Le secret

Chapitre 4 : Réflexion

1779 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 08/11/2016 04:47

Seven se mordait la langue pour éviter de craquer. Tenir droite. Pour le moment du moins. Sa gueule de bois s’était envolée, mais malgré tous ses efforts, elle tremblait. Chassée de l’Alliance ? Devenir une catégorie six ? La prison l’effrayait nettement moins. Elle prit la parole, voulut se justifier, sans avoir quoi dire :

- Mon colonel, je suis…

- Vous êtes un cauchemar diplomatique, l’interrompit Alenko. Un véritable enfer de paperasse. Vous l’avez toujours été, votre dossier est rempli d’incident du même genre. Votre hiérarchie arrive au bout de ses réserves de patience.

La colère avait déserté sa voix. Elle semblait presque douce malgré sa sévérité, mais Seven garda les yeux fixés sur le sol, refusant de lire la déception sur le visage de l’officier.

- Vous êtes un excellent soldat, poursuivit-il à sa grande surprise. Je n’oublie pas que vous m’avez sauvé la peau à plusieurs reprises, Seven. Sur le terrain vous valez de l’or, comme tous les N7. Et je me sentirais bien moins tranquille en mission si je ne vous avais pas pour surveiller mes arrières. Je n’ai pas souvent eu l’occasion de travailler avec des soldats de votre calibre. Encore moins ayant un don pareil pour emmerder ses supérieurs.

Une seule en réalité. Sa voix dérailla. Une expression étrange, presque douloureuse, se peignit sur le visage de Kaidan Alenko. Il ferma les yeux, se reprit. Seven n’avait rien remarqué, elle fixait toujours le sol, sans dire un mot.

- Je sais parfaitement que si l’alcool peut vous rendre impulsive, il n’altère pas votre capacité à analyser une situation et à tirer juste. Je ne sais pas ce qui s’est passé hier soir, en revanche…  Mais l’autopsie et l’examen balistique nous diront si ce sont vos tirs qui ont tué ces agents. Si c’est le cas, je vous remettrais au SSC, et vous vous démerderez seule. Rompez.

Seven hocha la tête, salua et sortit de la salle des transmissions. Kaidan attendit que la porte se referme avant de se laisser tomber sur un siège. Une lourde chape de fatigue pesa sur ses épaules. Le bras de fer à venir avec les politiciens, le SSC, les journalistes, l’épuisait par avance. Et le lieutenant Seven Cooper plus encore que tout le reste. Il grogna en passant la main dans ses cheveux noirs striés de mèches grises. Ce n’était pourtant pas la première fois ! À la suite de l’une de ses beuveries habituelles, elle et une bande de krogans avaient déjà dévasté l’Au-Delà, et il avait fallu toute son autorité de Spectre pour empêcher Aria T’Loak de leur coller une balle dans la tête. À la réflexion, Aria n’avait rien à foutre des ordres que pouvait lui assener le commun des mortels, le Conseil en particulier : seul invoquer le souvenir de Shepard avait permis de ramener l’asari à de meilleurs sentiments. L’exercice s’était révélé périlleux et lui avait pratiquement fermé la porte d’Oméga. Il y avait aussi eu cet épisode très désagréable avec un esclavagiste croisé par hasard sur Illium, soldé par la dévastation de tout un quartier. Et un paquet d’autres accrochages du même acabit. Mais c’était la première fois que Seven Cooper perdait pied au point de tuer des policiers.

Non. Même bourrée au dernier degré, le lieutenant conservait une force d’analyse remarquable. Kaidan était persuadé de son innocence. Pourtant, la jeune femme devait vraiment se calmer. Ses états de service étaient exemplaires, quoiqu’émaillés de légers incidents dus à des méthodes expéditives, mais elle posait de gros problèmes en dehors des missions, et l’Alliance n’allait pas accepter cela plus longtemps. On reprochait à Kaidan de la couvrir depuis déjà plusieurs mois. L’humanité avait besoin de reconquérir sa popularité perdue auprès des autres races, et les soldats du style de Cooper dérangeaient cet objectif.

