Miyuki ( d'Après le manga de Mitsuru Adachi, 1980)

Chapitre 4 : L'Accident

5429 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 08/11/2016 23:29

Finalement, le moment de passer aux choses sérieuses était venu. Que d’excitation dans toute l’école ! Et quel honneur quand on pense que c’est notre stade qui a été choisi pour disputer les épreuves.

Dans les gradins, j’eus toutes les peines du monde à trouver une place. J’ai fini par me résigner et à prendre la seule que j’apercevais de libre, on comprenait tout de suite pourquoi. Juste devant le siège se trouvait assis un gros type baraqué comme une armoire, pas l’air commode –vous saisissez le jeu de mot ?- qui gloutonnait, la tête enfouie dans son paquet de chips à la crevette. Sa taille en imposait vachement et je ne distinguais pas grand-chose devant moi hors mis son dos qui pouvait faire barrage à un part choc de voiture.

 

Je lâchai un profond soupir de mécontentement et me rendis à l’évidence une fois installé. A la pensée que je devais me taper le spectacle d’une place aussi éloignée du terrain avec un champ de vision aussi pourri, je songeais à ce que Miyuki m’avait dit pour me taquiner ce matin.

J’avais en effet très envie de prendre mon sac et de rentrer à la maison.

J’ai croisé les bras en même temps que mes jambes d’un air déçu. C’est tout ce que je pouvais faire…

 

Dire que Muraki devait me garder une place…Et qu’est ce qu’il fait à la place cet imbécile?

 

Vers les premières rangées de sièges en bas, Muraki fanfaronnaient auprès de deux jeunes lycéennes qui se tenaient assises à côté de lui. Sans doute avaient-elles profité de ce benêt pour être bien placées car les pitreries qu’il faisait pour attirer leur attention, malgré tous les efforts qu’il fournissait, les laissaient de marbre.

J’étais en train de le traiter de tous les noms d’oiseau possibles lorsqu’une voix dure au travers d’un haut parleur s’est mise à retentir et à faire saigner mes oreilles.

 

« A TOUS LES ELEVES DU LYCEE SEIKA, MEISEI, SEISHUU, MEIJO ET EISEN PRESENTS SUR LE STADE. LA COMPETITION SPORTIVE DE L’ANNEE EST SUR LE POINT DE COMMENCER. LES PARTICIPANTS DISPUTERONT LES PREMIERES PLACES SUR DES EPREUVES DE VOLLEY, BASKET, RELAIS ET DE COURSE.

 

CE SONT LES SPORTS QUI ONT ETE SELECTIONNES PAR LES CLASSES DES DIFFERENTES ECOLES QUI SONT REPRESENTEES AUJOURD’HUI SUR LE TERRAIN PAR DE JEUNES TALENTS QUI COMPTENT BIEN SAUVER L’HONNEUR DE LEUR ETABLISSEMENT EN LUI ATTRIBUANT UN PRIX.

LES ELEVES SELECTIONNES POUR LE BASKET, VEUILLEZ VOUS AVANCER SUR LE CENTRE DU STADE. LE DEPART DU MATCH VA ETRE DONNE DANS TROIS MINUTES EXACTEMENT. MERCI POUR VOTRE ATTENTION »

 

On pouvait difficilement faire autrement, ais-je grommelé pour moi-même.

 

Le signal ne tarda pas à être lancé et suivi d’une acclamation générale. Partout l’on pouvait entendre les cris d’encouragements et les huées. Partout l’on pouvait voir les panneaux et les bras levés. Une véritable fièvre s’emparait de tous les lycéens qui s’étaient mobilisés pour supporter leur équipe représentantes. Une ambiance de folie peut-être un peu trop exagérée à mon goût qui ne laissait pourtant pas indifférent et qu’on ne pouvait retrouver que dans un stade.

Tantôt des bourrasques de bruit, tantôt des moments de tensions qui laissaient à la voix du haut parleur le soin de se faire entendre et de prononcer les noms des acteurs de la scène.

Raah bon sang ! Si je pouvais voir ne serait-ce que le centre du terrain !

 

Je guettais ailleurs dans les gradins si un siège mieux placé ne restait pas vide dans le public, en vain. Puis vint le tour des épreuves qui m’intéressaient le plus, celles de course et de relais.

