ARRANGEMENTS AVEC LA REALITE : Prémices.

Chapitre 1 : DOOM's DAY

1748 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 11/03/2023 10:44

DOOM'S DAY.

(L'étage au-dessus)

 

 



Latvérie, nuit d'orage. L'être le plus intelligent est en chasse.


Le château iconique aux ardoises détrempées trône sur son éperon rocheux lacéré par les vents. Des murailles de pierres épaisses suintant d'histoire surplombent une forêt plusieurs fois centenaire, dont la pluie battante exacerbe les effluves résineux... Au pied du mur, un titan violet poursuit son œuvre de destruction. Il déjoue les défenses de la forteresse avec simplicité, pulvérise les tourelles d'artillerie qui émergent des rochers, éventre des portes d'acier épaisses comme son bras pour se frayer un chemin dans des corridors interminables, emboutissant une armée de Doombots sur son passage.


Il ne surprend pas le maître des lieux, qui l'attend dans la salle du trône, mains dans le dos, face à une cheminée dont l'âtre pourrait être converti en petit appartement.

 

— Tu as progressé incroyablement vite contre mes défenses. Que viens-tu chercher ici, hors la souffrance et l'oubli dont tu vas être gratifié ?


Dans l'ombre, le colosse violet lâche le Doombot déglingué qu'il continuait de maintenir par une jambe :


— Je suis venu confronter l'esprit le plus dangereux de ce monde.


Doom tourne lentement la tête :


— Tu es au bon endroit. Je suis le plus intelligent.


Le monstre se baisse pour passer la porte :


— Tu manques de rigueur. Tu es le plus dangereux. Le plus intelligent est un autre.


Les yeux rougis de Doom luisent dans l'ombre, reflétant la chorégraphie de l'immense cheminée :


— Qui es-tu ? Et qui est selon toi le plus grand esprit de la Terre ?


— Reed Richards.


Le titan se rue sur Doom qui ne daigne pas un mouvement. Le poing monstrueux de la créature est stoppé par une sphère d'énergie écarlate qui englobe entièrement l'armure du monarque.


Le mastodonte considère la sphère translucide, une main posée sur elle, puis applique l'index et l'annulaire de l'autre main sur sa surface en murmurant un langage plus vieux que les continents. Le bouclier disparaît instantanément. Doom se voit contraint de parer de l'avant-bras un coup porté du haut vers le bas.


— Tu n'es pas le seul à avoir étudié les arts mystiques, Victor. C'est une science comme une autre, en épuiser la littérature est aisé. Mais as-tu toi-même compris ce qu'est la magie au niveau fondamental ?


— J'ai au moins compris ce que tu es, et tu vas apprendre l'étendue de ton erreur… Tu…


— ...Tu parles trop.


Le mastodonte saisit le souverain par les poignets. Des milliers de tonnes de pression déferlent sur les bras d'acier, ramenés à quelques centimètres au-dessus de son capuchon. L'homme au masque riveté tient bon, et plante les yeux dans ceux du béhémot, qui continue de toiser son adversaire :


— Tentative pathétique. Aucune volonté ne surpasse la mienne.


Doom pose un genou à terre, augmentant l'intensité de son champ de proximité pour compenser la puissance écrasante…


— Ton champ répulsif n'y changera rien, ma force égale celle de Banner... Je te surclasse dans tous les domaines.


Doom est muet depuis un moment. Son armure semble céder sous la pression et se disloque de toutes parts... Mais il s'agit d'autre chose…


Elle se dissocie pièce après pièce, composant après composant, et se réorganise autour du monstre, révélant qu'elle ne protégeait aucun corps. Les circuits électromécaniques s'expansent et prennent des proportions alarmantes, pour finir par occuper un volume bien supérieur à celui de l'armure initiale. Ils se subdivisent toujours davantage pour former un réseau interconnecté qui enfle jusqu'à remplir tout l'espace. Les composants se réagencent en carcans mécaniques qui assujettissent les membres du colosse… Celui-ci s'écroule, une main au sol, luttant contre une marée intangible dont les structures se reforment une fois désorganisées par sa lutte erratique. Des vagues de nano-composants invasifs noirs comme le charbon s'insinuent dans chacune de ses cavités naturelles… Uns à uns, narines, bouche, et orifices excrétoires finissent inexorablement investis, colonisés et distendus de microparticules de carbone auto-organisées…


Des bras articulés terminés par des aiguillons acérés entament un balai arachnéen autour du monstre, cherchant l'angle parfait pour l'approcher. Ils parviennent à extraire un œil de son orbite, tentent de lui ôter un bras à l'aide de scalpels laser, n'y parviennent pas du premier coup, appellent d'autres appendices en renfort, créent des dérivations électriques pour accroître l'intensité des pinceaux électromagnétiques dont la luminosité augmente sous l'afflux d'énergie. Les faisceaux de lumière cohérente pénètrent enfin l'épiderme violet et entreprennent de débiter le monstre tranche par tranche.


Disséqué vivant, le colosse panique, étouffant sous l'essaim de nanoparticules. Il contemple de son œil restant la reptation étrange de son membre détaché qui s'éloigne de lui, emporté par une vague mécanique incongrue.


