Miyuki ( d'Après le manga de Mitsuru Adachi, 1980)

Chapitre 1 : La jeune fille de mes rêves, c'était...

5089 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 13/02/2015 16:38

Nous étions finalement arrivés à cet hiver que je redoutais tant. Ce fut reparti pour l’écharpe, les gants et le bonnet. J’ai toujours été en effet un garçon très frileux… Je me souviens…Les fêtes de fin d’année approchaient et l’année 1981 allait commencer. Comme le temps peut passer vite !

 

Je m’appelle Masato, Wakamatsu Masato. Que dire de plus…J’ai seize ans, presque dix-sept et je suis au lycée Seika, à Tokyo. J’y suis à l’aise et je ne travaille pas trop mal en classe. En marge de notre emploi du temps qui est assez ardu, je passe certainement les moments les plus merveilleux de ma vie, ma vie d’étudiant, ma jeunesse.

 

On dit toujours que l’enfance est la plus belle période que l’on puisse vivre, mais je dois dire que mon adolescence surpasse de loin cette époque. En effet, j’étais comblé pour ce qui est des amis, mais la famille…

Celle que je possède se réduit à deux membres, mon père et ma sœur.

 Qu’en est-il de ma mère ? Elle est morte. Je n’ai d’elle aucun souvenir si ce n’est des photos. Je n’ai connu la douceur maternelle qu’auprès de la seconde femme qu’avait épousé mon père.

 

C’était une très bonne mère. Et avec elle, nous étions comblés tous les trois.

 

Ah, je tuerais pour revivre ces précieux moments, comme quand on courrait après les vagues sur la plage ou qu’on l’accompagnait faire les courses. Je me souviens, je ne voulais jamais lâcher sa main, même lorsqu’on passait au rayon tentant des jouets.

Elle nous aimait, elle ne voulait pas nous quitter et nous ne voulions pas la quitter non plus.

 

On pensait vivre toujours à ses côtés et grandir avec elle, c’était pourtant loin d’être le chemin qui nous était destiné à tous les trois. Sans que nous ne puissions y faire quoi que se soit, la maladie l’emporta le 26 janvier 1974.

 

J’avais à peine 10 ans et je venais de côtoyer la mort pour la seconde fois. Je comprenais déjà depuis longtemps que nous étions tous vulnérables et voués à disparaître un jour. J’étais un môme qui ne croyait déjà plus au père noël et encore moins aux miracles. J’avais juste perdu mon optimisme d’enfant.

Après la perte de ma seconde maman, mon père ne pouvait plus voir le Japon. Il lui tourna le dos, ainsi qu’à notre maison, pour se réfugier au Canada dans ses affaires, en emportant ma sœur Miyuki avec lui. Moi ? Et bien je suis resté en arrière, dans mon pays natal. C’est moi qui aie choisi d’y rester. Pourquoi ? Je ne me voyais pas ailleurs…

Alors pourquoi est ce que j’en veux à mon père si la décision venait de moi ? Peut-être parce qu’il ne m’a pas retenu, que je me sentais délaissé par lui après la mort de maman, je ne sais pas.

 

Et les années ont passé sans que je ne revoie une seule fois le peu de famille qui me restait. J’avais même on peut dire quasiment perdu le sens de ce mot. La seule compagnie que j’avais était des copains et une domestique qui faisait de son mieux pour s’occuper de moi. Bien qu’elle ne remplaçait pas une mère, je l’adorais. Sans elle, je crois que je serais déjà allé dire bonjour à un centre medico-psychiatrique.

Aujourd’hui, je suis un homme à qui il ne reste que peu de choses, mais je n’y renonce pas volontiers. L’amitié de mes potes, mes fous rire avec mon meilleur ami Muraki, ma passion amoureuse pour Miyuki Kashima, nos balades au bord de la mer, nos fêtes en plein air un brin alcoolisées ; Oui, on peut dire que je vivais une vie quasi normale que rien ne pouvait troubler.

Jusqu’au jour ou ma sœur réapparut…

Un lundi matin, mon réveil sonna les 7 heures. Je cherchai à l’éteindre du poing, résultat il s’est écrasé par terre. Plus efficace que la sonnerie comme bruit…Faute de ne pas avoir assez dormi - J’avais en effet le sommeil plutôt agité depuis quelques jours-  je me suis contenté de grommeler en tournant le dos à ma table de nuit.

Franchement, je n’avais pas envie de me taper deux heures de cours d’arithmétique ni de voir notre prof d’histoire du Japon.

