Patrocle

Chapitre 16 : Le général mercenaire

3800 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 04/10/2022 11:07

Ramsès le Grand frotta sa cicatrice sur le bras en observant la formation Hittite qui se trouvait à moins d’un mille. Plus de vingt mille soldats lui faisaient face, soutenus par un millier de cavaliers disposés derrière l’infanterie, sur sa droite. Le regard du pharaon se porta sur ses propres troupes, quinze mille fantassins encadrés par trois mille cavaliers.

Partout sur la plaine d’Edom, les fleurs poussaient, jaunes et violettes, rosés et blanches, et il lui semblait inconcevable que, dans quelques minutes, des centaines, voire des milliers d’hommes auraient perdu leur vie et souilleraient de leur sang ce sol fertile. Toutes ces fleurs bientôt écrasées par les sabots et les sandales constituaient un crime abominable perpétré envers les dieux de la beauté.

Ne sois pas stupide, se dit-il. C’est toi qui as choisi ce champ de bataille.

L’absence de relief était parfaite pour la cavalerie, et Ramsès avait désormais sous ses ordres les lanciers de Nubie, qui n’avaient pas leur pareil dans toute l’Egypte dès qu’il s’agissait de combattre à cheval.

Deux jours plus tôt, après avoir traversé le Néguev sur un rythme soutenu, l’armée égyptienne avait surpris les défenseurs de la ville portuaire de Rabath Batora. La cité n’avait pas résisté plus de trois heures. Au crépuscule, les soldats postés sur les remparts avaient aperçu une flotte de trirèmes hittites traversant tranquillement le golfe. Mais comme Rabath Batora était tombée, les navires n’avaient pu accoster. La baie la plus proche se trouvait à un jour de navigation, soit quatre jours de marche. Le temps que les hittites arrivent, la bataille serait terminée.

Ne risquant plus la moindre attaque surprise sur ses arrières, Ramsès se sentait désormais bien plus confiant. Cette fois-ci, Ouri-Téchoup ne pourrait pas cacher ses archers sur le versant des montagnes, à l’abri des arbres. Non, cet affrontement-là serait une affaire d’hommes. Le pharaon se souvenait encore avec horreur de la pluie de flèches qui avait décimé son armée ; les cris des mourants refusaient de le quitter.

Aujourd’hui, les choses allaient se passer différemment. Les forces en présence étaient bien plus équilibrées.

Et il avait Patrocle avec lui…

Se tournant vers la gauche, il chercha des yeux le Grec. Il le vit en train de parler à ses hommes, calmant les plus jeunes et réchauffant le cœur des vétérans.

Un brusque accès de colère s’empara de Ramsès. Patrocle était arrivé en Egypte trois ans plus tôt, alors que le pays se relevait difficilement de Qadesh. Son don pour la stratégie s’était révélé d’une importance cruciale et il avait entraîné la nouvelle armée du jeune pharaon, transformant ce qui n’était à l’origine qu’une troupe d’hommes dépassée en la plus terrible force militaire de l’orient.

Je t’aimais, à l’époque, songea Ramsès en se remémorant les premières victoires contre les Nubiens au sud et les Syriens à l’Ouest. Les cités étaient tombées les unes après les autres devant la puissance toujours croissante de l’Egypte.

Mais les victoires successives étaient toujours l’œuvre de l’Hoplite Sanglant, l’homme qui enchaînait les succès depuis trois ans, à Memphis, en Nubie, en Anatolie et en Lybie.

Protégeant ses yeux contre le soleil, Ramsès observa le centre ennemi, où il savait qu’Ouri-Téchoup se trouvait, entouré de sa garde. Mais la distance était trop grande, et les myriades de reflets projetés par les cuirasses, casques et boucliers adverses l’empêchaient de distinguer son rival.

— Que ne donnerais-je pas pour t’avoir au bout de ma lame, murmura-t-il.

— Vous avez dit quelque chose, sire ? demanda Sequen, le champion du pharaon.

— Oui, mais seulement pour moi-même. L’heure est venue. Dis aux hommes d’avancer.

Saisissant la crinière de son étalon gris, Ramsès sauta sur l’animal qui se cabra en hennissant. Aussitôt le pharaon contrôla sa monture en serrant les cuisses.

« Du calme », dit-il d’une voix apaisante.

Un jeune soldat courut lui apporter son casque en fer, tellement poli qu’il brillait de mille feux. Ramsès le prit en mains et fixa longuement la gravure d’Isis ornant son front.

