Miyuki ( d'Après le manga de Mitsuru Adachi, 1980)

Chapitre 2 : Miyuki c’est Miyuki, Miyuki-chan c’est Miyuki-chan

5720 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 08/11/2016 08:06

C’est ainsi que les choses se sont passées… Un an s’est écoulé depuis qu’elle et moi vivons à nouveau sous le même toit comme de vrais frère et sœur. Mais notre père n’était pas parmi nous. Ses affaires l’ont encore retenu au Canada et il a donc laissé Miyuki faire le voyage toute seule au Japon. Depuis, ma petite sœur a repris ses marques, elle étudie dans le même lycée que moi, elle s’est faite des amies et est devenue l’une des filles les plus populaires de l’établissement. Mon seul souci est que je dois constamment la surveiller. Elle est comme une petite brebis égarée et innocente, prise au piège dans un cercle de loups ! Beaucoup de garçons que je connais ont le béguin pour elle, à mon grand regret…

 

C’est vraiment dur de bien jouer son rôle de grand frère, surtout quand on a arrêté de l’être durant un certain temps et qu’on doit oublier les sentiments amoureux qu’on nourrit pour une fille que l’on n’a même pas reconnu comme sa sœur…

 

Décidément, je n’ais vraiment pas de bol…

 

C’est en songeant à tout ce qui s’était passé que je me décidai enfin à m’habiller. Après être allé pisser, je descendis rejoindre Miyuki à la cuisine. Comme d’habitude, je contemplais une table joliment mise.

A ma place, un bol de soupe miso et de riz blanc avec une tasse de thé. Ma sœur n’avait pas encore déjeuné qu’elle s’échinait à me faire mon repas du midi. Quand je pense qu’il s’agit de ma frangine, je ne sais pas si ce que je vis tous les jours est un grand malheur ou de la chance.

 

« Tiens, ce sera ton repas de midi, me dit-elle en posant la boîte à bento à ma hauteur tandis que j’attaquais goulument mon œuf cru. Il y a de l’omelette, du riz, des légumes et je t’ais coupé quelques quartiers de mandarines, je pense que çà ira. »

 

 

-Oh oui bien sûr, merci !

 

C’est plus que ce qu’il m’en fallait à vrai dire. Je comprenais pourquoi mes copains m’enviaient autant. Moi que personne n’avait jamais jalousé pour le train de vie que j’ai connu. Mon enfance avait été courte et je me raccrochais au peu qu’il me restait, c’est-à-dire mes amis.

 

On peut penser que depuis que Miyuki est revenue à la maison, permettant ainsi à Akira-ma gouvernante- de prendre congé, je suis sur un petit nuage.

 

C’est à la foi vrai et faux. Je dois reconnaître que je suis plus heureux que ce que je pensais à l’idée de partager à nouveau une vie de famille, mais je suis aussi extrêmement mal à l’aise…

Une jeune fille mignonne, intelligente, amusante, de laquelle j’étais en train de tomber amoureux…J’aurais peut-être fini par sortir avec elle, on aurait pu partager un ciné ou un resto.

Merde…

Je la fixais silencieusement en buvant mon thé tandis qu’elle s’asseyait face à moi et commençait à attaquer sa collation. Au lieu d’utiliser mes neurones pour réviser les dates qu’il me fallait connaître par cœur pour le contrôle de lundi, je me répétais inlassablement à quel point son uniforme de lycéenne lui allait comme un gant.

 

Tout est embrouillé dans ma tête ! Depuis le jour où l’on s’était promis de se revoir près de la plage, rien n’a pu se passer de plus. Je ne sais plus quoi penser, même un an après. J’aimerais que tout soit clair, sérieusement. Et ce qui me perd le plus dans tout çà, c’est qu’elle m’avait dit que je lui plaisais…

 

Qu’en est-il de ses pensées maintenant ? Plus je la regardais, plus je me disais que contrairement à moi, elle a réussi à accepter notre relation fraternelle. Peut-être qu’au fond elle ne s’est jamais vraiment intéressée à moi ; ou alors ce n’était qu’un simple béguin qui maintenant lui ait passé. En tout cas, jamais elle et moi n’avons déterré le sujet de notre rencontre dans le petit bois. Pour moi c’est du manque de courage, pour elle c’est que c’est probablement inutile.