 Si il y a bien des personnes avec qui je n’ais pas de très bons rapports, ce sont les professeurs. Tout particulièrement l’un d’entre eux, le professeur Tawashiro. A chaque fois que je mets le pied dans sa salle de classe, je me prépare à subir n’importe quelle humiliation et finir le cours un seau d’eau sur la tête…

 

Alors que j’étais parti pour me rendormir en oubliant complètement l’heure, un éclat de lumière m’obligea à enfouir mon visage sous les couvertures. Des bruits de pas faisaient craquer le plancher de ma chambre et vinrent s’arrêter pile devant mon lit.

 

« Onii-chan ! »

 

- Hmmm…. 

 

-  C’est le matin et il est l’heure ! Il faut te lever sinon tu vas devoir courir jusqu’au lycée.

 

Miyuki savait pourtant que quand je n’ais pas la foi de me lever, il n’y a rien à faire.

 

« Bon ! »

 

Soudain,  j’ai senti les couettes voler au dessus de moi, laissant passer l’air glacé de la pièce qui a agi tout de suite sur moi comme une décharge électrique.

 

« WHAAAA ! »

 

Miyuki a toujours eu aussi un plan B pour m’inciter à me bouger du lit…

 

« Mais! Mais ! Mais ! Inutile de me sonner les cloches ! J’ai un réveil pour çà ! »

 

-Plus maintenant à ce que je vois... (Ma sœur se mit à regarder les décombres de mon réveil qui gisaient sur le sol) franchement, il vaudrait peut-être mieux que ce soit moi qui te réveille.

 

-Je suis un grand, je peux me réveiller tout seul. Mais…mais qu’est ce que tu fais ?!

 

Elle était en train d’ouvrir grand la fenêtre.

 

-Mais ferme cette fenêtre ! Il fait froid, merde !

 

-Je ne connais pas de moyen de réveil plus efficace que l’air pur et vivifiant d’un matin d’hiver, me dit-elle avec un regard espiègle. Et puis çà t’apprendra à dormir torse nu !

 

 

  • hehehehe… peste…

 

 

Toujours malicieusement, elle sourit.

 

-Sur ce dépêche, sinon le petit déjeuner aussi va être froid et là ce ne sera pas de ma faute.

 

Sur ces mots, elle a quitté ma chambre d’un pas enjoué, comme si le fait d’avoir cours tôt le matin lui était égal. C’est incroyable, je n’arrive jamais à savoir d’où elle tire toute cette énergie. Il faut dire que la principale différence entre ma petite sœur et moi, c’est qu’elle est pleine de panache, sociable avec tout le monde voire même extravertie. Moi je perds très facilement ma bonne humeur. Il faut dire que j’ai rarement l’occasion de voir la chance me sourire…

 

Cela faisait déjà un an que Miyuki était revenue au Japon. Et c’est sous l’apparence d’une belle jeune fille de quinze ans que je la revis, raison pour laquelle je ne l’ais d’ailleurs pas reconnu...Notre rencontre s’est faite de manière un peu…bizarre. Oui, bizarre, je ne trouve pas d’autre mot. C’était vraiment un coup du sort.

 

L’année dernière, vers la fin des vacances de printemps, je reçus pour la première fois depuis longtemps un courrier de mon père. Il me disait dans cette lettre qu’il avait l’intention de rentrer au Japon avec elle et que je devais me préparer à retourner à la villa familiale qu’il avait acheté du vivant de ma belle-mère pour finir les vacances avec eux. Cette nouvelle me laissa éprouver un étrange sentiment. Cela faisait six ans que je n’avais vu leurs visages. Comment allaient-ils me revenir ?

Mais pour être honnête, je ne m’en préoccupais pas trop. Après tout, j’avais appris à vivre sans eux tout seul et ce n’est pas au retour de mon père que j’allais devenir dépendant ! De toute façon, j’avais bien d’autres occupations en tête. A ce moment là, je travaillais pour Ryuichi à son café-restaurant «Le Dragon ». Tout ce que l’on doit retenir de lui, hors mis le fait qu’il soit dans mon école, ce qui est d’une importance capitale, c’est que c’est une brute épaisse, un pervers, un manipulateur et un dragueur. Franchement, je pourrais quand même passer pour l’homme le plus poli du monde si je le traitais d’enfoiré. Bref, je ne m’attarderai pas plus longtemps sur son cas. Si j’avais accepté de travailler pour lui, c’était pour deux seules raisons : gagner un peu d’argent et me rapprocher de Miyuki Kashima qui avait elle aussi postulé pour travailler à son service. Si çà ce n’est pas de la pureté !

