Le Dogue d'Eire, Le Roi sans Couronne

Chapitre 9 : Cu chùlainn

5025 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 23/08/2021 11:54


Le tournoi. C’était la seule chose se trouvant dans la plupart des esprits de la ville. Enfin de quoi les distraire de la chaleur caniculaire et du travail qui en devenait épuisant. Cette même chaleur poussait chacun à trouver refuge au frais, comme les auberges et autres pubs de la ville. Les participants avaient pour la plupart trouvés une chambre dans ces bâtiments. Ces commerces devaient d’ailleurs largement profiter de l'événement au niveau économique. 

En vérité, Setenta avait failli manquer les inscriptions d’une demi-heure. Maintenant, il attendait patiemment, près des tribunes, tandis que chacun terminait de ranger son armement, d’enfiler son armure. Lui ne portait aucune protection. Il comptait beaucoup trop sur sa vitesse pour s’alourdir comme ça. Bien sûr, il lui serait impossible d’employer la moindre once de magie lorsque les combats commenceraient. Il ne pourrait compter que sur ses capacités basiques. Ça et ses épées. Heureusement pour lui, il ne s’agissait pas là d’une joute. Seth avait toujours eu du mal avec l’équitation, les chevaux appréciant généralement peu le Dogue. 

Le jeune roi ne serait pas le premier à passer, loin de là. Il y avait bien au moins quatre duels qui avaient déjà eu lieu et ça lui convenait fort bien. Après tout, ça lui avait permis d’observer le style de combat de chacun et il ne pouvait pas demander meilleure préparation pour la suite.

Le bruit du gong le fit sursauter. Depuis le massacre, le brun avait de plus en plus de mal à gérer les bruits trop violents. Il grinça, passant une de ses mains bandées sur ses tempes, attendant que les prochains combattants soient appelés:

“Cu chùlainn contre le chevalier Graeme de Nalgò !” 

Setenta se redressa, vérifia une dernière fois ses armes et l'agrafe du voile qui dissimulait en majeure partie son visage et sortit de la tente. Dehors, un large rectangle de sable terminait d’être ratissé tandis que le bruit dans les tribunes (dont seule la royale était protégée du soleil) commençait à baisser. Si le peuple était là, Seth ne vit toutefois aucun visage qu’il pouvait relier à la famille royale. Ceux-ci n’étaient pas encore arrivés…

Alors qu’il se dirigeait vers le terrain, il entendit une conversation entre un homme assez âgé aux cheveux blancs mi-long et quelqu’un qui supposa être une des aides d’organisation :

“Il est retourné dans sa tente comme si de rien était et il s’est soudainement effondré !” disait le second en se dirigeant vers l’une des tentes.

“Il n’était pas blessé ?” s’enquit le plus âgé en le suivant.

“Si, mais c’était loin d’être mortel, il a déclaré forfait !” 

Seth fronça les sourcils, mais il n’eut pas l’occasion d’en apprendre plus, le vieil homme (qu’il supposait être un médecin de quelque sorte) lui jeta un regard perçant et le voyageur préféra y échapper plutôt que d’attendre les questions.

Lorsqu’il rejoignit le terrain, ce dernier était déjà occupé par un homme à l’armure au tissu jaune-orangé. Son heaume déjà abaissé empêcha le jeune homme de voir de qui il s’agissait. Il possédait une lame fine au pommeau rond. Visiblement, il s’agissait d’un de ceux qu’on pouvait dévisser pour lancer sur son adversaire. Une arme militaire donc. Un nouveau coup contre le gong retentit:

“Commencez !”

Setenta para le premier coup avec une facilité certaine. Son adversaire était rapide, mais sa force laissait à désirer, pour ce genre d’attaque du moins. Il repoussa la lame de sa première épée tandis que la seconde fendait l’air en direction du flanc non protégé du chevalier. Ce dernier se laissa tomber à terre avant de s’écarter d’une roulade, esquivant un coup qui aurait pu lui être mortel. Là où il se redressa finalement, les lames doubles du second combattant se croisèrent, l’obligeant à reculer encore une fois, manquant de perdre l’équilibre.

