Miyuki ( d'Après le manga de Mitsuru Adachi, 1980)

Chapitre 6 : La lettre cachée

3200 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 16/02/2015 13:36

Etranglé de surprise, aucun son ne parvint d’abord à sortir de ma bouche. Un calme gênant que même Miyuki n’osait interrompre s’était installé. Mais très vite, je réalisai la situation. Mon père et moi nous trouvions tous deux dans la même pièce et comme si rien ne s’était passé, comme s’il s’attendait à ce que je lui saute dans les bras, je le voyais plein d’espoir et tout heureux se préparer à d’émouvantes retrouvailles, peut-être des pleurs de joie, de tendres embrassades ou que sais-je encore…

Comment pouvait-il agir comme si de rien n’était ? Comment pouvait-il ne pas se douter de toute la rancœur que j’avais accumulé contre lui durant toutes ces années manquées ? Tout ce temps perdu, toute cette dévotion pour le travail, les affaires, sans prendre de nouvelles de son unique fils, la chair de sa chair, son sang !

Je portais de lourds bagages sur le cœur, je n’allais pas manifester le moindre signe d’émotion. Tant pis si je devais passer pour un insensible. De toute façon, je n’allais pas en une journée lui arriver à la cheville dans ce domaine. De plus, je suis quelqu’un qui ne sait pas se mentir à soi-même et je n’éprouvais aucune joie de le revoir. J’étais même furieux contre lui quelque part…

Ne venait-il pas non plus de rentrer au Japon sans me prévenir de son arrivée ?!

 

« Tu es devenu bien grand, ajouta t-il d’un air paternel qui m’irritait au possible. Çà me fait tout drôle de retrouver un adolescent après avoir quitté un petit garçon. C’est vraiment bon de te revoir. »

 

- Qu’est ce que tu fais là ? » me suis-je contenté de dire avec froideur.

 

Çà se voyait, que ma réponse lui avait fichu un coup. Il ne s’attendait certainement pas à çà. Tant pis.

Mon père s’est retrouvé bête devant moi, toujours les bras tendus.

 

- Qu’as-tu dit ? 

 

Il était stupéfait.

 

- Je t’ais demandé ce que tu fichais là!

 

Cette fois-ci, j’avais cédé à la colère. Ce devait être la seconde fois contre lui, depuis son départ pour le Canada.

 

- Et bien, le Japon c’est mon pays…

 

-Te fous pas de moi! Six ans que tu n’y as pas mis les pieds, dans ton pays ! Et tu as le culot d’y revenir sans même m’avoir prévenu ! Un coup de téléphone ! Une lettre ! Même çà c’est trop te demander !?

 

-Hehehe….Je comprends, c’est le choc de l’émotion qui te met dans cet état. C’est tout à fait compréhensible mon fils, je comprends…

 

-Et tu oses prétendre que je suis ton fils alors que tu n’as jamais cherché à me revoir durant toutes ces années ?!

 

-C’est toi qui as refusé de nous suivre ! a rétorqué mon père, cette fois sur la défensive. Cet accueil froid l’avait visiblement affecté et ce rendement de compte, bien qu’il devait s’y attendre, l’avait également pris de cours.

 

-Je ne te parle pas de çà ! – j’étais au comble de ma fureur- Que tu partes à l’autre bout du monde c’est ton affaire, mais personne n’est obligé de sacrifier ses propres choix au profit des tiens, pas même tes enfants ! Mais toi qui peut voyager où bon te semble, durant tout ce temps, tu aurais pu quelquefois venir me voir, m’écrire ou me téléphoner ! Même pas ! Je ne compte pas le nombre de fois où mes lettres sont restées sans réponse où m’ont été renvoyé…Je n’ais eu des nouvelles de toi que lors de mes anniversaires ou mes noëls ! Une fichue carte musicale avec « Je t’embrasse, Papa » derrière !

 

-Tu exagères ! Je prenais le temps de t’écrire et je t’envoyais des nouvelles plus souvent que çà ! Après si le courrier se perd, c’est la faute des postiers, pas de ton père !

 

-Mais en plus tu vas accuser le facteur pour tes bourdes !?

 

Le ton montait et je craignais qu’un médecin ou une infirmière ne vienne dans la chambre voir quelle était la cause de tout le boucan qu’on pouvait faire…

Miyuki assistait, impuissante, à notre dispute et préférait sagement ne pas s’interposer ; voyant l’état dans lequel on était, elle pensait sans doute que cela serait inutile. Pendant cette année ou nous avions partagé le même toit, elle avait déjà été plus d’une fois le témoin de toute la rancune que je nourrissais à l’égard de papa et elle s’imaginait qu’un jour ou l’autre, le colis piégé allait lui exploser à la figure.