Parmi les représentants de notre classe, les noms de Kosaka Kenji, Hisashi Fumino, Kashima Miyuki, Kami Toshio et Midori Katsuya furent énoncés.

J’étais tout excité d’entendre des noms d’élèves de notre école, de savoir qu’ils étaient écoutés par tous. Le coup du pistolet qui venait de sonner le départ me fit bondir de mon siège. Je commençais vraiment à mal supporter le fait de ne rien voir.

 

Mais tu vas dégager, gros tas ?!

 

« S’il vous plait ? »

 

Le monstre s’est retourné, la bouche à moitié pleine.

 

-Qu’es’tu m’veux toi ?

 

 

Juste que tu dégages.

 

-Pourriez-vous vous décaler un tout petit peu que je puisse mieux voir ?

 

Le gros a éclaté de rire.

 

-Hahaha ! Mais oui ! Bien sûr !

 

Bien entendu, il n’en fit rien. Il m’a juste tourné le dos, sans exprimer le moindre pardon pour m’avoir postillonné à la figure au passage.

Je venais de trouver un excellent camarade pour Ryuichi-kun. Je ne l’avais pas revu depuis le matin celui-là d’ailleurs. Mais bon, dans les moments pénibles que j’étais en train de passer, il aurait certainement été de trop.

 

Quelques minutes plus tard, je vis les gens se lever de leur siège pour hurler et applaudir. Le mec devant moi s’est levé telle une véritable tour Eiffel et dans sa manifestation de joie, a envoyé son paquet de chips vide sur la gueule d’un autre lycéen qui s’apprêtait à répliquer d’un coup de poing, mais qui en voyant le gabarit de Moby dick a préféré se raviser.

 

Cette fois-ci, la curiosité l’a emporté sur la crainte.

 

« Qu’est ce qu’y a ?! Mais bouge un peu quoi ! »

 

Sans avoir le temps de comprendre ce qui m’arrivait, la brute s’est retourné, m’a empoigné par le col mandarin de mon uniforme et m’a littéralement glacé d’un regard empli de menace.

 

-T’es pas content de ta place ? Alors t’en change et tu fous le camp.

 

-Avec cette expression, on pourrait convaincre même les plus obstinés, ais je dis d’une faible voix suivie d’un petit rire nerveux.

 

 Après çà, je n’ais pas demandé mon reste... Je n’avais pas envie de me retrouver à l’hôpital. Quoique j’aurais trouvé l’excuse parfaite pour manquer la compétition. Mais je tenais vraiment à savoir comment çà allait se passer.

 

« L’EQUIPE SEIKA A GAGNE LA COURSE ET OBTIENT LA PLACE NUMERO 1 SUR LE PODIUM POUR L’EPREUVE DE RELAIS ! »

 

 

-YEAH ! On a gagné !

 

« C’EST KENJI KOSAKA, LE CAPITAINE, QUI OBTIENDRA L’HONNEUR DE SAISIR LE PRIX ET SE VERRA ATTRIBUER UNE MEDAILLE COMME SES COEQUIPIERS ! »

 

-Bravo Miyuki-chan, tu les as tous écrasé ! Ais-je hurlé en faisant un bon de mon siège.

 

Il m’avait fallu attendre la victoire de ma bien-aimée pour que j’agisse enfin comme un vrai supporter. Une fois encore j’étais le témoin de ses prouesses, bien que je n’avais pu les admirer d’aussi près que l’année dernière lorsqu’elle et moi nous faisions équipe ensemble à la même épreuve. Je ne la voyais pas de mon emplacement, mais j’imaginais l’émotion sur son visage, sa joie et sa fierté d’obtenir sa seconde médaille.

 En y repensant, et en applaudissant les exploits de notre équipe, je commençais à éprouver un petit peu du regret… de ne pas avoir participé. Si je n’étais pas resté aussi buté et si j’avais cru en moi, j’aurais pu partager ces moments de gloire.

 

Vint ensuite l’épreuve de course, celle à laquelle devait participer ma sœur. C’était son tour de montrer à des milliers de lycéens de quoi elle pouvait être capable. Déjà excité de la victoire de Miyuki-chan, je ne tenais vraiment plus en place.

