le vieux était bien trop…miséricordieux.


Et quand bien même, en quoi la perte de son nom serait-elle si dramatique ?




A suivre

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