J’ai fini par découvrir avec stupeur qu’elle s’intéressait à moi, au grand dam de Muraki. Faut dire qu’en dehors de moi, beaucoup de garçons n’ont d’yeux que pour elle. Et il suffit de poser un instant les yeux sur son doux visage, sur ses longs et magnifiques cheveux bruns pour tomber sous le charme.

 

Certains ont toujours le plaisir de vous faire la morale en vous disant que l’esprit est plus important que le corps. Personnellement, je pense que quand les deux sont réunis c’est encore mieux !

Ce que je n’ais jamais réussi à clarifier dans ma tête, c’est ce qu’elle pouvait trouver d’attirant à un type aussi fade que moi. Tant mieux, ma foi !

 

C’est lorsque j’ai eu la conviction qu’elle avait des vues sur moi que je me suis décidé à saisir ma chance. J’ai effectué tout au long de ces jours de boulot différentes tentatives d’approche, ce n’était pas sans mal. Mais la dernière que j’ai faite n’a pas très bien tourné et s’est fini sur un malentendu qui a fait que Miyuki-chan s’est enfuie en me laissant seul sur la plage, son bas de bikini dans la main droite et l’autre sur ma douloureuse joue…

C’est après ce mauvais moment là que fidèle à mon statut de ringard première catégorie, j’errais pitoyablement sur la plaine de sable ne sachant plus ce que je devais faire. Tandis que je prenais garde à ne pas me prendre un coquillage dans le pied, j’aperçus alors une autre jolie jeune fille en train de faire du surf. Elle ne faisait qu’un avec les vagues, gracieuse comme une sirène, elle avait trop la classe.

J’étais pris d’admiration, planté comme un santon dans le sable sans réagir, la bouche grande ouverte comme un poisson fugu, tandis qu’elle regagnait la plage avec sa planche sous le bras. Elle finit par venir dans ma direction. Nos routes allaient évidemment se croiser mais je ne bougeais toujours pas, j’étais figé. En y repensant, je devais vraiment avoir l’air d’un con.

 

Elle n’était plus qu’à deux mètres de moi quand je l’ais vu m’adresser un grand sourire et dire en passant :

 

« Hi, salut ! »

 

-S….Sa…Salut.

 

Ma tête pivotait stupidement en même temps qu’elle passait son chemin derrière moi. Cette apparition m’avait gelé sur place. Quelle beauté !

J’en avais oublié qu’il y avait déjà une fille dans mon cœur. Après être passée à côté de moi, j’avais pu retenir ses principaux traits physiques. Elle faisait presque ma taille, elle était mince. Ses cheveux courts légèrement ondulés tiraient sur le châtain-brun et lui tombaient gracieusement sur la nuque. Elle avait un corps élancé, athlétique.

Elle devait sûrement aimer le sport et en faire souvent pour être aussi joliment bâtie. Sa poitrine n’était pas particulièrement volumineuse, plutôt discrète dans son bikini rouge, probablement parce que sa croissance n’était pas terminée. Elle devait avoir aux alentours de quatorze-quinze ans. En tout cas, je ne lui donnais sûrement pas plus. Elle avait un petit air jeunet, rafraîchissant qui faisait plaisir à voir.

 

Je n’ais rien fait de plus pour réagir à son bonjour. J’aurais pu saisir cette opportunité et engager la conversation avec elle, mais le temps de réfléchir à ce que je voulais lui dire, elle avait déjà disparu.

 

« Elle a dit « Hi »...Elle doit sûrement être d’origine étrangère. »

 

A peine avais-je murmuré ces paroles pour moi-même qu’un bras musclé me saisit brusquement par derrière. J’ai lâché un cri de fillette.

 

« KYAAAH ! »

 

-Ferme la idiot ! Ce n’est que moi.

 

C’était Ryuichi qui avait assisté de loin à la scène. Je me disais bien que je ne pouvais pas être seul dans un moment pareil, il fallait bien qu’un pervers comme lui soit derrière moi pour m’épier. Exaspéré, je le fusillai du regard non sans la crainte de me faire exploser la figure pour cette audace. Mais il se contenta de sourire d’une manière assez inhabituelle de sa part pour me chuchoter à l’oreille :

 

« Rattrape cette fille. Cours aussi vite que tu peux et trouve un stratagème pour me ramener son numéro de téléphone et savoir qui elle est. A ton retour tu me racontes tout dans le détail et tu n’en perds pas une miette »

 

-T’es pas un peu cinglé ?

