Miyuki ( d'Après le manga de Mitsuru Adachi, 1980)

Chapitre 5 : Kazuto Wakamatsu

3203 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 16/02/2015 11:58

Quelques jours passèrent durant lesquels j’occupais seul la maison. Ce n’était que le temps ou ma sœur allait subir ses examens et savoir si elle obtiendrait l’avis favorable du spécialiste pour suivre sa guérison dans le lit de sa vraie chambre.

Ca me faisait un drôle d’effet de reprendre les vieilles habitudes, celles de devoir dormir, me nourrir et aller à l’école tout seul. Jusqu’ici je ne m’étais pas bien rendu compte de la vie triste et solitaire que je menais et dans laquelle je me complaisais avant son arrivée. Disons que je m’y étais habitué une fois l’enfance difficile passée.

 

 

J’allais rendre visite à Miyuki tous les jours, mais jamais seul. Je m’y rendais quelquefois en compagnie de Miyuki-chan et souvent suivi de près par Ryuichi…Mais il nous arrivait de partir plus tôt, nos classes n’ayant pas les mêmes horaires –et oui, ce malin avait redoublé une année et de ce fait, s’était retrouvé dans la classe de Miyuki ; la pauvre- ce qui nous épargnait le fardeau de le supporter.

Miyuki-chan n’arrivait jamais à son chevet les mains vides. Elle lui apportait régulièrement des fleurs afin d’égayer la pièce et la parfumer par la même occasion. L’odeur d’hôpital n’ayant rien d’agréable, c’était une idée que Miyuki approuvait et accueillait avec joie. Tantôt elle rapportait des bégonias, tantôt des hortensias, elle les déposait avec soin dans un beau vase sur la table de nuit. Elle ne manquait jamais de bonnes attentions.

 

Qu’est ce qu’elle peut être mignonne !

 

Face à autant de gentillesse, Miyuki ne jouait pas les ingrates. Elle la remerciait toujours poliment. Son comportement était irréprochable et çà me rassurait parce que, je ne sais si c’était le fruit de mon imagination, mais j’ai souvent senti une atmosphère bizarre et tendue entre les deux filles.

Ma sœur n’a d’ailleurs pas toujours été l’amabilité incarnée à son égard. Il lui arrivait même de manifester de l’agacement lorsque je lui annonçais par hasard que Miyuki-chan devait venir à la maison. Et lorsque son comportement envers elle m’avait contrarié et que je lui demandais des comptes, elle me répondait: « Kashima-san est une gentille fille, je l’aime bien, mais elle est trop omniprésente ».

Bon je reconnais, j’invitais très souvent Miyuki-chan à passer du temps chez nous sans forcément tenir compte de l’avis de ma petite sœur. Cette maison était la mienne depuis le départ de papa, mais à dater du jour ou elle est revenue y vivre, elle lui appartient autant qu’à moi. C’est une idée que je ne dois pas arriver à retenir lorsqu’il est question d’inviter la fille que j’aime.

Je comprends ce qu’elle peut éprouver et qu’elle puisse m’en vouloir, mais s’il te plaît Miyuki, pardonne moi, fais un petit effort pour moi, pour ton bon à rien de grand frère amoureux !

Pour elle comme pour moi, ce n’est pas facile de vivre tous les jours chez soi sans parents ni personne d’autre avec qui discuter ; n’avoir que son frère ou sa sœur pour communiquer, ce n’est pas une vie.

Miyuki-chan est là pour combler une place vide dans mon cœur depuis trop longtemps. Je voudrais faire d’elle ma petite amie, et un jour peut-être qui sait, ma femme.

Miyuki peut-elle comprendre ces sentiments, elle qui n’est amoureuse de personne ?

C’est vrai, ma sœur n’aime personne dans sa vie et pourtant elle, est aimée de tout le monde. Beaucoup de garçons la convoitent mais elle ne leur prête jamais aucune attention ; elle les traite comme de simples copains, dans le meilleur des cas de fidèles amis, apprécie leur compagnie mais les choses ne vont jamais plus loin. Je pense que malgré son jeune âge, elle

n’est pas dupe et a très vite compris le petit manège de chacun de ses soupirants. Elle est assez intelligente pour ne pas se laisser faire et rentrer dans leur jeu.

 

Ce qui me fait le plus peur, c’est que même des adultes sensés être murs, rangés et responsables s’intéressent à elle d’un peu trop près à mon goût. Le professeur Torao Nakata en est l’illustre +

.exemple.

Cet homme qui est notre professeur de sport, toujours célibataire à trente ans, en dépit de son âge, se comporte presque comme les élèves et ne voit que par Miyuki lorsqu’il fait cours à sa classe… Il s’arrange pour la retenir à la fin des cours, se propose toujours de lui donner des leçons particulières. Il lui est même arrivé de venir jusqu’à notre porte prendre un café rien que pour la contempler et glousser à chaque fois qu’il croquait son image de ses deux yeux huileux et pervers…

Pour dire jusqu’où çà va, il a même pris trois jours de congés pour aller la voir à l’hôpital et si les évènements ne s’étaient pas déroulés durant cette fichue compétition sportive, je parierais cher qu’il serait monté le premier dans le camion des urgences.