Tout avait l’air en ordre dans la scène que nous dégagions elle et moi ce matin, mais dans ma tête c’était un véritable bordel…

 

« C’est bon n’est ce pas ? »

 

Elle m’a sorti de ma rêverie.

 

-Oh oui, c’est excellent ! lui répondis-je en hochant vivement la tête, bien que je fusse complètement ailleurs.

 

 

Après avoir récuré mes bols, m’être vêtu de mon uniforme, mon écharpe puis mes gants, je mettais mes chaussures.

Je n’ai pas envie d’aller en cours, mon dieu que je n’ais pas envie !

 

Il faisait beau dehors. Il faisait un froid glacial, mais il y avait du soleil. Maintenant nous allons au lycée tous les deux, comme à l’époque lorsque main dans la main nous allions à la petite école. Sauf qu’aujourd’hui dans la rue, on jurerait un couple.

 

Nous arrivions devant le portail du lycée Seika. Un grand établissement vieux et respectable. Les élèves en général y sont sérieux et il ne faut pas être une pomme pour passer l’examen d’entrée. Moi et ma sœur y sommes arrivés sans problème. Surtout elle, je dois dire…

A peine arrivés dans l’enceinte du lycée, comme à chaque matin, les ennuis commençaient.

 

« OOOHEEEE Miyuki-chaaaaan !

 

-Putain…

 

C’était Ryuichi Masaki, pot de colle forte garantie pour toute la durée de scolarité, fidèle à lui-même.

 

Après m’avoir fait un vent magistral, il a entouré les épaules de Miyuki avec son gros bras comme si elle n’était rien d’autre que sa propriété.

 

Il devrait lui coller une étiquette sur le front avec marqué dessus « j’appartiens corps et âme à Masaki Ryuichi , quiconque me touchera ou m’adressera la parole sans permission sera puni d’une mort violente, rapide et certaine ».

 

J’avais envie de le frapper.

 

« A chaque fois que je vois ma petite princesse, c’est une véritable brise printanière

qui se propage dans cette cour ! »

 

Il drague trop mal. J’en grinçais des dents tellement c’était mauvais. Pressé d’avancer, j’ai essayé d’attraper la main de ma sœur pour l’ôter de ses pattes.

 

-On n’a pas le temps pour les déclarations d’amour foireuses, on a cours !

 

-aurais-tu oublié, Onii-san, qu’elle et moi sommes dans la même classe ?

 

 Çà non, c’est même mon plus grand regret dans la vie…

 

 Et c’est sur ces mots qu’il m’a planté, emportant Miyuki avec lui ; celle-ci ne protestant bien évidemment pas, elle voit ce grand benêt comme un ami…

 

Je ne sais pas comment elle fait. Peut-être de la résignation…

 

 

Si j’avais un minimum de gaieté ce matin, et bien là je n’en avais plus du tout. Je me dirigeais à mon tour vers l’entrée avec un air de martyr résigné.

Journée pourrie, me voilà !

 

La sonnerie retentit dans les couloirs, les cours ont commencé. Le prof nous baratinait encore avec le règne de l’empereur Hirohito, depuis des semaines il n’arrêtait pas. Qu’est ce que  je faisais là, je me le demandais. Je passais des heures entières à mâchouiller mon crayon, quelle perte de temps. J’enviais Toshio Kami d’être absent et Muraki d’avoir apporté un bon magazine playboy à bouquiner. Je pouvais d’ailleurs l’entendre glousser du fond de la salle.

 

Puis après le cours d’arithmétique venait le cours de littérature avec le tant détesté professeur Tawashiro…

 

« J’aurais besoin d’un volontaire pour me lire ce ravissant petit poème. Kashima-kun, levez-vous et commencez donc la lecture je vous prie »

 

« Bien, Monsieur »

 

Kashima Miyuki. A cette appellation, ma réaction fut immédiate. Je laissai le crayon que je torturais avec mes dents retomber sur mon pupitre. De toute la classe, c’est le seul prénom que je retiens sans peine sur la liste d’appel. Pas parce que ma sœur s’appelle également Miyuki, mais parce que j’ai toujours été intéressé par elle. Quelque soit l’endroit ou elle peut se trouver dans la salle, dans les couloirs ou dans la cour, mes yeux la cherchent et n’arrivent plus à se détacher de son visage. Elle est si jolie que je ne peux m’empêcher de l’admirer. Quand nos regards se croisent, j’ai des palpitations et je ressens des frissons qui s’intensifient lorsque de son côté, je la vois rougir puis détourner la tête. C’est çà l’amour, le vrai le seul !