Je préférais qu’elle reste à l’écart de tout çà. Contrairement à moi, Miyuki était très attachée à notre père, ce qui peut se comprendre. Elle a toujours mal supporté le départ de maman, ne l’a probablement jamais accepté. Elle a toujours vécu aux côtés de papa et par conséquent, comme tous les enfants dans cette situation, elle a constamment cherché auprès de la seule personne au monde qui lui restait toute l’affection qui lui manquait et dont elle avait besoin pour se construire…

Comme disait ma mère, on a besoin d’amour pour grandir correctement. C’est probablement moi qui suis le raté des deux…

 

-Ecoute Masato, je peux me mettre à ta place et comprendre les raisons que tu as d’être en colère contre moi. Mais je pense que l’instant est mal choisi pour régler les querelles de famille. Nous sommes dans un hôpital et c’est un endroit qui requiert du silence. Tu devrais attendre que l’on soit rentré pour que nous en discutions.

 

-Je rêve ou tu es en train de me faire la morale sur ce que je dois faire ou ne pas faire ?! Mais tu n’as rien à m’apprendre, pour ce genre de choses j’ai du me débrouiller tout seul ! En quittant la maison, tu as jugé bon de couper le contact, il faut le dire clairement ! Tu n’as même pas cherché à faire autrement pour Miyuki ! Tu ne t’ais jamais demandé ce que je pouvais ressentir de mon côté ?! Je ne voulais pourtant pas grand-chose, juste que tu te conduises comme un vrai père !

 

-MASATO !

 

Mon père venait de hurler à en faire trembler les murs ; sa voix avait résonné dans nos oreilles. Dans son accès de rage, il a tapé du poing sur la table de nuit ce qui a eu pour effet de renverser le verre d’eau de ma sœur, les éclats s’éparpillant partout sur le sol. Celle-ci a sursauté en même temps que moi.

 

-Ne me parle plus jamais sur ce ton là, tu m’as compris ?

 

 

      Je me souvenais toujours de ce regard dur qu’il nous lançait lorsqu’on faisait quelque chose qui le fâchait ou qu’on le contredisait. Il n’avait toujours pas changé cette expression avec laquelle il me fusillait sans relâche à ce moment là jusqu’à ce que je baisse moi-même les yeux.

Autant parfois il se comportait vraiment comme un bouffon et avait des mimes de clown lorsqu’il voulait nous faire rire que quand il était hors de lui, il pouvait faire peur même à un adulte.

 S’il y a quelque chose que je ne tiens pas de lui et qui me fait cruellement défaut, c’est bien cette faculté d’impressionner les autres. C’est quelque chose qui l’aide énormément dans son travail et qui lui a permis de monter les échelons dans cette entreprise ou il occupe désormais une place de choix. Il possède un paquet de ronds, çà ! C’est bien la seule chose dont il ne manque pas, le fric…

 

J’aurais très bien pu continuer à déballer ce que j’avais sur le cœur encore quelques heures, mais comme je le redoutais, une infirmière est rentrée dans la chambre, inquiétée par le bruit que l’on provoquait…

 

 

-   Mais qu’est ce qui se passe dans cette pièce ? On vous entend depuis le couloir ! Tâchez de respecter les patients d’à côté ! Mais…Oh là là qu’est ce que vous avez fait ?

 

Elle contemplait le verre brisé avec désolation. Dès lors qu’elle eu déboulé dans la chambre, mon père a brutalement changé d’expression et avait presque retrouvé son air stupide et niais de tout à l’heure.

 

-Oh oh oh, je suis désolé mademoiselle ! Mon fils a commis une belle maladresse et je l’ais réprimandé un peu fort, je le regrette. Nous nous garderons de faire davantage de bruit, soyez en assurée.

 

Et en plus, il m’accuse d’avoir fait ce qu’il a fait !

 

-Aah, un accident est si vite arrivé ! Mais restez dont à l’écart messieurs dames, je vais ramasser les éclats avant qu’il y ait un blessé de plus dans cette chambre.

 

Elle s’empara du balai puis de la pelle qui se trouvaient dans le petit placard à l’entrée, s’empressa de faire disparaître ce triste spectacle et tandis qu’on lui promettait de ne plus faire de vacarme, elle signalait à Miyuki qu’on allait lui servir le dîner dans une heure avant de s’en retourner à son nettoyage.

 

J’étais content de voir qu’il n’y avait pas que des infirmières tarées dans cet hôpital.