    Seth entendit le début d’une phrase mais, trop concentré sur son attaque, il n’y prêta pas attention. Il força la chute de Graeme en coupant son dernier appui. Le chevalier tomba violemment sur le dos, dans un fracas métallique. Lorsqu’il posa une main gantée sur son heaume pour le relever, il trouva une lame sous sa gorge. 

Le public retint son souffle. Le combat n’avait duré qu’une dizaine de minutes, c’était le second de suite qui se déroulait d’une telle manière. Ce tournois s’avérait… Étrange.

“Je ne tiens pas à-”

La phrase de Seth fut brutalement interrompu:

“Je déclare forfait !” s’exclama le chevalier, retirant finalement son casque.

Il révéla un visage jeune, encadré de boucles brunes et aux yeux clairs. Seth fronça les sourcils. Il y avait quelque chose de familier chez cet homme…

“Cu chùlainn remporte ce combat par forfait!” averti l’arbitre. 

C’est très surpris que Seth quitta le terrain. Son adversaire avait été déconcentré par quelque chose dont il ignorait encore le sujet. C’était extrêmement agaçant de se retrouver dans un combat aussi simple. Même lorsque sa rapide victoire l’arrangeait… Le jeune homme retira le voile qui cachait son visage et le jeta sur une table. Ce geste faillit dissimuler le bruissement de tissus provenant de la tente. Faillit.

“Prince, je-”

Le visage de Setenta perdit toute couleur. Il réagit en un éclair, attrapant l’arrivant par le col avant de le plaquer contre l’un des poteaux de la tente. 

“La ferme !” siffla le brun, ses yeux lançant des lueurs dangereusement dorées, “Qui êtes-vous ?”

“Graeme de Nalgò, d’Eire sire !” répondit le plus jeune, sur un ton frôlant la panique.

“Impossible, toutes les familles nobles ont été éliminées lors de la cérémonie.” le coupa Seth sans desserrer sa prise.

“Je n’étais pas là ! Mon père était souffrant, j’étais de garnison ce soir là et je n’ai pas pu le remplacer!” s’expliqua le chevalier, “Je ne suis pas là pour vous attirer des ennuis, je voulais juste obtenir des nouvelles.” 

Après un bref instant de silence, Setenta le relâcha et s’écarta.

“Désolé… Je ne peux pas me permettre d’être découvert pour le moment… ” souffla-t-il, passant une main gênée dans ses cheveux.

“Et donc pour ça, vous avez utilisé votre nom de guerre ? Ce n’est pas vraiment la meilleure stratégie dont j’ai entendue parler.” lui fit remarquer Graeme en s’écartant à une distance plus prudente.

Un demi-sourire apparut sur les lèvres du roi:

“Je n’ai jamais prétendu être un aussi bon stratège que mon père. Plus sérieusement, à part Uther, je ne vois personne pouvant comprendre de quoi il s’agit. Et encore, je doute qu’il ait toutes les informations.” 

Graeme arqua un sourcil mais ne fit aucune remarque. Il se savait avoir été chanceux et préférait éviter de ressasser les souvenirs de cette nuit sanglante.

“J’ai entendue des rumeurs pendant mon voyage pour le tournoi, elle disait que l’Eire ne respectait pas les lois d’Uther et ce parce que son héritier était en train de la reconquérir. Je suppose que c’est la raison de votre présence ici?

-Les rumeurs en savent beaucoup trop à mon goût.” grinça le plus âgé, “Mais oui, je suis là pour ça. Je gagne le tournoi puis je révèle à Uther qu’il y a un héritier légitime et gênant pour le trône d’Eire.” 

Le chevalier qui lui faisait face laissa échapper un léger rire:

“En somme, j’ai bien fait de déclarer forfait.

-Oui, je suppose qu’on peut dire que vous avez accéléré les choses.” admit Seth, “Espérons que je n’ai pas à tuer qui que ce soit pendant un moment, je n’ai aucune envie de me mettre ce royaume à dos.

