Chroniques d'un Cor de chasse

Chapitre 7 : Partie 1 : Trois pierres sous un cèdre

2820 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 13/12/2021 21:06

Trois pierres sous un cèdre


La neige fraîche de l'aurore scintillait sous le soleil, laissant apparaître les empreintes des plus téméraires, ceux qui avaient quitté leurs quartiers avec les premières lueurs, guidés par une mission, une chasse ou des recherches, pour renforcer la colonie. Les traces s'enchaînaient dans le blanc, formant une unique colonne. Une seule ? Non, ce matin-là était différent. Malgré l'aube et la responsabilité de chacun, trois paires de pas marchaient à contre-sens. Remontant l'allée des légendes, elles avançaient vers les logements du passé, ceux des plus anciens et des oubliés. 

Elles portaient avec elles la graine de la jeunesse. Trois âmes déterminées à repeupler les demeures vides et à perpétuer le cycle des chasseurs.

Les vétérans s'entouraient des meilleurs espoirs, leur contaient légendes et récits tragiques, avant de s'en aller à leur tour. Les camarades disparus attendaient de l'autre côté, laissant aux survivants la responsabilité de leur immortalité. Beaucoup tombaient dans l'oubli, simples noms gravés sur une plaque d'or usée par l'âge et la poussière. Mais certains voyageaient d'ères en ères, portée par la voix de leurs prochains.

Hans faisait partie de la première catégorie, chasseur perdu dans la glace et effacé de son temps. Le courage lui avait manqué jusqu'ici, celui d'honorer des paroles hurlées dans les flammes. Pour lui, ne pas parler, c'était rester avec ceux qui comptaient, mais se taire, c'était également les laisser mourir.


Pour la première fois depuis longtemps, les ombres vers lesquelles il avançait en souriant étaient bien vivantes. Sur des marches de bois humides, trois silhouettes se tenaient devant l'encadrement d'une épaisse porte. Une porte à la peinture écaillée et partiellement effacée, mais couverte d'un léger bleu. Une simple couleur qui signifiait pourtant beaucoup pour certaines personnes de Seliana : une nuance rimant avec bienveillance. 


Emmitouflés dans des manteaux de Banbaro, trois jeunes et curieux chasseurs attendaient impatiemment la venue du barde. Ils furent troublés à leur arrivée de trouver la porte azur close. Le centenaire ne fermait jamais sa porte, à quiconque, pourquoi gardait-il celle-ci verrouillée ? 

« Venez plutôt par ici ! »

Sur le palier de l'habitation voisine, le groupe reconnut aisément la chevelure chaotique de leur ami. Il agitait la main avec énergie, simplement vêtue de sa tenue de la guilde — sans le couvre-chef qu'il avait donné.


Il ne semblait pas avoir froid, mais surtout, il affichait un sourire radieux. Ce dernier rehaussait ses pommettes qui remontaient jusqu'à ses yeux vairons, légèrement plissés. 

« Depuis quand fermes-tu ta porte, Hans ? demanda Quiver en approchant.

— Oooh, mais, elle n'est pas fermée, se défendit le barde en accueillant ses invités dans sa propre habitation.

— Si. On ne peut pas l'ouvrir, affirma Lotus.

— Non, elle est simplement coincée. Une brute a voulu l'ouvrir malgré un verrou bien enclenché…

— Hans ! Aurais-tu ?

— Ne ferme jamais ta porte, Rush ! Tu pourrais rester bloqué chez toi et je t'aurais prévenu ! »

Le lancier s'en donna à cœur joie pour se moquer de son camarade. L'homme âgé n'avait ni la carrure, ni le caractère de celui qui bloquerait une porte. Pourtant, il avait sans doute oublié, ce jour-là, qu'il était certainement le seul de la colonie à ouvrir son foyer à tous.

Il n'y avait ni voleur, ni criminel parmi les membres de la commission, mais vivre dans un milieu hostile forçait beaucoup à se créer une bulle de sécurité. Des petites habitudes, des riens, qui rassuraient et aidaient les chasseurs à ne pas penser aux dangers qui rôdaient dans les bois ou les montagnes voisines.

« Nous allons passer par le petit chemin ? Celui qui contourne…

— L'étang où tu es tombée ? la coupa Hans.