 

Bien qu’elle et ma frangine portent le même prénom, elles sont totalement différentes de physique comme de personnalité. Miyuki-chan est une fille timide, douce et réservée. Elle regroupe en elle toutes les qualités que je préfère chez une fille. Elle et moi sommes dans la même classe depuis le début du lycée. Je suppose pour une fois que c’est la chance (^^)

J’ai eu des tas de béguin dans ma vie avant elle, comme tout le monde. Mais çà n’avait jamais duré bien longtemps. Et depuis que j’ai conscience que je l’intrigue, je ressens encore plus l’envie de me jeter à l’eau. Si les gens savaient ce qui se passe dans ma tête, ils penseraient très certainement que je suis un désespéré. Mais quel mal y a-t-il à être attiré par deux personnes à la fois ? Comme si l’on avait le choix…

De toute façon, depuis que je sais que Miyuki est ma sœur, plus question de m’accrocher. Maintenant que le sort a jeté ses dés, que je sais désormais que rien n’est possible entre elle et moi. Quand c’est foutu, c’est foutu. Tenter de faire évoluer les choses avec Kashima-chan est la seule option qu’il me reste.

 

Miyuki-chan était la seule debout dans cette salle. Elle lisait chaque vers d’une voix claire, si apaisante que chaque fin de phrase m’arrachait un soupir. J’étais sûr que pour une fois, il n’y avait aucun élève plus attentif que moi dans ce cours. Si c’était elle notre professeur, je parierai cher que je serais sans difficulté le premier de la classe.

 

Elle ferait une bonne institutrice, charmante en plus d’être douée, appliquée dans son travail d’enseignante et capable de guider à bien ses élèves.

 

Miyuki-chan est passionnée de lecture. Il lui arrive assez fréquemment de passer de longues heures à la bibliothèque ou elle s’installe toujours au même bureau. Une fois j’ai du lui faire croire que j’étais moi aussi un passionné de Balzac et Zola pour justifier ma présence dans le rayon « romans occidentaux » alors que je ne faisais que l’observer de derrière les étagères. Le plus ennuyeux a été de devoir me coltiner les bouquins jusqu’à la maison…

Pour moi la lecture c’est Adachi, Tezuka ou Takahashi. Germinal se faisait un peu trop voyant à côté de mes mangas.

 

Alors que j’étais déjà parti dans un autre monde à l’écouter réciter ce poème, une grosse voix tonitruante m’a ramené à la réalité comme un saoul qu’on passerait sous une douche froide.

 

« Wakamatsu ! »

 

- O…Oui ! 

 

Par habitude, je me suis levé de ma chaise.

 

-Je ne t’ais pas dit de te lever.

 

-O…Oui.

 

Je me suis donc rassis.

 

-Tu sembles profondément émerveillé par le poème que nous lis Kashima-kun. Ton intérêt pour la poésie fait plaisir à voir.

Je sentais le ton sarcastique et déplaisant de Mr Tawashiro qui a toujours eu le don de m’irriter au plus au point. Je me suis contenté de marcher dans son jeu comme j’ai toujours eu l’habitude de faire.

 

-Oh oui Monsieur, j’aime beaucoup.

 

Mr Tawashiro sourit.

 

-Ah, et bien alors tu vas prendre le relais, hum ? Kashima-kun vous pouvez vous rassoir, merci. Wakamatsu, lève toi et reprend la suite.

 

Merde, j’étais tellement absorbé par la lecture de Miyuki-chan que j’en ais oublié le livre. J’ai sentis alors que si je ne retrouvais pas le passage à lire, mon compte allait être bon.

Dans une tentative désespérée, j’ai parcouru nerveusement mon exemplaire de « Ronsard, Œuvres complètes », j’ai cherché la ligne à partir de laquelle je devais commencer. Mais rien à faire, je n’avais vraiment écouté que le son de sa voix…

 

-Je commence à perdre patience Wakamatsu.

