La petite famille dans la Prairie

Chapitre 5 : Règlement de compte à Burr Oak

1738 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 05/05/2023 09:05

Habitué à le voir aller et venir, Rantanplan ne fut pas inquiété de constater que le cow-boy était absent à son réveil. Le soleil lui chauffait agréablement le poil. La journée s'annonçait radieuse. Le chien était de bonne humeur, mais il avait faim. En dépit de l'inquiétude qui régnait sur le petit campement, la vie reprenait doucement son cours. Les papillons virevoltaient dans la brise du matin, le ruisseau clapotait et Rantanplan reniflait. Il décida d'aller faire des huit dans les jambes de Caroline. La nourriture se trouvait souvent auprès des humains. La femme gardait le petit délinquant contre elle, lui donnant le sein. Rantanplan gémit à ses pieds, lui signifiant du mieux qu'il pût que lui aussi en aurait bien pris une gorgée. L'homme, le barbu, le chassa du pied.

-C'est toujours pareil, s'apitoya-t-il. Ce sont toujours les prisonniers d'abord. Y a pas de justice…

Il tenta sa chance auprès des fillettes. Rantanplan les aimait bien. Elles étaient gentilles. Malheureusement, le chien fit choux blancs : les filles avaient finies leur petit déjeuner et s'activaient déjà à ranger le campement. Faute de lait, il alla se désaltérer dans le petit cours d'eau. Lapant tranquillement, quelques silhouettes argentées vinrent lui chatouiller la truffe.

-Mais y a des poissons, là-dedans! S'étonna-t-il. Je vais me mettre à l'affût.

Espérant attraper son petit déjeuner, il plongea la tête sous l'eau. Au bout quelques secondes, il sursauta, recrachant l'eau par les narines :

-Y a pas d'air là-dessous! Mais c'est dangereux ! S'écria-t-il.

Rantanplan donc pris la sage décision de chercher son petit déjeuner dans les buissons et les herbes hautes.

Il leva rapidement un petit lièvre. Ventre à terre, il se mit à ramper jusqu'à sa cible. Puis, après un bond se voulant majestueux, il s'étala à quelques centimètres du lapin, qui lui mordit la truffe. Blessé en son for intérieur, et au bout du museau, Rantanplan resta digne :

-Celui qui sait quand il peut se battre et quand il ne le peut pas, sera victorieux.

Il éternua, et se remit en quête d'un repas moins prompt à la défense. Et ce fut sur un escargot que le fin limiers misa. Un bel escargot baveux, qui prenait le soleil sur une motte de terre. Les yeux sur sa proie, la truffe au raz du sol, Rantanplan était prêt à bondir de nouveau. C'est à cet instant que l'escargot finit écrasé par un malencontreux coup de sabot. Les trois chevaux gris que recherchaient les Ingalls paisaient tranquillement dans cette petite clairière. Tellement absorbé par sa proie, le chien ne les avait pas remarqués. Il s'emporta contre le destructeur de petit déjeuner :

-Et toi, là ! La vache grise ! Aboya-t-il. Tu viens d'écraser mon repas !

Peu habitué à être rabroué par un si petit animal, les chevaux s'éloignèrent doucement. Le chien continua de leur aboyeur dessus. Les chevaux reculèrent tant et si bien que les quatre animaux se retrouvèrent au campement d'où ils étaient partis.

Se frottant la tête, Charles Ingalls n'en revenait pas de voir au loin les trois silhouettes grises, menées par le ridicule petit chien.

-Ça alors, indiqua-t-il a Caroline. Rantanplan a retrouvé les chevaux !

-C'est un bon chien, ça !


...


Belt avait dû faire une halte afin de ligoter sa prise. Il avait éperonné Wanted une bonne partie du trajet, mais celà en valait la peine. Le soleil déclinait au-dessus des rues fleuries de Burr Oak. Le chasseur de prime s'était bien gardé de préciser aux Starr qu'une quatrième trace de sabots avaient accompagné les Ingalls. Ce n'était plus son problème, Belt serait loin lorsque Luke viendrait chercher la gamine. Une liasse de billets à la main et délesté de Laura, il redescendait l'aller devant la maison de Bisbee. Une vieille maison aux murs clairs, à l'architecture Queen Anne, arborant fièrement un large porche, une haute toiture aux grosses tuiles anthracites, des fenêtres aux verres ouvragées, aux boiseries et ferronneries toutes en volutes. Le petit chemin de terre à l'ombre des pommiers zigzaguait dans le gazon finement entretenu. L'impressionnante demeure Bisbee faisait office de Mairie depuis les dernières élections, deux décennies plus tôt.

Elliot Belt avait le nez dans ses comptes lorsque les billets lui explosèrent en un millier de confettis entre les doigts. La détonation du tir résonna dans l'air un dixième de seconde plus tard. Il avait à peine entendu siffler la balle qui lui était passée à côté. Lucky Luke lui faisait face à une dizaine de mètres, au bout de l'allée, son colt fumant dans son holster, le regard froid comme l'acier. Encadré par des clotures de métal noir dignes d'un cimetière, faites de piques et d'arabesques, le cow-boy était silencieux, immobile. Belt n'avait pas pris en compte la vitesse de Jolly Jumper dans ses calculs. Le ciel était orange, les oiseaux s'étaient tus. L'ombre de Luke avançait lentement sur Belt à mesure que le soleil déclinait. Le chasseur de prime dégagea son cache-poussière, laissant apparaitre son six-coup.

