Le secret

Chapitre 14 : Le départ

1670 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 08/11/2016 17:45

Étouffant pour un temps leur rancune, les deux Spectres étudiaient ensemble une carte du système avec l'aide de Seven. Zaäl'Narris et Sadio étaient sortis quelques minutes plus tôt, après avoir livré leurs diagnostics de spécialistes techniques. Le bilan de l'attaque était catastrophique : le Cyclone avait d'importantes avaries, dont la plupart ne seraient réparables qu'une fois à l'abri dans l'astroport d'une planète principale. Pour l'heure, le vaisseau était immobilisé pendant au moins six jours, le temps de remettre en marche les moteurs conventionnels. Rien ne prouvait qu'il pourrait ensuite effectuer un saut SLM. En résumé, avait conclu Zaäl, ils étaient dans la merde jusqu'au cou.

Le colonel Alenko avait écouté l'ingénieur sans l'interrompre, puis l'avait renvoyé à son travail. Il avait gardé Sadio quelques instants de plus pour que le geth réactive l'holomap du centre de transmission.

Pour l'heure, le capitaine du Cyclone restait silencieux en observant la carte holographique qui se déroulait devant eux. Impassible, Vakarian l'imitait, tandis que les yeux de Seven allaient discrètement de l'un à l'autre.

- Nous ne pouvons pas abandonner la mission, lâcha finalement Alenko.

Le turien haussa les sourcils et rétorqua :

- Que comptez-vous faire ? Faire les réparations d'urgence et attaquer ensuite la base terroriste avec ce vaisseau ? Il risque de tomber en miettes à tout instant.

Le ton ironique du Spectre ne parut pas toucher Kaïdan, qui secoua la tête.

- Le Cyclone ne sera pas en état de bouger d'ici avant au moins six jours, c'est trop long. Garhal a déjà deux jours d'avance sur nous, et nous devons partir du principe que les chasseurs ont pu transmettre notre position à leur base. S'ils attaquent à nouveau, on est foutus. Notre seule option, c'est d'y aller en premier.

- Comment pourrions-nous, mon Colonel ? intervint Seven. Vous l'avez dit vous-même, le Cyclone est immobilisé.

- Nous prendrons la navette encore intacte.

Vakarian et Seven restèrent bouche bée, avant de se lancer un coup d'œil furtif. La navette ne pouvait transporter que onze personnes, sans compter le pilote. C'était amputer les équipes au sol de plus du tiers de leur effectif. Un pari d'autant plus risqué que les commandos humains se composaient de bleus sans expérience. Sans paraître s'émouvoir de la surprise de ses subordonnés, Alenko afficha l'holomap.

- Vous êtes complètement fou, Alenko ! s'exclama le turien.

- La ferme, Vakarian ! aboya le colonel. Deux équipes de diversion attaqueront la base ici, et là, ajouta-t-il en désignant les points en question sur la carte de la zone, tandis qu'une escouade d'infiltration forcera le passage de ce côté.

- Nous ne connaissons pas les défenses que Garhal a pu mettre en place, lança Vakarian, les équipes de diversion…

- …feront leur boulot ! coupa Alenko. Leur rôle est de tenir suffisamment longtemps pour que l'équipe d'infiltration pénètre le bâtiment, capture Garhal et fasse sauter ceci.

Il indiqua une pièce au centre du complexe.

- D'après les informations fournies par le Conseil, il s'agirait d'une bombe basée sur la technologie Moissonneur, certainement récupérée sur Rannoch il y a vingt-cinq ans.

- C'est du suicide ! hurla Vakarian.

Alenko rétorqua, et le ton continua à monter entre les deux hommes. Silencieuse, Seven réfléchissait. Réduire  les commandos était un pari très risqué. S'ils avaient une connaissance parcellaire de la topologie du bâtiment, ils ignoraient complètement le nombre d'ennemis à l'intérieur, ainsi que les défenses mises en œuvre. D'un autre côté, même si le brouillage avait empêché les chasseurs d'envoyer des signaux de détresse, leur QG comprendrait immédiatement ce qui s'était passé en ne les voyant pas revenir et déserterait la place en quelques heures, en emmenant cette fameuse bombe. Le temps jouait contre les agents de la Citadelle.

- À qui est destinée cette bombe ?