-Dans ce cas, vous avez de la chance que le prince d’Arthur n’ait pas pu participer, je doute qu’il vous aurait laissé le choix de ne pas vous battre pour tuer. Et vous vous seriez probablement fait exécuter par son père après.” fit Graeme avant de chasser la pensée d’un court geste de main, “Passons, savez-vous lorsque votre prochain combat aura lieu ? Il ne doit pas en rester beaucoup.”

Setenta réfléchit, jouant distraitement avec l’anneau qu’il portait au cou. Il était passé dans les derniers lors des quarts de finale, aussi supposait-il qu’il ferait partie de la seconde demi-finale. 

“D’ici une heure, peut-être deux. Espérons que mon prochain duel soit aussi rapide qu’avec vous... ” 

§

 Le coup arriva rapidement. Setenta eut tout juste le temps de relever une de ses épées pour contrer celle qui s’abattait sur lui. Son bras ploya sous la force de son assaillant. Accompagnant le crissement des lames, des étincelles se mirent à danser devant les yeux des deux duellistes. Bloquant toujours son adversaire, un simple mouvement de poignet permis au voyageur de piéger la lame de l’attaquant au sol.

Seth décida ensuite de prendre un risque: alléger sa prise, quitte à se faire renverser, pour envoyer sa force dans son bras gauche.

Le soudain affaiblissement de la lame contre laquelle il forçait déséquilibra le second combattant, mais Seth ne lui laissa pas le temps de tomber au sol. Sa prise sur sa lame gauche se raffermit et, en quelques secondes, elle perça la jointure de l’armure, allant jusqu’à s’enfoncer dans la chaire. Un cri résonna dans le heaume qui lui faisait face. N’y prêtant aucune attention, Setenta poursuivit jusqu’à ce que la garde l’arme entre en contact avec les plaques de l'armure.

Puis, d’un simple coup de pied, il fit tomber l’homme à terre. Le voyageur retira sa lame d’un mouvement vif, lui faisant exécuter un arc de cercle, la débarrassant du sang qui l’ornait tandis que sa lame droite allait se placer contre la gorge du blessé. Celui-ci, désarmé, ne pouvait plus utiliser son bras dominant. Lâchant son arme, il retira son casque, révélant un homme dans la quarantaine, aux traits crispés par la douleur.

“Forfait!” cria-t-il à l’intention du juge qui se tenait non loin.

“Alaric de Breston perd par forfait!” annonça ce dernier, préférant ne pas mentionner que c’était la deuxième victoire par forfait qu’obtenait Cu chùlainn. 

Alors qu’il frappait son gong, Setenta rangeait prestement ses armes. Il attrapa le bras valide de son adversaire et l’aida à se relever:

“Vous devriez garder votre bras, mais l’on ferait sans doute mieux de vous emmener au guérisseur.” dit-il d’une voix assez forte pour se faire entendre par-dessus le brouhaha de la foule. 

“Merci gamin, mais je crois que je peux encore marcher seul… ” grommela le plus âgé.

“Je n’en doute pas une seule seconde sire.” répondit Setenta, un demi-sourire tandis qu’il confiant son ancien adversaire au guérisseur qu’il avait croisé plus tôt.

Désormais près des gradins, son cœur rata un battement. Il ne l’avait pas remarqué pendant l’agitation du combat, mais la tribune royale était désormais occupée. S’il ne voyait pas Uther directement, il pouvait toutefois distinguer sa silhouette… Près de ce dernier, il remarqua la jeune femme qui l’avait guidé à son arrivée. Setenta comprit rapidement qu’elle devait être là en tant que suivante de la femme brune à ses côtés. 

Voyant que Guenièvre regardait dans sa direction, le jeune homme descendit le voile qui couvrait son visage, adressant un large sourire à sa cadette. Celle-ci mit un instant à réagir avant de sourire et de lui faire un léger signe de la main. Le jeune homme disparut quelques secondes après, alors que la voisine de Gwen se retournait:

“Tu le connais ?” s’enquit celle-ci en regardant le combattant s’éloigner.

Guenièvre secoua la tête:

“Pas vraiment, je lui ai juste indiqué le chemin hier.”

