Le secret

Chapitre 8 : Un second Spectre

2260 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 08/11/2016 22:40

Le départ était imminent. Dans six heures, le Cyclone se détacherait du quai de l’Alliance et s’éloignerait de la Citadelle. Seven s’activait avec sérénité. Les protocoles bien rodés de l’armée et l’aide efficace de Sadio étaient précieux. Pour l’heure toutefois, elle avait ordre d’accueillir le Spectre qui devait renforcer l’équipe, ainsi que les cinq soldats qui l’accompagnaient. Le Conseil avait gardé le silence sur son identité, aussi fut-elle surprise lorsqu’un groupe de turiens franchirent le sas. Le plus âgé, à leur tête, portait des peintures faciales bleues, et le côté droit de son visage était marqué par d’anciennes cicatrices. Interdite, la jeune femme se troubla. Elle avait vu de nombreux holo de cet homme. Elle avait tenté de le rencontrer, mais les hasards de leurs missions avaient toujours contrarié ce projet. Et voilà qu’il était assigné sur le même bâtiment qu’elle ! Immédiatement, Seven reprit le contrôle de ses émotions et recomposa son expression impassible. Elle avait du travail, il serait  temps de réfléchir aux implications de ce revirement de situation plus tard. Seven fit un pas en avant et salua le groupe.

- Soyez les bienvenus à bord du SSV Cyclone. Je suis le lieutenant Seven Cooper, officier en second.

- Garrus Vakarian, Spectre du Conseil, répondit son interlocuteur.

Elle ne s’était donc pas trompée. Il s’agissait bien du turien qui avait servi sur le Normandy avant et pendant la guerre contre les Moissonneurs. Pas de doute possible.

- Nous appareillons dans six heures, annonça Seven. Le colonel Alenko m’a chargée de vous montrer vos quartiers.

Au même instant, Kaidan parut sur la passerelle. Il posa un regard glacé sur les nouveaux venus.

- Vakarian. C’est donc vous que le Conseil a choisi pour me seconder, constata-t-il.

- Le Conseil a pensé qu’ayant déjà travaillé ensemble, nous serions plus à même de mener cette mission à bien

Alenko ne répondit pas. Il se contenta d’observer le turien qui lui faisait face sans sourciller. Celui-ci ajouta :

- Vous êtes le capitaine de ce vaisseau, colonel. Nous avons conscience de notre statut d’invités.

Muette, Seven sentait la tension qui habitait la passerelle. Les soldats turiens se jetaient des coups d’œil discrets. Pas un n’aurait osé le montrer ouvertement, mais cette situation semblait les mettre profondément mal à l’aise. Pas plus qu’elle, ils n’avaient l’air de comprendre ce qui se jouait entre les deux Spectres. Vakarian se comportait avec assurance, mais sans ostensibilité ni agressivité, tandis que les prunelles d’Alenko irradiaient de cette colère froide et rentrée que Seven connaissait bien. C’était le regard qu’il réservait habituellement aux esclavagistes, aux pirates ou aux terroristes. Cette fureur mêlée de répugnance, provoquée par le constat de son impuissance, qui l’aveuglait parfois devant les spectacles terribles laissés par la lie de la galaxie. La jeune femme ignorait les raisons de cette animosité envers le turien, mais elle semblait ancienne, et bien ancrée…

- Lieutenant, déclara Alenko avec un sourire ironique sans quitter Vakarian des yeux, occupez-vous de nos… invités.

- A vos ordres, mon colonel.

Il suffit d’une dizaine de minutes pour indiquer leur dortoir aux soldats. Seven avait prévu de laisser sa propre cabine au Spectre, mais celui-ci demanda à s’installer auprès de la batterie principale.

- Un problème, lieutenant ?

- C’est… un peu bizarre, fit-elle remarquer.

Garrus Vakarian émit un grognement amusé.

- J’aime avoir l’esprit occupé, et pour ça, rien ne vaut le bricolage d'un canon géant.

- Ou un gang de terroristes à exterminer, marmonna Seven en haussant les épaules.

Bah, après tout, elle n’était pas là pour contredire les caprices des Spectres. La jeune femme guida Garrus Vakarian vers l’avant du vaisseau. Zaäl’Narris, occupé à se disputer avec Sadio sur le meilleur moyen d’optimiser l'entretien du moteur SLM, leur accorda à peine un salut. Seven réprima un sourire amusé. Le personnel du Cyclone avait l'habitude des débats interminables entre le quarien et le geth. C'était le signe qu'ils repartaient enfin dans l'espace. Du bout des doigts, elle effleura la porte de la salle de maintenance du canon. Les capteurs de Sadio disséminés dans la surface métallique se connectèrent immédiatement au réseau électronique qui parsemait sa peau, vérifiant son identité de manière sûre et totalement inviolable. Les battants s’écartèrent avec un chuintement.

- Autre chose, Monsieur ? demanda Seven tandis que le turien considérait la pièce d’un œil satisfait.

- Oui. Pourquoi avez-vous fait cette tête-là en me voyant sur la passerelle ? interrogea Garrus en se tournant vers elle.

La jeune femme demeura interdite. Les turiens n'étaient certes pas reconnus pour leur subtilité, mais à ce point… Poser ce genre de questions ne relevait pas non plus de leurs habitudes.

- Les turiens savent lire les expressions faciales humaines, maintenant ? lâcha-t-elle d’un ton ironique, espérant cacher son malaise.

- J’ai eu l’occasion de fréquenter votre espèce… en profondeur, répondit le turien impassible.