J’ai tenté de me mettre debout sur mon siège pour voir au moins ou elle était placée sur le terrain, quelle rangée elle occupait. Mais je suis redescendu très vite en constatant que je faisais râler la moitié des élèves derrière moi, faute de leur gâcher la vue.

 

Tsss… déjà qu’est ce qu’on peut voir de là ou on est placé, vous pouvez me le dire ?!

 

Impossible de me lever de ma chaise ni de faire bouger le tas qui occupait la quasi-totalité de mon champ de vision, impossible d’aller à droite et à gauche.

Signification : Je devais encore assister à l’épreuve sans voir autre chose que le bleu du gakuran de ce rônin en face de moi. Va te faire foutre la vie, va te faire foutre…

 

Le coup du pistolet partit une nouvelle fois et les acclamations du public avec. Parmi toutes les voix, j’ai pu reconnaître celle de Ryuichi –celle là, je la reconnaîtrais parmi milles- qui apparut un instant dans les gradins tellement ses bonds étaient immenses. Il ne se trouvait pas si loin de moi. J’espérais qu’il ne me remarque pas mais il semblait visiblement trop absorbé par la compétition-je devrais dire par Miyuki- à tel point que même un tremblement de terre ne parviendrait pas à stopper sa frénésie.

Il pouvait faire le pitre autant qu’il le voulait, personne ne s’amuserait à lui dire de se taire. La loi du plus fort, de celui qui en impose le plus… Combien de fois vais-je devoir être soumis à cette dure réalité ? Va te faire foutre la vie, va te faire foutre !

 

 

Je ne pouvais qu’espérer que la course se passe sans anicroches pour Miyuki. J’étais toujours confiant connaissant l’endurance de ma sœur et les performances qu’elle avait déjà démontré en sport depuis son retour précipité au Japon. Pas un seul instant je n’ais laissé la place au doute.

 

C’est dans la poche sœurette !

 

Seulement, les évènements ont pris une tournure à laquelle personne ne s’attendait. Une fois encore les élèves des diverses écoles se sont levés mais pas pour applaudir, pas pour encourager…Ils semblaient stupéfaits. Je tentais une nouvelle fois de savoir ce qui captivait autant l’attention générale mais je ne compris la situation que lorsque la voix du haut parleur eut déclaré que la coureuse n°8 s’était blessée.

Quand elle associa le nom Wakamatsu à ce numéro, je sentis le sang qui coulait dans mes veines se glacer. Je croyais avoir mal entendu, je voulais avoir mal entendu.

J’ai fait un bond hors de ma chaise quitte à piétiner les autres élèves pour me frayer un passage vers les escaliers des gradins. Qu’ils vociféraient après moi me glissait dessus, je ne faisais vraiment plus attention à eux.

Non sans mal, j’ai réussi à sortir vivant de cette horde pour me rapprocher des grillages qui séparaient le terrain du public. Je priais pour que ce que j’allais découvrir ne m’horrifie pas.

 

Blessée…Est-ce grave ? A-t-elle perdu connaissance ?

 

Tout est allé très vite.

Par la suite, Miyuki fut transportée à l’hôpital. Le diagnostic nous a été confirmé, elle s’était faite une entorse assez sérieuse pour lui faire garder le lit durant plusieurs semaines. Le résultat de son entraînement acharné et de son silence de ce matin lorsqu’elle s’était légèrement foulée la cheville aux éliminatoires. Un manque de chance que j’aurais pensé héréditaire si elle et moi avions été frère et sœur de sang. Mais l’infortune peut également arriver à ceux qui ne la fréquentent pas de coutume. Ce jour là, il avait fallu que ce soit elle qui en fasse les frais ; ce jour qu’elle attendait tant, cette compétition…

 

Comme j’étais désolé pour elle.

 

Quelques unes de ses amies ainsi que Miyuki-chan et moi-même étions près d’elle dans sa chambre au cinquième étage. A sa disposition, une petite commode et une simple table de nuit meublaient à elles seules la pièce. Près du lit, il n’y avait que trois sièges à notre disposition. Je les laissai aux filles préférant rester debout, adossé contre la fenêtre.

