Le secret

Chapitre 7 : Innocentée

1882 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 09/11/2016 19:04

Une semaine qu’elle était cloîtrée sur ce vaisseau à quai. Allongée sur sa couchette, Seven se sentait chaque seconde un peu plus proche de l’explosion. Ce confinement forcé dans le Cyclone quasiment désert lui pesait. Aucun des techniciens qui s’occupaient des mises à jour de l’IA ou des tests moteurs n’avait l’autorisation de lui adresser la parole. La plupart du temps, tout était éteint dans le vaisseau. Elle aurait pu s’imaginer dans l’espace, mais il manquait le discret ronronnement des moteurs SLM pour ça. La frégate lui paraissait chaque jour un peu plus morte. Cette ambiance lui rappelait les comptes-rendus audio des équipes de Cerberus qui avait travaillé à l’intérieur d’une carcasse de Moissonneur, avant la guerre. Cette pensée la glaçait. Elle aspirait plus que tout au monde à retourner en mission, se retrouver sous le feu ennemi, agir et réagir pour sauver sa vie et accomplir son objectif. La jeune femme ne supportait pas d’être inactive, de n’avoir rien d’autre à faire que de ressasser sans arrêt. C’était d’ailleurs pour cette raison qu’elle finissait si souvent à faire la fête dans des endroits, et avec des gens, incongrus, ça lui évitait de trop penser. À vingt-sept ans, elle avait vraiment beaucoup trop de fantômes dérangeants dans son passé.

- Bonjour, lieutenant.

Seven n’ouvrit pas les yeux : ce n’était pas nécessaire. Elle avait reconnu la voix désincarnée de Sadio, l’IA du bord. Depuis quelques années, la plupart des vaisseaux contenant des architectures quariennes possédaient une IA basée sur les processus geths. Cette décision avait soulevé un tollé général, au début, mais les arguments fracassants de Joker, le timonier du Normandy SR2, ainsi que la paix signée entre la race synthétique et ses créateurs avaient fini par l’emporter. Et au final, les IA s’étaient intégrées comme membre d’équipage à part entière.

- Qu’est-ce qu’il y a, Sadio ? demanda la jeune femme.

- Je m’inquiétais pour vous lieutenant. Voilà deux jours que vous n’avez pas quitté votre cabine.

Des membres d’équipage presque omniscients, et dont la personnalité ne s’accordait pas toujours à l’idée que Seven se faisait d’un vaisseau de guerre. Sadio en était un bon exemple, une vraie mère poule.

- T’en fais pas pour moi, soupira la jeune femme. Je suis sûre que Zaäl’Narris a besoin de toi en bas.

- Le mécanicien-chef Narris a terminé mes mises à jour. Je n’ai aucune tâche urgente programmée dans l’immédiat.

- Dans ce cas, récupère ta plateforme mobile, et va faire un tour sur les quais. Ne t’éloigne pas trop, et conserve la majorité de tes mémoires dans le vaisseau.

L’IA resta silencieux. Intriguée, Seven ouvrit les yeux et s’assit sur sa couchette. Quelqu’un devait s’adresser à Sadio ailleurs dans le bâtiment. La jeune femme se tendit lorsque la voix synthétique s’éleva de nouveau.

- Le colonel Alenko vient d'embarquer, lieutenant. Il souhaite vous parler.

- OK.

Elle n’avait pas vu son supérieur depuis huit jours. Depuis qu’il lui avait signifié sa mise à pied, le colonel n’était pas remonté à bord du Cyclone, et elle n’avait eu aucun contact avec personne, à part Sadio qui avait reçu pour consigne express de lui interdire tout accès à Extranet et de ne lui fournir aucune information. Ce silence n’avait pas manqué de l’inquiéter, mais à présente, c’était terminé. Elle allait savoir. Tout son destin se jouait maintenant. Comme une automate, la jeune femme se dirigea d’un pas martial vers la salle des transmissions. Ses bottes faisaient résonner sinistrement le sol métallique.

Dans une dramatique répétition des évènements de la semaine précédente, Seven entra dans la pièce et salua. Alenko lui adressa un hochement de tête. Elle scruta le visage de l’officier, cherchant un signe, une indication de ce qu’il allait lui annoncer, mais Kaidan restait impassible. Enfin, au moins, il n’était pas en colère, c’était déjà ça. Sans dire un mot, le colonel lui tendit l’arme qu’elle avait restituée huit jours plus tôt. Abasourdie, la jeune femme la prit, vérifia machinalement la capsule thermique et le cran de sureté, avant de la raccrocher à sa ceinture. Elle avait effectué ces rapides opérations sans même réfléchir, par pur réflexe. Ce n’est qu’une fois le pistolet pesant à sa hanche qu’elle prit conscience de ce que ça signifiait.