« Soutenez-moi, aujourd’hui, madame », demanda-t-il en plaçant le casque sur son crâne.

Un autre homme lui tendit son petit bouclier rond et il passa le bras gauche sous les sangles en cuir.

Les quatre premiers régiments, forts de onze mille hommes, commencèrent à avancer lentement en direction de l’ennemi.

Ramsès jeta un coup d’œil à Patrocle. Le Grec attendait sur sa gauche, à la tête de deux mille cavaliers et des deux régiments d’infanterie de réserve. Il lui fit un geste du bras avant de reporter toute son attention sur le champ de bataille.

Le cœur de Ramsès battait à tout rompre. L’amère défaite que lui avait infligée Ouri-Téchoup lui revint en mémoire. Il s’agissait d’un jour aussi clair que celui-ci, sans le moindre nuage dans le ciel. Mais le champ de bataille était encadré de montagnes, qui cachaient des archers dont les flèches avaient dévasté les rangs égyptiens. Quand la cavalerie adverse avait lancé la charge, la formation dispersée n’avait pu que fuir sans demander son reste.

Le pharaon se souviendrait longtemps de ce revers. Deux années durant, il avait paru invincible, multipliant les victoires comme si les dieux se tenaient derrière lui ; il avait suffi d’une heure pour tout réduire à néant. Le soir, une fois la discipline revenue, la retraite s’était bien organisée mais, pour la première fois de sa vie, Ramsès avait échoué.

Restait à considérer le pire : l’absence de Patrocle, alors occupé à mater une insurrection libyenne au nord-est.

Pendant trois ans, le pharaon avait été forcé de partager ses victoires avec son commandant en chef, et pour son unique défaite il ne pouvait s’en prendre qu’à lui-même.

Ramsès secoua la tête pour chasser ces souvenirs désagréables.

« Fais donner le bataillon de Sekhmet ! » cria-t-il à Sequen.

Le champion galopa jusqu’aux cinq cents archers, qui attendaient les ordres. Uniquement protégés d’une cuirasse de cuir bouilli extrêmement légère, ils partirent en courant se poster derrière les premiers régiments.

À deux cents pas sur la droite, Amosés, le général en second, attendait avec ses mille cavaliers. Ramsès alla se placer à son côté, au premier rang. Les hommes de cette unité étaient pour la plupart des nobles. Ils saluèrent d’une grande ovation l’arrivée de leur pharaon, qui leur répondit d’un signe de la main. Tirant son épée, il mena sa cavalerie au pas, en s’écartant légèrement de la trajectoire suivie par le centre de son armée.

« Les voilà ! » s’exclama Amosés en tendant le doigt.

Lances levées, la cavalerie adverse les chargeait.

« Pour l’Egypte ! » hurla Ramsès en piquant des deux. Et ses craintes s’envolèrent lorsque son cheval s’élança.

Patrocle plissa les paupières pour mieux observer le champ de bataille. Ramsès et sa garde chargeait sur la droite, au même niveau que les régiments d’infanterie ; ces derniers avançaient sur l’ennemi, boucliers soudés et lances levées. Juste derrière, les archers tiraient volée après volée en direction du centre adverse.

Tout se déroulait comme prévu, ce qui n’empêchait pas Patrocle de se sentir mal à l’aise.

Ramsès était le commandant suprême de l’armée égyptienne, mais il insistait perpétuellement pour conduire la charge lui-même. Sa bravoure était une malédiction autant qu’une bénédiction. Galvanisés par la présence de leur monarque, les soldats se battaient d’autant plus farouchement ; mais il suffirait que Ramsès meure pour que la panique se propage à la vitesse d’un feu de prairie.

Comme toujours, la stratégie était du ressort de Patrocle. Il guettait le moindre signe de faiblesse, le plus infime indice pouvant laisser présager une modification de la situation.

Dans son dos, les cavaliers mercenaires attendaient ses instructions, tandis que, devant lui, le Cinquième Régiment d’infanterie observait calmement le déroulement de la bataille.

Patrocle ôta son casque corinthien à long panache blanc et passa la main dans ses longs cheveux noirs trempés de sueur. Il ne pensait qu’à une seule chose.

Quelle ruse a-t-il prévue ?

Car Ouri-Téchoup n’était pas un général comme les autres.

Depuis qu’il avait pris le commandement des armées Hittites, deux ans plus tôt, il avait révélé ses dons de stratège en s’emparant de plusieurs cités du centre de l’Orient et en mettant à sac Tyr. C’était un chef rusé et instinctif, respecté par tous ceux qui le servaient.