 

-Voilà çà vient, je vais trouver, dis-je sans un brin de conviction. Je pouvais entendre le ricanement des élèves qui savaient aussi bien que moi comment l’histoire allait se finir.

 

 

-Très bien Wakamatsu, je vais vous demander de prendre la p…

 

-Page 42 ligne numéro 8 !

 

Miyuki-chan venait clairement de m’indiquer la partie que je devais reprendre, à ses risques et périls puisqu’elle avait coupé la parole au professeur. Elle qui est toujours si timide et qu’on entend peu, sa voix venait, à la stupéfaction générale, de surpasser en intonation celle de Tawashiro.

 

A ce moment là, elle devait certainement réfléchir à ce qu’elle venait de faire car elle s’est mise à rougir de manière incontrôlable et a baissé la tête pour cacher à tout le monde ses joues cramoisies. Je l’ais regardé avec insistance sans cacher ma surprise. Mais sans oublier qu’elle venait de sauver ma peau, j’ai légèrement incliné la tête en espérant qu’elle allait remarquer que je lui étais reconnaissant.

 

-Vous pouvez vous estimez heureux d’avoir des camarades aussi compatissants, se contentait de dire le professeur. Bon…Et bien maintenant que vous savez par ou attaquer, ne nous faîtes pas perdre plus de temps.

 

 

Trop tard pour s’exécuter, la cloche venait de retentir dans le couloir. Je n’ais pas commencé la lecture. Je regardais juste le prof d’un air hébété comme pour lui dire « la cloche a sonné mon vieux, il est l’heure pour le fermier de lâcher ses moutons dans le pré ».

 

-Bon, c’est la fin de la leçon vous pouvez partir. Sauvé par le gong, hein Wakamatsu ?

 

 

Mais qu’est ce qu’il a à toujours à se déchaîner sur moi celui-là ? Que j’ouvre ma gueule ou non, le résultat est le même. Je suis sûr que c’est un de ces types frustrés de ne pas avoir pu aller jusqu’au bout de leurs vraies ambitions et qui se retrouvent contre leur gré à enseigner dans un bahut.

 

Je n’ais jamais vraiment su quoi faire comme métier plus tard. Pour tout dire, je n’y ai jamais réfléchi et je sais que j’aurais du. Mais de ce côté-là, je me sentais en sécurité. Mon père n’arrêtait pas de me répéter qu’un jour je le succèderai dans les affaires, que je devrai subvenir moi-même à mes besoins et à ceux de la famille que j’aurai fondé.

 

Dieu merci, nous n’avons jamais été confrontés à des problèmes d’argent. Mais depuis que nous vivons seuls ma sœur et moi, papa ne nous envoi qu’une somme limitée, suffisante pour payer les courses, le loyer et les factures d’électricités.

D’accord, il a raison de nous forcer à nous restreindre avec de petits moyens, mais je sais aussi que mon père a toujours été très rat et que çà l’a toujours rendu malade de verser un rond même pour l’un de ses proches.

Ce ne sont pas les gens les plus aisés qui sont forcément les plus généreux…

 

 

Soulagé d’en avoir fini avec les cours, j’ai commencé à ranger mes affaires et boucler mon sac. Mais Mr Tawashiro semblait décidé à vouloir nous séquestrer encore un peu ici.

 

-Une seconde messieurs, mesdemoiselles !

 

 

Quoi encore…

 

Je commençais vraiment à m’impatienter de ne pas être à l’extérieur.

 

-Comme vous avez sans doute du en entendre parler, la compétition sportive aura lieu sur le stade du lycée demain à partir de 15h. Les épreuves de sélection débuteront à 10h dans la matinée et comporteront la course, le basket, le relais et le volley. Je souhaite d’avance bon courage à tous nos volontaires et je compte sur eux pour faire honneur à l’établissement en redoublant d’efforts et d’efficacité.

 

Amen.

 

 

Le sport et moi, c’est une histoire d’amour qui s’est transformée en guerre froide depuis longtemps. Tout petit, j’adorais le baseball. Je me sentais comme un super héros lorsque je devais lancer la balle, un être invincible lorsque cette dernière atteignait toujours le creux du gant grâce à la précision, à toute l’énergie que j’y mettais. J’étais vraiment bon. Si j’avais continué qui sait, peut-être aurais-je pu avoir de l’avenir dans ce sport.