Dame Morgane afficha un air pensif, revoyant le visage d’Uther lorsque le nom du guerrier avait été annoncé. Étrangement, son origine n’avait pas été cité. Sa tenue et son style de combat semblait indiquer l’orient, mais le nom employé indiquait clairement la langue celtique. 

“Souhaitez-vous une pomme mes dames ?” demanda une petite voix, interrompant les pensées de la jeune femme.

La voix en question appartenait à une enfant portant une jolie robe violette, elle arborait des joues légèrement rougies et des dents du bonheur. Guenièvre lui donnait moins de dix ans. Le roi, qui juste là s’entretenait avec un conseiller, lui jeta un bref regard et lui tendit une pièce qui alluma des étincelles dans les yeux de la petite vendeuse. Cette dernière lui tendit joyeusement une pomme à la peau rouge éclatante avec un “Merci sire! Bon tournoi !” auquel Uther répondit d’un sourire amusé. Il ne garda toutefois pas le fruit et le tendit à Morgane:

“Tenez ma dame, j’espère que les prochains combats vous plairont plus.” 

Sa pupille acquiesça alors que les combattants suivant s’avançaient sur le terrain.

§

Lorsque la finale arriva, Setenta n’avait reçu aucun coup, ou presque. En tout cas, il n’avait pas eu pire qu’une estafilade et quelques hématomes. Il s’était aussi débrouillé pour ne tuer ni blesser gravement qui que ce soit. Toutefois, au vu de son prochain adversaire, il doutait de pouvoir continuer ainsi. Après tout, le chevalier de Valognes s’était montré particulièrement… doué. Son premier adversaire s’était effondré peu après avoir déclaré forfait et était mort, le second avait perdu (littéralement) la tête et le troisième y avait laissé un bon morceau de jambe. Et vu les cris qui avaient retenti plus tôt, Seth doutait qu’il en revienne. 

Il serait obligé de se montrer d’autant plus prudent qu’il ne pouvait pas utiliser la moindre once de ses capacités surnaturelles, surtout s’il souhaitait garder son identité secrète. 

“Vous pensez vous en sortir?” s’enquit Graeme en se postant aux côtés du roi qui observait le terrain.

Ce dernier haussa les épaules:

“Je me préoccupe plus de ce qu’il adviendra après.

Et quels sont vos plans en cas de refus pour l’audience?” poursuivit le chevalier.

Setenta laissa échapper un léger rire:

“Je doute qu’Uther prenne le risque d’avoir un esclandre sur les bras après tout, les Lir sont d’anciens alliés de Camelot et, de ce que j’en sais, nous étions assez populaires ici.”

Voyant que les serviteurs terminaient de ratisser la terre battue, Seth resserra les bandes de tissus qui entouraient ses poignets. Le combat commencerait bientôt. Ceci fut confirmé lorsqu’il fut brusquement bousculé. Graeme posa immédiatement sa main sur le pommeau de son épée. 

“Vous devriez vous montrer plus prudent sire, je serais désolé de vous blesser gravement lors de notre futur duel.” railla de Valognes, “On dirait que votre ami est plus réactif que vous mon vieux.

-Et si vous gardiez votre verve pour la poussière que vous allez mordre, sire ? Je doute qu’elle vous soit bien utile pour le moment.” répondit Seth sur un ton sarcastique tout en faisant signe à son compatriote de se calmer.

Seul un sourire narquois lui répondit. Le normand ne prit pas la peine de répliquer et sortit de la tente.

“Vous devriez vous montrer vigilant, aucun de ses adversaires ne s’en est tiré. Pas même ceux aux blessures légères.” l’informa Graeme en observant d’un air sombre les spectateurs acclamer de Valognes.

“Ce serait une lame empoisonnée ? Intéressant.” acquiesça Setenta avant de s’avancer.

Graeme le retint:

“Je vous conjure d’être prudent sire. L’Eire ne peut se permettre de perdre un autre de ses rois.”

Setenta ne répondit rien, le visage fermé, et sortit. Il avait rabattu son voile, ne laissant de nouveau paraître que ses yeux. 