 

« C’est toi qui serais cinglé de refuser », me répondit-il en brandissant son poing sans pour autant changer d’expression.

 

Il n’en fallut pas plus pour m’élancer à la poursuite de cette mystérieuse jeune fille. Et puis dans le fond, j’avais aussi envie de savoir d’où elle venait et faire sa connaissance. Je partais du principe que je le faisais surtout pour moi et pas pour Ryuichi.

 

Mes recherches ont fini par me conduire dans le petit bois tout près de la plage. Je prenais justement le petit sentier qui menait à la villa familiale qu’avait acheté mon père et qu’on allait bientôt « réhabiter » tous ensemble. Ca ne me procurait pourtant aucune émotion particulière…Cette route, on l’avait souvent prise avec les copains pour pique-niquer ou lâcher des feux d’artifices. C’est un beau paysage que ce coin. Les cerisiers semaient leurs pétales sur tout le chemin et les rayons du crépuscule transperçaient encore le feuillage des arbres. Il n’y a pas à dire, c’est vraiment le meilleur moment de l’année pour se promener et respirer les diverses parfums que la flore laisse échapper dans l’air.

Je continuais à la chercher entre les arbres, sans trop espérer la retrouver toutefois. L’impatience finissant par me gagner, je sentais que rester planté ici ne m’apporterait rien de plus. Sans compter qu’il ne me fallait plus tarder à retourner à la villa, là ou mon père et ma sœur devaient m’attendre.

Au moment où j’allais baisser les bras et faire demi-tour, je sentis quelque chose me toucher subitement le dos. Pris de surprise, je me laissai tomber au sol. L’action s’ensuivit d’un éclat de rire, une voix qu’il m’avait semblé déjà entendre.

 

« Coucou ! Tu cherches quelqu’un dis moi ? »

 

La fille que je cherchais depuis tout à l’heure se tenait devant moi, visiblement amusée de me voir ainsi à terre. Encore sous le coup de la frayeur que j’avais eu, je lui répondis avec une spontanéité qui me manquait d’habitude :

 

« Et bien oui, toi justement »

 

Ce qu’elle est mignonne.

 

-J’étais persuadée que tu allais me suivre.

 

-Ah ?

 

-Je crois qu’on est sur la même longueur d’onde, toi et moi.

 

Elle me tendit gentiment la main.

 

-Eh ? Qu’est ce que tu veux dire ?

 

Alors qu’elle m’aidait à me relever, elle dit quelque chose qui me fit faire des yeux ronds.

 

-Et bien, je pense que l’on formerait tous les deux un joli couple !

 

-Si…Si tu le dis.

 

Sur cette réponse, elle se mit à me regarder attentivement. J’avais l’impression d’être un phénomène qu’un scientifique identifiait sur tous les angles sans en démordre. Cela me mettait mal à l’aise mais je ne préférai rien dire. A un moment, son visage n’était qu’à une dizaine de centimètres du mien. J’ai difficilement avalé ma salive. J’entendais mon cœur s’emballer si fort que je voulus reculer de peur qu’elle ne l’entende…

 

-Dis moi, est ce que tu me trouves bizarre ?

 

-Pas spécialement, pourquoi ?

 

      -Parce qu’on m’a toujours dit qu’en tout cas, j’avais des goûts bizarres pour les garçons.

 

-Ah bon ?

 

-Oui, et je dois dire que tu me plais !

 

Elle avait dit çà sans gêne.

 

Je réalisais que ce qu’elle venait de dire n’était pas très flatteur pour moi, mais çà m’importait peu. Elle aurait même pu me dire que j’étais moche comme un pou, j’aurais été incapable de m’énerver.

Elle semblait avoir son caractère, mais à aucun moment elle ne me paraissait désagréable. Juste maligne.

 

 

«  On...Est ce qu’on pourra se revoir bientôt ? »

 

J’en avais vraiment envie.

 

-Bien sûr ! J’en serais ravie. Pourquoi pas demain ?

 

-Demain ? Oui, demain c’est parfait ! Je finis le boulot à 17 heures. On se retrouvera ici ?

 

-Okay!

 

 

Notre discussion fut courte, mais je m’en foutais. J’étais content d’avoir pu échanger quelques mots avec elle. C’était plein d’espoir et le cœur plus léger que j’allais me rendre à la villa. Je fis de grands signes à ma nouvelle amie avant de m’élancer à travers le bois. Il me tardait déjà d’être à demain !