— Oui… souffla la jeune femme, celui-ci. »

Suivant le guide à travers le champ de mines, les esprits agités puisèrent dans leurs forces pour rester silencieux. L'impatience et la curiosité les rongeaient de l'intérieur, pourtant, quand le barde fit une révérence pour leur montrer l'entrée arrière du domaine des cieux, ils posèrent leurs regards par-dessus son épaule sans un mot.


Le centenaire protégeait de son corps une autre allée, simple chemin de terre qui avançait vers un jeune arbre. Où menait ce sentier enneigé et quels secrets renfermait-il ? Lotus sentait au fond d'elle, que c'était là le lieu le plus intime pour le barde. Le seul qu'il voulait garder loin du monde. Le seul passage dont il fermait la voie. Mais elle, comme ses amis, serait patiente. Hans tentait de cacher ses émotions, mais il y avait une lueur différente de son regard. Celle d'un homme ayant décidé d'affronter un Rathalos et même s'il n'y avait aucun dragon au pied de l'arbuste, il y avait là-bas quelque chose qui demanderait à Hans beaucoup de courage.


Se détachant de cette vision mystérieuse, les trois amis portèrent leurs regards vers ce que le barde appelait "le domaine des cieux".

Devant eux s'étendait un jardin fleurissant. Arbustes, cactus, fleurs colorées et simples herbes qui couraient au sol se mélangeaient de tous les côtés. La végétation luxuriante grimpait de part et d'autre des poutrelles de bois supportant l'ouverture. Certaines de ces plantes recouvraient des sols enneigés, alors que d'autres poussaient à même la pierre. Ici et là, pyrocrapauds et étrangetés de la faune locale aidaient l'environnement à conserver la température idéale.


À l'intérieur de la pièce, un sol de roche pâle invitait les chasseurs à entrer dans une pièce lumineuse aux allures royales. Les murs de bois soutenaient de nombreuses étagères en pin. Tantôt celles-ci portaient un pot finement sculpté, tantôt elles étaient le refuge d'un oiseau aux plumes aux couleurs de l'océan. Depuis les poutres centrales flottaient d'immenses bannières. Elles étaient au nombre de quatre. L'une d'entre elles avait une teinte orangée, côtoyant une sœur plus sombre, elles se distinguaient des couleurs plus froides des deux dernières, respectivement bleue et verte. Cousues d'un fil fin et noble, elles portaient toutes la marque de l'étoile de Saphir et le symbole de la commission. 

Instinctivement, Lotus se remémora l'imposante écharpe de son camarade. Si le barde portait l'étendard de la forêt, la femme au marteau était sans aucun doute celui du ciel. Lequel représentait "Az" ? Était-ce le chasseur enflammé ou la montagne solide à ses côtés ?


Une main délicate interrompit sa réflexion et attira son attention vers le palier supérieur. En haut des marches se trouvait une véritable animalerie, scarabées, lièvres et habitants du froid se côtoyaient librement. Rush et Lotus reconnurent chacune de ces espèces, elles étaient toutes rares ou très peureuses. De nombreux chasseurs n'avaient jamais vu, de leur vie entière, les couleurs de l'aurore que dessinaient dans le ciel les fils de la mantagrell volant au plafond même de la pièce. Le long des escaliers, des tuyaux s'alignaient, remplis de terre et de mousses ; ils étaient l'habitat de curieuses taupes toutes plus colorées les unes que les autres. Certaines avaient une véritable crête enflammée, d'autres se recroquevillaient dans une épaisse fourrure glacée.

Devant les yeux ébahis de Lotus, un papillon cobalt traversa la pièce pour rejoindre un petit plateau d'argent suspendu au plafond. À ses côtés, cavalait un hercudrome prismatique. La jeune femme avait cherché cette espèce des mois durant. Ce scarabée à la carapace fine reflétait les couleurs de l'arc-en-ciel et ne sortait qu'au crépuscule, certains jours de l'année.