Patrocle gardait à l’esprit que la tactique d’Ouri-Téchoup reposait toujours sur l’attaque. Et pourtant, ses régiments avaient adopté une position défensive. Seule sa cavalerie avançait.

Cela cachait un piège ; Patrocle en était persuadé. Abritant ses yeux de la main, il scruta de nouveau le champ de bataille. À cet endroit, la plaine d’Edom ne présentait pas le moindre relief, à l’exception de quelques petites collines loin sur la droite et d’un bois à un demi-mille sur la gauche. Maintenant que Sidon avait été conquise, aucune attaque à revers n’était à craindre. Dans ce cas, quel pouvait bien être le plan du Hittite ?

La concentration de Patrocle fut troublée par le cri de guerre des Egyptiens. Les régiments se mirent à courir, précédés par leurs lances qui s’enfoncèrent dans les rangs adverses. Les hurlements des mourants s’élevèrent au milieu du vacarme des boucliers. Patrocle se tourna vers le cavalier situé à son côté, une séduisante jeune femme au casque surmonté d’un cimier rouge.

« Simisée, prends cinq sections avec toi et avance en direction des bois. Arrête-toi à deux portées d’arc des arbres et envoie quelques éclaireurs. Si les bois sont dégagés, attends mon signal. Sinon, empêche l’unité adverse d’effectuer la liaison avec Ouri-Téchoup. C’est bien compris ?

— Oui, monseigneur », répondit Simisée en saluant.

Patrocle regarda les cinq cents cavaliers progresser vers la petite forêt, puis concentra son attention sur les collines.

La formation égyptienne était désormais connue de tous : l’infanterie au centre et la cavalerie sur les ailes. Ouri-Téchoup savait forcément à quoi s’attendre…

Les fantassins luttaient au corps à corps. Large de cent cinquante boucliers, l’unité égyptienne s’étendait sur seize rangs. Les Medjaÿ – la Garde du Roi, commandée par Khemousis – venait d’enfoncer la ligne adverse.

« Ne t’avance pas trop, murmura Patrocle. Reforme les rangs et attends du soutien. »

Il était vital que les quatre régiments restent au contact. Si l’un d’entre eux venait à être séparé des autres, il pourrait se retrouver enveloppé par un adversaire supérieur en nombre.

Mais le général se détendit en voyant la Garde conserver sa position sur la gauche et la droite amorcer un mouvement tournant pour forcer les Hittites à reculer. Le Deuxième Régiment avait presque effectué la jonction. Patrocle reporta son attention sur l’unité suivante. Le Troisième Régiment devait faire face à une terrible opposition. Il avait cessé de progresser et sa première ligne commençait à plier.

« Akamas ! » s’écria le général, ce qui lui valut un salut de l’officier placé au centre du bataillon de réserve. « Va soutenir le Troisième. »

Les deux mille cinq cents hommes du Cinquième Régiment se mirent en marche, conservant leur formation serrée.

« Bien », félicita Patrocle à mi-voix.

Sous le coup de la peur et de l’excitation, beaucoup d’officiers cédaient à l’impulsion d’ordonner la charge trop tôt et les troupes arrivaient fatiguées au contact de l’ennemi. Mais Akamas conservait son calme en toute circonstance. Il savait que ses hommes auraient besoin de toutes leurs forces pour combattre et qu’il aurait été stupide de les épuiser avant.

Soudain, sur la gauche, la ligne égyptienne se déforma et céda. Patrocle jura en voyant apparaître une ligne de boucliers bien soudés. Il n’eut pas besoin de voir l’emblème peint dessus pour savoir de quelle cité provenaient ces troupes : la discipline des Dardaniens était à nulle autre pareille. Le Troisième Régiment reflua et les hoplites adverses infléchirent leur trajectoire pour encercler la Garde.

Mais Akamas était presque sur eux. Les lances se levèrent et la phalange chargea. Attaqués par le flanc, les Dardaniens durent se replier et les égyptiens reprirent leur formation. Voyant que le danger immédiat avait disparu, Patrocle fit avancer son destrier gris vers la droite. Les Mysthios lui emboîtèrent le pas.

Le pharaon et ses Compagnons luttaient farouchement contre la cavalerie hittite, et manifestement les Egyptiens prenaient peu à peu le dessus. Regardant sur sa droite, Patrocle vit que Simisée et ses cinq cents hommes s’étaient arrêtés là où il l’avait ordonné. Les éclaireurs arrivaient à peine à la lisière des bois.