Dès qu’il fut au centre de l’esplanade, les clameurs redoublèrent, chacun acclamant son favori. Seth et de Valognes faisaient désormais face à la tribune royale. Si Valognes arborait un sourire des plus charismatiques, son heaume sous le bras, Seth ne pouvait que remercier son voile de cacher son air crispé. Avant que le héraut n'annonce la finale, Uther Pendragon se leva, sa cape écarlate suivant le mouvement dans l’air chaud de l’après-midi. Dès qu’il fut debout, le brouhaha se calma jusqu’à s'éteindre complètement. Contrairement à son futur adversaire, qui garda une posture détendue, Setenta se raidit. 

Il n’avait pas vu le roi depuis des années. Pas depuis son propre rituel d’intronisation, près de huit ans auparavant, à l’époque où Uther et Odran pouvaient encore discuter calmement. Il savait toutefois à quoi s’en tenir, sa propre situation l’opposant directement au dirigeant de Camelot.

“Chevaliers !”

La voix d’Uther tira le jeune homme de ses pensées.

“Vous vous êtes révélés astucieux, des combattants braves, et vous êtes montrés à la hauteur de ce tournoi et du titre qu’il octroie. Celui de vous deux qui gagnera ce combat final remportera une bourse ainsi que la fleur de Camelot.” poursuivit le roi de Camelot avant de se tourner vers la jeune femme brune à ses côtés.

Morgane se leva, ses yeux se posant sur les deux combattants dans la lice. Contrastant avec sa robe d’un bleu roi profond, ses mains pâles tenaient un écrin de velours rouge carmin. Elle défit le verrou doré, révélant un intérieur d’un précieux tissus crème. La boîte elle-même valait déjà une petite fortune, mais ce n’était rien comparé à l’artefact qu’elle contenait. Il s’agissait d’une rose de pierre rouge sombre, très certainement un grenat ou un rubis, taillée par les outils les plus fins et l’orfèvre le plus doué du royaume. Le centre de la fleur était un quadrillion de feuilles d’or sur laquelle était fixée une perle blanche d’une pureté équivalente à la peau de celle qui soutenait son écrin. Pour terminer le bijou, son créateur l’avait fixé à un socle d’Agathe et d’émeraudes qui en constituaient la tige et le feuillage. Toutefois, nulle épine à l’horizon. 

Le soleil tapait précisément sur la pierre, envoyant des reflets écarlates sur la peau de ceux qui se trouvaient là. Chacun avait du mal à en détourner le regard.

“Ce n’est pas le plus beau joyau de ce tournoi sire, si je puis me permettre.” nota de Valognes d’un ton terriblement doucereux. 

Si son commentaire tira un sourire au roi et aux quelques membres de la cour à ses côtés, il ne lui attira qu’un regard sombre de la part de Morgane qui se contenta ensuite de l’ignorer complètement. Elle referma l’écrin, le faisant disparaître dans la longue manche de sa robe, avant de se rasseoir à sa place

“Maintenant, assez parlé! Place au duel !” conclut Uther en faisant signe au héraut de s’avancer pour prendre la parole.

“Le chevalier Henri de Valognes contre Cu chùlaìnn !” annonça le héraut en s’avançant.

Le premier enfila son heaume et en fit tomber la visière. Sa main était désormais posée sur la garde de son épée. Seth croisa ses bras dans son dos, prêt à dégainer les épées de sa ceinture. Pour la première fois depuis le début du tournoi, il se sentait nerveux et il n’aurait su dire si cela venait de la menace que représentait son adversaire ou de la proximité de son but.

“Commencez !”

De Valognes le pris au mot. Il dégaina sa lame dans un chuintement aigu et l’abattit en un coup transversal sur le plus jeune. Il était rapide, surtout pour quelqu’un portant une armure. Setenta s’écarta d’un saut en arrière. Le coup aurait sans nul doute été fatal. Le brun dégaina l’une de ses deux lames et para le second coup. Henry avait le mérite de supporter un rythme constant sous une chaleur de plomb et une cotte de mailles. Toutefois, la seconde épée de Seth avait quitté son fourreau. Dans un bref arc de cercle, la lame incurvée frappa la jointure des mailles au niveau de l’épaule. Sans que les combattants le réalisent vraiment, le premier sang du duel venait de couler. 

