Le secret

Chapitre 2 : Sur les quais

1527 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 08/11/2016 06:36

Depuis la reconstruction de la Citadelle, un secteur entier et une section du Présidium avaient été attribués à l’humanité. Le quai d’amarrage des vaisseaux de l’Alliance, qui se trouvait sur cette partie de la zone extérieure de l’anneau, fourmillait d’activités diverses à cette heure avancée de la matinée. Toutefois, malgré les nombreux soldats et dockers qui s’y affairaient, rien ne semblait différent de d’habitude. Les hommes d’équipage se lançaient des plaisanteries et des invectives joyeuses tout en travaillant, et l’ensemble respirait la prospérité et la bonne humeur. Seven pressa le pas. Loin de la rassurer, cette bonhommie l’inquiétait encore davantage. Qu’avait-il bien pu se produire de suffisamment grave pour devoir rester à ce point secret ? Aucun bâtiment ne se préparait à partir, aucune urgence ne se ressentait dans l’air. Tout en se frayant souplement un chemin dans la foule, la jeune femme échafaudait des théories toutes pires les unes que les autres, avant de les briser nerveusement par une analyse précise et méthodique.

Mais peut-être que cette crise ne concernait pas l’humanité ? Après tout, bien qu’il soit officier supérieur de l’armée de l'Alliance, le colonel Alenko était aussi un Spectre… Et c’était en cette qualité qu’il commandait le SSV Cyclone, frégate hautement sophistiquée née de ces partenariats désormais courants entre les espèces. Même si les principaux officiers et sous-officiers étaient humains, une partie non négligeable de l’équipage était alien. Quarien, asari et galarien, principalement, puisque le vaisseau avait été conçu par ces races. Le personnel du Cyclone reflétait l’hétérogénéité du bâtiment, ce qui causait parfois quelques ennuis… Était-ce justement l’un de ces ennuis qui nécessitait de la faire revenir d’urgence à bord ? Seven en doutait. Elle n’était pas exactement reconnue pour ses talents diplomatiques. En réalité, cet aspect de son caractère était régulièrement à l’origine de menus désaccords entre son supérieur et elle. Et s’il n’y avait que ça…

Le Cyclone était amarré au bout du quai, et il fallut une bonne dizaine de minutes à la jeune femme pour l’atteindre. Le vaisseau aux lignes épurées semblait flotter dans les airs. Ce n’était bien sûr qu’une impression. Des bras magnétiques le maintenaient, mais cette vue évoquait toujours pour elle un indicible sentiment de liberté et de légèreté. Il lui tardait de retourner dans l’espace.

Seven se dirigea immédiatement vers le sas d’embarquement et déclina son identité au garde du SSC chargé de consigner les allées et venues. Du coin de l’œil, la jeune femme remarqua que les tourelles de sécurité étaient déployées, et se tournaient automatiquement vers tout mouvement. Les canons aveugles braqués aussi sur elle la mirent profondément mal à l’aise. Enfin, le policier s’écarta et elle put pénétrer dans le vaisseau. La décontamination commença. La présence de quariens à bord imposait des règles d’hygiène particulièrement strictes, même s’ils conservaient leurs combinaisons hermétiques et se servaient d'interfaces geths pour améliorer leur résistance aux maladies. Il ne s’était écoulé que vingt-cinq ans depuis la reconquête de Rannoch, c’était trop peu pour que le peuple nomade puisse déjà vivre sans une atmosphère aseptique. Mais les progrès étaient rapides, principalement grâce aux synthétiques qui soutenaient les combinaisons et utilisaient leurs fabuleuses capacités techniques pour renforcer les systèmes immunitaires de leurs créateurs. Si un quart de siècle était court, c’était toutefois suffisant pour instaurer l’amitié entre deux espèces en guerre depuis des centaines d’années. Les IA et les organiques s’entraidaient… du moins en général. Si quariens et geths s’efforçaient de ne former qu’un seul peuple, le reste de la galaxie se montrait souvent moins enclin à faire montre de la même tolérance. Depuis la Guerre, les synthétiques suscitaient la méfiance. Pourtant, aujourd’hui plus que jamais, ils étaient semblables. Lorsque brusquement, au beau milieu des batailles, les moissonneurs s’étaient immobilisés, personne n’avait compris. Pendant que les troupes modifiées s’effondraient, les gigantesques machines avaient quitté le sol de la planète et s’étaient envolées vers l’espace.

Seven suivit du regard le labyrinthe de circuits imprimés qui courait sur sa peau, comme sur celle de tous les organiques. On les remarquait moins, à présent. Au fil des années, leur luminescence s’était estompée, comme celle qui touchait les yeux, mais ils étaient toujours là. Ils feraient à jamais partie d’eux. Ceux qui, comme elle, n’étaient que de jeunes enfants à cette époque s’étaient faits à leur nouvelle condition hybride sans trop de mal, mais les plus âgés avaient eu plus de difficultés. Durant les premières années de paix, et malgré l’aide des moissonneurs pour rebâtir la Citadelle, les relais cosmodésiques et les villes principales, l’opinion publique avait été très violente envers l’Alliance et l’Amiral Hackett, qui avaient soutenu et dirigé le projet Creuset. Les gens avaient vite oublié la peur suscitée par les armées modifiées, désormais décimées, pour se concentrer sur une autre. Synthétiques et organiques avaient fusionnés et, loin de les rapprocher, ce fait aggravait leur ressentiment. Devant la crainte et l’incompréhension, les moissonneurs avaient fini par regagner l’Abîme, une quinzaine d’années plus tôt. Ils laissaient derrière eux une nouvelle Citadelle, un système de relais réparé, et une civilisation au bord du gouffre, minée par des mois de guerre totale et meurtrière, anéantie par sa mutation.

Dans le sas, Seven soupira. Elle, après tout, s’en moquait : avant même sa naissance, des greffons synthétiques avaient été posés sur son corps. Sa vie était à ce prix. Et certains avaient payé très cher pour qu’elle vive. Plus tard, quand on avait remarqué ses capacités biotiques, c’était l’implant L5 qu’on avait glissé dans sa tête. Sa main caressa la cicatrice, sur le crâne, au-dessus de l’oreille. Aujourd’hui, bien sûr, il y avait d’autres solutions que l’implantation directe...

Un signal strident la tira de ses pensées. Elle franchit d’un pas assuré la porte qui venait de s’ouvrir, et pénétra sur la passerelle déserte, à l’exception d’un quartier-maître et d’un mécanicien qui travaillaient sur le poste de pilotage. La jeune femme les salua d’un signe de tête et se dirigea vers l’arrière. Un caporal en faction se mit au garde-à-vous en la voyant et lui apprit que le colonel l’attendait dans la salle des transmissions.  

 

-------------------------------------------------------------------

 

Merci pour votre lecture ! N'hésitez pas à laisser un commentaire et un vote ! 

Laisser un commentaire ?