 

« Tu as très bien couru Miyuki tu sais, tu ne dois avoir aucun regret » la consolait Yaeko, l’une de ses deux copines.

 

-Elle a raison, acquiesça la seconde –je ne sais plus comment elle s’appelle- sans cet accident, je suis sûre que c’est toi qui aurait gagné.

 

Idiote, c’est bien ce qui doit la dégoûter.

 

Ma sœur ne disait rien, ne nous regardait pas. Elle qui d’habitude débordait d’énergie et de bonne humeur, toujours souriante, jamais à cours d’espiègleries ; elle qui était tellement pleine d’entrain et qui se battait toujours avec tant de volonté…Elle restait silencieuse. Un calme souverain régnait dans la pièce et cette attitude qui ne lui était propre nous laissait tous mal à l’aise. Bien sûr, on comprenait sa déception. Nous l’étions aussi évidemment. Mais dans le fond, ce qui comptait, c’était que rien de plus grave ne se soit passé et qu’elle suivrait la voie de la guérison.

 

Mais Miyuki s’était entraînée très dur pour cette épreuve. Le sport a toujours figuré comme l’une de ses passions les plus importantes, elle s’y consacre un peu tous les jours afin d’en tirer des résultats et d’accroître ses capacités.

C’est à partir de cela qu’on peut s’imaginer le coup dur que ce devait être pour elle de se retrouver dans un lit d’hôpital alors qu’à l’heure qu’il était,  elle aurait du fêter sa victoire en compagnie de ses camarades et admirateurs.

Voir tous ses efforts s’effondrer aussi brutalement sur le stade rendrait malade n’importe qui.

 

Les minutes passèrent sans qu’elle ne dise mot, toujours la tête baissée; on ne voyait pas son regard. A un moment j’ai cru qu’elle pleurait. C’était une erreur de ma part car lorsque Miyuki-chan a daigné lui prendre la main pour la réconforter à sa manière, elle a enfin levé son visage vers nous et aucune larme ne coulait. Aucun mot ne sortit de sa bouche non plus. Mais ses yeux qui trahissaient un certain chagrin laissaient entrevoir à Miyuki-chan une sincère reconnaissance qui la toucha au plus profond du cœur.

Celle-ci lui promit de passer souvent la voir tandis que ses deux amies prévoyaient de lui organiser une petite fête le jour ou elle sortirait de l’hôpital.

Ces attentions, ces gestes d’affections peu à peu, vinrent à bout de sa tristesse et finalement, elle nous exprima ses remerciements. Discrètement de ma place, j’ai souri. Je voulais qu’elle retrouve confiance en elle, nous y étions arrivés.

L’atmosphère redevint un peu plus détendu après çà et je laissai ces quatre filles échanger leurs plaisanteries quand j’avais la chance de ne pas y être mêlé. Il n’a pas fallu longtemps pour que je redevienne le bouc émissaire. Beuuuuh…….

 

L’horloge indiquait 18h30. Les trois filles s’apprêtaient à partir. Yaeko et sa collègue –je n’arrive vraiment pas à remettre son nom- s’en sont allées les premières tandis que derrière elles, je traînais un peu avec Miyuki-chan à la porte. J’étais fatigué, à bout de nerfs. Le poids de tout le stress que j’avais accumulé suite à cet incident me pesait lourd sur les épaules. Aussi notre dialogue fut bref, je l’ais remercié de ce qu’elle avait fait pour moi et ma sœur, de porter autant d’attention sur elle et d’être une amie fidèle sur qui l’on pouvait compter.

A ma grande stupéfaction, elle a plongé son regard dans le mien et m’a répondu quelque chose de totalement à côté de la plaque :

 

«  Tu es bien trop inquiet Masato-kun »

 

Elle n’a pas perdu son temps à observer ma réaction, m’a salué courtoisement de la main et a disparu dans le couloir. Qu’avait-elle voulu insinuer par là ? C’est vrai que l’on pouvait parfaitement lire l’inquiétude sur ma figure vu comment j’avais les traits tirés. Mais je ne savais grâce à quelle intuition, je sentais une ambigüité dans sa phrase. Faute d’épuisement, je n’ais pas réfléchi longtemps à la question et ma perplexité ne m’apporta aucune réponse.