 

Une fois la porte fermée, mon père et moi nous sommes regardés en chien de faïence. Son regard n’était plus aussi sévère que tout à l’heure, mais il me faisait comprendre qu’il serait prêt à rehausser la voix si je n’attendais pas raisonnablement d’être chez nous pour continuer la conversation.

 

-Je comprends que mon arrivée puisse autant te chambouler, se risqua t’il de dire, je n’ais pu saisir l’opportunité que grâce à un ami, un collègue haut placé qui travaille auprès de moi. Il a pu faire entendre au patron que cela me ferait du bien de me mettre en arrêt quelques temps car je travaille trop.

     

-çà tu n’aurais pas eu besoin de le dire, on s’en serait douté…

 

-Cela n’a pas été facile, mais les circonstances ont fait que j’ai pu recevoir sa permission et j’ai décidé de sauter sur l’occasion pour retourner au Japon et vous voir tous les deux. C’est en sachant cela que je vous ais par la suite envoyé un courrier dans lequel je te prévenais, toi et ta sœur, de mon retour au pays.

 

-Nous n’avons jamais reçu cette lettre.

 

-Si Onii-chan, nous l’avons reçu… intervint Miyuki sans pour autant regarder l’un de nous deux.

 

-Quoi ?

 

-Mais ma chérie, tu n’as pas prévenu ton frère ?

 

 Non seulement je n’étais pas au courant du retour de papa, mais en plus j’étais le seul. Je sentais à nouveau le chaud me monter à la tête.

Je voyais ma sœur faire coulisser de derrière son oreiller une lettre froissée et me la tendre. Je la lui ais arraché des mains, déchiré un peu plus l’enveloppe que j’ai parcouru nerveusement des yeux à la recherche de la date d’expédition. Elle datait de trois jours avant que ma sœur n’ait son accident le jour de la compétition.

A l’apogée de mon irritation, j’ai sauté tous les passages inintéressants de la lettre –  que du baratin, tout un roman inutile- pour constater que notre père avait bel et bien l’intention de revenir à la maison comme il aurait du le faire il y a déjà un an. Il devait bien être à Tokyo aujourd’hui, dans le début de l’après midi…

 

Je me suis tourné vers Miyuki, complètement effaré. Je ne savais plus quoi penser. A présent, j’étais en colère contre elle.

 

-Tu le savais depuis tout ce temps, alors pourquoi tu ne m’en as pas parlé ? Tu estimais que çà ne me regardait pas peut-être ?

 

-Je voulais le faire !  s’est-elle défendue. Soit je n’en avais pas le temps, soit tu étais toujours fourré avec quelqu’un…

 

-Qu’est ce que çà peut faire que je sois avec un tel ou un autre si c’est pour m’annoncer le retour de papa ?!

 

Elle s’est vivement redressée de son lit.

 

-Tu ne réfléchis jamais avant de parler, comme toujours ! rétorqua t-elle sur un ton aussi fort que le mien cette fois. Tu vois un peu la scène que lui et toi vous êtes en train de faire ?! Je savais très bien que tu accueillerais la nouvelle de cette façon là ! Imagine ce que çà aurait donné en présence de Yoshio-kun ou de Kashima-san ! Hein, tu y as pensé ?!

 

Elle soutenait mon regard avec une détermination qui n’était cette fois pas destinée à gagner une compétition ou battre une performance.

 

      -    Nos problèmes, nos rancœurs…Ce sont des affaires de famille, çà ne regarde pas les autres, a-t-elle ajouté avant de se murer dans le silence.

 

       Devant nous, c’était au tour de notre père de se sentir embarrassé.

 

-Allons mes enfants, vous n’allez pas commencer à vous disputer par-dessus le marché ! Sinon l’infirmière va encore rappliquer et elle pourrait très bien nous demander de partir.

 

-Elle n’en aura pas le besoin.

 

J’en avais trop vu, trop entendu. J’ai ramassé les deux mangas que j’avais apporté avec moi puis les ais déposé sur la table de nuit. Celle-ci contenait déjà plein de livres sans doute achetés par ce pervers de Yasujiro. Avec tout çà, j’en oubliais même les quelques peluches ringardes disposées un peu partout sur le lit et dans la pièce.

 

-Tiens, je t’ais amené les deux premiers tomes de Nine, tu les liras une fois que tu auras fini tout çà. A demain.

 

 Sans manifester la moindre émotion, j’ai tourné le dos à ma famille puis m’en suis allé. Aucun d’eux n’a ouvert la bouche jusqu’à ce que je n’eusse fermé la porte.

 

 

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