 

Dans quel monde vivons-nous…

 

Un vendredi soir, tandis que je quittais le lycée avec Miyuki-chan et qu’on entamait le chemin du retour ensemble, une voiture de police est arrivée en face de nous puis finalement, s’est arrêté à notre niveau. La vitre du conducteur s’est baissée et un gros nuage de fumée de cigarette sortait de l’intérieur. Tandis que je toussais à m’en crever les poumons, Miyuki-chan s’est approchée du véhicule avec un naturel qui laissait comprendre qu’elle connaissait bien l’homme qui se trouvait au volant.

 

-Oh, papa !

 

Oui, le père de Miyuki-chan, Kashima Yasujiro, dit « l’homme aux deux fines lames » est un policier réputé sérieux et hors pair dans son travail. Je n’émettrais aucune contradiction à ces rumeurs si il n’était pas atteint d’un grave lolita complex* qui m’empêche de voir en lui le super justicier qu’on a bien voulu me faire croire.

Depuis un an que j’ai fait sa connaissance, je continue de chercher le point commun qui pourrait éventuellement le lier à sa fille. Et je n’ais toujours rien trouvé… Leur différence est tellement énorme que je me sentirais capable de douter de leur lien de parenté s’ils ne partageaient pas les mêmes cheveux, cette belle couleur brune que je ne retrouve chez nulle autre. Hors mis ce détail, tout les sépare. C’est un homme assez âgé, de grande taille, qui paraît à première vue strict et posé, mais sa carapace se brise assez facilement lorsqu’il se trouve en présence d’une jeune et jolie lycéenne.

 

Je le répète, dans quel monde vivons-nous…

 

-Tiens mais c’est ma petite chérie que je vois là ! J’allais justement te chercher. Ooh, à moins que tu préfères rentrer à pied avec ton petit copain.

 

Il avait prononcé ces mots bien en me fixant d’un regard brillant au travers de ses lunettes. Il s’est mis à ricaner comme un gamin. J’étais troublé, je ne savais plus ou me mettre. Malgré ma gêne, je me suis incliné en guise de bonjour.   

 

-Je t’en prie, arrête de dire des bêtises aussi énormes ! a protesté Miyuki-chan, rouge des pieds jusqu’à la tête.

 

-Mais c’est tout à fait normal ma fille, tu as l’âge pour çà. Moi aussi je flirtais souvent auprès des jolies filles de mon lycée, c’est çà profiter de sa jeunesse. C’était le bon temps !

 

Avec vous, le bon temps continue, pas de quoi s’inquiéter…

 

 

-Maintenant çà suffit papa !

 

 

      Elle n’osait pas me regarder après ce que venait de dire son père. Comme poussée par la honte qui l’envahissait, elle est précipitamment montée dans la voiture et ce n’est que lorsque la portière a claqué derrière elle qu’elle a trouvé le courage de s’excuser pour l’embarras dans lequel il nous avait mis.

 

-Tu veux qu’on te dépose chez toi Wakamatsu ? a-t-il fini par me proposer.

 

-Non, vous êtes bien aimable mais je ne rentre pas à la maison tout de suite. Je dois passer voir ma sœur à l’hôpital.

 

-Ah oui c’est vrai, pauvre petite ! Ce n’est décidément pas de chance ce qu’il lui arrive. Je reviens justement de l’hôpital moi aussi.

 

-Est-ce que tout va bien pour vous ?

 

-Mais oui, je n’ais aucun problème de santé, ni mes proches. Je voulais dire que j’étais moi aussi passé voir ta sœur.

 

-Hein ?

 

-Papa ?

 

-Comment ? Là, aujourd’hui ? Vous ?

  

     Il gloussait de manière gênante, surtout de la part d’un policier. Il a laissé tomber son mégot de cigarette au sol. Il semblait vraiment un peu trop euphorique pour être innocent.

 

-Mais oui, à l’instant. La malheureuse doit certainement s’ennuyer dans sa chambre toute seule sans pouvoir bouger. Alors j’ai pensé qu’un peu de visite lui ferait plaisir, et je lui ais apporté quelques lectures et quelques peluches pour la distraire.

 

- Vraiment trop aimable, ais- je sèchement répondu dans un effort incommensurable pour ne pas l’insulter.

 

-Papa, je trouve que tu en fais un peu trop. Tu ne devrais pas être aussi familier avec Miyuki-chan, même si c’est une de mes amies.