La question de la jeune femme arrêta net ses supérieurs. Le turien et l'humain qui se hurlaient dessus jusque-là se tournèrent vers elle.

- Nous l'ignorons, répondit Alenko en se redonnant une contenance. Les infos divergent. Tantôt elle est destinée à la Citadelle, tantôt à l'une des planètes mères : la Terre, Palaven, Sur'Kesh ou Thessia. Peut-être Irune, étant donné la rapide montée des volus dans la politique interstellaire ces dernières années. Dans tous les cas, il s'agira d'une attaque sur cibles civiles.

- Je ne vois pas le rapport, s'enflamma Vakarian.

- Il est simple pourtant. Garhal va se barrer et faire sauter cette bombe. Des milliers de gens mourront, sur ma planète, la vôtre, ou une autre, peu importe en fait. Vous voulez avoir ça sur la conscience ?

Garrus resta silencieux un moment. Son premier geste fut de réfuter l'argument par la simple logique : comment une dizaine de soldats pourraient-ils abattre une base de cette envergure ? Quelque chose le retint, toutefois. Seven le regardait, son visage totalement impénétrable. Seuls ses yeux flamboyaient de combativité. Le vieux turien reconnaissait dans cette expression des souvenirs enfouis profondément en lui, des missions où rien qu'une dizaine d'hommes avait suffi à changer l'histoire de toute une galaxie… Des soldats expérimentés, des hommes et des femmes habitués à se battre et à rester en vie, pas un groupe de bleusailles à peine sorti des jupes de leurs mères. Pourtant… Les yeux clairs de la jeune humaine rivés sur lui le déroutaient. Le regard était droit, net, précis. Décidément, Cooper avait plus d'une ressemblance avec Shepard… Le turien grogna, puis lâcha :

- Je croyais vraiment en avoir terminé avec les missions suicide. Quand est-ce qu'on part ?

 

Trois heures plus tard, exactement, les commandos embarquaient dans la navette à destination de la planète voisine. Tout en vérifiant machinalement armure, ampli biotique et fusil d'assaut, Seven jeta un œil à la ronde. Les escouades constituées par le colonel n'avaient pas fait l'unanimité : les équipes de diversion comportaient chacune deux humains et deux turiens. À contrecœur, les bleus avaient fini par admettre la nécessité d'avoir des aliens comme chef d'escouade. Les compagnons de Garrus brillaient par leur discipline et leur expérience, ce qui n'était pas le cas des soldats de l'Alliance… Toutefois, Seven ne se faisait pas trop de soucis pour eux : une fois dans le feu de l'action, les turiens sauraient prendre l'ascendant sur leurs hommes, ils étaient naturellement doués pour cela. Cependant, l'équipe d'infiltration posait un problème épineux.

À son habitude, Alenko avait décidé de la commander, gardant son second à ses côtés. Qu'il éloigne en revanche le caporal Lomin, c'était inédit. Surtout pour ordonner à Vakarian de le remplacer… Bien sûr, Lomin était tout désigné pour superviser les bleus restés sur le vaisseau, en cas d'attaque. Bien sûr, Garrus était certainement l'un des meilleurs soldats à bord, et son concours ne serait pas de trop dans cette mission. Cependant, compte tenu de l'inexplicable haine entre les deux vétérans, Seven se méfiait de cette décision et surveillait attentivement ses compagnons. Fidèle à lui-même, le Spectre turien qui bricolait impassiblement son fusil de précision semblait étranger à tout stress. Non moins détendu, le colonel avait pris place à côté du pilote et passait en revue une fois de plus les données topologiques de la base de Garhal. Les bleus en revanche trépignaient d'impatience, tandis que leurs équipiers aliens échangeaient à voix basse pour coordonner leur assaut.

Seven restait calme, mais l'excitation grandissait au fond d'elle-même. Dans quelques heures, ils seraient débarqués en terrain ennemi, et il n'y aurait plus de place pour les discussions et les tergiversations sans fin. L'action, enfin… Une mission désespérée, une attaque éclair… Un frisson d'expectative la parcourut et elle sentit les premiers signes d'une prochaine décharge d'adrénaline. Par le hublot, elle fixa son regard sur l'atmosphère brillante de la planète qui approchait et sourit. Pour rien au monde elle n'aurait souhaité être ailleurs.

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