- Vous êtes réintégrée, lieutenant. J’ai reçu l’approbation officielle d’Harlan Lowb il y a une heure.

Seven sentit l’oppression de sa poitrine s’envoler. Elle conservait son grade et sa liberté. Elle restait dans l’Alliance. La jeune femme réprima toutefois sa joie. Il fallait qu’elle sache.

- Le SSC ?

- Leur rapport est formel. Vos tirs ont été portés aux jambes et aux bras. Vous avez tenté d’arrêter ces hommes, sans les tuer, et vous n’avez pas utilisé la biotique, cela joue en votre faveur. D’ailleurs, Garhal a abandonné son arme sur place, et les impacts correspondent.

Seven hocha la tête, soulagée. Mais quelque chose la dérangeait. Elle connaissait le conseiller humain : il ne la portait pas dans son cœur. Pour rater une aussi belle opportunité de se débarrasser d’elle, il y avait autre chose.

- Mon colonel… hésita-t-elle. Avec tout le respect que je vous dois, j’ai du mal à croire que Lowb accepte de couvrir cette histoire. Un terroriste qui abat deux agents du SSC au beau milieu de la Citadelle, c’est pas beaucoup mieux que la version précédente pour lui…

- En fait, c’est un peu plus compliqué, déclara Alenko. D’anciens contacts m’ont fait parvenir des transmissions codées, émanant du QG du SSC. Ces deux hommes étaient apparemment des terroristes infiltrés, des agents dormants. Sans doute une faction rivale de celle de Garhal. Ils avaient pour mission de le tuer, ainsi que toute personne en sa compagnie pouvant constituer un témoin ou détenir des informations.

Cette explication laissa la jeune femme perplexe. Elle n’était toujours pas convaincue.

- D’un point de vue politique, avança-t-elle, cette version-là est encore pire… Non seulement des terroristes peuvent se balader dans la station sans être inquiétés, mais en plus le SSC est infiltré. Lowb a dû adorer…

- En effet. Mais ces informations ont le mérite de vous dédouaner. Vous n’avez pas tué ces hommes, et vous défendiez simplement votre vie. Personne ne pourrait vous condamner pour ça, et personne ne le fera. Lowb a tout intérêt à couvrir cet incident. Méfiez-vous, Seven, ajouta-t-il, le conseiller vous a en ligne de mire. Votre prochain faux pas pourrait être le dernier, alors faites gaffe. Je ne serais pas toujours là pour vous sauver la mise.

Penaude, Seven hocha la tête. Il subsistait en elle un fond de doute sur les méthodes que le colonel avait dû utiliser pour convaincre Lowb. Depuis qu’elle avait rejoint l’équipage du Cyclone, le Conseiller cherchait à la faire tomber. Il voulait sa tête, ou au minimum, l’expédier en garnison quelque part dans un trou paumé de la galaxie, loin de la scène publique. L’occasion ici était unique, et le politicien n’avait pas dû y renoncer facilement.

- Oui, Monsieur. Merci… pour tout ça.

Kaidan écarta cette marque de gratitude d’un haussement d’épaules.

- Vous faites partie de mon équipe, Cooper. Je ne lâche jamais mes hommes.

Sur ces mots, l’officier se détourna et effleura la console principale. Une carte de la Voie Lactée apparut sur l’écran, parsemée d’annotations diverses. Un système était ciblé à proximité de ce qui restait des territoires butariens.

- Nous repartons en mission dans deux jours, lieutenant, annonça Kaidan. Garhal, en quittant la Citadelle, s’est dirigé vers ce système. Selon les informations dont dispose le Conseil, c’est certainement dans cette zone que se trouve le QG de son organisation. Nos ordres sont de découvrir cette base, de la démanteler et de nous occuper du butarien. On nous adjoint un second Spectre pour mener cet objectif à bien, il devrait arriver demain avec quelques soldats. Sonnez le rappel de l’équipage, et débrouillez-vous pour trouver de la place à tout le monde.

- À vos ordres, chef.

Seven salua, et sortit. L’idée d’appareiller bientôt, combinée à sa joie de voir ses ennuis s’arranger, provoquait en elle un sentiment d’allégresse difficile à maîtriser. En passant devant une verrière, elle laissa son regard errer un instant vers les nuées de la Nébuleuse. Dans deux jours, la jeune femme serait à nouveau dans l’espace…

Laisser un commentaire ?