-Oooh mais je ne vois pas ce qu’il y a de mal à vouloir rendre le sourire à une jeune fille qui enchaîne les coups durs, se défendit son père. D’ailleurs tu devrais plus penser à ce qu’elle deviendra pour toi si toi et Wakamatsu vous vous marieriez. Elle fera partie de la famille.

 

       Gloups !

 

-PAPA !

 

-Elle est timide hein ? a-t-il constaté avec un grand sourire amusé. Bon et bien nous allons te laisser mon garçon. Au plaisir !

 

La dessus, il a démarré comme une furie et évité de justesse un lampadaire planté près du trottoir. Un policier !

Enfin seul, j’ai lâché la haine que j’avais difficilement contenu puis explosé du pied la première malheureuse poubelle sur mon passage.

 

Je suis entouré de fous !!

 

J’ai fini par changer d’avis. Aussi j’ai tout de même pris le chemin de la maison dans un premier temps pour y déposer mes affaires et boire un verre d’eau, histoire de m’épargner celle de l’hôpital qui est tout bonnement imbuvable. J’ai pris quelques mangas pour les faire lire à Miyuki, des shonens. Çà allait, elle a à peu près les mêmes goûts que moi. Sans prendre la peine de me changer, je me suis mis en route avec les deux premiers tomes de Nine* sous le bras.

Oubliant ma rencontre avec Mr Yasujiro « Les deux fines Lames », je retrouvais peu à peu ma bonne humeur en marchant et ce, malgré le froid désagréable qu’il faisait comme tous les jours en cette saison. Je pensais aux vacances de noël qui allaient bientôt arriver, aux bons moments que l’on passerait durant ces fêtes. Je songeais aux cadeaux que j’allais faire puis recevoir éventuellement. J’en savourais déjà le plaisir.

 

 

C’était sans compter sur ce qui allait arriver le jour même…

 

 

Je venais de franchir le hall de l’hôpital ou je saluais bien à contrecœur l’infirmière qui m’avait sauvagement éjecté dehors le premier jour. A chacune de mes arrivées, elle disait d’une voix sèche et monotone : « chambre 218, comme d’habitude ».

 

-Merci…

     

      Sans pour une fois tenir compte de son ton méprisable  - cette fois, je ne voulais que rien ne réussisse à troubler mon semblant de gaieté- j’ai emprunté exceptionnellement les escaliers, histoire de combler ne serait-ce qu’un peu le manque d’exercice dont je souffrais.

Je suis arrivé dans le couloir qui ce jour là était désert. Quelques portes étaient ouvertes et l’on pouvait voir en passant les patients reposer dans leurs lits ou leurs fauteuils, fixant inlassablement la fenêtre d’où il pouvait apercevoir le seul point de vue qu’ils avaient de l’extérieur : un ciel maussade, gris et brumeux.

L’endroit en lui-même donnait le cafard, mais le temps n’arrangeait guère les choses…

 

Lorsque je fus face à la chambre 218, je frappai doucement contre le bois de la porte.

 

-C’est toi Onii-chan ?

 

      La voix de Miyuki dénonçait une certaine inquiétude qui me fit drôle lorsque je l’entendis. Mais en faisant comme si je n’y avais pris garde, j’ai répondu tout naturellement :

 

-Oui c’est moi. J’entre.

 

      Sur ces mots, j’ai ouvert la porte et je suis rentré dans la pièce. A ce moment là, j’aurais très bien pu faire face à un dragon, un troll ou un martien que ma surprise n’aurait pas été plus grande. Ma sœur était toujours assise dans son lit, le pied encore dans le plâtre. Mais à ses côtés se tenait un homme vêtu d’un costume beige, silencieux, recroquevillé sur une chaise. Ses cheveux étaient d’un noir aussi soutenu que les miens bien que quelques cheveux grisonnants transparaissaient derrière ses oreilles. La coupe de sa petite moustache n’avait rien d’élégant, elle rappelait le Führer et lui donnait facilement l’air sévère…Malgré un âge avancé, il avait conservé ces rouflaquettes qui étaient revenus à la mode il y a dix ans, bien que chez lui elles restaient assez discrètes. Il avait beau sourire, on pouvait lire sur son visage les durs instants, toutes les épreuves pénibles qu’il avait eu à traverser. Six longues années étaient passées depuis la dernière fois où j’ai vu cet homme, mais je le reconnus instantanément.

 

«  PAPA ! »

 

Je ne me rendais même pas compte sur le moment que je venais de laisser tomber mes mangas à terre. Je me trouvais pour la première fois depuis six ans nez à nez avec mon père, Kazuto Wakamatsu, homme d’affaire tellement occupé qu’il ne trouva jamais le temps de s’occuper de ses enfants.

 

A ma vue, son sourire s’est élargi. Dans son silence, il hésita puis finalement, entrouvrit les bras.

 

« Çà fait longtemps, fiston ».

 

* lolita complex : tendance chez une femme ou un homme d’un certain âge à être attiré(e) par les jeunes.

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