Plus loin, encastrés dans les murs de la pièce principale, de grands aquariums étaient remplis d'êtres encore plus étonnants. Il y avait ici un véritable trésor. Hans n'avait jamais montré le moindre intérêt pour la faune locale — à l'exception d'une passion déplacée pour les crapauds explosifs. Était-ce parce qu'il avait déjà tout vu ? À moins que ces trouvailles ne soient l'œuvre d'un autre ? Un passionné patient et minutieux qui aurait abandonné ici même son carnet de notes ? La jeune femme rêvait éveillée. Ses yeux se posèrent sur des parchemins à droite, des livres à l'étage et des estampes entamées cachées dans les ombres. Personne n'avait jamais parlé d'une telle passion chez la femme en bleu. Qui était donc son homologue ? Lotus aurait aimé le connaître, mais elle savait au fond que c'était impossible.

Rush avança sans hésitation un peu plus profondément dans le domaine. Au cœur de la pièce trônait une table en bois, l'écorce bleutée parsemée de tâches roses rappelait un arbre exotique de l'ancien monde. Peut-être un fragment du passé de la femme en bleu ? Dessus était exposées de nombreuses plantes. toutes avaient un point commun : de magnifiques pétales bleus ou violets. Les plantes vivaces montraient un parfait entretien. Il n'y avait aucune feuille fanée sur le tissu, azur également, qui protégeait le bois de l'eau et du temps.

S'il fallait une nouvelle preuve de la couleur préférée de l'ancienne occupante, les jeunes chasseurs n'avaient qu'à lever les yeux. Une multitude de lanternes brillait au-dessus d'eux. Entourées de papier fin et peintes de bleu, ces dernières rappelaient les étoiles dans le ciel, offrant encore plus de liberté aux oiseaux qui dominaient le lieu.

L'entrée et l'étang étaient gorgés de vie, refuges pour la faune et la flore du Givre éternel, et la dominance du bleu continuait jusqu'au fond de la pièce, là où se trouvait le lit.

Il y avait là-bas une couche très simple, un drap lapis-lazuli sans un pli qui n'avait pas vu son occupante depuis bien longtemps. Sur une table voisine reposaient de nombreuses potions et quelques carnets.


Mais l'élément qui gardait Quiver hypnotisé depuis son entrée se trouvait en face même de la cheminée, au début des escaliers. Il y avait là un présentoir à la silhouette féminine. Aucune armure n'était exposée, mais un magnifique marteau était resté accolé à la femme de bois.

Son manche forgé dans l'argent soutenait une pointe puissante aux allures d'un bec d'acier. Ce dernier portait fièrement des cornes enroulées d'un blanc des plus purs. Une garde d'ivoire, ornée de pierres écarlates, protégeait les mains du chasseur lors du combat. Cette arme visiblement puissante surprenait par la délicatesse de la courbe qui fermait délicatement l'arrière de la tête et était couverte de fragiles voiles aux couleurs des cieux. Ils s'étendaient les uns à la suite des autres, formant trois rangées d'ailes pâles et givrées traversées par la lumière.


« Angel, annonça une voix triste, c'était son nom. »


Hans se tenait contre l'une des poutres de la porte arrière. Les bras croisés sur son torse, il regardait le fanion qui ondulait avec le vent. Sa respiration était saccadée, mais il garda la tête haute en avançant vers ses camarades. Ils détournèrent tous les trois les yeux des fééries de la pièce et offrirent toute leur attention au barde. Quiver, avec douceur et empathie, posa sa large main sur l'épaule de son ami. L'homme ne serait pas abandonné seul face à l'ennemi. Ils formaient une équipe et bien plus que ça, une famille.

« Il y a quelque chose que je voudrais vous montrer, murmura le barde. C'est par ici. »

Sans ajouter plus de mots, il fit signe à ses camarades et les emmena à nouveau sur le sentier de sable. Cette fois, il n'y avait aucun obstacle entre eux et le jeune arbre. De son bras, Hans les invitait même à aller de l'avant. Ils devaient explorer son passé, entendre son récit avant d'affirmer leur désir d'avancer aux côtés du centenaire. Les inquiétudes fleurissaient dans l'esprit de l'homme aux cheveux d'argent. Rebrousseraient-ils chemin ? Auraient-ils peur de poursuivre ce qu'eux avaient commencé ? Et s'ils l'abandonnaient, comme beaucoup d'autres avant eux ?

« Allons-y ensemble, » affirma un murmure rassurant.

