Patrocle

Chapitre 1 : La Prophétie

1089 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 17/10/2021 19:33

Immobiles et silencieux, les douze hommes vêtus de longs manteaux de laine noire se tenaient à l’entrée de la caverne. Le vent d’automne était anormalement froid, mais ils ne se réchauffaient pas les mains en soufflant dessus.

Les rayons de la lune scintillaient sur leurs plastrons de bronze et leurs casques à la crête blanche, sur leurs protections de poignets et leurs jambières en métal repoussé, ainsi que sur les pommeaux des épées courtes qu’ils portaient à la ceinture. Malgré tout ce métal froid sur leur corps, ils ne frissonnaient pas.

La nuit devint plus froide, et, vers minuit, la pluie se mit à tomber. De la grêle crépita contre leurs armures, mais les hommes ne bougèrent pas.

Puis arriva une femme voilée, et les soldats s’inclinèrent aussitôt.

— Est-elle à l’intérieur ? demanda-t-elle d’une voix profonde.

— Oui, ma reine, répondit un homme grand aux épaules larges et aux yeux gris profondément enfoncés dans leurs orbites. Elle nous appellera quand la déesse parlera.

— Alors, nous attendrons, dit Philomèle.

La pluie ralentit, et les yeux noirs de la reine examinèrent les Fidèles. Elle regarda vers la caverne d’Artémis. Elle aperçut de la lumière dansant sur les murs, et il sentit, même à cette distance, la fumée âcre et entêtante du feu de Prophétie. Puis la lueur diminua.

Philomèle n’était pas habitué à attendre, et elle sentit la colère monter en elle. Elle la dissimula. Même une souveraine devait se montrer humble en présence des dieux.

Elle s’était rendue à la caverne d’Artémis en obéissant à une étrange inspiration. À un présage qui l’avait visitée dans son sommeil tandis qu’elle reposait auprès de son époux, Ménétios, roi de Locride, qui s’était repu de mets et de vin. Elle attendait un enfant de cet homme qu’elle haïssait, et voulait savoir si son fils allait connaître un grand destin. 

Ménétios n’était pas Pelée, le beau et puissant roi de Thessalie, et elle la reine Philomèle, n’était pas Thétis, ce démon des mers qui avait pris l’apparence d’une femme dont la beauté avait séduit le beau Pelée, et qu’on avait prédit que le fils que lui donnerait Thétis serait l’égal d’Héraclès tant par la gloire que par le destin.   

Injuste était la volonté des dieux. C’était Philomèle qui aurait dû épouser Pelée, et c’était elle aussi qui aurait dû porter l’enfant divin. Mais l’oracle de Delphes avait tranché, la princesse Philomèle fille d’Acaste doit épouser le cousin de Pelée, Ménétios fils d'Actor roi de Locride.

Une femme entièrement vêtue de noir sortit de la caverne. Même sa tête était couverte d’un voile de gaze. En silence, elle leva la main et fit signe de la suivre au groupe qui attendait. Philomèle inspira à fond et prit la tête de ses gardes.

L’entrée était tellement exiguë que les gardes royaux durent retirer leur casque et marcher en simple file derrière la femme. Ils arrivèrent devant les braises du feu de l’autel de la déesse de la chasse. L’air était toujours enfumé, et Philomèle sentit son cœur battre plus vite. Les couleurs se firent plus vives, et les petits bruits – le craquement du cuir, le glissement des pieds sur la pierre – devinrent plus forts, presque menaçants.

Vieux de plusieurs centaines d’années, le rituel se fondait sur une ancienne croyance : une prêtresse ne pouvait communier pleinement avec les dieux que si elle était aux portes de la mort. Et donc, tous les quatre ans, une femme était choisie pour mourir au service du royaume.

Évitant de respirer trop profondément, Philomèle regarda la vieille femme chétive couchée sur une paillasse. Sa pâleur et ses pupilles dilatées et fixes indiquaient que la paralysie induite par la ciguë avait déjà commencé. Dans quelques minutes, elle serait morte.

Philomèle attendit.

— Tu ne peux poser que trois questions, reine de Locride, dit la prêtresse.

— Aurais-je un fils ? demanda aussitôt la jeune femme.

— Tu auras un fils, aussi beau que la nuit qui précède le jour, il sera aimé de tous, des rois écouteront ses sages paroles, et de grands guerriers respecteront son courage, son nom sera gravé a jamais dans la mémoire des hommes.

— Sera-t-il un bon roi ? demanda Philomèle le cœur battant.

— Ton fils ne deviendra jamais roi. Il va se nourrir de ce qu’il chasse et cultive, très loin des lumières d’un palais. Ce sera un homme de moral.

— Mon fils ! hurla Philomèle de rage, vivra comme un paysan et sera respecté par les rois ? Que veut dire cette folie, vieille femme ?

Les yeux de l’oracle étincelèrent de colère. Puis elle sourit.

— Prends garde petite reine, ton fils a était béni par la déesse de la chasse, respecte son verdict et n’attise pas sa colère. Artémis est très vindicatif et ses vengeances sont aussi cruelles que terribles. Rappelle-toi ce qui est arrivé à Orion quand il l’a vue baignant toute nue. Il te reste une dernière question.

Philomèle ferma les yeux, puis regarda l’oracle qui respirait rapidement, elle devait faire vite avant qu’elle ne rende l’âme.

— Peut-on changer son destin ? demanda-t-elle d’une voix radoucie.

— On ne le peut pas, répondit l’oracle. Nombreuses sont les routes qui s’offrent à l’homme, mais certains individus sont dotés, dès la naissance, d’une force différente, qui leur vient des dieux et qui essaie de revenir aux dieux. Sois prête à tout, même à le perdre, parce que quoi que tu fasses, tu ne parviendras pas à empêcher son destin de s’accomplir et sa renommée de s’étendre jusqu’aux confins du monde.

Du sang jaillit de la bouche de l’oracle, inondant ses robes claires. Son visage se tordit et ses yeux s’agrandirent de peur. Puis un autre spasme la secoua, et elle poussa son dernier soupir.

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