Une voix dont on n'avait plus entendu les accents métalliques depuis un moment retendit derrière le monstre, à l'endroit où le véritable Doom apparaît, en lévitation à deux mètres du sol :


— Considère cette fin pathétique comme ta juste sanction. Tu n'es pas le premier troll violet à rêver de conquête… et à échouer.


La créature lutte toujours, empêtrée dans ce qui était encore une armure il y a une poignée de minutes, mais tient désormais davantage de la chaine robotisée d'équarrissage frénétique.


En entendant la voix, le monstre cesse de se battre. Il rouvre son œil valide et un rictus démentiel s'épanouit sur ses lèvres épaisses desquelles tonne un phonème unique :


KATEN'h.


Doom écarquille les yeux. Il vomit un "NON" qui ne franchit pas le seuil de sa gorge. Deux cercles de lumière brute s'inscrivent au-dessus de sa tête et juste sous ses pieds, définissant en se rejoignant un cylindre parfait dans lequel une infinité de vecteurs lumineux rebondissent sur des parois concaves invisibles pour lacérer le souverain caparaçonné. Le cylindre s'estompe. Les jointures de son armure s'illuminent, les plaques qui la composent s'écartent de son corps tétanisé aux tendons étirés à se rompre, révélant sa peau nue maculée de milliers d'entailles.


La créature indigo se relève, s'extrait du cauchemar mécanique qui ressemblât jadis à un jeu de protections médiévales, et siffle une phrase inaudible. L'essaim de nanoparticules se fige, ses constructions se désagrègent et retombent en suie fine sur le sol. Le mastodonte tire de sa gorge les appendices qui s'y étaient insinués, puis chasse le reste à la manière d'un cycliste qui se boucherait une narine du pouce et soufflerait de l'autre pour évacuer un trop-plein de mucosités. Il considère un instant son bras gauche qui saigne abondement, amputé à hauteur d'épaule, avant de reprendre sans urgence :


— Te débusquer n'a pas été sans conséquence, mais je savais que ton orgueil te trahirait. C'est toujours le même problème avec l'intelligence… Difficile d'appréhender ce qui se passe à l'étage au-dessus.


Le corps massif de la créature fait face son opposant. Doom flotte toujours, immobile. Les yeux des antagonistes sont à la même hauteur. Les plaques de l'armure pulsent leur lumière fade dans la salle obscure. Le visage sans protection du souverain est baigné d'ombres qui tressautent au gré des flammes, suggérant ses chairs ravagées. On lit clairement la terreur dans ses pupilles incrédules.


— Oui Victor... Le Darkhold. Je l'ai lu, moi aussi… Entièrement. Et sans intermédiaire. Tu sais qu'il n'existe pas d'échappatoire à ce sortilège.


Tu es bien plus dangereux que le Richards de ce monde. Pourtant ton esprit est significativement moins brillant. Tu as su combler cette lacune par une morale sélective, mais je suis votre cauchemar à tous les deux : L'esprit de Richards, associé à ton absence de scrupule. Je n'ai aucune barrière ni limite ; le meilleur des deux mondes…

Je réserve un avenir grandiose à cette planète… Mais pour que mes projets se réalisent, toi comme lui devez disparaître.


Le colosse violet tend le bras entre les plaques de l'armure en suspension autour du corps tétanisé du suzerain qui tente vainement un mouvement de recul.


La main gigantesque se pose avec douceur sur le crâne impuissant. Plusieurs craquements creux, suivis d'un chuintement d'éponge qu'on essore se font entendre pendant que l'énorme paume comprime lentement les os jusqu'à ce qu'un amas sanguinolent se fraie un chemin entre les jointures épaisses des gros doigts violets. Une gelée rosée-beige dégouline sur le sol en une pâte liquide et grumeleuse pendant que le corps muet convulse sous la pression.


Les membres cessent de trembler pour pendre le long de l'homme inerte quand la main monstrueuse relâche enfin sa prise. Le colosse s'essuie grossièrement les doigts à l'arrière de son short bleu pendant que la lumière du sortilège décline pour disparaître complètement. Doom s'écroule au sol et les plaques de métal rebondissent en une pluie sonore autour du cadavre disloqué du régent déchu.


Le monstre se détourne de son adversaire sans vie, la paupière serrée sur une orbite vide, une larme azur en travers du visage. Il comprime son épaule orpheline de sa main valide pour bloquer le flux rythmique que pulsent ses artères à nu, puis grommelle avec satisfaction :


— Cette étape avait un prix, mais le gambit est à mon avantage…


Le mastodonte s'achemine vers la sortie.


Avant de quitter les lieux, il s'arrête sans se retourner sur le pas de porte de la salle dévastée où plus personne, désormais, ne vit pour l'entendre :

 

— …J'en oublie toute civilité… Je suis la Brute, de la Contre-Terre.

 



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Dehors, l'orage s'est éloigné. Les branches des conifères ruissellent d'une eau glacée qui abreuve des rochers couverts de mousse. Les résineux se détachent sur le ciel vide baigné d'une lune pale. Rien n'a changé alentours. La forêt brumeuse est calme et attentive. L'éperon rocheux continue de porter le poids de sa muraille.

Seul le château, au loin, est maintenant la proie des flammes.

 

 

 

 


 


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