 

Alors que je m’apprêtais à refermer la porte, j’entendis une voix familière retentir dans le corridor voisin. Une voix qui répétait sans cesse : « La chambre 218, la chambre 218… »

 

RYUICHI !

 

Réalisant qu’un boulet amarrait droit sur nous, mon cerveau a cessé de fonctionner au ralenti et toute fatigue m’abandonna. Il me fallait agir ! Subitement il m’est venu une idée. Les numéros des portes étaient indiqués sur des petits cartons qui se trouvaient placés derrière une plaque de plastique dur ou l’on pouvait glisser le papier par une fente.

Je fouillais mes poches à la recherche de quelque chose d’assez fin pour me permettre de faire glisser le carton hors de la plaque…Bingo ! Une pièce de 10 Yen moisissait dans l’une d’elles

depuis je ne sais combien de temps. Je l’ais prise sans perdre une minute et suis finalement parvenu à tirer le papier à l’extérieur pour interférer les numéros 218 avec 212.

Une bonne chose de faite ! J’ai ensuite fermé la porte, cette fois-ci à double tour pour être sûr d’avoir la paix. J’ai laissé échapper un soupir de soulagement, bien que je fusse en colère.

 

Quand il n’y a plus de problèmes, en voilà d’autres…

 

« Pourquoi tu fermes la porte à clé ? m’a demandé Miyuki avec sérieux. Soudainement, elle prit un air angoissé tout en tirant les couvertures vers elle.

 

-….Qu’est ce que tu as l’intention de faire ?

 

Qu….J’ai bien entendu ? QUOI ?

 

 

-Mais rien t’es malade !! Qu’est ce que tu t’imagines ?!

 

     Elle a éclaté de rire sous mon nez alors que j’étais paniqué, abasourdi par ce qu’elle venait de dire.

 

-Rien du tout, c’était une plaisanterie. Mais si tu voyais ta tête ! me répondit-elle visiblement amusée par la mauvaise blague qu’elle m’avait faite.

 

    Je me souviens m’être clairement demandé si elle voulait ma peau à ce moment précis.

 

-Pfff c’était stupide comme coup ! Tu sais que je n’aime pas ce genre de farce…

 

-C’est justement pour cette raison que je le fais, je sais d’avance que tu vas mettre les deux pieds dans le plat.

 

Toi, même avec juste un pied dans le plâtre, tu ne te lasses pas de me chambrer…

 

Je me suis assis sur l’un des sièges tout près d’elle et je redessinais du doigt les motifs de la bassine du service à toilette en porcelaine qui se trouvait sur la table de chevet.

 

-On dirait que çà te plait de me faire passer pour un pervers…

 

-C’est ce que tu es, m’a-t-elle dit d’une voix totalement passive.

 

-Mais !

 

 

Je n’avais pas envie de riposter. Le compteur de mon énergie était retombé à zéro et je n’étais plus apte à me défendre verbalement. Nous n’avions même pas encore mangé…

J’ai bâillé et juste après naturellement, j’ai senti venir à mes yeux les larmes de la fatigue.

Alors, ma sœur m’a mis ses bras autour du cou et m’a attiré comme elle a pu contre elle.

 

- Peu importe que tu sois un pervers, tu es bien comme çà et je ne veux pas que tu changes.

 

Je ne m’y attendais vraiment pas, ce qui justifiait mon silence. Bien qu'il ne s'agissait que de ma petite soeur, je n’avais pas du tout l’habitude de me faire enlacer par une fille.

En me voulant affectueux, je lui ais tapoté maladroitement l’épaule.

 

-j’y pense, dit-elle en desserrant aussitôt son étreinte, tu ne m’as toujours pas dit pour quelle raison tu as fermé la porte à double tour.

 

 

Bien sûr, c’est juste après avoir prononcé ces mots que l’on se mit à forcer sur la poignée.

 

« Miyuki-chan » ?

 

Laisse nous tranquille, monstre.

 

-Cette voix, mais c’est…

 

Ma sœur failli lâcher un cri de surprise. Je suis intervenu avant qu’elle ne dise son nom.

