My Lost Hero

Hitomi n'avait pas le temps d'aller discuter avec Ryo Inui. Les élèves sortaient déjà et elle avait un rendez-vous de prévu. Elle se glissa parmi la cohorte et le brouhaha joyeux pour quitter Yuei. Sur le chemin, elle prit le temps de respirer pour se détendre. Si elle ne parvenait pas à avoir ce job, elle ne saurait pas comment payer le loyer, ni aider sa mère à payer le sien. Elle s'efforça de se détendre du mieux qu'elle put. Lorsqu'elle arriva à la supérette, le gérant se redressa sur son siège, derrière le comptoir. Sans qu'elle n'ait le temps de placer un mot, il lui tendit une clé d'un air blasé.

— Tenez, voici la double des clés du magasin. Vous partagerez vos heures avec Koichi, un autre étudiant.

— Euh, bonjour... Merci, mais je croyais qu'on aurait d'abord un entretien ?

— Tu sais ranger dans les rayons et porter des cartons ?

— Oui, mais...

— Je t'engage. Pour la caisse, je vais te montrer comment ça fonctionne.

Hitomi était de plus en plus décontenancée, déjà par le brusque changement de pronom, mais aussi par la nonchalance dont faisait preuve l'homme. Comment savait-il qu'elle était Hitomi ? Et surtout, il ne l'avait jamais vu à l'œuvre ? Comment pouvait-il lui faire confiance aussi rapidement ? C'était sûr, elle ne se trouvait plus en France...

Durant l'heure qui suivit, le gérant lui montra comment fonctionnait la caisse, lui indiqua ses horaires de travail, où se situait la réserve, ses tâches... Elle sortit du magasin près d'une heure plus tard avec des informations plein la tête et un travail qui débutait le lendemain. En rentrant chez elle, elle constata qu'elle avait quatre appels manqués de sa mère. Elle envisagea de ne pas répondre, mais ça faisait tout de même quelques jours qu'elle ne lui avait pas parlé. Et elle aimerait demander des informations...

Elle s'allongea sur son lit et composa le numéro de sa mère, qui décrocha au bout de la deuxième sonnerie.

— Hitomi ? Comme je suis contente de t'entendre ! J'ai cru que tu ne me répondrais jamais !

— J'ai été pas mal prise ces derniers temps, et, comme je te disais, je ne pourrai pas répondre aussi souvent qu'avant. Tu suis bien ton traitement, hein ? Et tu vois toujours le psy ?

— Oui oui, répondit-elle distraitement. Dis, comment c'est, Tokyo ? D'ailleurs, je n'ai pas eu de photo ! Tu fais attention à toi, hein ? Les gens sont dangereux, ne l'oublie pas !

Hitomi n'eut pas le cœur à lui avouer qu'elle n'avait pas emménagé dans cette ville, ni qu'elle n'avait l'intention de faire du tourisme. Souvent, sa paranoïa l'étouffait, et, même à travers le téléphone, elle se sentait oppressée. Elle fixa le plafond d'un air vide, essayant de changer de sujet.

— Oui, ne t'en fais pas. Je t'enverrai de l'argent d'ici la fin du mois.

— Oh, ne t'embête pas pour ça. Du moment que tu m'appelles !

— Maman, je te l'ai dit, je ne vais pas avoir le temps de t'appeler aussi souvent. Tu dois t'y faire.

Elle serra les lèvres. Une question lui brûlait les lèvres, mais elle n'osait pas lui poser. Seulement, cette information pourrait lui être précieuse, et ça lui éviterait d'en discuter avec un autre professeur. Elle n'avait pas le choix, si elle voulait avancer dans son enquête.

« Dis, j'ai une question à te poser. Tu me promets d'y répondre ?

— Oui, bien sûr.

— Que sais-tu de Ryo Inui ?

Une pause à l'appareil.

— Ma chérie, pourquoi tu veux savoir ça ?

— Tu m'a promis de répondre.

— ... Oui, mais... Pourquoi tu veux raviver le passé, Hitomi ? Ton père...

— Je sais qu'il est mort ! Je veux simplement... Oh, et puis zut, laisse tomber.

Elle n'aurait jamais dû lui poser la question. Sa mère était trop fragile pour qu'elle puisse lui parler de Nobu Watanabe. Alors que la jeune femme s'attendait à ce qu'elle éclate en sanglots, elle finit par lui fournir une explication. Sa voix était plus lente que d'habitude.

— Je ne sais presque rien sur lui. Il venait parfois à la maison, tu ne t'en souviens peut-être pas. Il était assez impressionnant. Il n'était pas spécialement agressif, mais quand il se mettait en colère, tu ne comprenais rien à ce qu'il disait ! Malgré tout, c'était quelqu'un de plutôt gentil.

— Il ne s'est jamais disputé avec papa ? Ou alors parlé d'un sujet important ?

— Je ne sais pas. Quand ils parlaient, je respectais la confidentialité et je les laissais, mais je ne me souviens pas d'avoir entendu la moindre dispute... Pourquoi veux-tu savoir tout ça ? Ne me dis pas que tu as en tête de...

— Merci, maman. Je te revaudrai ça. Et continue ton traitement.

Elle raccrocha en soupirant. Elle n'avait rien obtenu d'utile, à part que Midnight avait raison : son père et Ryo Inui étaient plutôt proches. Hitomi avait donc une piste sérieuse à creuser.

...

Neko se frotta à ses jambes avant de ronronner quand Shota se pencha pour le gratter derrière les oreilles. C'était son jour de congé, et il comptait bien en profiter. Il attrapa sa compote, posée sur sa table basse devant lui, et l'avala en contemplant sa télévision. Un nouveau vilain à Tokyo, All Might qui est intervenu à temps et signait désormais des autographes. À croire que être héros va de pair avec le fait d'être une star aujourd'hui, songea le professeur, amer.

Quelque chose le chagrinait depuis quelques temps, sans qu'il ne sache quoi. Il savait vaguement que ça avait un lien avec la gamine, mais il ne parvenait pas à mettre le doigt dessus. Il n'avait aucun doute sur plusieurs éléments : elle était impertinente, têtue, et débarquait de n'importe où.

Pourtant, il y avait bon nombre d'autres choses qui le laissaient dubitatif : sa non-utilisation d'alter quand il l'avait enroulé avec ses bandes pour la mener au commissariat, alors qu'elle était dans une filiale héroïque à Yuei, la génération perdue, la mort du professeur dans une ruelle... Décidément, elle n'était pas nette. Pourquoi avait-il accepté de la mener à Nezu ? Et pourquoi ce dernier avait accédé à sa requête ? Qui était vraiment Hitomi Watanabe ? Et sa mère, dans tout ça, où se trouvait-elle ?

Il y avait trop de zones d'ombres et d'incertitudes. L'ancienne élève semblait apporter les ennuis où qu'elle soit. Et toujours cette chose qui le chiffonnait... Puis, alors que la télévision diffusait une pub vieille de plusieurs années, il comprit la source de sa préoccupation.

Hitomi avait souligné qu'elle avait plus de dix-huit ans. Si elle était si pressée de retrouver le meurtrier de son père, et à supposer qu'il y avait bien un espion à Yuei... Pourquoi ne s'y prenait-elle que maintenant ?