Appelant un cavalier, le général le chargea de transmettre de nouvelles instructions à Simisée, puis il s’intéressa aux collines. Si Ouri-Téchoup avait préparé une attaque surprise, elle viendrait forcément de là. Reportant son attention au centre, Patrocle constata qu’Akamas et le Cinquième avaient stoppé la progression des Dardaniens et qu’ils effectueraient bientôt la jonction avec la Garde Medjaÿ. Pour sa part, le Troisième Régiment venait de fusionner avec le Quatrième, ce qui lui avait permis de repartir de l’avant.

Deux choix s’offraient désormais à Patrocle. Soit il allait aider son roi, soit il contournait l’ennemi par la gauche. Il continua d’avancer lentement vers la droite. Un cavalier se détacha du combat et vint vers lui au triple galop. Il avait de multiples entailles aux bras et sa joue s’ornait d’une balafre impressionnante.

« Le pharaon vous ordonne d’aller soutenir le flanc droit, rapporta-t-il. L’ennemi est presque vaincu. »

Le Grec hocha la tête et se tourna vers Dates.

« Prends cinq cents hommes et va rejoindre Ramsès. »

Le Spartiate s’exécuta, aussitôt suivi de ses cavaliers. Le messager blessé se rapprocha de Patrocle.

« Le pharaon a demandé l’appui de toutes les réserves, précisa-t-il à voix basse.

— Tu as accompli la tâche qu’il t’avait confiée, mon ami. Maintenant, retourne au camp et demande au chirurgien de s’occuper de tes blessures. Elles ne sont pas profondes mais tu perds beaucoup de sang.

— Monsieur, je…

— Fais ce que je te dis. »

Alors que l’homme s’en allait, un second officier thessalien vint se porter à la hauteur de son général. « Que faut-il faire, monsieur ? demanda-t-il.

— Attendre », répondit Patrocle.

L’épée dégoulinante de sang, Ramsès tira les rênes de son cheval et risqua un coup d’œil vers l’arrière. Dates et ses cinq cents cavaliers avaient contourné l’ennemi par la droite, mais Patrocle ne semblait pas décidé à bouger. Le pharaon jura. Profitant de son inattention, un Hittite échappa à la première ligne égyptienne et se rua vers lui, lance dressée.

Ramsès fit un écart sur la gauche et l’arme adverse se planta dans le flanc de son cheval. L’animal se cabra brusquement au moment même où le monarque trancha la gorge de son agresseur d’un revers d’épée. Affolé par la douleur, le hongre se dressa une seconde fois sur ses jambes arrière et Ramsès perdit l’équilibre. Sautant pour éviter la bête blessée, il retomba sur ses pieds, mais un sabot le frappa à la hanche et il s’effondra.

Les Hittites lancèrent une contre-charge en réalisant que le pharaon d’Egypte était à terre. Ramsès se remit sur pied, laissa tomber son bouclier et se rua sur le premier cavalier. L’arme de l’homme ricocha contre sa cuirasse. Le pharaon bondit, jeta le lancier à bas de sa monture et lui donna deux rapides coups d’épée, dans l’abdomen et le bas-ventre. Laissant le Hittite se vider de son sang, il sauta sur son cheval pour s’apercevoir qu’il était désormais entouré par l’ennemi.

Une lance lui ouvrit une longue entaille dans la cuisse droite et une épée ripa sur son bracelet de force en métal pour lui taillader l’avant-bras gauche. Il para une nouvelle attaque puis plongea sa lame entre les côtes de son adversaire.

Dates, Amosés et une vingtaine de cavaliers attaquèrent les Hittites pour les obliger à refluer.

Les rangs adverses s’ouvrirent et les Egyptiens s’élancèrent sur l’infanterie d’Ouri-Téchoup. Le bref répit permit à Ramsès d’apercevoir son rival, qui donnait des ordres à ses troupes.

« Derrière moi ! » s’époumona le pharaon pour se faire entendre. Ses hommes se rassemblèrent autour de lui et il chargea la ligne de boucliers.

Les Hittites plièrent et faillirent céder, mais Ouri-Téchoup fit avancer un second régiment pour bloquer la cavalerie adverse et Ramsès fut repoussé. Une lance transperça le cœur de sa monture et, une nouvelle fois, le maître de l’Egypte se retrouva à terre.

« Où es-tu, Patrocle ? » tonna-t-il.

Le Grec percevait clairement l’anxiété de ses hommes. En soldats aguerris, ils savaient que le cours de la bataille risquait de tourner à tout moment. On était sur le fil du rasoir.