 Seule ombre au tableau, notre entrevue fut tellement brève que j’avais oublié de lui demander son nom et son numéro. Me faire tabasser par Ryuichi n’avait plus d’importance après la scène que je venais de vivre. En tout cas, impossible pour moi de divulguer à cet affreux JoJo ce qui s’était passé. Une fois à son niveau, je m’étais contenté de dire qu’elle m’avait envoyé balader. Je m’en suis sorti avec un coup magistral de planche de surf sur le museau. Mais j’ai l’habitude d’encaisser.

 

Le moment était venu. Après avoir récupéré mes affaires au café Dragon, je me dirigeai vers la villa ou j’allais retrouver mon père et ma sœur cadette après six longues années de séparation. Le soleil orange que je voyais disparaître derrière les montagnes m’indiquait qu’il fallait me dépêcher d’arriver sous peine de ne plus me repérer dans le bois. Même lorsqu’on connait bien son chemin, si l’on n’a pas une bonne visibilité de la route, on peut se perdre.

 

Je voyais notre villa, grande et majestueuse. Depuis combien d’années je n’y avais plus mis les pieds. Elle n’avait pas changé. C’était une grande maison qui ressemblait fort à un chalet car elle était intégralement faite de bois. Autour se nichait un vaste jardin visiblement plus entretenu depuis longtemps. La végétation avait bien poussé autour de la bâtisse ainsi que plein de fleurs inconnues. Je me sentais un peu mal à l’idée de revoir mon père. Depuis la mort de maman, il n’avait jamais plus été le même. Et bien que je sois son seul fils, il ne m’a presque jamais écrit, n’a jamais cherché à venir me voir. Comme si je m’étais fait à l’idée de vivre seul, comme si je n’avais pas besoin d’une famille. Je ne savais pas comment j’allais réagir à son égard non plus.

Quant à ma sœur, je sais que l’on était très proche lorsqu’on était petits. Mais qui pouvait savoir ce qu’elle était devenue et comment elle avait tourné. J’ai su par papa qu’elle avait eu quinze ans en février. Peut-être était-elle en pleine crise d’adolescence et qu’elle était insupportable. Peut-être qu’elle était devenue grosse et pleine de boutons…Peut-être aussi qu’elle avait déjà un petit ami, avant moi... La ce serait la honte.

C’est avec une tête proche d’éclater de questions que j’arrivai sur le pallier. Non sans être nerveux, je toquai doucement à la porte. En attendant qu’on m’ouvre, j’en profitais pour poser mon sac qui commençait à me détruire le dos. Au bout d’une minute, comme personne ne venait m’ouvrir, je recommençai à frapper avec un peu plus de force.

 

« Papa ! C’est moi, c’est Masato ! Tu es là ? »

 

C’est une voix féminine qui me répondit.

 

-Onii-chan ? C’est bien toi ? 

 

C’était la voix de ma sœur.

 

-Patiente un peu, j’arrive tout de suite !

 

Cela faisait longtemps que je ne m’étais plus fait appeler onii-chan. Un peu ému de ce retour dans le passé, je sortis une vieille photo que je gardais dans ma poche de jean. Dessus, les deux enfants que ma sœur et moi étions il y a six ans. Elle avec ses mignonnes petites couettes, sa jupe rouge et son petit chemisier noir. Et moi, son grand-frère à côté d’elle, coupe au bol et chemisette, bienveillant et protecteur, la main sur son épaule… Qu’était-elle devenue après autant de temps passé en Amérique ? J’essayais de me l’imaginer tout en attendant que l’on me fasse entrer.

 

C’est alors que la poignée tourna, la porte s’ouvrit. J’ai lâché un cri d’horreur.

 

C’était elle. Ma sœur, ma petite sœur, c’était elle. Celle à qui j’avais proposé un rendez-vous tantôt et de qui j’étais quasiment tombé amoureux. C’était ma sœur de quinze ans, Wakamatsu Miyuki !

 

J’ai vacillé, laissant retomber la photographie que je tenais entre les mains sur le plancher. J’étais à deux doigts de m’évanouir, de crier « Mais c’est quoi ces conneries ?! ». Le blanc dura cinq bonnes minutes et nous n’avions rien pu faire d’autre pendant qu’il s’écoulait que de nous regarder, choqués, muets, pétrifiés comme deux statues de glace. Seuls le chant des cigales perçaient le silence.

Miyuki réussit à retrouver plus rapidement ses esprits que moi cependant. Elle me tendit la main comme la fille qu’elle était cet après midi, sauf que l’invitation de ce geste était tout autre.

 

-Bienvenue à la maison, Onii-chan.

 

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