 

La place du lanceur était celle qui me convenait le mieux. Je me revois encore faire des bonds de joie sur le gazon du parc, courant dans les bras de ma mère après avoir fait trois strikes contre mon père. Ce devait être à cette période là, ou je ne doutais pas de ce que j’étais capable de faire.

A douze ans, j’ai également pratiqué l’aïkido, sport que j’adorais mais que j’ai fini par abandonner comme le reste.

 

J’ai beau être plus âgé aujourd’hui, le baseball et l’aïkido pour moi, ce ne sont plus que des bons programmes à regarder à la télévision. Alors cette compétition, moi, elle me fait bien rire. S’il y a une place pour moi dans cette épreuve sportive, c’est sur un siège tassé avec les autres spectateurs au cœur des gradins. J’avais la sensation désagréable d’être le seul à ne pas prendre ce tournoi au sérieux. Alors que si l’on y réfléchi bien, qu’est ce que nous avons à y gagner dans le fond ?

 

Ces nouvelles pensées avaient encore réussi à me détacher de la réalité. C’est la voix de Muraki, le lunetteux toujours aussi peu discret, qui me ramena les pieds sur Terre.

 

-Wakamatsu, toujours dans la lune ? Tu es en train de penser à ce à quoi pourra ressembler Kashima-chan dans sa petite tenue de sport ?

 

-Crétin ! me suis-je exclamé, plus sur le coup de la surprise que de l’agacement.

 

-On dirait que j’ai visé juste, ha! Je te connais aussi bien que si tu étais mon frère.

 

-Et heureusement que ce n’est pas le cas !

 

-Ouaip, m’a-t-il acquiescé. De toute manière tu serais de trop, j’ai déjà une petite sœur, c’est amplement suffisant. Arf si seulement elle était aussi mignonne que la tienne, je m’en réjouirais!

 

-Ne te plains pas trop. Pense à ce qu’elle doit éprouver elle, d’avoir un frère aussi perverti.

 

-Je ne veux pas entendre ce genre de remarque venant de toi ! me cria t-il.

 

Il renifla bruyamment tout en rajustant ses culs de bouteille puis après m’avoir tourné le dos, se mit à dire de cette voix pleine d’entrain qui lui était propre :

 

-Laquelle des deux gagnera ? Miyuki-chan ou Miyuki-chan ?

 

Sans rien ajouter de plus, il a déguerpi.

 

Je trouvais la façon dont il avait dit çà amusante, mais çà me faisait aussi penser…Pourquoi fallait-il qu’elles portent le même prénom ? Moi-même, souvent, cela me portait à confusion et les quiproquos n’en finissaient pas avec ces appellations : Miyuki-chan par ci, Miyuki-chan par là…C’était assommant à force.

Surtout gênant pour les autres en fait. A mes yeux, Miyuki-chan reste ma camarade de classe et Miyuki reste ma petite sœur.

 

« Miyuki-chan c’est Miyuki-chan. Miyuki, c’est Miyuki.» ais-je répété pour moi-même comme pour définitivement m’en convaincre.

 

C’est vrai après tout, pourquoi devrais-je prendre la peine d’utiliser « chan » pour ma propre sœur ?

Pour ce qui est de ma chère Miyuki-chan, je n’aime pas l’idée de l’appeler par son nom de famille. C’est heureux qu’elle m’ait autorisée de faire autrement. Je trouve çà respectueux d’un côté, mais trop distant de l’autre.

 

Après avoir brièvement jeté un coup d’œil à l’horloge, j’ai finalement quitté la salle de classe. Puis l’école. Miyuki avait déjà fini les cours depuis une bonne heure et devait sûrement être à la maison.

 

Tandis que la nuit tombait déjà, j’empruntai monotonement le chemin du retour : une longue ruelle non loin du parc ou toutes les maisons se ressemblent. A quelques mètres devant moi, j’entendais Miyuki-chan parler et rire avec ses amies, Yuko, Sachiko et Kiyomi.

 

Connaissant la personnalité de ses copines, je préférai ne pas m’incruster, non sans regret car j’aurais bien aimé la remercier une nouvelle fois de m’avoir sauvé la mise en cours.