La première goutte de sang éclata au sol. Carmin sur doré, grenat sur feuille d’or, une brève harmonie rapidement interrompue par le sable soulevé par une nouvelle attaque. La botte de de Valognes crocheta la jambe de Setenta. Celui-ci roula dans le sable. Une chute, dans un tournoi de chevalerie traditionnel, aurait probablement signée l’arrêt de mort du duelliste visé. Cependant, Seth avait un avantage comparé à un chevalier lambda: il était dépourvu d’armure. 

En bondissant sur ses pieds, il sentit la pointe de l’épée de Valognes s’enfoncer dans les plis de ses manches, n’évitant le voile qui couvrait son visage que par miracle. Profitant qu’Henry était entraîné par élan, Seth s’abattit sur lui. Il percuta le torse du normand avec la ferme intention de l’envoyer au sol. De Valognes ne se rattrapa qu’en plantant son épée dans la terre battue. Alors qu’il se redressait, son heaume fut violemment frappé par le pommeau de la seconde épée de son adversaire. Sonné, ce fut avec difficulté qu’il para le coup suivant. Il recula à nouveau. Tant et si bien que, coup après coup, il se retrouva à ferrailler contre Setenta dos à la palissade.

Alors qu’il se retrouvait à parer de nouveau, Setenta retira sa lame, l’abandonnant presque à la prise du plus âgé. Ce dernier n’eut pas le temps de se préparer au choc. L’irlandais avait lâché la garde de sa première épée, bloquant celle du normand au sol avant d’abattre la seconde. Il avait visé la jointure du heaume et de la cotte de mailles. Il espérait ainsi blesser suffisamment son adversaire pour mettre un terme au combat. Toutefois, De Valognes était un duelliste plus qu'expérimenté. Il lâcha à son tour sa garde et, projetant du sable dans les yeux de l’autre, réussit à se sortir de l’étau dans lequel il se trouvait. 

Brièvement aveuglé, Seth ne pu que se baisser pour éviter l’arc de cercle effectué par sa propre épée. Celle-ci avait été rapidement récupérée par De Valognes. Sans attendre, ce dernier poursuivit sur sa lancée. Une nouvelle feinte et Setenta se retrouva désarmé. La foule fut parcourue par un murmure commun, puis, le silence s’installa dans les gradins. Il n’y avait plus d’acclamation désormais et, sous le soleil brûlant, l’atmosphère était une chape de plomb. Instinctivement, Setenta se courba vers l’avant, prêt à répondre au coup qui s’abattrait. 

Cependant, le chevalier fit un pas en arrière. Voyant l'effroi apparaître dans les yeux de son adversaire, Seth se reprit immédiatement. Pendant un bref instant, il avait laissé son instinct prendre le dessus. Encore. Ses yeux reprirent une teinte plus sombre et il redressa sa posture qui tenait jusqu’à lors plus de l’animal que de l’homme. Il n’avait plus qu’à prier pour que cela soit passé inaperçu. Toutefois, il prit avantage de la surprise qu’il avait créé. Il ne pouvait pas laisser son adversaire sortir de la lice, plus maintenant. Setenta bondit en avant, se laissant tomber au dernier moment dans le sable. Il sentit la lame frôler sa joue, y laissant une ligne brûlante, alors qu’il se rétablissait derrière son adversaire. De Valognes n’eut pas le temps de se retourner. Cu chùlainn frappa durement sa jambe gauche, manquant presque d’en briser l’os malgré les protections. Alors que les genoux du chevalier touchaient le sol, son adversaire plongea son épée dans la jointure entre son heaume et son épaule, perçant complètement l’armure. 