Le sourire moqueur déserta le visage de Seven. Vakarian gardait ses yeux gris-bleu rivés sur elle. Derrière le masque rigide, ses prunelles possédaient une fixité dérangeante. Optant pour une demi-vérité, elle avoua :

- Jack et le major Vega m’ont parlé du vous. Ils ont été mes instructeurs à Grissom et au N7. Ils racontaient souvent leurs services sur le Normandy pendant la guerre.

Garrus sourit et son regard s’adoucit.

- Jack et Vega, hein… Je comprends mieux le chaos de votre dossier, avec ces deux cinglés comme instructeurs, marmonna-t-il. Et maintenant Alenko. Vous traquez les anciens équipiers du Normandy, lieutenant Cooper ?

Le ton se voulait humoristique, mais conservait un soupçon de tension. Seven ne s’y trompa pas : quelque chose, dans son dossier ou son comportement, avait alerté Vakarian. Elle s’appliqua à rester impassible et haussa les épaules.

- Simple coïncidence, Monsieur.

Ses yeux noisette défièrent le regard bleu du turien. OK, le Spectre avait flairé un truc louche, mais il n’avait aucun moyen de savoir. Absolument aucun. Seules deux personnes à part Seven connaissaient son secret, et elles seraient mortes plutôt que de le révéler. La jeune femme n’avait rien à craindre. Mais quelle déveine… Jamais elle n’aurait imaginé que Garrus soit plus difficile à berner qu’Alenko.

- Je ne veux pas vous retenir plus longtemps, lieutenant.

Sans ajouter un mot, elle salua et sortit, le laissant seul. Sitôt la porte refermée, Vakarian soupira profondément. Il ne parvenait pas à se départir de ce malaise qui l’étreignait depuis son arrivée sur le Cyclone. Il hésitait même sur sa cause. En apprenant du Conseil qu’il était affecté au vaisseau de Kaidan, le turien avait pressenti les ennuis, et il n’avait pas été déçu : l’officier de l’Alliance lui vouait toujours une inimitié féroce. Au point de lui faire une scène en public. C’était presque comique : deux vieux soldats qui se disputaient comme des ados pour une femme morte depuis un quart de siècle. Mais au final, c’était plus déprimant que drôle. Kaidan n’allait pas le lâcher, et cette mission serait un cauchemar de bout en bout. Enfin, il fallait espérer que l’humain ne lui colle pas une balle quand tout le monde aurait le dos tourné. Rien qu’à l’idée de devoir se défier ainsi d’un vieil ami, le malaise de Garrus s’intensifia. Mais il n’avait pas le choix, Kaidan pétait vraiment les plombs en le voyant.

Son tourment avait une autre origine toutefois. La haine d’Alenko n’était pas nouvelle, le turien s’en accommodait. Il suffisait de ne pas le provoquer et de rester calme. Plus facile à dire qu’à faire, mais pas impossible. En revanche, le second du Cyclone méritait toute son attention.

Sitôt son affectation reçue, Garrus avait parcouru les dossiers de chaque membre d’équipage. À plusieurs égards, celui de Cooper sortait du lot. Pour tout un chacun, c’était un bon soldat, efficace et discipliné en mission, mais une catastrophe ambulante dans le civil. Déterminée, volontaire, biotique douée, elle aurait grimpé les échelons bien plus vite sans les douzaines d’incidents qui émaillaient ses permissions. C’était la première, et pour beaucoup, l’unique remarque que l’on pouvait faire sur sa carrière. Le Spectre, lui, relevait d’autres points étranges. La jeune femme était née sur Terre deux ans avant la guerre, mais son nom n’apparaissait nulle part avant la reconstruction, une grande partie des archives humaines ayant été détruites lors de l’invasion. De toute façon, elle était orpheline, de père et de mère inconnus, probablement tués par les Moissonneurs. Sans doute l’enfant avait-elle perdu son nom de naissance en même temps que ses parents.

On la retrouvait quelques années plus tard, fichée par la police terrestre pour des vols et autres actes de délinquance. Là encore, rien de surprenant, c’était le lot de la quasi-totalité des gamins des rues sur la planète d'origine des humains.

À dix ans, elle s’était présentée à un bureau de recrutement de l’Alliance, et avait pulvérisé un mur à l’aide d’une charge biotique maladroite et incontrôlée, mais puissante. Premier incident porté à son dossier militaire, qui avait décidé de son envoi à Grissom. La fillette avait profité de « la bourse Shepard », un programme réhabilité quelques mois auparavant pour aider des gosses comme elle à intégrer l’armée.

Le programme Ascension avait tout à gagner avec une élève aussi douée, et malgré les innombrables problèmes de discipline, fugues et bagarres, Seven Cooper était sortie de l’Académie à la seconde place de sa promotion. Prête à intégrer l’Alliance, et peu de temps après, les forces spéciales N7.

Un chemin presque exemplaire. Mais qui rappelait furieusement à Garrus celui d’un autre officier. Fallait-il ne voir qu’une coïncidence dans les similitudes entre la carrière de Cooper et celle de Shepard ? Quantité de soldats humains possédaient un parcours similaire après tout. Peut-être n’était-ce que son imagination… Son désir de la revoir le poussait à la chercher partout. C’était stupide. Elle était morte depuis longtemps. Le turien avait dû l'accepter, malgré son chagrin, malgré l’absence de corps. Il n’avait rien à enterrer, à part des souvenirs. Mais lorsque le sommeil le fuyait, il lui semblait sentir encore la peau de Shepard frôler la sienne, et entendre sa voix à son oreille murmurer "Vous serez jamais seul".

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