Elles ne sont pas méchantes, seulement…spéciales. Vous savez, le genre de fille auprès desquelles on passerait pour un pervers si l’on se tenait à moins d’un mètre d’elles au moindre coup de vent…

 

Yuko est une amie d’enfance de Miyuki-chan. La plus ancienne connaissance qu’elle possède au lycée et les deux sont très souvent l’une avec l’autre. C’est une fille qui a son caractère mais qui est plutôt mignonne et sympa, je peux même dire que s’il n’y avait pas eu Miyuki-chan, j’aurais probablement eu des vues sur elle. Des trois filles qui l’accompagnent, on va dire que c’est celle qui me fait le moins peur (^^’)

 

Sachiko et Kiyomi sont à peu près –beauté a part, Sachiko est tout de même un peu plus jolie- sur la même longueur d’onde en tout point. A la fois révulsées et intriguées par les garçons. Elles ne s’en approchent pas – les garçons non plus- à l’exception d’un seul que tout le monde admire dans notre bahut, au diable va la raison, Kosaka Kenji. Celui là…Vous imaginez un mauvais drama-shojo, bien à l’eau de rose et aux tendances harem, c’est le personnage principal masculin… De ce qu’en disent les filles, il est aussi beau qu’un ange, aussi talentueux et intelligent qu’un génie, aussi fort qu’un titan. Bref, il nous écrase.

 

Vous pouvez penser que notre manière à nous les jeunes, de cataloguer les personnes par leur physique et leurs aptitudes est assez idiote. Je dirais que vous n’avez pas vraiment tort. C’est une stupide manie que l’on prend facilement lorsqu’on est tous ensemble dans un établissement ou chacun se rencontre, ou chacun se compare. On se fait des amis mais aussi des ennemis et des rivaux.

En société on veut toujours impressionner, en amour on veut toujours plaire ; se mettre en avant, prouver qu’on est le plus fort… Je pense qu’on est à un âge ou l’on éprouve constamment le besoin de se comparer aux autres et de se casser du sucre sur le dos…Pourquoi ? Parce que çà nous donne l’impression d’être important.

 

C’est ridicule, je ne le nie pas.

 

 Lui il est beau, elle porte mal les binocles, ses dents sont trop en avant, sa coiffure est ringarde etc…

 

Chaque jour on se rabaisse, on se complimente. Ca se fait naturellement, sans réfléchir. C’est ainsi.

Moi non plus je n’échappe pas à la règle. On pourrait me rembarrer facilement en me disant que je peux critiquer vu la gueule que j’ai. Mais j’assume complètement le fait que je suis laid autant que je critique autrui.

 

Quelque part, je peux comprendre le mépris que me portent Sachiko et Kiyomi. Qu’un mec moche et minable s’intéresse de trop près à leur chère amie, çà doit être lourd pour elles.

Nous étions arrivés à l’intersection où le chemin des trois filles allait se séparer. De là ou elles étaient, elles devaient m’avoir vu, mais à mon grand soulagement elles ne m’ont accordé aucun regard. Elles ont salué Miyuki-chan de la main et s’en sont retournées chez elles, chacune de leur côté.

 

 

Il n’y avait plus qu’elle et moi dans cette rue. L’obscurité n’était pas encore telle que je ne pouvais apercevoir son visage. Nous étions tout près de sa maison. Par les fenêtres, les lumières brillaient déjà.

Je me suis arrêté tout en la regardant, alors qu’elle se dirigeait vers son portillon. Elle s’apprêtait à tourner la poignée lorsqu’elle se ravisa et tourna la tête. J’aurais aimé lui parler, mais je ne trouvais pas mes mots. Je sentais que c’était mieux comme çà. Quelques secondes s’écoulèrent dans le silence ou nous ne fîmes rien de plus que de nous contempler l’un et l’autre.

Elle non plus ne dit rien. Elle s’inclina légèrement dans ma direction et me lança juste un sourire. Ce dernier me procura plus de frissons que le froid ne pouvait m’en donner. J’avais la goutte au nez, les extrémités gelées et les jambes engourdies, mais je sentais la chaleur dans mon cœur. Elle avait passé la porte de sa maison sans que je n’eusse bougé de place. Il ne se passa rien de plus.

C’est dans un éternuement sonore que je me suis décidé à continuer ma route alors qu’il commençait à neiger.

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