Au milieu du tonnerre de clameurs des gradins, le cri du Normand se tu. Respirant pour ce qui semblait être la première fois depuis son désarmement, Seth lâcha la garde de l’arme. Il ne s’agissait pas d’une de ses armes, mais de celle d’Henry. Dans un bruit sourd, le corps de ce dernier tomba dans le sable. Le gong tira un grincement de douleur à Setenta ainsi qu’un soupire de soulagement. Ignorant les applaudissements de la foule, le brun récupéra ses armes avant de s’écarter. La lice venait de s’ouvrir, livrant le passage à trois hommes dont le guérisseur qu’il avait croisé plus tôt. Ce dernier le dévisagea tandis que ses aides soulevait le corps de De Valognes. Seth détourna immédiatement le regard.

“Mes sieurs dames ! Nous avons le vainqueur du tournoi de Camelot !”s’exclama la voix du héraut, situé près de la loge royale. 

Seth fit craquer ses cervicales puis rejoignit celle-ci sous les applaudissements de la foule. Il se plaça de manière à faire face à ses occupants. Guenièvre lui adressa un large sourire, quelque peu assombri par le sang sur les vêtements du duelliste. En serrant les dents, l’irlandais effectua une brève révérence. Bien que très courte comparée à la réglementation habituelle, Uther ne sembla pas en prendre ombrage. Il mit ce comportement sur la fatigue due au rude combat et se leva. 

“Chevalier, vous vous êtes montré digne de ce tournoi !” commença-t-il tandis que Morgane le rejoignait, l’écrin dans ses mains pâles, “Vous recevrez votre monnaie plus tard, mais la rose de Camelot vous revient de droit. Approchez.” 

Setenta obéit, sans rien répondre. Il attendait le bon moment. La pupille du roi lui tendit l’écrin qu’il accepta avec un signe de tête. Croisant son regard un bref instant, Morgane fronça les sourcils. Seth s’empressa de reculer, craignant que la brune ait remarqué ses yeux durant le duel. 

“Sire, c’est avec plaisir que je reçois ce prix,” mentit-il une fois à nouveau en face d’Uther, “mais j’aimerais demander autre chose à la place des pièces d’or que vous promettiez.” poursuivit-il en laissant distraitement ses doigts parcourir les gravures du couvercle de l’écrin.

Une vague de discussion envahi à nouveau les gradins. Ce tournois s’avérait des plus intéressant et ce malgré l’absence du prince Arthur. Le regard du père de ce dernier passa sur Morgane avant de revenir sur le voyageur, levant le poing pour faire revenir le silence. 

“J’écouterai ta demande, chevalier, mais je me garde le droit de refuser une demande qui excéderait ton prix.” déclara le plus âgé, intrigué par celui qui lui faisait face.

Setenta laissa un léger rire secouer ses épaules avant de secouer la tête:

“Ma demande n’a rien d’extravagant votre majesté, je demande juste un entretien avec vous.” 

Uther arqua un sourcil, un début de sourire aux lèvres. Une entrevue contre une bourse de pièces d’or ? Cela lui semblait un échange plus que profitable. Toutefois, il gardait une certaine méfiance.

“J’accepte ta requête, chevalier, mais avant cela, j’aimerais connaître ton nom et ton visage.” déclara-t-il.

Seth acquiesça lentement. 

“Pourriez-vous garder cela pour moi encore quelques instants ma dame ?” demanda-t-il en tendant l’écrin à Morgane.

Cette dernière accepta rapidement. Comme le reste des spectateurs, elle aussi était impatiente de voir le visage du vainqueur et était aussi désireuse de connaître son identité.

Le vainqueur en question la remercia d’un signe de tête avant de reculer à nouveau. Il se plaça cette fois de façons à ce que tous puissent le voir. Il dégrafa son voile et, détachant ses cheveux en même temps, le retira complètement. Uther pâlit, mais il n’eut pas le temps de faire quoique ce soit avant que Seth ne parle :

“Mon nom est Setenta Lir, fils d’Odran Lir, et roi légitime d’Eire.” 

Setenta n’avait pas crié, mais sa voix avait porté assez loin pour chacun l’entende. Le sang qui coulait sur ses mains battait à ses tempes. Morgane s’était redressée dans son siège, la scène prenant désormais un intérêt bien différent à ses yeux, tandis que Guenièvre contemplait le simple voyageur qu’elle avait aidé d’un regard abasourdi.

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