Kaidan soupira en contemplant la paume de sa main. La mutation avait permis d’améliorer l’interface neuronale avec son implant L2, et de supprimer les maux de tête violents qui l’avaient souvent handicapé. Ces conséquences bénéfiques l’aidaient à mieux accepter cette nouvelle physiologie, mais cela avait pris du temps… Le Creuset avait fonctionné, mettant fin à la guerre, détruisant la Citadelle et les relais cosmodésiques et modifiant profondément les individus. Personne ne savait exactement ce qui s’était passé dans la station… On avait découvert les cadavres de l’Homme Trouble et d’Anderson dans les débris, ainsi que de l’ADN de Shepard en grande quantité, trop éparpillé pour espérer retrouver un corps intact. Rien d’autre. Tous les témoins de l’activation du Creuset étaient morts. Et tous étaient humains.

En quelques instants, en une simple vague d’énergie verte, l’ennemi s’effondra, disparut. Trop rapidement pour que la peur s’envole en même temps que lui. Il restait trop d’inconnues… Cette terreur distillée par les moissonneurs depuis des mois s’était retournée vers la conséquence directe du tir du Creuset, et vers ceux qui l’avaient construit. L’humanité avait dirigé le projet Creuset, y avait investi toutes ses ressources, et incité les autres espèces à en faire de même. C’était naturellement elle qu’on avait blâmée.

Petit à petit, avec l’acceptation de ce nouveau statut physiologique, l’Alliance retrouvait sa position au sein des races conciliennes. Ramener une structure sociale dans la galaxie était primordial, la reconstruction rapide, aidée par les moissonneurs, allait en ce sens. Et malgré le ressentiment, les amitiés nouées au combat restaient vivaces.

Toutefois, l’humanité se trouvait sur le fil du rasoir. Elle conservait sa place au Conseil de la Citadelle, mais ses nombreux détracteurs n’attendaient qu’un faux pas pour la faire basculer. Les Spectres humains et leurs équipages se devaient de présenter une façade irréprochable. Et avec Seven Cooper, ce n’était pas le cas. Kaidan sentit la colère affleurer à nouveau. Sa subalterne lui rendait la vie impossible ! Il serait à la fois plus simple et plus intelligent de la livrer au SSC ou à l'Alliance, et de s'en laver les mains. Pourtant, une sensation incongrue le retenait. La jeune femme impulsive lui en rappelait une autre, disparue depuis vingt-cinq ans.

Comme souvent lorsqu’il laissait son esprit vagabonder, le visage impassible de Shepard s’imposa à lui, tel qu’il l’avait à de nombreuses reprises contemplé durant leurs missions. Une vague de souvenirs le submergea, déclenchant comme à l’accoutumée une souffrance cruelle. Il lui en avait longtemps voulu. Si elle l’avait choisi pour l’accompagner ce jour-là, lors de l’assaut du faisceau, il aurait pu la sauver ! Ou au moins, la suivre, mourir à ses côtés… Tout, plutôt que d’endurer cette douleur, jour après jour, année après année. Tout plutôt que de sentir son cœur bondir chaque fois qu’il apercevait cette ridicule « IV-Shepard » qu’on voyait un peu partout, qu’il entendait ce foutu enregistrement repris par toutes les boutiques de la Citadelle. Il grimaça. Les larmes étaient taries depuis longtemps, mais vingt-cinq ans n’avaient pas suffi pour qu’il oublie l’amour de sa vie. Il conservait stupidement, au fond de lui, un lambeau d’espoir : elle était déjà revenue une fois ! Pourquoi pas deux ?

À peine cette pensée s’était-elle formée dans son esprit qu’il l’écarta fermement en secouant la tête. Il devait cesser de se perdre dans ses regrets. Cela n’avançait à rien, ça n’arrangeait rien. Il ne pouvait pas la sauver, il ne pouvait pas la revoir, mais il pouvait au moins faire honneur à tout ce qu’il avait appris à ses côtés.

Le commandant n’aurait jamais laissé tomber l’un de ses hommes, elle l’avait maintes fois prouvé. Il était hors de question de se montrer moins loyal qu’elle.

Ses doigts effleurèrent la console de transmission. Quelques secondes plus tard, le visage délicat d’une asari apparut sur l’écran. Elle sourit largement en reconnaissant son interlocuteur.

- Kaidan ! Je suis heureuse de vous voir, s’exclama-t-elle d’une voix douce.

- Moi aussi, Liara. J’ai un service à vous demander.

 

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