Si la cavalerie de Ramsès perdait du terrain, Ouri-Téchoup pourrait profiter de sa supériorité numérique pour enfoncer le centre égyptien et remporter la victoire.

Patrocle regarda sur la gauche. Les fantassins hittites cachés dans les bois venaient de se découvrir, mais Simisée et ses hommes les avaient interceptés. De là où le général se trouvait, il lui était impossible d’évaluer la force de l’opposition, aussi envoya-t-il deux cents fantassins de plus pour soutenir Simisée.

« Regardez ! » s’écria soudain l’un de ses mercenaires.

Plusieurs centaines de cavaliers apparurent sur la crête des collines. Ramsès et ses Compagnons allaient se retrouver pris entre le marteau et l’enclume.

Les Hittites dévalèrent la pente et le bras de Patrocle se leva.

« En avant, pour l’Egypte ! » ordonna-t-il.

Voyant que sa cavalerie s’était fait intercepter, Ouri-Téchoup hurla de nouvelles instructions à l’attention de ses hommes, qui tentèrent vaillamment d’ériger un mur de boucliers autour de lui. Mais les Egyptiens progressaient désormais sur trois fronts : les Medjaÿ de face, Akamas et le Cinquième Régiment qui repoussaient les Dardaniens sur la gauche, et Ramsès, qui se frayait un passage sanglant sur la droite.

Les corps gisaient par centaines, piétines par les soldats en armure ; il n’y avait plus la moindre fleur visible à des centaines de pas à la ronde.

Et il y avait bien longtemps que Ramsès ne pensait plus à la beauté bucolique de l’endroit. Après s’être trouvé un troisième cheval, il s’ouvrit une voie entre les boucliers hittites. Son épée s’abattit sur le visage d’un adversaire anonyme, qui disparut sous les sabots égyptiens. Ouri-Téchoup se trouvait désormais tout proche ; il lança un javelot qui passa au-dessus de la tête de Ramsès.

Soudain, devant l’imminence de la défaite, les Hittites rompirent et s’enfuirent dans toutes les directions. Ses rêves de grandeur annihilés, Ouri-Téchoup dégaina son épée et attendit courageusement la mort. La Garde Medjaÿ pulvérisa sa dernière ligne de défense et, alors qu’Ouri-Téchoup se tournait vers l’assaillant, une lance transperça son ptérux et lui brisa la hanche, sectionnant du même coup la fémorale.

Une fois le chef Hittite mort et son armée en fuite, les mercenaires et les contingents envoyés par Troie, Dardanie et Assyrie se replièrent en ordre.

Ramsès mit pied à terre et trancha la tête de son rival, qu’il planta sur une pique et leva bien haut pour que tout le monde puisse la contempler.

La bataille s’achevait en triomphe, mais le pharaon se sentit soudain épuisé. Il avait mal partout et son bras droit était en feu. Lâchant son épée, il arracha son casque et se laissa tomber par terre, le regard perdu dans le vide. Hommes et chevaux avaient péri par centaines, et le nombre des victimes ne cessait d’augmenter, car la cavalerie égyptienne poursuivait les Hittites en déroute. Patrocle vint trouver son monarque.

Descendant de cheval, il s’inclina devant lui.

« Une belle victoire, sire, fit-il posément.

— Oui, répondit Ramsès en le fixant. Mais pourquoi n’es-tu pas venu quand je te l’ai ordonné ? »

Amosés, Dates, Simisée et d’autres officiers se trouvaient non loin. Tous attendaient manifestement la réponse du Grec.

« Vous m’aviez demandé de superviser la bataille, sire, expliqua ce dernier. Je me doutais qu’Ouri-Téchoup avait gardé des hommes en réserve… et tel était le cas.

— Maudit sois-tu ! s’emporta Ramsès en se levant soudain. Quand pharaon donne un ordre, tout le monde obéit ! Tu peux comprendre cela ?

— En effet, oui, répondit le général en réprimant sa colère.

— Sire, intervint Simisée, si Patrocle avait agi selon vos désirs, vous vous seriez retrouvé piégé.

— Silence ! Rugit le souverain. Je ne tolérerai aucune indiscipline de la part de mes serviteurs !

— Dans ce cas, le problème sera facilement résolu, sire », rétorqua froidement Patrocle.

Saluant une nouvelle fois le monarque, il lui tourna résolument le dos et remonta à cheval pour quitter le champ de bataille.

 

 


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