-C'est la dernière fois que tu te mets entre moi et mon b…

Il n'eut pas le temps de terminer sa phrase. L'ombre du cow-boy n'avait pas bougé. Le tonnerre du coup de feu résonnait encore. Belt avait les jambes légèrement arquées, comme s'il venait d'éviter la foudre. De ses deux mains, il s'inspecta le torse. Il ne put contenir un rire nerveux :

-Tu m'as loupé, Cow-boy !

Le bois craqua dessus de lui. Une lourde branche se détacha du pommier pour venir lui aplatir le couvre-chef sur le haut du crâne. Elliot Belt s'étala de tout son long. Le colt à la main, Luke enjamba le chasseur de prime, littéralement dans les pommes, et lui glissa froidement :

-Tu parles trop, coyote.


D'un coup du talon de sa santiag, le cow-boy fit sauter la serrure de la lourde porte en chêne qui alla s'écraser contre le portrait de Monsieur le Maire. Le tableau se détacha du mur. L'entrée était vaste, desservant sur plusieurs portes fermées dont une double porte au pied d'un immense escalier. De petites appliques supportant des bougies éclairaient l'entrée. Rigidifié par la surprise, un majordome, qui était de corvée d'éclairage, serra le poing sur sa longue allumette fumante. Avec un cri perçant, le maigrichon en noir et blanc se jeta sur l'intrus. D'un crochet du gauche, Luke l'envoya au tapis. Un beau tapis persan qui amortit la chute du cerbère à cravate.

-Couché Médor.

Un coup d'épaule ouvrit en grand la double porte. C'était un cabinet avec banquette, un bar généreusement rempli et un coffre-fort bien en vue recouvert d'un napperon. Autour d'un imposant bureau, se trouvait le couple Starr et Laura. Assis face à un papier officiel, Bisbee présidait la scéance, armé d'une plume luisante sous l'éclairage du chandelier à gaz au-dessus de leur tête. Laura était en sanglots, les mains liées et les pieds nus sur le parquet. Dès les premiers coups de feu, le triumvirat avait accéléré la procédure. L'écume sombre dégorgeait de la plume, prête à faire son office. De la paume de sa main gauche, Luke ramena en arrière le chien de son colt par deux fois. Les amorces libérèrent instantanément deux balles. La première éclata le bois du porte de l'imposant Bisbee, criblant sa main d'échardes. La seconde visa au sommet de la tête de Miss Starr, percutant la grosse perruque qui bascula par s'abattre sur l'encrier et en éponger le contenu.

-Finis les manigances, Laura repart avec moi.

Il lui avait fallu quelques secondes pour faire le point sur la situation, mais c'est Eunice Starr qui brisa le silence, en hurlant, les mains sur son crâne dégarni :

-Ma clavicule !

Prenant appuis sur le bureau, comme s'il avait, lui aussi, besoin de réfléchir, le docteur Starr, toujours vêtu dans son éternelle blouse blanche, soupira :

-Calvitie, Eunice, calvitie…

Bisbee se leva, la main ensanglantée, des éclairs dans les yeux :

-Vous venez de faire un puissant ennemi, qui que vous soyez…

Tenant toujours en joue le détestable politicien, Luke appela Laura d'un mouvement de la main gauche, qui vint se blottir contre lui. Le cow-boy pris tout de même le temps de se présenter :

-Je m'appelle Luke, Lucky Luke.

À l'évocation de son nom, le teint de Bisbee vira de rougeaud à pâle.

Une fois les présentations faites, Luke rengaina son colt, et, s'agenouillant, dénoua les liens de la fillette :

-Ça va aller, petite ?

Laura s'essuya les yeux du revers de la manche de sa vieille robe à fleurs, et d'un signe de tête, rassura son sauveur.

Eunice réajustat son cache-misère, orné d'une belle auréole noire dans les mèches blondes, et prit son air le plus autoritaire. Le tout manquait de crédibilité.

-Je suis désolé, mais l'enfant reste ici.

-Mais taisez-vous, Eunice, lâcha son époux de sous la paume qu'il plaquait honteusement sur son visage.

Le cow-boy souleva la petite, la prit dans ses bras, et tous deux quittèrent la pièce. Le majordome, la mâchoire endoloris, se tenait dans l'encadrement de la porte.

-Ton chef a besoin de désinfectant et d'un bandage, lui conseilla Luke, en sortant.

Miss Starr implora son époux :

-Mais faites quelque chose ! Nous avons décongestionné la bonne !

Le Docteur Starr s'adressa calmement à Bisbee, qui s'était laissé lourdement retomber sur sa chaise :

-Tu n'aurais un genre de contrat de divorce sous la main par hasard ?


Après avoir de nouveau enjambé Elliot Belt, toujours évanoui, Luke et sa protégée dépassèrent les grilles et rejoignirent la rue dans laquelle c'était amassé une petite foule, attitrée par les détonations. Luke siffla, et le magnifique appaloosa blanc fendit la foule. Après avoir installé Laura contre la crinière blonde de Jolly, Luke s'installa d'un geste souple. Le ciel était d'un bleu sombre, constellé d'étoiles et la lune montrait le chemin. La route était encore longue.

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