Était-ce Rush ou Lotus ? Peu importait. Hans laissa la main derrière lui le porter. Plus leurs pas les rapprochaient du fond de l'allée, plus sa vision se troublait. Il n'était venu ici accompagné qu'une seule fois. La chevelure d'automne qui était alors à ses côtés n'avait pas su trouver les mots pour l'aider à se relever. Sous le vent glacé et la neige d'un soir, il avait passé une nuit entière, seul dans le noir. Les yeux asséchés de chagrin et le corps dénué de volonté, c'étaient le jour où les ombres étaient apparues pour la première fois.

Depuis, jamais elles ne l'avaient lâché. Elles étaient une partie de lui, des piliers sans lesquels le barde avait peur de chuter à nouveau et ne plus jamais se relever. Et ce jour-là encore, elles étaient là. Toutes trois présentes au bout du chemin, dissimulées dans la cime de pins lointains, Hans distinguait sans effort leurs silhouettes familières.


Devant les quatre compagnons se dressait un petit cèdre bleu aux branches couvertes de neige percée par ses jeunes épines. L'arbuste protégeait de son ombre une petite coupelle portant une bougie. La coupelle était en acier et la bougie blanche. Une sobriété à l'égal de la tristesse qu'imposait le lieu.

Au pied du tronc et au milieu du manteau blanc reposaient trois petites pierres, simples galets curieusement déneigés. L'un d'eux était taillé en pointe, l'autre était des plus naturels et sur le dernier, Hans déposa un pétale azur volé à l'une des fleurs du domaine.

Le barde s'agenouilla simplement devant le cèdre la tête basse. Il ne prononça aucun mot et laissa passer les minutes avant de redresser les yeux et d'allumer la bougie devant lui. La nouvelle flamme s'agita avec quelques légères brises et dansa pour les chasseurs. La lueur orangée apportait un peu de chaleur et chassait les ombres planantes. 

Quiver n'avait aucune envie, si ce n'était celle de s'installer à côté du centenaire. En silence, il effleura avec beaucoup de délicatesse la pierre en pointe, retirant ainsi un peu de neige qui commençait à la recouvrir. Son geste apporta un sourire aux lèvres de Hans et ainsi, Rush et Lotus se joignirent à eux, genoux dans la neige.


Il n'y avait plus besoin de questions, le groupe avait finalement toutes les réponses. Pourtant, la jeune femme décida de formuler une demande. Pas dans l'espoir d'éclaircir les mystères qui avaient guidé ses enquêtes, mais pour offrir au barde une main pour qu'il se relève et quitte les abîmes où il s'était perdu.

« Hans, qui est Az' ? » demanda-t-elle en toute simplicité, d'un ton neutre.

L'homme leva les yeux vers les arbres lointains dont il se sentait si proche. Il attendit un signe. Un souffle ou une ombre, un visage familier qui lui parlerait où lui donnerait la marche à suivre. Mais rien ne vint. La dame en bleu était partie. Tout comme le chasseur à la crête, elle avait finalement rejoint celle aux cheveux de feu. S'il répondait, les mirages reviendraient-ils ? S'il ne voulait pas les quitter, pas encore, que pouvait-il bien faire ? Hans baissa les yeux et contempla les galets sur le sol. Il venait ici chaque matin et chaque soir. Dans les moments de peine et de solitude, comme dans les excès de joie et d'excitation. Il contait aux mirages ses aventures et ses journées, rêvant de leurs présences à ses côtés. Au fond, n'étaient-ils pas simplement là ? Le barde voyait dans ces pierres tout ce dont il avait besoin, les illusions n'étaient pas réelles. Ces tombes, si.

« Asuna était une amie et la chef de notre groupe. Elle nous emmenait toujours plus loin, plus haut. Angel veillait sur chacun d'entre nous et il ne restait que Ragnar et moi, pour suivre la voie qui s'ouvrait devant nous.

— Quand ont-ils péri ? 

— C'était il y a un peu plus d'an, nous affrontions le Balafré. »


Le barde prit une grande inspiration, avec conviction, il se redressa. Avec pour seule musique le vent et déterminé à les rendre immortels, il était prêt à entonner son récit.


Merci à BakApple et Ensorceleurisee


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