 

-Pour l’amour de Dieu tais-toi ! S’il se ramène ici, on aura un mal fou pour s’en débarrasser !

 

    « Est-ce que tu es dans cette chambre Miyuki-chan ? »

 

    Sentant qu’on était coincé, je n’ais pas trouvé d’autres moyens que de prendre une voix de petit vieux et de répondre à l’entêté de service.

 

-Euh non non, vous faîtes erreur jeune homme.

 

      Ma réponse fut suivie d’un blanc assez angoissant tandis que ma sœur, en témoin de mes efforts désespérés de comédien raté, se retenait de rire à nouveau. Elle et moi n’avions vraiment pas le même point de vue sur la gravité de la situation…

 

-Ah ! Je vois, mille excuses Ojii-san*

 

Et j’entendais ses pas résonner et se dissiper dans le couloir. On l’avait vraiment échappé belle.

 

-Pourquoi tu l’as empêché d’entrer ? Il voulait probablement me voir et prendre de mes nouvelles comme les autres.

 

-Tu me remercieras plus tard, ais je répondu à Miyuki sans prendre la peine de lui exposer les quelques centaines d’arguments que j’avais pour ne pas lui avoir ouvert la porte.

 

-Tu as peut-être bien fait dans le fond, il y a quelque chose dont je voulais te parler seul à seul.                                                                          Ojii-san*= Monsieur, Grand-père

 

Elle redevint presque aussi grave que tout à l’heure lorsqu’elle baissait la tête sans lâcher un mot, perdue dans sa déception. Je lui assurai que j’étais prêt à entendre ce qu’elle avait à me dire même si je me sentais quelque peu embarrassé.

 

Elle n’eut pas le temps d’entamer le sujet que l’on recommençait à jouer avec la poignée de la porte.

 

-OOOY, Onii-san ! C’était très fin ton petit jeu de tout à l’heure, mais je t’ais reconnu ! Allez ouvre !

 

      Putain mais je vais vraiment me le faire un de ces jours !!

 

Je me suis levé de ma chaise à la vitesse de l’éclair et j’ai brandi mes poings en faisant face à la porte.

 

-CASSE-TOI !

 

-Sois sympa Onii-san ! Je veux juste voir comment se porte ta sœur.

 

Il n’ajouta plus rien. Miyuki et moi avons tendu l’oreille, il semblait y avoir du grabuge de l’autre côté de l’entrée. On entendait une voix de femme très aigue piailler contre celle de Ryuichi qui essayait de justifier sa présence devant la chambre.

 

 

J’ai regardé ma sœur qui a haussé les épaules. A la seconde d’après, un coup extrêmement violent a brisé le verrou, ouvrant grand la porte qui a rebondi contre le mur, provoquant un véritable boucan dans tout le couloir.

Nous avons fait les gros yeux en se demandant d’abord si nous n’avions pas affaire à un taré ou à un terroriste. Mais il ne s’agissait que de l’infirmière qui affichait un air très mécontent, pour ne pas dire enragé, qui s’intensifia lorsqu’elle s’aperçut de ma présence dans la pièce.

Elle avait une force du diable ! La porte, j’ai cru qu’elle la fracassait…Et à côté d’elle se trouvait Ryuichi, un bouquet de roses dans les mains, l’air aussi terrifié que nous.

 

 

« QUE FAITE-VOUS ICI ?! beugla l’infirmière en me pointant du doigt. VOUS SAVEZ QU’IL EST BIENTOT 19H00 ET QUE L’HEURE DES VISITES EST PASSEE DEPUIS LONGTEMPS ? »

 

 

Encore sous le choc de ce que je venais de voir, j’ai bégayé bêtement ce qui n’eut pour effet que de l’énerver encore plus.

 

 

-VOUS N’AVEZ PLUS RIEN A FAIRE ICI, ALLEZ-VOUS EN ET REVENEZ DEMAIN !

 

 

  Elle s’est avancée vers moi d’un pas décidé et m’a agrippé au col avec une force incroyable pour m’extirper hors de la chambre.

C’est là-dessus que nous nous en sommes retournés Ryuichi et moi ; lui sans avoir pu offrir son cadeau, moi sans avoir pu écouter ce que Miyuki avait à me dire…

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